vendredi 30 juin 2017

Comprendre et prendre en charge l’impact psychotraumatique des violences conjugales pour mieux protéger les femmes et les enfants qui en sont victimes Dre Muriel Salmona, 2017


Comprendre et prendre en charge 
l’impact psychotraumatique des violences conjugales pour mieux protéger les femmes et les enfants qui en sont victimes 

Crédit photo : Kanaglia


Dre Muriel Salmona, 2017
Psychiatre - psychothérapeute
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie


 INTRODUCTION

L’impact psychotraumatique dévastateur à court, moyen et long termes des violences conjugales sur la vie et la santé des femmes et des enfants qui en sont victimes est un problème de santé publique majeur. Pourtant, il reste encore trop peu connu et pris en compte dans le cadre des prises en charge, qu’elles soient médico-psychologiques, sociales ou judiciaires. 

Or, connaître les conséquences psychotraumatiques des violences est absolument nécessaire pour    mieux protéger, accompagner et soigner les personnes qui en sont victimes. Sans cette connaissance, beaucoup de symptômes et de comportement de victimes sont perçus comme paradoxaux par l'entourage et les professionnels qui les prennent en charge, et sont mal-interprétés, alors que ce sont des réactions normales à des situations traumatiques.

Cette méconnaissance est à l’origine d’une profonde incompréhension et d’un manque de reconnaissance de ce que vivent les victimes, de leurs souffrances, du danger qu’elle courent et de l’emprise qu’elles subissent. Elle participe à l’abandon où sont laissées la grande majorité des victimes qui doivent survivre aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques sans protection, ni soin. De plus, elle alimente le déni des violences, les idées fausses, la mise en cause et la culpabilisation des victimes.

La méconnaissance des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes porte donc préjudice aux victimes et représente une grave perte de chance pour elles, d’autant plus, qu’une prise en charge médico-psychologique de qualité est efficace et permet, en traitant les troubles psychotraumatiques, d’éviter la majeure partie des conséquences des violences sur la santé des victimes, sur leur vie affective, sociale, scolaire ou professionnelle, et sur le risque qu’elles subissent à nouveau des violences.

DES TROUBLES PSYCHOTRAUMATIQUES MÉCONNUS

Alors que nous disposons depuis plus de 15 ans de toutes les connaissances nationales et internationales sur l’ampleur des violences conjugales, et sur la gravité de leur impact sur la santé des victimes, ces violences conjugales et leurs conséquences sont encore largement sous-estimées. De même, les troubles psychotraumatiques et leur traitement ont beau être très bien décrits (Blake, 2011), ces connaissances sont toujours trop peu diffusées auprès des professionnels et du grand public. De ce fait, les victimes ne sont pas identifiées, leur trauma n’est pas repéré et face aux nombreuses plaintes psychologiques et somatiques de ces femmes et enfants victimes, aucun lien n’est fait avec les violences et des diagnostics sont portés à tort avec des traitements essentiellement symptomatiques et anesthésiants, quand ils ne sont pas maltraitants.

Grâce aux études de victimation nous savons que chaque année, plus de 220.000 femmes sont victimes de violences conjugales, et que seules 14% d’entre elles portent plainte, ce taux descendant à 2% pour les 40 000 femmes victimes de viols conjugaux. Chaque année, 120 à 140 femmes meurent sous les coups de leur conjoint, et plus de 30 enfants sont tués en même temps que leur mère, la séparation étant le moment le plus dangereux (Lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes n°8, 2015). Nous savons également qu’aucun milieu socio-culturel n’est épargné, et que plus les femmes sont jeunes, discriminées et en situation de handicaps, plus elles sont exposées à des violences conjugales. 

Bien que la nécessité de protéger ces femmes et ces enfants victimes de violences conjugales est un impératif, la loi du silence, le déni et le manque de formation des professionnels font que l’immense majorité des femmes victimes de violences se retrouvent abandonnées dans la souffrance et l’insécurité, à la merci de leur conjoint violent, sans reconnaissance des préjudices subis, ni de leurs conséquences. À elles de mettre en place, comme elles peuvent, des stratégies de protection et de survie, qui vont avoir de lourdes conséquences sur leur santé et sur leur avenir, ces stratégies étant un facteur de risque d'exclusion, de précarité et de vulnérabilité. 

Les derniers plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes et les travaux de la Mission Interministérielle de Protection des Femmes victimes de violences (MIPROF) ont fait une priorité de la formation des professionnels de santé au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques de ces violences sur leur santé de la santé, mais le chemin reste long et l’offre de soins adaptés est encore bien trop rare. C’est d’autant plus important que les femmes victimes de violences désignent les médecins comme premier recours. Il s’agit d’un problème majeur de santé publique et de société qui concerne les pouvoirs publics, les professionnels concernés, mais également tous les citoyens.

