samedi 12 mars 2016

Les 14èmes rencontres de l'observatoire des violences envers les femmes du 93 à Bobigny le 11 mars 2016 : Observer pour agir et prévenir.









Avec l'intervention de la Dre Muriel Salmona



pour présenter 
les deux enquêtes des campagnes STOP AU DÉNI  :









Avec l'intervention du Dr Denis Mukwege de l'hôpital Panzi en RDC (prix Sakharov)








La présentation d'une étude de l'Observatoire des violences envers les femmes sur les viols et les agressions sexuelles jugés en 2013 et 2014 
 dans le 93










Article de la Dre Muriel Salmona publié par Le Plus de l'Obs : Culture du viol : 3 solutions pour changer les mentalités et lutter contre ces violences






Violences sexuelles : Comment soigner et protéger ces victimes

Dre Muriel Salmona


LE PLUS. Pour 27% des Français interrogés, dans le cadre d'une enquête sur le viol et les violences sexuelles, la responsabilité du violeur est atténuée si la victime portait une tenue sexy. Cette étude, menée par l'association Mémoire traumatique et victimologie révèle des résultats effrayants. Mais alors que faire pour que les mentalités changent ? La réponse de Muriel Salmona, présidente de l'association.
Édité par Barbara Krief  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le 08-03-2016



Les résultats de l’enquête "Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles" conduite par IPSOS à la demande de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie et rendus publics le 2 mars 2016, ont choqué les médias et l’opinion publique, en révélant à quel point les fausses idées sur les viols, les stéréotypes sexistes et la culture du viol qui met en cause la victime ont la vie dure !

Il paraît incroyable, qu’en 2016 les Français-e-s soient :

- 40% à penser qu’une attitude provocante de la victime en public, atténue la responsabilité du violeur, et que si elle se défend vraiment elle peut le faire fuir ;

- 30%, qu’une tenue sexy excuse en partie le violeur ;

- plus des 2/3 à adhérer au mythe d’une sexualité masculine pulsionnelle et difficile à contrôler, et d’une sexualité féminine passive ;

- et plus de 20% à considérer que des femmes aiment être forcées et ne savent pas ce qu’elles veulent, etc.

Pourquoi, si les résultats de cette enquête suscitent autant d’indignation en sommes-nous encore là ? Comment changer ces mentalités qui paraissent d’un autre âge et que faut-il faire pour lutter enfin de façon efficace contre ces violences ?

10% seulement des victimes de viols portent plainte

Pour nous, qui sommes depuis plus de 25 ans sur le terrain à accompagner et prendre en charge des victimes de violences sexuelles, ces résultats n’ont rien d’étonnant. Ils sont le reflet fidèle de ce à quoi sont confrontées les victimes tout au long de leur parcours, quand elles prennent le risque de parler à des proches ou à des professionnels. Nous savons, et c’est tout aussi incroyable, que :

- 83% des victimes de violences sexuelles témoignent qu’elles n’ont jamais été ni protégées, ni reconnues [1] ;

- 10% seulement des victimes de viols portent plainte (et 2% pour les viols conjugaux) avec 1% de condamnation [2] ;

- 78% des victimes de viol n’ont pas reçu les soins indispensables en urgence, et seules 2 victimes sur 3 trouvent un psychothérapeute formé, en moyenne au bout de 13 ans [1].

Les victimes de viols, si elles parlent, vivent dans la peur : peur de représailles, peur d’être blâmées ou de ne pas être crues, peur que l’extrême violence qu’elles ont subie ne soit pas reconnue ou soit minimisée, peur d’être prises pour des menteuses, des folles, des idiotes incapables de se protéger, des méchantes, peur d’être culpabilisées, humiliées, accusées, rejetées…

La France manque de solidarité et d’empathie pour les victimes

Pourquoi cette impunité pour les agresseurs, et ce manque si choquant de solidarité et d’empathie pour les victimes, alors que les Français-e-s sont 95% à reconnaître que subir des violences sexuelles est très grave, et entraîne de lourdes conséquences sur la santé ?

Justement, parce que la culture du viol colonise les esprits et édicte qu’il y a de "bonnes" et de "mauvaises" victimes, aux "bons" ou "mauvais" comportements, et qui correspondent à de "vrais" ou de "faux" viols. Et que cela nuit gravement à la très grande majorité des victimes et les renvoient au silence et à la solitude. Mais ce qui alimente beaucoup plus insidieusement le déni, c’est une profonde méconnaissance :

- de la définition du viol (les pénétrations digitales et les fellations forcés n’étant pas identifiées comme tel), des chiffres qui sont sous-estimés (50.000 viols par an au lieu de 250.000), de qui sont les victimes (principalement des enfants (3) et de qui sont les agresseurs (des personnes connues de la victime dans 90% des cas, pour moitié des membres de la famille et des conjoints, qui se recrutent dans tous les milieux) (2) ;

- de la stratégie des agresseurs, de leur volonté de destruction qui n’a rien d’un désir sexuel, et de l’impunité inconcevable dont ils bénéficient, qui leur donne un sentiment de toute-puissance et permet à bon nombre d’entre eux de mener une longue carrière d’agresseur avec des victimes sur plusieurs générations (4) ;

des conséquences de l’impact traumatique des violences sexuelles sur les victimes, de la sidération qui paralyse leurs fonctions supérieures et les empêche de se débattre, de crier et de fuir ; de la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement et physiquement tant qu’elles restent en contact avec les agresseurs, et les met sous mode automatique, donnant l’impression qu’elles tolèrent des niveaux très élevés de violences. Mais aussi de la mémoire traumatique qui leur font revivre à l’identique, avec des flashbacks incontrôlables, les pires moments des violences comme une machine à remonter le temps.

La non-prise en compte de ces mécanismes participe grandement à la mise en cause des victimes et à leur décrédibilisation, particulièrement lors des procédures judiciaires. Et l’absence de soins les maintient dans des processus de dissociation et d’emprise qui sont un facteur de risque important de re-victimisation.

Les victimes ne seront pas identifiées comme telles

Ces méconnaissances vont escamoter la plupart des viols et des agressions sexuelles, et les victimes ne seront pas identifiées comme telles.

Leurs comportements et leurs symptômes ne seront pas reliés aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques, ni considérés comme normaux, ils seront mis sur le compte de leur âge, de leur sexe, de leur origine ou de leur handicap, d’une limitation intellectuelle, de troubles de la personnalité ou de pathologies psychiatriques avec parfois des diagnostics erronés de psychoses (la mémoire traumatique étant prise pour des hallucinations et un délire) (4) .

Certains pourront penser que les femmes et les adolescentes sont assez débiles pour supporter d’être dégradées, humiliées, que les personnes qui s’alcoolisent, se droguent, sont boulimiques, se mettent en danger ou tentent de se suicider, le font par manque de volonté et par nature, sans se préoccuper de la souffrance que cela traduit, ni de ce qui en est à l’origine.

Des soins efficaces existent 

Beaucoup pourront même penser que si une fille semble indifférente à un viol collectif, si une femme est incapable de dire non à des propositions déplacées et dégradantes, ou reste avec un mari qui la violente et la viole depuis 30 ans, supporte des tortures sexuelles dans le cadre de "jeux" dit sado-masochistes, si une personne prostituée semble tolérer sa condition, c’est comme ça : "il y a des personnes qui n’ont pas de dignité… particulièrement parmi les femmes…"(4).

Sans se rendre compte que toutes ces personnes dissociées et maltraitées, sont celles qui sont les plus lourdement traumatisées par les violences sexuelles qu’elles ont subies, souvent depuis l’enfance.

