samedi 26 juin 2021

Intervention de la Dre Muriel SALMONA lors de la journée de solidarité congolaise organisée par la Kopax (conscience congolaise pour la paix). Wébinaire Le 26 juin 2021 de 14 à 16 h.

 Intervention de la Dre Muriel SALMONA lors de la journée de solidarité congolaise organisée par la Kopax (Conscience congolaise pour la paix).


Wébinaire, 26 juin 2021 de 14 à 16 h




Partie 2  1h37mn
avec Rey Lema, Muriel Salmona, Christian Mukadi,
et Denis Mukwege 


Partie 1 introductive 20mn avec
  Mme Dinanga Mbuyi ELONGA (géopoliticienne) et Mme Angeline ASSOMBA
Administratrices de KoPAX




Bonjour à toutes et à tous, je suis la Dre Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologie et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Je suis également membre du comité scientifique de la chaire internationale Mukwege de Liège et membre de la Commission Inceste et violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) crée en 2021.



Je suis honorée et très émue de participer à ce séminaire, en cette journée de solidarité congolaise, aux côtés du Dr Denis Mukwege et d’autres éminents participants, j’en remercie vivement les organisatrices et les organisateurs de Conscience congolaise pour la paix (Kopax).


Je tiens avant tout à rendre hommage aux innombrables victimes congolaises de massacres et de viols perpétrés depuis tant d’années, et à leurs proches. Je pense tout particulièrement aux filles, aux femmes et à leurs enfants qui en sont les principales victimes. 


Et au nom de mon association et de mes partenaires, je transmets à toutes les victimes et leurs proches, l'assurance de notre entier soutien, de notre totale solidarité et de notre absolue détermination à lutter à leurs côtés pour leurs droits, pour la justice et pour la paix en RDC, et contre le déni, la loi du silence et l’impunité. Nous soutiendrons sans relâche le Dr Denis Mukwege, le personnel de l’hopital Panzi, les membres de sa fondation, de Kopax, et tous les congolaises et les congolais qui se battent pour la justice et la paix. 


En France, nous sommes de très nombreuses associations, d’ONG, de militantes et militants, de professionnel.les prenant en charge les victimes, de personnalités du monde politique et civil à vous soutenir dans votre combat et à réclamer une justice transitionnelle et internationale pour la RDC et l’application des recommandations du rapport Mapping. Et nous sommes plus de 70 000 à avoir signé une pétition en ce sens. La communauté internationale doit se mobiliser pour vous. J’en appelle à elle.


Il s’agit d’ouvrir enfin les yeux et de ne plus jamais les refermer sur ces crimes qui sont de très graves violations des droits humains et de les reconnaître à hauteur de ce qu’ils sont des crimes contre l’humanité, des génocides : des actes cruels et inhumains qui sont de graves atteintes à la dignité et à l’intégrité mentale et physique des victimes.

 

Il s’agit de se positionner résolument du côté des victimes et de leurs proches, d’en être solidaire et de se battre pour que tous leurs droits soient respectés :


  • Droits à être entendues, reconnues, protégés et secourues, 
  • Droits à être accompagnées et à recevoir des aides et des soins spécifiques nécessaires gratuits et accessibles par des professionnels formés,
  • Droits à la vérité, droits d’accès à la justice et à des réparations à hauteur de leurs préjudices, droits à une garantie de non réitération.


C’est un impératif absolu. Prévenir ces crimes, lutter contre leur impunité, poursuivre et punir les criminels est une obligation internationale.


Ces exactions sont extrêmement destructrices et particulièrement traumatisantes, elles sont à l’origine de lourdes conséquences psychotraumatiques sur la vie des victimes survivantes et de leur proches, et sur leur santé mentale et physique à très long terme si rien n’est fait pour les protéger et les prendre en charge. 


Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences universelles des violences. Les violences génèrent un stress extrême au moment du choc traumatique avec des atteintes neurologiques et cardio-vasculaires qui représentent un risque vital pour les victimes. Pour éviter ce risque vital, le cerveau déclenche des mécanismes de sauvegarde exceptionnels, équivalents à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire (comme dans un circuit électrique en survoltage qui dijoncte pour protéger les appareils branchés). Cette disjonction, si elle permet la survie de la victime, est à l’origine de l’installation d’un psychotraumatisme avec deux symptômes principaux, une dissociation traumatique et une mémoire traumatique, qui vont transformer durablement en enfer la vie des victimes, s’ils ne sont pas pris en charge et traités : 


La dissociation traumatique qui anesthésie émotionnellement les victimes, leur permet de survivre tant que les violences durent ou menacent de se  reproduire et tant que les victimes restent exposées à leurs tortionnaires. Mais en déconnectant les victimes de leurs émotions elle les prive d’elles-même, les dépersonnalise et les transforme, comme souvent elles en témoignent, en mortes vivantes, en automates. Elle les prive également de leur mémoire, et de leur capacité à se repérer, à se défendre et à s’opposer, tout devient irréel. Elle est à l'origine d'un seuil de tolérance au stress, à la souffrance mentale et à la douleur très élevée, ce qui les rend d’un côté extrêmement vulnérables face à des prédateurs, et de l’autre invisibles aux yeux de celles et ceux qui pourraient les secourir et les protéger : leur absence d’émotion, prise pour de l’indifférence ou de la froideur, ne suscite le plus souvent aucune empathie ni solidarité. Si les intervenants et les proches ne connaissent pas ce phénomène ils ne seront pas en capacité d'évaluer le danger que courent les victimes dissociés, ni leurs besoin de secours, de protection et de réconfort.


La mémoire traumatique quant à elle, c’est une mémoire non intégrée, émotionnelle et sensorielle brute qui fait revivre aux victimes les pires moment d’horreur et de détresse, avec la même terreur les mêmes douleurs, les mêmes souffrances atroces et le même désespoir avec les mêmes images, sensations, odeurs, bruits, cris, paroles haineuses, mépris de l’agresseur, comme une torture sans fin, au moindre lien rappelant les violences, comme une machine infernale à remonter le temps et ce des années, voire des dizaines et des dizaines d’années après. Tant que les victimes sont dissociées, elles semblent tolérer ces réminiscences, mais quand elles sortent de leur état dissociatif, la mémoire traumatique devient intolérable, leur vie devient un terrain miné en permanence. Sans protection ni soins, pour survivre à cette mémoire traumatique, les victimes traumatisées sont obligées de mettre en place des système de survie très couteux : hypervigilance, conduites d’évitement et de contrôle pour éviter que la mémoire traumatique s’allume, ou bien s'il est impossible de l’éviter, des conduites dissociantes à risque pour s’anesthésier : conduites addictives, mises en danger, conduites violentes envers soi ou envers autrui. Le principe des conduites dissonantes à risque étant de provoquer un événement extrêmement stressant ou dangereux pour obtenir une disjonction du circuit émotionnel et être anesthésiées par la dissociation produite. 


La violence est dissociante, si la plupart des victimes la retourneront contre  eux, certains vont s’autoriser à l’imposer à autrui pour s’anesthésier. Si nul n’est responsable des violences qu’il a subi, ni des conséquences psychotraumatiques de ces violences qu'il développe, en revanche chacun est responsable des stratégies de survie qu’il choisit si elles-ci portent atteinte à autrui.


Avoir subi des violences ou en être témoin est le premier facteur de risque de subir à nouveau des violences, ou d'en commettre. Les troubles psychotraumatiques en sont la principale cause, la protection et la prise en charges des victimes est primordiale.


Pour d’innombrables victimes, le risque est donc très important de subir à nouveaux des crimes. De plus, la peur pour leurs proches, la peur de se retrouver en contact avec leurs tortionnaires, créent de profonds sentiments d’insécurité et de grandes souffrances, d’autant plus que les troubles psychotraumatiques extrêmement sévères qu‘elles présentent à la suite de ces actes inhumains sont sans cesse réactivés par le risque de croiser des criminels, par les injustices et par la multiplication sans fin de nouveaux massacres et de viols. 


Cette situation entraîne de graves conséquences sur leur santé mentale et physique (troubles psychotraumatiques, dépression, suicides, troubles anxieux graves, troubles alimentaires, du sommeil, conduites addictives, troubles cardio-vasculaires, risque de diabète et d’autres troubles endocriniens, troubles gyneco obstétricaux, immunitaires, neurologiques, douleurs chroniques, etc.). cette situation aggrave également leur situation économique, elle crée ou renforce des inégalités, elle est génératrice de précarité et de vulnérabilité. La plupart de ces conséquences peuvent être évitées par une prise en charge spécialisée consistant à traiter le stress et la mémoire traumatique, en l'intégrant en mémoire autobiographique, ce qui permet aux victimes de ne plus revivre à l'identique les pire moments et de ne plus être colonisées en permanence par la haine des bourreaux, et e qui permet au tissu neurologique de se réparer (plasticité cérébrale et neurogénèse).