Les troubles psychotraumatiques, des conséquences normales et universelles de situations de violences

Les violences conjugales peuvent être verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, et s’ac-compagner de violences économiques et de privation d’accès à des soins, à des droits administratifs et sociaux, à des études et à un travail. Ce sont des actes intentionnels destructeurs qui portent atteinte l’intégrité psychique et physique des victimes, à leur dignité et à leurs droits fondamentaux, ils sont punis par la loi et considérés comme des circonstances aggravantes.

Les violences conjugales sont à l’origine de troubles psychotraumatiques qui vont impacter lourdement la santé mentale et physique des victimes à long terme, ainsi que leur vie affective et sociale. Ces troubles psychotraumatiques sont également un facteur de risque majeur d’emprise et de revictimisation. Ils sont particulièrement graves, durables et fréquents (58 % d'état de stress-post-traumatique/ 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes – Astin, 1995) avec des chiffres encore plus importants quand les violences sont répétées et habituelles pendant des années, et quand il y a eu des violences sexuelles (jusqu’à 80 %, Breslau, 1991).

Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales et universelles des violences qui s’expliquent par la mise en place par le cerveau de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie à l’origine d’une mémoire traumatique et d’une dissociation traumatique (MacFarlane, 2010, Salmona, 2012, Hillis, 2016). les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des atteintes de certaines structures du cerveau et des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, visibles sur des IRM (Rauch, 2006, Nemeroff, 2009, Louville et Salmona, 2013). Ils ne sont pas liés à la victime, à ses caractéristiques, mais avant tout à la gravité de l’agression, au caractère insensé des violences, à l’impossibilité d’y échapper, ainsi qu’à l’intentionnalité destructrice de l’agresseur et à sa mise en scène terrorisante. La vulnérabilité de la victime (liée au handicap, à la maladie, à l’âge et au fait d’avoir déjà subi des violences) n’est qu’un facteur aggravant de ces psychotraumatismes. Sans une prise en charge adaptée, ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils sont à l’origine pour les victimes traumatisées d’une très grande souffrance mentale et d’un possible risque vital et de décès précoces (suicide, conduites à risque, maladies graves). 

Un impact considérable sur la santé mentale et physique à court, moyen et long termes

Les études internationales ont démontré qu’avoir subi des violences a un impact considérable sur la santé mentale : état de stress post-traumatique, troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, addictions, troubles alimentaires, insomnies, phobies, troubles cognitifs (de la mémoire, de l’attention et de la concentration), etc. ; et sur la santé physique ; douleurs et fatigue chroniques, troubles cardiovasculaires, gynéco-obstétricaux, gastroentérologiques, endocriniens, rhumatismaux, neurologiques, dermatologiques, maladies auto-immunes, cancers, etc. (Garcia-Moreno, 2006 ; Felitti et Anda, 2010 Blake, 2011). La méconnaissance de l’origine traumatique de ces troubles entraîne de nombreux examens complémentaires inutiles, des errances médicales et des diagnostics erronés (particulièrement psychiatriques et neurologiques : troubles psychotiques, démentiels) accompagnés de lourds traitements inappropriés. Elle est à l’origine également d’un coût humain très important  avec une perte de chance pour les victimes, et aussi d’un coût financier pour les États (soins, hospitalisations répétées, arrêt de travail, mise en invalidité, etc.). La plupart de ces conséquences auraient pu être évitées avec une protection et un traitement spécialisé adapté. 

Les enfants sont victimes des violences conjugales, et ils sont lourdement traumatisés

Les enfants exposés aux violences conjugales en sont des victimes directes et vont être également lourdement traumatisés, d’autant plus s’ils sont très jeunes. Ils peuvent être traumatisés dès leur naissance, voire même en tant que fœtus, dès le troisième trimestre de la grossesse, les violences conjugales démarrant fréquemment lors d’une première grossesse (c’est le cas dans 40% des violences conjugales). De plus, les enfants peuvent être issus de viols conjugaux.