Alors que les soins sont efficaces et permettent de guérir les traumatismes (contrairement à ce que pensent près de 70% des Français-e-s), trop de victimes n’en bénéficient pas et développent des symptômes traumatiques qui les poursuivent tout au long de leur vie. L’absence de prise en charge est une perte de chance considérable pour leur santé, et un facteur de risque de subir à nouveau des violences (4).

3 axes prioritaires et 8 recommandations

Pour changer cette situation intolérable, il est nécessaire de mettre en place de toute urgence une politique ambitieuse, et nous proposons trois axes prioritaires et huit recommandations (1).

I - Lutter contre le déni, la loi du silence et les idées fausses avec :
  1. une information du grand public par de nombreuses campagnes nationales pour déconstruire les mythes et sortir du déni, sans oublier des focus sur la loi et les droits des victimes, sur les psychotraumatismes et leurs mécanismes, sur les ressources à la disposition des victimes et de leurs proches et les conduites à tenir (plainte, signalement au procureur même si les faits sont prescrits, comment garder des preuves, prise en charge) ;
  2. une sensibilisation et une formation de tous les professionnels qui sont susceptibles de repérer, d’orienter ou d’accompagner les victimes tout au long de leurs parcours ;
  3. une prévention des violences sexistes et sexuelles, dès le plus jeune âge, et un enseignement sur le respect des droits des personnes et de leur consentement, sur la loi, ainsi qu’une une éducation à la sexualité, à l’égalité filles-garçons et à la non-violence ;
  4. une charte en concertation avec les publicitaires et les différents médias d’information et de production de contenu afin qu’ils ne participent plus à la diffusion de représentations sexistes, et d’idées fausses concernant les violences sexuelles.
II - Lutter contre l’impunité des agresseurs et faciliter la dénonciation avec :
  1. une amélioration de la loi, en  vérifiant son application (imprescribilité, arrêt des déqualifications, meilleure prise en compte et définition des éléments constitutifs des agressions sexuelles et des viols, instauration dans la loi d’un âge au-dessous duquel le consentement des mineur-e-s est invalide, etc.) ;
  2. une véritable culture de la protection des victimes et du respect de leurs droits à être accompagnées et à obtenir justice et réparation des préjudices qu’elles ont subis sans être maltraitées, ni subir de nouveaux traumatismes, en améliorant les procédures judiciaires et en prenant en  compte les psychotraumatismes, avec un effort particulier centré sur la protection de l’enfance.
III - Lutter pour que les victimes ne soient plus abandonnées sans soins, pour que leurs droits à la santé soient respectés avec :
  1.  une réelle reconnaissance des conséquences psychotraumatiques sur la santé des victimes (5), en améliorant l’offre de soins spécialisés actuellement très insuffisante, avec une formation de tous les professionnels de la santé à la psychotraumatologie, et la création en urgence de centres de soins pluridisciplinaires accessibles à toutes et tous  sur tout le territoire français (métropole et DOM-COM) proposant des soins sans frais prodigués par des professionnels spécialisés
  2. et enfin, un observatoire national spécifique de recherche pour améliorer la connaissance des conséquences des violences sexuelles sur la santé, et le traitement des psychotraumatismes.
Lutter contre ces violences sexuelles, sortir du déni, protéger et soigner les victimes est un devoir politique et une urgence de santé publique.



Traumatique et Victimologie, 2015 soutenue par l’UNICEF


3- 81% des violences sexuelles ont lieu avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21 % avant 6 ans cf 1)

4- cf de Muriel Salmona Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses, Dunod, 2015

5- 95% des victimes ont un impact sur leur santé mentale et 70% sur leur santé physique cf 1)







lundi 7 mars 2016

En quoi connaître l’impact psychotraumatique des viols et des violences sexuelles est-il nécessaire pour mieux lutter contre le déni, la loi du silence et la culture du viol, pour mieux protéger les victimes et pour que leurs droits soient mieux respectés ? Article de la Dre Muriel Salmona



En quoi connaître l’impact psychotraumatique des viols et des violences sexuelles est-il nécessaire pour mieux lutter contre le déni, la loi du silence et la culture du viol, pour mieux protéger les victimes et pour que leurs droits soient mieux respectés ? 

Article téléchargeable en PDF sur le site memoiretraumatique.org ICI

http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/2016-Necessaire-connaissance-de-limpact-psychotraumatique-chez-les-victimes-de-viols.pdf


Dre Muriel Salmona, février 2016
psychiatre, psychotraumatologue
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie



Encore aujourd'hui, en 2016, très peu de victimes de violences sexuelles sont protégées et prises en charge, 83% rapportent qu’elles n’ont jamais été ni reconnues, ni protégées (1). Et rares sont celles qui parviennent à porter plainte, elles sont moins de 10% à le faire pour les viols, et lorsqu’elles y arrivent, c’est un véritable parcours du combattant pour que soit reconnu ce qu’elles ont subi, à l’arrivée c’est seulement 1% des viols qui feront l’objet d’une condamnation (2). Le déni, la loi du silence, l’impunité et le manque de solidarité envers les victimes sont malheureusement la règle (3).

Non seulement il y a une méconnaissance et une sous-estimation de la réalité des violences sexuelles : qui sait que plus de 20% des femmes en ont subi au cours de leur vie (2), que les mineures en sont les principales victimes (81% ont moins de 18 ans, 51% moins de 11 ans et 21% moins de 6 ans (1)), que les personnes handicapées et en situation de discrimination en subissent quatre fois plus, qu’elles sont commises dans plus de 90% des cas par des proches, qu’elles ont lieu majoritairement dans la famille et dans le couple ? Qui connaît la loi et la définition précise d’un viol ou d’une agression sexuelle (3) ? 

Mais surtout qui connaît les mécanismes psychotraumatiques qui permettent de comprendre les réactions et les souffrances des victimes ?

La société est encore dans le déni. Ce déni repose principalement sur ce qu’on nomme la « culture du viol », qui, par un habile retournement met en cause la victime et non l’agresseur (3, 4). La victime c’est la coupable : elle a menti…, les violences n’existent que dans son imagination ; elle les a bien cherchées en étant provocante, en ne faisant pas assez attention, en ne résistant pas assez à son agresseur… ; ou bien c’est qu’elle le voulait bien, qu’elle aime être soumise, etc. 

Avec l’adhésion d’un grand nombre de personne à un tel système de représentations et à des stéréotypes catastrophiques sur les femmes, les hommes et sur la sexualité qui est confondue avec de la violence, non seulement les agressions perdurent mais en plus, les lourdes conséquences sur la santé des victimes sont passées sous silence, et les victimes sont abandonnées, sans soutien ni soins. De plus, avec ce système, les victimes sont en grand risque de subir des violences, encore et encore.

Connaître l’impact psychotraumatique dévastateur des violences sexuelles sur les victimes, sur leur santé qu’elle soit mentale ou physique, sur leur souffrance, leurs comportements, sur leur vie qu’elle soit affective, sexuelle, sociale, intellectuelle ou professionnelle, est essentiel (4, 5).

En comprendre les mécanismes, en reconnaître les symptômes, savoir identifier ce qu’elles vivent, les dangers qu’elles courent, les soins qui leur sont nécessaire, est impératif si l’on veut que leurs droits soient enfin respectés : droit à la protection et à la sécurité, droit à la santé et à des soins de qualité, droit à une prise en charge sociale, droit à la justice et à des réparations (4, 5).

Il est incontournable :

  • de savoir que les violences sexuelles font partie avec la torture et les situations de massacres des violences les plus traumatisantes, que leur impact sur la santé mentale et physique est majeur, avec des conséquences à long terme ; 
  • de savoir qu’avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance et ne pas avoir bénéficié de prise en charge peut être le déterminant majeur de la santé même 50 ans après, et faire perdre 20 années d’espérance de vie ; 
  • de savoir que ces conséquences ne sont pas liées à la victime, à sa personnalité mais aux violences, à leur caractère destructeur ;
  • de savoir que ce sont des conséquences normales liées à des mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques liés à un stress extrême, s’accompagnant de lésions neurologiques et d’atteintes des circuits émotionnels et de la mémoire (réversibles avec le traitement).