Or, la grande majorité des victimes sont abandonnées sans protection, ni soins adaptés, et doivent survivre seules aux violences et à leurs conséquences en subissant des injustices en cascade. La perte de chance pour elles, est considérable sur leur santé et leur vie. La méconnaissance des psychotraumatismes et le peu de professionnels du soin formés font que non seulement les victimes ne bénéficient pas des soins spécifiques qui leur sont néessaires, mais tous les symptômes psychotraumatiques qu’elles présentent leur sont cruellement retournés pour les juger, pour décrédibiliser leurs témoignages, ou pour les psychiatriser, alors que ce sont des symptômes universels et des preuves médico-légales de ce qu’elles ont subi que la justice devrait prendre en compte. Cette méconnaissance des psychotraumatismes, ajoutés aux fausses représentations, aux stéréotypes sexistes (culture du viol) et à de nombreuses théories anti-victimaires nuisent gravement aux victimes et les privent souvent de soutien, de solidarité, de protection et de justice.  


Les violences et leurs conséquences psychotraumatiques détruisent le tissu social, aggravent les inégalités les discriminations et les handicaps, elles entraînent pour les victimes des risques importants de se retrouver en situation de grande précarité, de marginalisation, et parfois de situation prostitutionnelle.


Laisser ces crimes impunis, abandonner les victimes, fabrique de la souffrance et des injustices sans fin et ne fait qu’aggraver la délinquance et la criminalité. Nous ne voulons pas de ce monde !


Être solidaires des victimes, légitimer leurs paroles, reconnaître les souffrances qu’elles ont subies, leurs souffrances et leurs traumas est capital, cela enraye ce cercle infernal de violences et d’injustices et c’est essentiel pour que leurs blessures psychiques puissent commencer à se réparer. Leur apporter protection, aide et soins, leur rendre justice et réparer leurs préjudices est une nécessité absolue pour elles, pour leur santé et leur possibilité de vivre . 


Unissons-nous pour un monde où la protection des victimes, la protection des femmes et des enfants contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, la solidarité, la justice et le soin ne soient pas de vains mots, un monde remis à l’endroit, un monde juste et solidaire, un monde enfin respirable. Et pour cela, la lutte contre l’impunité mais également la lutte contre toutes les discriminations, contre le sexisme, la domination masculine et toutes les formes de violences, et celle pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes sont primordiales.


Dre Muriel SALMONA

drmsalmona@gmail.com

https://www.memoiretraumatique.org



Documentation référencée :


Conférence introductive de la Dr Muriel Salmona lors du 1er congrès internationale de la chaire Mukwege de lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes et eux filles en situation de conflits . Le psychotraumatisme du viol : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-psychotraumatisme-du-viol-chaire-Mukwege.pdf


LES VIOLENCES SEXUELLES : un psychotraumatisme majeur qu’il est essentiel de prendre en compte pour rendre justice aux victimes, les secourir, les protéger et les soigner : article de Muriel Salmona, publié dans Violences sexuelles : en finir avec l'impunité, ouvrage collectif dirigé par E. Ronai et E. Durand, Dunod, mars 2021.


Pétition de soutien aux combats du Dr Denis Mukwege :https://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/menaces-mort-contre-prix-nobel-paix/103596


Lettre au président de la République pour lui demander de soutenir le Dr Denis Mukwege dans sa lutte contre l'impunité des très graves violations des droits humains en RDC et pour que les préconisations du rapport Mapping de l’ONU soient appliquées :

https://stopauxviolences.blogspot.com/2021/01/lettre-au-president-de-la-republique.html


Muriel Salmona : Le livre noir des violences sexuelles 2ème édition her Dunod, 2018/19

samedi 19 juin 2021

Dossier débat de L'Humanité du 18 juin 2021 : Féminicides : pourquoi ça n'arrête pas ? Muriel Salmona, Ernestine Ronai, Céline Marcovici répondent à 3 questions d'Anna Musso


Dossier débat de L'Humanité du 18 juin 2021 : Féminicides : pourquoi ça n'arrête pas ? 