Ces enfants vont présenter des problèmes de santé à court, moyen et long termes : dépression, anxiété, phobies scolaires, angoisse de séparation, hyperactivité, irritabilité, difficultés d'apprentissage, troubles de la concentration) et des problèmes de santé physique (retard de croissance, allergies, troubles ORL et dermatologique, maux de tête, mal au ventre, troubles du sommeil et de l'alimentation). Ils présenteront un risque élevé de troubles du comportements (10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence) dont des conduites à risque, des addictions, une hyperactivité et des comportements agressifs vis-à-vis des autres enfants (50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l'enfance), et ils sont à risque important de subir de nouvelles violences. Et à l'âge adulte, on retrouvera chez eux, une augmentation des conduites agressives, des conduites à risque, des conduites délinquantes et des troubles psychiatriques (Rossman, 2001, Abrahams, 2005), avec le risque de reproduire des violences conjugales ou d’en être victime (Abrahams, 2005, Fulu, 2017). Et nous savons aussi qu’avoir subi des violences dans l’enfance est la première cause de mortalité précoce, de suicides et de tentatives de suicide, de conduites addictives (alcool , drogue), de troubles alimentaires, et le déterminant principal de l’état de santé des personnes même 50 ans après (Felitti et Anda, 2010) ; et lorsque plusieurs types de violences sont associés, cela peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie. (Brown, 2009).

Les violences pendant la grossesse mettent en danger la mère et son enfant

Lors de violences conjugales pendant la grossesse, la mère et le foetus se retrouvent en grand danger, submergé-e-s par un stress continu générant une souffrance physiologique cardio-vasculaire et neurologique, avec un risque d’avortement en début de grossesse (2 fois plus de fausses-couches), de mort in-utéro par décollement placentaire, d’hémorragie foeto-maternelle ; le risque d’ accouchement prématuré est augmenté de 37% et celui d’hypotrophie à la naissance de 17% (Silverman, 2006). Une enquête conduite en Seine-Saint-Denis, en étudiant rétrospectivement les grossesses chez des femmes victimes de violences conjugales, indique un taux d’accouchements prématurés de 23 % (contre 7 % sur le département étudié) et 7 % d’accouchements à domicile contre 2 ‰. Toutes les femmes participant à l’enquête se souviennent avoir subi des coups pendant leur grossesse, 82 % d’entre elles des violences sexuelles et 28 % des coups sur le ventre (Joudrier, 2012).
À la naissance le nouveau-né est en danger, le père continuant d’être violent avec sa mère dans la presque totalité des cas, et avec lui dans 3/4 des cas. La relation mère-enfant est perturbée par les violences et par les impacts traumatiques qui touchent la mère et l’enfant. Un nouveau-né traumatisé présente un état de souffrance et de stress, responsable de pleurs incessants, de troubles du sommeil et de l’alimentation, et d’états de dissociation traumatique qui rendent le bébé très peu réactif et perturbent son développement psycho-moteur et affectif. Pleurs, troubles du sommeil et de l’alimentation sont des facteurs augmentant encore plus le risque de maltraitance.

Le dépistage systématique des violences pendant la grossesse est absolument nécessaire, il permettra de mettre en place des mesures de protection et de protéger la santé de la mère et son bébé, et la qualité de leur relation, ce qui est fondamental pour le développement du nouveau-né.

DES VICTIMES TRAUMATISÉES ET SOUS EMPRISE

Les violences conjugales, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, en traumatisant et en dissociant la victime, sont une arme très efficace pour la mettre au service du confort physique, sexuel, psychique, financier de son conjoint, la transformant en esclave, en thérapeute, en « médicament-drogue » pour s’anesthésier, en « figurante » pour jouer un rôle dans sa mise en scène. Les violences conjugales sont toujours une affaire de privilège, de recherche de pouvoir sur l’autre, de satisfaction de ses propres attentes au détriment de l’autre. 

Les violences conjugales s’exercent dans le cadre d’un rapport de domination masculine et d’inégalités : les femmes sont de loin les principales victimes et, nous l’avons vu, les personnes vulnérables, jeunes et en situation de discrimination risquent beaucoup plus d’en subir. En miroir, la violence a de lourdes répercussions sociales, elle augmente les inégalités, la vulnérabilité, la précarité et les situations de marginalisation. Elle met les victimes en danger de subir de nouvelles violences, si elles ne sont pas protégées et soignées. 

Souvent exercée sous les faux-prétextes de l'amour, de la jalousie, de la frustration, d’un besoin sexuel, d’une nécessaire éducation, de la contrariété, de la fatigue et de l’énervement, de l’alcool, etc., elles sont une véritable entreprise de démolition identitaire utilisée pour conditionner la victimes à se soumettre, à se ressentir comme n’ayant aucune valeur, comme étant incapable, coupable, honteuse, inintelligente, sans aucun droit, réduite à une chose.