Si la victime elle-même, ses proches, tous les professionnels susceptibles de l’accompagner, et l’ensemble de la société connaissaient l’impact des violences sur sa santé, les symptômes et les mécanismes neuro-biologiques à l’œuvre dans les psychotraumatismes, cela permettrait de rendre caduque la culture du viol, et de mieux reconnaître, protéger et prendre en charge les victimes, et de leur rendre enfin justice.

Comme nous allons le voir, connaître les principaux effets du psychotraumatisme comme la sidération qui paralyse la victime et l’empêche de crier, de se débattre ou de fuir, comme la dissociation traumatique qui déconnecte la victime de ses émotions, annihile sa volonté et ses désirs, l’anesthésie l’empêche de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter avec indifférence ; la mémoire traumatique qui va se déclencher au moindre lien rappelant les violences, comme une machine à remonter le temps en faisant revivre sous la forme de flashbacks les pires moment ; et les conduites de survie telles que les conduites d’évitement et de contrôle, et les conduites dissociantes pour s’anesthésier (addictions, mises en danger, etc.) que doivent mettre en place les victimes ; permettrait de comprendre le formidable pouvoir de soumission, de mise sous emprise, de colonisation et de destruction de ceux qui commettent des violences sexuelles, et d’arrêter de penser :

  • que la victime ne dit pas la vérité ou que sa parole n’est pas crédible parce qu’elle est trop jeune, qu’elle paraît limitée intellectuellement, qu’elle a des troubles psychiatriques, qu’elle est handicapée, marginale, alcoolique ou toxicomane, qu’elle a des conduites sexuelles à risque, qu’elle est en situation prostitutionnelle, etc. ;
  • qu’elle l’a bien cherché, que tout est de sa faute, qu’elle ne s’est pas protégée, et qu’elle ne mérite pas qu’on soit solidaire avec elle ;
  • que si elle n’a pas crié, ne s’est pas défendue, n’est pas partie et n’a pas porté plainte plus tôt, c’est qu’elle l’a bien voulu, qu’elle y a consenti et trouvé son compte par masochisme ;
  • que ce n’est pas si grave, qu’elle n’a pas l’air si traumatisée que ça, ou bien qu’il faudrait qu’elle passe à autre chose, qu’elle n’y pense plus, qu’elle arrête de se plaindre.

Si les troubles psychotraumatiques étaient pris en compte : la victime ne serait plus jugée, ni remise systématiquement en cause, elle serait enfin reconnue, protégée, soutenue, accompagnée et soignée, elle aurait accès à une justice digne de ce nom, à des réparations et à une vraie solidarité.


En illustration voici le slam de Wafa 

Il a été écrit dans le cadre de l’atelier Jeunes pour l’Egalité du Lycée Jean Macé de Choisy-le-roi, et animé par Diariata N’Diaye qui a mis en ligne le site Resonantes et conçu l’application App’Elles :


INCONTRÔLÉE,

J’étais au collège, je me rappelle de ce jour
Où j’étais avec ma copine on parlait dans la cour.
Quelqu’un est venu nous dire que la jeune fille a été violée.
J’ai été voir  ce qui se passait,
Elle l’avait dit à sa copine qui l’avait balancée, 
La victime s’en foutait
Sa réaction m’avait choquée 
Parce qu’elle en rigolait.
Je l’avais embrouillée,
Je voulais la taper,
Tout le monde connaissait son « secret » et elle en rigolait.

Maintenant je suis au lycée.
J’ai repensé au passé.
J’ai fait des recherches 
Sa réaction était incontrôlée
Ce n’était pas de sa responsabilité
Quand on est victime de violence ou agressé
On pète les plombs on ne peut plus se contrôler 



Quels sont donc ces mécanismes psychotraumatiques et quelles en sont les conséquences ?

Face à une situation inhumaine, face à l’intentionnalité de l’agresseur ou des agresseurs faire mal, de terroriser, de faire effraction et d’anéantir une personne au cœur de son intimité, de l’humilier, de porter atteinte à sa dignité, de la réduire à un objet qu’on utilise, toutes les représentations mentales sont balayées et l’activité corticale (celle des fonctions mentales et physiques supérieures) se bloque. La victime est alors paralysée, dans l’incapacité de penser, de réagir, de se défendre, de crier, de bouger, elle est paralysée : c’est la sidération traumatique.

Cette sidération va rendre impossible tout contrôle et toute modulation de la réponse émotionnelle. Cette réponse émotionnelle est déclenchée par une petite structure sous-corticale l’amygdale cérébrale. Telle une alarme, l’amygdale cérébrale va monter en puissance et faire secréter de très grande quantité d’hormones de stress : adrénaline et cortisol, et aboutir à un stress dépassé. Ce stress dépassé représente un risque vital cardio-vasculaire et neurologique. Pour l’éviter, comme dans un circuit électrique en survoltage qui risque de faire griller tous les appareils branchés, l’amygdale ne pouvant être éteinte, la seule solution va être de faire disjoncter le circuit émotionnel, pour la déconnecter. Cette disjonction se fait, entre autre, avec la sécrétion d’un cocktail de substances produites par le cerveau assimilables à de la morphine et de la kétamine.

Ce mécanisme de sauvegarde exceptionnel permet d’échapper à un risque d’arrêt cardiaque et de graves atteintes neurologiques, mais il va entraîner deux symptômes psychotraumatiques qui sont au cœur des troubles psychotraumatiques  : 

  • une dissociation traumatique liée à la déconnection du circuit émotionnel, se traduisant par une anesthésie émotionnelle et physique, la victime se sent spectatrice des événements, comme détachée et privée de ses émotions et de ses ressentis, elle a un sentiment d’irréalité et de dépersonnalisation, avec une perte de ses repères temporo-spatiaux ;
  • et une mémoire traumatique liée à la déconnection du circuit de la mémoire entre l’amygdale et l’hippocampe qui est le système qui permet l’intégration de la mémoire brute émotionnelle non consciente en une mémoire différenciée, consciente, autobiographique, située dans le temps et l’espace, cette mémoire traumatique émotionnelle non intégrée va faire revivre à l’identique les pires moments, de façon incontrôlée et envahissante, avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels sous forme de flashbacks (images, bruits, odeurs, sensations, etc), comme une machine à remonter le temps qui se déclenche au moindre lien rappelant les violences et leur contexte (6).

La dissociation traumatique, une hémorragie psychique

La dissociation traumatique persiste tant que le danger existe, et tant que la victime est en contact avec l’agresseur ou le contexte de l’agression. Elle est une véritable hémorragie psychique, la victime est privée de ses émotions, déconnectée d’elle-même dans l’incapacité de penser ce qui se passe et d’y réagir de façon adaptée, elle est sur mode automatique, avec un sentiment d’absence au monde, d’être étrangère à elle-même, à côté d’elle-même. La victime est comme indifférente au danger et à la douleur, elle peut même en rire comme dans le Slam de Wafa. Cette dissociation rend très difficile voire impossible toute opposition ou toute défense mentale et physique vis à vis de toutes les violences qui sont exercées contre elle, les paroles assassines, les coups, les humiliations ne rencontrent aucune résistance. Cela rend la victime très vulnérable à l’agresseur, qui peut exercer une emprise totale sur elle, et lui faire subir en toute tranquillité tous les sévices qu’il veut comme si elle était un pantin, parfois pendant de longues années. La dissociation enferme la victime un espace mental hors temps, où l’avenir n’a pas de réalité, il lui est impossible de se projeter dans une autre vie. L’agresseur peut la soumettre physiquement et la coloniser psychologiquement pour lui faire faire et lui faire penser ce qu’il veut, et la formater pour qu’elle se ressente comme coupable, nulle, sans valeur, sans droit, un objet à sa disposition, etc.. 