Muriel Salmona, Ernestine Ronai, 

Céline Marcovici répondent à 3 questions 

d'Anna Musso 




https://www.humanite.fr/feminicides-pourquoi-ca-ne-sarrete-pas-711444




le texte initial de ma tribune


Le 10 juin 2021, a été publié un rapport d’inspection accablant sur l’accumulation des défaillances institutionnelles ayant précédé le féminicide à Mérignac le 4 mai 2021 de Chahinez Daoud, 31 ans, mère de 3 enfants, abattue par balles puis brûlée vive dans la rue par son ex-conjoint, alors que de nombreux facteurs de risque étaient réunis et qu’elle avait à plusieurs reprises alerté les forces de l’ordre et porté plainte. 


Ces dysfonctionnements, que nous connaissons trop bien, ont déjà été pointés en 2019 lors du rapport de l’Institut de la Justice sur les homicides conjugaux de 2015 et 2016, et viennent de l’être à nouveau par le Haut Conseil à l’Egalité. 


Ces rapports illustrent une grave faillite de l’État et de ses institutions. 


Les alertes des femmes sont méprisées, leurs témoignages et ceux de leurs enfants sont mis en cause et discrédités, les dangers qu’elles et leurs enfants courent sont sous-estimés. leurs traumas ignorés et retournés contre elles, leurs plaintes ne sont pas traitées et quand elles le sont, les menaces de mort, les tentatives de meurtre et les violences sexuelles ne sont que trop rarement qualifiées comme telles, les peines prononcées sont minimes souvent réduites à du sursis. Elles subissent des mises en danger et des injustices en cascade. Elles sont sommées de faire des efforts, obligées après avoir fui de respecter des droits de visite octroyés à leur ex-conjoint violent quand bien même il continue à exercer des violences sur elles et les enfants, considérées comme aliénantes et condamnées si elles protègent leurs enfant en refusant de les remettre à leur père violent.


Les victimes sont ainsi délégitimées et privées dans leur grande majorité de secours, de protection, de soins et de justice. 


Pendant ce temps les hommes violents bénéficient d’une tolérance et d’une impunité incroyables qui alimentent leur toute puissance et les rend encore plus dangereux. Ils continuent à terroriser et traumatiser leurs femmes et leurs enfants, et s’arrogent un droit de vie ou de mort dans un déchainement inouï de violences et de haine.


Ces crimes sont systémiques. Le collectif Féminicides par compagnon ou ex fait en temps réel, le décompte de ces féminicides : depuis le début de l’année 56 femmes ont déjà été tuées, 61 enfants sont devenus orphelins dont 15 ont été témoins du meurtre. En 14 ans, entre 2006 et 2019, la Délégation Aux Victimes a recensé 2169 féminicides…


Le couple se révèle l’espace où les femmes courent le plus grand risque d’être tuées ou violées : plus de 50% des meurtres de femmes sont des féminicides conjugaux et 45% des viols sont conjugaux.


Que se passe-t-il ? Lois et moyens de protection ont beau avoir été renforcés depuis le Grenelle, ils restent toujours aussi peu appliqués par des professionnels de la police, de la justice, des secteurs médico-social et de la protection de l’enfance, pas assez formés, ne communiquant pas suffisamment entre eux et contaminés par des stéréotypes sexistes et des théories anti-victimaires qui nuisent gravement aux victimes et à leurs enfants. 


Dans notre société qui reste patriarcale, les hommes ont plus de valeur, leur parole a plus de poids, leurs droits et leur liberté sont prioritaires et passent avant le respect des droits fondamentaux des femmes et des enfants à vivre en sécurité. Leur violence est un privilège de dominants, elle n’est pas une fatalité. 


Pour lutter contre cette violence, il faut la déligitimer en luttant contre la propagande sexiste et en étant résolument du côté des femmes victimes et de leurs enfants : il s’agit de faire primer leurs droits à une protection, des soins et des aides spécifiques, et de leur rendre justice et réparations. 


De plus, les violences conjugales démarrant fréquemment lors de la grossesse, et les enfants étant gravement traumatisés par les violences conjugales, il est primordial qu’ils soient considérés comme victimes de ces violences, et qu’un principe de précaution s’applique pour suspendre les droits parentaux des pères violents.


Les hommes violents doivent être poursuivis et condamnés à des peines dissuasives dès les premières violences et mis en incapacité de nuire. Aucune impunité ne doit être tolérée. 



le 15 juin 2021,

Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie