Séquestrée et violée pendant 10 ans, elle s'évade : comment vivre avec un tel traumatisme
LE PLUS. Elle avait été kidnappée à Santa Ana, au sud de Los Angeles, en 2004. Pendant dix ans, une jeune femme a été séquestrée et agressée sexuellement par Isidro Garcia, 41 ans, avant de finalement réussir à s'échapper et de dénoncer son agresseur à la police. Quelle est l'ampleur du traumatisme ? Décryptage de Muriel Salmona, psychiatre.
Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,
publié le 23-05-2014
Comme je l’écrivais il y a tout juste un an pour les trois jeunes femmes de Cleveland elles aussi séquestrées pendant 10 ans, il ne s’agit pas d’un fait divers, mais d’un fait de société qui illustre la condition des femmes et la haine sexiste qui peut se déverser sur elles.
Les pires maltraitances et crimes sexuels pouvant être commis en toute impunité pendant de nombreuses années, sans que personne ne s’en rende compte.
10 ans de sévices continus
Que lisons-nous dans les articles de journaux :
"La jeune femme, qui avait 15 ans au moment de son enlèvement et dont l'identité n'a pas été révélée dans l'immédiat, a eu plusieurs occasions de s'échapper durant ces dix années de captivité mais "elle n'a pas trouvé le moyen de s'en sortir", a déclaré la police de Santa Ana dans un communiqué."
Est-ce à dire pour autant que la victime a présenté un syndrome de Stockholm, ou un attachement traumatique à l’agresseur ?
À l’évidence non, d’après le rapport de la police, elle a essayé deux fois de s’échapper, elle a été rattrapée par son ravisseur et a subi à ces occasions de graves violences. Être à la merci d’un bourreau qui l’a enlevée, violée, battue, terrorisée, séquestrée, menacée est suffisant pour rendre toute fuite impossible.
Elle a pendant 10 ans subi des sévices continus, un déni de sa dignité, et de graves atteintes à son intégrité physique et psychique et a été transformée en objet sexuel. Comment échapper à un ravisseur si dangereux ?
Une déconnection des circuits émotionnels pour survivre
Plutôt que de s’interroger, comme trop souvent, sur le comportement de la victime et sur les raisons pour lesquelles elle ne s’est pas enfuie plus tôt, il est bien plus essentiel, pour comprendre ce qui s’est passé, de s’intéresser à l’agresseur, et à sa stratégie de mise sous terreur, d’isolement, de contrainte, d’emprise et de contrôle continuel (il la faisait travailler avec lui ce qui lui permettait de la surveiller en permanence), de manipulation et de destruction.
Les agressions physiques et sexuelles dont des viols répétés sont une arme puissante de soumission totale, assimilable à de la torture, avec des conséquences psychotraumatiques identiques.
Ces violences et ces menaces terrorisent en permanence la victime et induisent chez elle des réactions traumatiques extrêmes avec des atteintes neurologiques visibles sur des IRM et des mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde exceptionnels, comportant un état de sidération psychique et neurologique qui la paralyse et un état de stress tel que seule une déconnection brutale des circuits émotionnels permet à la victime de survivre : comme dans un circuit électrique qui doit disjoncter en cas de survoltage pour éviter que les appareils branchés ne grillent (ici le cœur et le cerveau, sans cette disjonction on pourrait mourir de stress et avoir de graves lésions neurologiques).
Les victimes sont des mortes vivantes
Ce "court-circuit" crée un état dissociatif permanent avec une anesthésie émotionnelle et physique à l’origine d’une sensation d’étrangeté et d’une une dépersonnalisation.
La victime fonctionne alors sur un mode automatique comme un robot que l’agresseur peut programmer à son gré, elle n’a plus de repères temporo-spatiaux, et tout devient comme irréel.
Les victimes se décrivent souvent comme des mortes vivantes : tout est mis en place pour que la victime soit totalement soumise à l’agresseur. La disjonction traumatique interrompt également le circuit d’intégration de la mémoire, ce qui crée la mémoire traumatique des violences.
Et c’est cette mémoire traumatique non intégrée qui, au moindre lien rappelant les violences, les fera revivre à la victime à l’identique, avec leurs contextes, les émotions telles que la terreur, la détresse et le désespoir, les douleurs et les perceptions qui leurs sont rattachées, ainsi que les mises en scène de l’agresseur, sa haine, son mépris, ses phrases assassines.
La torture est totale, la victime continue à vivre les violences par des flash-backs, des cauchemars traumatiques, même en dehors de celles-ci, elle est colonisée par l’agresseur qui a le pouvoir de la faire souffrir et de la désespérer en permanence même s’il n’est physiquement pas là.
Dans cette situation d’esclavage, la victime est tout le temps confrontée au fait qu’elle n’a aucune valeur, aucun droit, qu’elle n’existe que selon le bon vouloir de son bourreau, que sa seule chance de survie est une soumission totale à sa toute puissance.
C’est elle et elle seule qui a réussi à se libérer
Les questions qu’il faudrait plutôt se poser : comment a-t-elle pu échapper à cette emprise ? Il lui a fallu prendre un énorme risque, les encouragements de sa sœur qu’elle avait réussi à contacter sur Facebook, et mobiliser des ressources extraordinaires pour y arriver.
Comment personne n’a rien vu, rien compris de l’enfer qu’elle vivait ? Et pourquoi elle n’a-t-elle pas été retrouvée pendant ces 10 ans ? C’est elle et elle seule qui a dû organiser sa survie au jour le jour dans les conditions les plus épouvantables. Et c’est elle et elle seule qui a réussi à se libérer et se présenter à la police pour être enfin protégée de son bourreau.
Contrairement aux titres des différents journaux, on ne l’a pas "retrouvée", elle s’est "échappée", tout comme toutes les autres jeunes filles séquestrées : Natascha Kampush, Jaycee Dugard, les trois séquestrées de Cleveland pour ne citer qu’elles, au bout de très longues années après des recherches qui n’ont jamais abouties.
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