Cette dissociation va mettre d’autant plus en danger la victime que son absence d’émotion et de réaction va, pour l’entourage, et tous les professionnels qu’elle verra, passer pour de l’indifférence ou de l’acceptation vis à vis de ce qu’elle vit. Face à une personne dissociée, on ne va pas ressentir d’émotion, les neurones miroirs qui normalement informent avec précision de l’état émotionnel d’autrui, ne renvoient rien. Et si personne n’identifie l’état de dissociation, la victime ne va pas être perçue comme quelqu’un de traumatisé et en grand danger, voire même, son absence de réaction va agacer, entraîner des jugements négatifs, une absence de solidarité, et souvent une grande indifférence. Parfois même la victime se retrouve l’objet de maltraitances institutionnelles, et de harcèlement.

La dissociation est un facteur de risque majeur de re-victimisation et de mise sous emprise (7, 8). Les prédateurs vont cibler de préférence une personne déjà dissociée par des violences subies précédemment, le plus souvent dans l’enfance, ce qui leur garantit à la fois une impunité et la possibilité d’exercer quasiment sans limite les pires sévices (cela explique que les personnes ayant subi des violences sexuelles dans leur famille soient une cible privilégiée des proxénètes, et qu’elles soient «appréciées» des clients, les personnes prostituées ont été de 60 à 90% victimes de violences sexuelles dans l’enfance). Les personnes dissociées sont fréquemment perçues comme bizarres, limitées intellectuellement, voire comme  masochistes, aimant souffrir, ou comme ayant une pathologie mentale (psychose, troubles autistiques).

La mémoire traumatique, une torture sans fin

La mémoire traumatique, nous l’avons vue, en faisant revivre les pires moments comme s’ils se reproduisaient, est une véritable torture. Une personne qui a subi une strangulation au moment du viol, peut se retrouver, même des années après à revivre une sensation de suffocation avec sentiment de mort imminente et de terreur absolue. Tout ce qui peut évoquer les violences, un mot, un cri, un regard, un bruit, une odeur, un lieu, une date, une sensation, une douleur, un stress, etc., est susceptible de déclencher des reviviscences. Un geste même s’il est tendre ou tout à fait amical, un examen médical, peut déclencher une attaque de panique et une détresse totale. La mémoire traumatique a la particularité de faire revivre de façon indifférenciée ce qui s’est passé au moment des violences, quand elle se déclenchera la victime si elle était ligotée au moment des violences, ne pourra pas bouger ; si elle était dans le noir, elle ne verra plus rien ; si elle était trop petite pour faire des phrases ou pour parler, elle ne pourra que pleurer ou crier, etc. 

La mémoire traumatique ne contient pas que les émotions et les ressentis de la victime, elle contient de façon indifférenciée comme un magmas, les paroles de l’agresseur, sa haine, son mépris, son comportement sadique, son excitation perverse, et tous ces contenus sont susceptibles d’envahir le psychisme de la victime, en lui faisant penser que ces paroles, ses émotions sont les siennes, ce qui l’embrouillera et la fera sans cesse douter d’elle-même. Les victimes colonisées par la mémoire traumatique qui contient l’agresseur, se retrouvent, si on ne les informe pas, à croire qu’ elles sont possiblement des êtres vils, méprisables et coupables de tout et n’ayant aucun droit (comme ce que leur a dit et mis en scène l’agresseur), des monstres effrayants ayant des désirs pervers (comme l’agresseur), alors que tout cela ne leur appartient pas et ne vient pas d’elle, ce ne sont pas leurs pensées mais des intrusions provenant de l’agresseur.

La mémoire traumatique envahit de telle façon le psychisme qu’elle peut, avec un élément déclencheur qui souvent n’est pas repéré, faire basculer la victime dans un désespoir profond et soudain qui peut faire croire à une dépression, ou dans un état de panique ou un accès suicidaire (si la victime a subi une tentative de meurtre) alors que tout semblait aller bien. Quand ce sont des images, des bruits, des sensations corporelles ou des scènes traumatiques qui s’imposent, elles peuvent être prises pour des hallucinations et être diagnostiquées à tort comme des troubles psychotiques.

Tant que la victime est dissociée, parce qu’elle est toujours en danger, à subir des violences en permanence, ou à rester au contact de son agresseur, (même s’il ne commet plus de violences, l’amygdale cérébrale a engrangé qu’il était une source de danger), elle est anesthésiée que ce soit vis à vis des violences qu’elle subit, qu’elle semble tolérer, ou de la mémoire traumatique vis à vis de laquelle elle semble indifférente mais qui n’en continue pas moins à se charger. 

Mais si elle n’est plus en danger, ni en contact avec son ou ses agresseur-s, qu’elle est protégée donc, elle va sortir de son état de dissociation, et c’est à ce moment là qu’elle va prendre la mesure de l’horreur de ce qui s’est passé et qu’elle va être envahie en permanence par sa mémoire traumatique. La victime ressent alors la terreur et les douleurs provoquées par les violences, avec une acuité intolérable, la dissociation n’étant plus là pour les atténuer. Elle ré-entend les paroles et les mises en scène culpabilisatrices haineuses et méprisantes de l’agresseur "tout est de ta faute, tu l’as bien mérité, tu ne vaux rien, tu n’es rien sans moi, etc."

Le risque est grand si elle vient de s’éloigner ou de fuir son agresseur qu’elle y retourne pensant qu’elle en est dépendante et qu’elle ne peut pas s’en passer, qu’elle l’a dans la peau puisqu’elle paraît aller beaucoup plus mal sans lui qu’avec lui. D’où la nécessité absolue d’informer les victimes de cette oscillation entre dissociation et mémoire traumatique.

Quand la mémoire traumatique n’est plus anesthésiée, c’est une souffrance intolérable, la vie devient un terrain miné avec une sensation de danger permanent. Il s’agit alors pour la victime de trouver des stratégies de survie pour y échapper. 

Les stratégies de survie pour échapper à la mémoire traumatique

Deux sont possibles, la première c’est d’éviter toute situation susceptible de la déclencher et de contrôler en permanence tout l’entourage, avec des phobies, des comportements obsessionnels comme la phobie de tout ce qui est sale, collant, de l’odeur de la sueur, qui oblige la victime (qui rappelle les sécrétions et les odeurs de l’agresseur) à se laver sans cesse, phobie du noir si les violences ont eu lieu la nuit, phobie d’être enfermée, phobie de tout contact particulièrement à connotation sexuelle, avec souvent un retrait social, la phobie de tout ce qui peut rappeler l’évènement peut aller jusqu’à contrôler sa pensée, à éviter tout stress, tout changement qui bouleverserait ses repères. Ces conduites d’évitement et de contrôle restreignent de façon très importante la vie quotidienne et les possibilités de vie affective, sexuelle, sociale, intellectuelle et professionnelle. Les victimes vivent dans un sentiment de danger permanent, elle sont dans un état d’alerte qui, souvent les empêche de dormir et de se détendre. Elles sont épuisées et sont envahies par des douleurs chroniques de tension.

La deuxième, c’est, quand il est impossible d’éviter d’aller sur le terrain miné, de mettre en place des stratégies pour anesthésier à nouveau la mémoire traumatique, c’est ce qu’on appelle des conduites dissociantes. C’est, soit la prise de produits dissociants comme l’alcool, la drogue (50% des victimes de violences sexuelles développent des conduites addictives (1)), de médicaments (beaucoup de psychotropes à hautes doses sont très dissociants), soit des conduites à risque, des mises en danger des conduites alimentaires, sexuelles, sportives extrêmes, des conduites violentes envers soi-même ou envers autrui qui vont être également dissociantes, il s’agit de faire brutalement monter le stress par la douleur ou une situation dangereuse pour déclencher la disjonction et obtenir une anesthésie émotionnelle et physique.

Une victime peut alterner des conduites d’évitement et des conduites dissociantes, par exemple une femme peut éviter toute relation amoureuse et ne supporter aucun contact sexuel avec une personne qu’elle aime pourtant, et avoir par moment des conduites sexuelles à risque avec des inconnus.

Le plus souvent les victimes traumatisées sont abandonnées à devoir organiser leur protection et leur survie seule, et si elles sont prises en charge par des professionnels qui ne sont pas formés, elles subissent fréquemment des comportements et des traitements dissociants pour «calmer» leur mémoire traumatique, qui peuvent être maltraitants (psychotropes, contention, électrochocs, isolement, violences verbales psychologiques - humiliations, manipulations, menaces - et physiques).


Si les troubles psychotraumatiques étaient pris en compte : 
la victime ne serait plus jugée, 
ni remise systématiquement en cause.


I - Tout d’abord cela permettrait d’arrêter de penser que la victime ne dit pas la vérité, que ce qu’elle rapporte est impossible, qu’elle ment, invente ou se trompe ! Et de penser que si la victime n’a pas dénoncé les violences ni porté plainte rapidement, c’est que rien de ce qu’elle dit n’est vrai.

Au delà de la méconnaissance de la réalité des violences sexuelles et de la confusion entre violences sexuelles et sexualité qui fait qu’il parait impossible qu’un parent, un conjoint, un proche ait pu commettre ces violences, ou qu’une victime si jeune, si âgée, si peu séduisante, si handicapée, si marginale ait pu être violée. Les troubles psychotraumatiques qui sont des éléments de preuve peuvent, s’ils ne sont pas identifiés, être au contraire considérés comme mettant en cause la crédibilité de la victime.

Les victimes dissociées ne vont pas avoir le comportement que l’on attend d’elles.  Elles seront dans un état de déconnection tel qu’elles ne pourront pas parler, ni porter plainte, et ce parfois pendant des années si elles restent en contact avec l’agresseur ou dans le contexte où ont eu lieu les violences. On leur reprochera d’avoir attendu trop longtemps, et cela alimentera des doutes sur leur bonne foi.

Si, alors qu’elles sont dissociées, elles sont auditionnées par la police, la gendarmerie ou un juge, leur anesthésie émotionnelle pourra être prise pour de l’indifférence, de la froideur, de l’opposition ou bien pour une limitation intellectuelle.  Elles minimiseront souvent l’impact des violences et leur gravité, la dissociation entraînant un effet de tolérance. Dans le cadre des incestes et des viols conjugaux les enfants et les femmes pourront dire qu’ils aiment agresseur, et l’excuser. Cet état dissociatif pourtant une preuve de la gravité du traumatisme des victimes et du danger qu’elles courent, sera considéré au contraire comme la preuve que les violences n’ont pas dues être aussi graves que celles décrites, et cela mettra leur parole en cause. 

De plus l’absence de ressenti du côté des proches ou des professionnels qui les prennent en charge va être fréquemment à l’origine d’un manque cruel de solidarité, d’empathie et de bienveillance vis à vis des victimes pour lesquelles ils ne ressentent aucune émotion. Ils seront d’autant plus incrédules, pourront même être énervés, rejetants, voire maltraitants. Et plus les interlocuteurs seront désagréables ou violents, plus les victimes se dissocieront, plus elles auront des doutes, et moins elles pourront parler et produire un récit cohérent

Les victimes qui essayeront de pallier leur manque d’émotion en essayant de s’adapter à ce qu’on attend d’elles, parfois arriveront à susciter de l’empathie au prix d’énormes efforts, et souvent elles seront seront perçues comme artificielles, «as if», en faisant trop ou pas assez. Mais même si elles sont mieux perçues, elles n’en seront pas moins dissociées, envahies par le doute, fragilisées par la moindre question remettant en cause leur parole, avec un fort sentiment d’imposture liée à cette dissociation, il sera alors, très facile de les déstabiliser.

La dissociation traumatique va rendre le récit des victimes décousu, elles auront  continuellement des doutes sur ce qui s’est passé avec un sentiment d’irréalité, de nombreux épisodes seront frappés d’amnésie, et elles auront beaucoup de mal à s’y retrouver dans les repérages temporo-spaciaux concernant les dates et les lieux où se sont produits violences, du fait de la déconnection avec l’hippocampe. Plus leur interlocuteur sera incrédule ou agacé, plus elles seront dissociées et perdues. 

De même les confrontations avec l’agresseur aggraveront leur dissociation et les re-traumatiseront massivement, elles perdront encore plus leur capacité, seront envahies par un sentiment d’irréalité, se retrouveront facilement sous l’emprise de l’agresseur et pourront remettre en cause ce qu’elles ont dit précédemment, voire même se rétracter. 

Pour les victimes qui sont protégées et qui ne sont pas dissociées, ce n’est pas facile non plus, elles sont aux prises avec une mémoire traumatique qui les oblige à mettre en place des conduites d’évitement qui vont les empêcher de parler et de porter plainte par peur de revivre les violences. Si elles essaient de parler malgré tout ou si elles se retrouvent confrontées à l’agresseur leur mémoire traumatique peut re-déclencher un état de sidération qui les prive de toute leur capacité et les paralyse totalement. De même, des souvenirs intrusifs peuvent les envahir, leur faisant revivre des émotions intenses, des scènes atroces, des douleurs, des attaques de paniques, cette explosion de mémoire traumatique se soldera le plus souvent par une dissociation. Ces effets traumatiques vont rendre toute parole et tout récit extrêmement compliqué à restituer. Les expertises, les examens médicaux seront très traumatisants et parfois impossibles à faire. Elles seront souvent perçues comme faisant du cinéma, ou comme étant névrosées et hystériques. Elles pourront être considérées comme folles, d’autant plus si elles ont eu un suivi psychiatrique et ont déjà été hospitalisées.

La présence de symptômes psychiatrique est le plus souvent perçu comme un élément mettant possiblement en cause la crédibilité de la victime, alors que plus de 95 % des victimes de violences sexuelles rapportent avoir un impact sur leur santé mentale et que les troubles psychotraumatiques sont pathognomoniques lors de violences sexuelles (c’est dire prouvant la compatibilité du traumatisme avec les violences).

Actuellement, faute de formation des médecins et surtout des psychiatres, les troubles psychotraumatiques sont rarement étiquetés comme tels et font l’objet de nombreux autres diagnostics comme des psychoses, des troubles de l’humeur, des troubles graves de la personnalité, des états limites, etc.


II - Cela permettrait d’arrêter de penser que la victime l’a bien cherché, que c’est de sa faute, qu’elle a été provocante, imprévoyante, qu’elle ne s’est pas suffisamment protégée, ni défendue, qu’elle a été incapable de se rendre compte du risque, de l’anormalité ou de la gravité de la situation !


Le fait que les victimes soient dissociées permet d’autant plus de les remettre en cause et de leur demander des comptes puisqu’elles ne pourront pas se défendre, et qu’elles sont colonisées par les paroles et les mises en scène de l’agresseur qui leur a justement renvoyé que tout était de leur faute, qu’elles en étaient coupables, qu’elles avaient été provocantes, etc.

Entre un agresseur qui joue souvent à merveille le rôle de quelqu’un de bien sous tout rapport, qui a de la valeur de l’assurance, et qui ne comprend pas de quoi on l’accuse, et une victime qui est perdue, totalement à côté de la plaque, semblant ne rien comprendre, perdant ses moyens, ayant des doutes, il est facile de mettre en cause la victime, et de trouver qu’elle n’a aucune crédibilité, qu’elle est bête, et que «tant pis pour elle, elle n’avait qu’à pas se laisser faire !»… Il est facile de la mépriser et de la regarder au travers du regard déformant et mystificateur de l’agresseur.

Les violences sexuelles sont maquillées en sexualité, la sexualité masculine est pensée en terme de prédation, comme une domination naturelle, et la sexualité féminine en terme de soumission et d’infériorité naturelle. Les violences colonisent tellement la sexualité que les conséquences traumatiques sur les victimes sont considérées comme l’essence de la sexualité féminine.

Une inversion se met alors facilement en place, l’agresseur bénéficie d’un capital d’empathie et de compréhension, alors que la victime est méprisée et considérée comme responsable, inconséquente, incapable de se conduire normalement, incapable de reconnaître l’ambiguité de son comportement et l’impact de celui-ci sur un homme. C’était à elle de se protéger. Tant pis pour elle.


III - Cela permettrait également d’arrêter de penser que la victime si elle n’a pas crié, ne s’est pas défendue, n’est pas parti et n’a pas porté plainte plus tôt, c’est qu’elle l’a bien voulu et qu’elle était était consentante.

Puisqu’elle ne s’est pas défendue, n’a pas crié, n’a pas fui, c’est qu’elle n’a pas montré qu’elle n’était pas consentante. Dès lors, il est facile à l’agresseur de prétendre qu’il a pensé qu’elle était d’accord et qu’il ne l’a donc pas violée ou agressée sexuellement. 

Faute de reconnaître les victimes dissociées, les proches et les professionnels vont être au mieux indifférents et au pire maltraitants. Ils pourront considérer que la victime ment, invente, exagère les faits, ou qu’elle est débile, incapable de fonctionner normalement, voire folle. Les preuves mêmes de la gravité des violences et de leurs impacts se retournent alors contre elle pour mettre en cause sa parole. Et la maltraitance des proches et des professionnels est d’autant plus facile à exercer qu’ils ne ressentent à leur tour aucune émotion : « puisqu’elle ne ressent rien, je peux y aller ! », ou « je vais la secouer pour la sortir de sa torpeur et qu’elle réagisse enfin ! » ou encore « je vais la bousculer pour lui faire avouer qu’elle n’a rien subi, qu’elle se moque de nous ».

Cette maltraitance on la voit à l’œuvre dans le film Polisse réalisé par Maïwenn en 2011, où des policiers de la brigade des mineurs qui, face à une jeune adolescente de 13-14 ans totalement dissociée par des viols en réunion (des adolescents lui ont imposé des fellations pour qu’elle puisse récupérer son téléphone portable), lui font la morale pour qu’elle comprenne que ce qui s’est passé n’est pas normal, et se moquent d’elle, allant même jusqu’à rire et faire rire toute la salle en lui demandant ce qu’elle aurait fait alors pour récupérer un ordinateur portable… Tout le monde se moque alors d’une adolescente extrêmement traumatisée !

Pas question non plus pour la victime d'avoir d'importants troubles de la mémoire et du repérage temporo-spatial, alors qu'il est fréquent que des pans entiers des faits puissent être l'objet d'une amnésie lacunaire due aux atteintes neurologiques (trous noirs) et/ou d’une amnésie dissociative. De plus, des conduites d'évitements peuvent entraîner des amnésies psychogènes des événements les plus pénibles pour ne pas en souffrir. Les troubles temporo-spatiaux sont fréquents, ils sont dus à la disjonction qui met transitoirement hors service l'hippocampe, structure cérébrale nécessaire à l'analyse des données temporelles et spatiales. Il peut donc y avoir des distorsions importantes dans l'espace et dans la chronologie des événements, une grande difficulté à préciser l'heure exacte, voire la date, ce qui va désorganiser le récit de la victime. 

Alors que tout le monde, et particulièrement la police et la justice, attend un discours précis rationnel et cohérent, la victime va se perdre dans des souvenirs qui n’auront pas été différenciés, ni intégrés en mémoire autobiographique. Elle sera aux prises avec des fragments de mémoire traumatique isolés, non reliés entre eux, envahissants et terrifiants, qui lui feront revivre une partie des violences à l’identique, avec la même sidération paralysante qu’au moment des violences et qu’elle n’arrivera pas à partager, elle sera perdue dans sa représentation de l’espace et du temps et pourra faire de nombreuses erreurs. Ces distorsions sont malheureusement interprétées comme des incohérences et des mensonges qui décrédibilisent la parole de la victime, alors que ce sont des symptômes normaux et universels lors de violences. Certes, ils rendent plus difficiles l'enquête et l'établissement de preuves, mais qui en aucun cas ne démontrent que la victime a menti. Tout se passe comme si le fait de saigner après un coup de couteau était reproché à une victime et considéré comme un élément mettant en doute son récit !

Personne ne croira vraiment la victime ou si peu, personne n’aura peur pour elle, et personne ne se souciera de la gravité de son traumatisme et de sa souffrance. Elle sera le plus souvent abandonnée, seule, considérée comme coupable, et souvent maltraitée de surcroît.

La sexualité ou la conjugalité sont des univers où de façon étrange, on accepte l’idée qu’une personne pourrait aimer être forcée, céder à des pressions, subir des violences par masochisme, être humiliée et dégradée, et renoncer à sa dignité, à son intégrité physique et mentale et à sa liberté.

Or, c’est bien l’intentionnalité destructrice de l’agresseur qui, par la sidération et la dissociation qu’il provoque chez la victime, une contrainte puissante qui la paralyse et l’empêche d’exercer pleinement ses capacités de discernement, de défense et d’opposition. Ne pas dire non, ne pas réagir ne signifie nullement que la victime soit consentante. Le consentement doit être éclairé et libre, le trauma annihile la liberté et les capacités de discernement de la victime.

En cas de violences répétées. Une emprise très efficace s’installe grâce à la dissociation traumatique que présente la victime. Cette emprise se définit par un processus de colonisation psychique par l’agresseur qui a pour conséquence d’annihiler la volonté de la victime et de la livrer sans défense psychique pour s’y opposer, aux discours et aux mises en scène de celui-ci.

La victime, colonisée par ce discours, se croit coupable, folle, incapable voire même ressent de la haine pour elle-même, ce qui rend toute prise de conscience de ses droits et toute fuite extrêmement difficile à envisager. La mémoire traumatique transforme en enfer les seuls moments où elle pourrait récupérer, organiser sa défense et sa fuite.

Comment, dans ces conditions, la victime peut-elle échapper à l’emprise de l’agresseur, comment peut-elle envisager son autonomie ? Elle est sans cesse sous son contrôle même quand il n’est pas là ! Et si elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est en sécurité, elle sortira alors de sa dissociation, et elle sera envahie par sa mémoire traumatique.

Ce comportement, en apparence paradoxal, est un processus psychotraumatique habituel qui aurait pu être traité, ou tout au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses.

Cette oscillation entre dissociation traumatique et mémoire traumatique explique pourquoi la victime est souvent condamnée à rester sous l’emprise de son agresseur. Le piège est refermé sur elle, seules une identification et une reconnaissance de ce que subit la victime, puis une protection et une prise en charge spécifique de ses psychotraumatismes par des professionnels formés pourra lui permettre de s’en libérer.


IV - Et enfin d’arrêter de penser que ce n’est pas si grave, qu’il suffit de passe à autre chose, de ne plus y penser, d’aller de l’avant, d’arrêter de se plaindre.

Sans une prise en charge adaptée, sans soutien et protection, ces troubles psychotraumatiques peuvent durer parfois toute une vie. Ils sont à l’origine d’une très grande souffrance mentale et d’un possible risque vital (suicide, conduites à risque, accidents, maladies). Ils ont un impact considérable démontré par les études internationales que ce soit sur la santé mentale (troubles anxieux, dépressions, troubles du sommeil, troubles cognitifs, troubles alimentaires, addictions, etc.), ou physique (troubles liés au stress et aux stratégies de survie), et la qualité de vie.

La méconnaissance des troubles psychotraumatiques, et de la mémoire traumatique peut faire croire que la victime, une fois les violences derrière elle, pourrait s’en relever et passer à autre chose, et aller de l’avant.

Or, avec une mémoire traumatique, il est impossible pour les victimes de prendre sur elles, d’oublier, de tourner la page, comme on le leur demande trop souvent… Le passé traumatique peut surgir à tout moment, et les plonger dans une souffrance et une détresse indicible, elles sont condamnées à vivre avec un terrain miné, et un danger omniprésent, qu’elles doivent éviter à tout prix, mais il est important de savoir que lorsque cette impressionnante mémoire traumatique sera traitée et transformée en mémoire autobiographique, la victime pourra se remémorer les violences sans les revivre.

Les violences sexuelles ont le triste privilège d’être les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique associé à des troubles dissociatifs très élevé chez plus de 80 % des victimes de viol (Breslau, 1991), voire 100 % quand il s’agit d’enfants et d’inceste (Lindberg, 1985). Les conséquences psychotraumatiques peuvent s’installer pendant des années, des dizaines d’années, voire toute la vie. Et, rappelons-le, les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales des violences et s’expliquent par la mise en place de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie à l’origine d’une mémoire traumatique (McFarlane, 2010). Les troubles qui en résultent sont pathognomoniques, c’est-à-dire qu’ils sont spécifiques et qu’ils sont une preuve médicale du traumatisme. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance, et d’autant plus si c’est accompagné d’autres types de violences (ce qui est pratiquement toujours le cas, violences physiques, psychologiques, verbales, négligences, etc.) est le déterminant principal de la santé 50 ans après (Felitti, 2010) et peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie (Brown, 2009).

Notre étude Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte en 2015 auprès de 1214 victimes révèle un impact sur la santé mentale pour 95 % des victimes sur la santé physique pour 70 % d’entre elles, avec une souffrance psychique importante pour plus de la moitié d’entre elles (1). Près de la moitié des victimes ont fait au moins une tentative de suicide et la moitié d’entre elles ont développé des conduites addictives pour tenter de contrôler leurs souffrances. Plus de la moitié des personnes victimes de violences sexuelles qui ont répondu à l’enquête ont connu un parcours scolaire, professionnel et social perturbé avec des situations d’interruption, de marginalisation et de précarité fréquentes. De même, leur vie affective et familiale, leur vie sexuelle ont été fortement impactées. Enfin, les victimes témoignent d’un très fort sentiment de solitude et d’abandon, d’une estime de soi très dégradée pour la presque totalité d’entre elles.

Les lourds symptômes psychotraumatiques que présentent les victimes ne sont que rarement reconnus comme tels et reliés aux violences sexuelles qu’elles ont subies. La souffrance, la mémoire traumatique, la dissociation traumatique, les conduites d’évitement, les conduites dissociantes sont souvent prises pour des troubles mentaux : retard mental, troubles autistiques, troubles du comportement (alimentaire, sexuel, addictif, etc.), troubles de l’attention, crise de l’adolescence, troubles de l’humeur, tentatives de suicide, troubles de la personnalité, psychose ou démence sénile, etc. La liste est longue... Ces étiquetages permettent de ne pas se poser de questions sur l’origine de telles souffrances, et sur ce qui pourrait expliquer pourquoi des enfants, des adolescents, des adultes, sont dans de telles situations d’échec scolaire, pourquoi leur vie sociale, professionnelle, affective, amoureuse et sexuelle est si perturbée, pourquoi toutes ces fugues, ces mises en danger, ces automutilations, ces addictions, ces tentatives de suicide... Les conséquences psychotraumatiques normales d’actes destructeurs, qui sont un ensemble de blessures neuropsychologiques et de stratégies pour y survivre, sont renvoyées à la victime comme étant constitutives de sa personnalité, inhérentes à son âge ou à son sexe, fabriquées par elle-même, ou liées à des maladies mentales. 

Ces troubles psychotramatiques et leurs graves conséquences sur la santé des victimes pourraient être pour la plupart évitées si les victimes étaient protégées, bien accompagnées, informées et soignées précocement. Au lieu de cela on laisse les victimes organiser seules leur protection, et mettre en place des stratégies de survie extrêmement coûteuses pour leur santé (avec un risque de mort précoce par accidents, suicides et maladies graves), et désastreuses pour leur vie sociale, affective et professionnelle ! On laisse sciemment, puisqu’on a toutes les connaissances scientifiques nécessaires, des victimes gravement traumatisées vivre un enfer, et on regarde leur santé se dégrader sans ciller. Si ! On peut leur reprocher leurs stratégies de survie lorsqu’elles sont bruyantes, particulièrement pour les plus jeunes, comme lorsqu’ils ont des conduites à risques pour s’anesthésier (drogue, alcool, conduites sexuelles à risque, scarifications, troubles alimentaires, etc.) ou lorsqu’ils tentent de se suicider. On ne manque pas de leur faire la leçon, de leur faire des discours éducatifs et moralisateurs pour qu’ils se prennent mieux en charge, apprennent à mieux se conduire et arrêtent de faire souffrir leurs proches ! 

Et leurs symptômes psychotraumatiques, au lieu d’être pris en compte comme des preuves médicales lors des procédures judiciaires, seront considérés comme des troubles disqualifiant leur parole. Pourquoi, face à ces situations, est-il si rare que des professionnels se préoccupent de ce qu’a vécu la personne qu’ils prennent en charge ? Pourquoi ne cherchent-ils pas à savoir ce qu’il lui est arrivé et ce qu’on lui a fait pour qu’elle souffre autant et aille si mal ? Cela changerait tout, et donnerait enfin un espoir à toutes ces personnes qui souffrent, d’être reconnues, protégées et enfin soignées ! Car la prise en charge des victimes est efficace, elle permet aux victimes traumatisées en traitant leur mémoire traumatique, de se libérer des violences et des agresseurs et de retrouver leur vraie personnalité.


En conclusion, si les troubles psychotraumatiques étaient pris en compte : la victime serait enfin reconnue, protégée, soutenue, accompagnée et soignée, elle aurait accès à une justice digne de ce nom et à des réparations


Avoir bénéficié de soins est pour la victime, au delà de ne plus être prisonnière d’une souffrance intolérable, une garantie pour échapper à l’emprise du ou des agresseurs, une garantie pour ne plus subir de nouvelles violences, une garantie pour être mieux reconnue et protégée, pour qu’une meilleure justice soit rendue, avec un dépôt de plainte facilité, pour être mieux entendue et comprise, pour être moins maltraitée.

Pour pouvoir se reconstruire, il est impératif que les victimes soient protégées et bénéficient de soutien et de soins spécifiques, mais c’est loin d’être le cas actuellement : nous l’avons vu 83% des victimes de violences sexuelles déclarent n’avoir bénéficié d’aucune protection et un tiers d’entre elles n’ont pas pu trouver de professionnel formé à la prise en charge des victimes de violences sexuelles. Les professionnels de santé ne sont que trop rarement formés à ce type de prise en charge. Or, les soins sont essentiels : la mémoire traumatique doit être traitée. Le rôle du soignant est d’aider la victime à faire des liens, à comprendre, à sortir de la sidération en démontant le système agresseur, à petit à petit désamorcer la mémoire traumatique et à l’intégrer en mémoire autobiographique, décolonisant ainsi la victime des violences et du système agresseur.

L’impact des violences sexuelles sur la santé des victimes est particulièrement important, d’autant plus pour les enfants, si aucune prise en charge n’est mise en place. Plus les violences ont été subies jeune, par des proches (d’autant plus s’ils sont de la famille ou s’ils sont sont un conjoint), plus elles ont été répétées avec pénétration et assorties de circonstances aggravantes, plus les conséquences sont importantes : risque de mort précoce par accidents, maladies et suicides, de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, de diabète, d'obésité, d'épilepsie, de troubles de l'immunité, de troubles psychiatriques (dépressions, troubles anxieux, troubles graves de la personnalité), d'addictions, de troubles du sommeil, de l'alimentation et de la sexualité, de douleurs chroniques invalidantes, de troubles cognitifs, etc.

Il est donc urgent et indispensable que les victimes de violences sexuelles puissent bénéficier de soins et d’une prise en charge adaptée. Malheureusement, tous ces symptômes psychotraumatiques sont le plus souvent interprétés comme provenant de la personne elle-même, de sa nature, de son sexe, de sa personnalité, de sa mauvaise volonté, de ses provocations, ou sont étiquetés comme des maladies mentales ou des déficiences intellectuelles. La personne est alors considérée comme étant à l’origine de ses symptômes et de sa souffrance. C'est avec ces rationalisations que les suicides, les conduites à risque, les explosions de mémoire traumatique et les états dissociatifs traumatiques seront mis sur le compte de troubles de la personnalité (border-line), de troubles du comportement » ou de « problèmes éducatifs » chez les enfants, de dépressions, voire même de psychoses, les violences sexuelles subies n'étant presque jamais évoquées comme cause principale, et la question : « avez-vous subi des violences ? » n’étant que très rarement posée.

Lorsque les victimes ne sont pas repérées, elles ne reçoivent ni la protection ni les soins nécessaires, mais en plus elles sont culpabilisées, voire maltraitées. Elles se retrouvent isolées, souvent exclues, voire marginalisées, à subir de nouvelles violences. Alors que les soins sont efficaces, la plupart des victimes n’en bénéficient pas et développent des symptômes traumatiques, qui les poursuivent tout au long de leur vie. L’absence de prise en charge est donc une perte de chance considérable pour la victime et un véritable scandale de santé publique. Il est urgent d’informer tout le monde sur les conséquences des violences sexuelles sur la santé et de former tous les professionnels impliqués dans la lutte contre les violence et l’accompagnement des victimes à ces conséquences et à leur repérage, et de former les professionnels de la santé au soin et à la prise en charge des violences sexuelles.

Et, en ce qui concerne les enfants, la protection et les soins sont des impératifs catégoriques à tout moment de leurs parcours, il est donc indispensable de ne laisser aucun enfant seul face à des violences, et pour cela il ne suffit pas d’attendre pour agir que les enfants parlent, dans la grande majorité des cas c’est impossible pour eux, il faut aller au-devant de ces enfants victimes, en étant vigilant vis-à-vis de toute expression de souffrance, de tout trouble du comportement, et de tout symptôme pouvant évoquer des troubles psychotraumatiques. Mais cela ne suffit pas, il faut poser des questions régulièrement à tous les enfants sur les violences actuelles ou passées qu’ils ont pu subir, afin de leur donner une réelle possibilité d’en parler parler. Il faut bien sûr former tous les professionnels de la protection de l’enfance au dépistage, à l’accompagnement et à la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles, mais également sensibiliser et informer régulièrement tous les adultes qui sont en contact avec les enfants. Et la protection des enfants devra être primordiale et passer avant toute autre considération, particulièrement lors des procédures judiciaires, ce qui est très loin d’être le cas actuellement. Il n’est pas question de mettre en contact un enfant avec la ou les personne-s qui l’ont agressé et encre moins de le confier à cette ou ces personne-s, au risque de gravement le re-traumatiser. Il n’est pas question de le mettre en grande insécurité, de le séparer de personnes protectrices, de lui imposer des situations stressantes, des interrogatoires inadaptés. Il est nécessaire de se préoccuper continuellement de sa sécurité physique et psychique, de le rassurer et de le réconforter, de lui donner le maximum d’informations, d’assurer une continuité de prise en charge (les mêmes référents dans les mêmes lieux) et de l’adapter à chaque enfant, en prenant en compte ses besoins et ses ressentis, et de s’assurer de son consentement en lui expliquant chaque décision le concernant.

C’est une véritable révolution qu’il faut opérer quant à la prise en charge des victimes de violences sexuelles, et il faut sortir du déni et de la culture du viol et de l’impunité pour mettre en place un véritable culture de la protection en France. Pour cela, il est nécessaire de prendre des décisions politiques courageuses avec une réforme efficace de la justice et de la protection de l’enfance, et avec la mise en place d’un plan «Marchall» en santé publique pour former les professionnels de la santé et créer des centres de soins pluridisciplinaires de prise en charge de victimes de violences sexuelles, qui soient accessibles partout en France et dans les DOM-COM et à n’importe quel moment du parcours des personnes victimes, qu’elles aient porté plainte ou non, et qui offrent sans frais des soins spécialisés par des professionnels formés et compétents, et des informations et des aides associatives, sociales et juridiques.

Dre Muriel Salmona
Février 2016

1- Le rapport d’enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015 SALMONA Laure auteure et coordinatrice, SALMONA Muriel directrice Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence (téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org (1)
2- lettre de l’observatoire des violences faites aux femmes n°6 et 8 publiées sur le site gouvernemental stop-violences-femmes.gouv.fr pour les chiffres sur les violences sexuelles : http://stop-violences-femmes.gouv.fr/no8-Violences-faites-aux-femmes.html
3- L’enquête Les français-e-s et les représentations du viol et des violences sexuelles, 2016 conduite par IPSOS pour l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie, SALMONA Muriel, directrice et SALMONA Laure coordinatrice et auteure du rapport d’enquête et du dossier de presse téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org 
4- Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2015. 
5- Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2013
6- Salmona M., Mémoire traumatique et conduites dissociantes. In Coutanceau R, Smith J. Traumas et résilience. Dunod, 2012
7- Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post-traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie. Paris : Dunod, 2013, http://www.stopauxviolences.blogspot.fr/2013/04/nouvel-article-la-dissociation.html
8- Salmona M., Comprendre l’emprise pour mieux protéger et prendre en charge les femmes victimes de violences conjugales. à paraître In Coutanceau R et Salmona M.Violences conjugales , Dunod 2016 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org




Pour en savoir plus sur les violences sexuelles



quelques articles utiles :


Salmona M., Mémoire traumatique et conduites dissociantes. In Coutanceau R, Smith J. Traumas et résilience. Dunod, 2012

Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post-traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie. Paris : Dunod, 2013, http://www.stopauxviolences.blogspot.fr/2013/04/nouvel-article-la-dissociation.html
Salmona M., Le changement dans les psychothérapies de victimes de violences conjugales. In Coutanceau R, Psychothérapie et éducation, Paris, Dunod, 2015, téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documents-pdf/2015Le-changement-en-psychotherapie-des-victimes-de-violences-in-Psychotherapie-eteducation.pdf

Salmona M., Comprendre l’emprise pour mieux protéger et prendre en charge les femmes victimes de violences conjugales. à paraître In Coutanceau R et Salmona M.Violences conjugales , Dunod 2016 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org

Salmona M., L’impact psychotraumatique de la violence sur les enfants : la mémoire traumatique à l’œuvre in la protection de l’enfance, La revue de santé scolaire & universitaire,  janvier-février 2013, n°19, pp 21-25 téléchargeable : http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/07/impact-psycho_violences_Salmona.pdf

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