Une véritable culture de la violence transmise de génération en génération règne au sein de beaucoup de couples et de familles. Cette culture de la violence banalise et minimise les violences, met en cause les femmes et les enfants qui en sont victimes, et organise le déni de leurs conséquences. Elle est alimentée par de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance du traumatisme de celles et ceux qui en sont victimes (Salmona, 2016).

Encore aujourd’hui, en 2017, de nombreuses personnes considèrent qu’une femme victime de violences par son conjoint est censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup qu’elle reçoit. Si elle est restée de nombreuses années à subir des violences sans les dénoncer ni fuir, cela suscite des doutes et des incompréhensions. Ne ment-elle pas ? N’est-ce pas sa faute puisqu’elle n’a pas réagi ? Et ces violences, n’y a-t-elle pas consenti, voir même trouvé son compte par masochisme puisqu’elle est restée tant d’années avec son conjoint violent, qu’elle y est retournée après s’en être séparée, et qu’elle ne semble pas si traumatisée que cela ? Ou bien, n’en fait-elle pas trop à se plaindre tout le temps, ne se complait-elle pas dans la victimisation, n’est-elle pas hystérique, folle ?…… Penser cela, c’est adhérer à une culture de la violence qui culpabilise les victimes et décrédibilise leur parole, et c’est particulièrement injuste (Salmona, 2015). C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles, sur les nombreuses stratégies des conjoints violents qui organisent leur emprise et leur impunité, et sur les troubles psychotraumatiques qui mettent les victimes hors d’état de réagir et les piège durablement : telles la mémoire traumatique qui leur fait revivre à l’identique les violences, et la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement. 

Comment l’emprise se met en place

La violence a un pouvoir de sidération qui désactive les fonctions supérieures de la victime, l’expose à un stress dépassé entraînant le déclenchement de mécanismes neuro-biologiques de survie pour échapper à un risque vital cardio-vasculaire et neurologique (Nemeroff, 2009). Comme nous allons le voir plus en détail, les mécanismes s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire avec la mise en place d’une dissociation traumatique et d’une mémoire traumatique. La victime doit alors composer avec cet état de dissociation traumatique qui l’anesthésie émotionnellement et une mémoire traumatique qui lui fait revivre de façon incontrôlée les violences à l’identique comme une machine à remonter le temps. Ces troubles vont générer chez la victime un état de désorganisation psychique, de dépersonnalisation, de doute et de confusion qui annihile sa volonté et qui permet au conjoint violent de mettre en place une emprise, de la manipuler et de lui dicter des émotions, de lui imposer des pensées et un rôle dans sa mise en scène. Cette emprise, véritable colonisation des processus psychiques et émotionnels par des violences répétées le plus souvent sur de nombreuses années, est un formidable outil de soumission.

Lors de situations de violences conjugales qui s’installent sur de longues années, au lieu de rechercher et d’analyser les stratégies qui ont permis à un homme violent de transformer l’espace conjugal et familial en une zone de non-droit et de terreur pendant si longtemps, c’est presque toujours à la victime qu’on demande des comptes. Elle est sommée d’expliquer pourquoi elle n’a pas pas réagi, pourquoi elle est restée si longtemps avec un conjoint qui la battait, la violait, et maltraitait également les enfants, pourquoi elle n’a rien dit, ni porté plainte. On lui demande de s’expliquer sur les phénomènes d’emprise qu’elle subit, alors que c’est elle qui aurait un besoin vital d’être informée sur les mécanismes qui en sont à l’origine pour qu’elle puisse comprendre ce qu’elle vit et y échapper.

Les mécanismes à l’origine de l’emprise ne viennent pas de la victime mais de l’impact traumatique des violences et des mises en scène de son conjoint. Les phénomènes d’emprise sont des conséquences normales de violences répétées. Et contrairement à ce qui est souvent renvoyé à la victime, celle-ci n’aime pas rester avec le conjoint violent, ce n’est pas ce qu’elle veut, elle n’est pas à l’origine de son propre malheur, elle est gravement traumatisée et dissociée, et elle cherche juste à survivre aux violences en empêchant sa mémoire traumatique d’exploser (Salmona, 2016).

Lors de violences conjugales, les différents acteurs qui prennent en charge les victimes sont rarement formés aux conséquences psychotraumatiques des violences, et ils sont donc très souvent confrontés à de grandes difficultés pour identifier ces processus d’emprise, et aider les victimes à s’en libérer. Malgré leurs efforts, les victimes restent attachées à leur conjoint violent et continuent à être à leur service. Et même lorsqu’elles ont réussi à s’en séparer, ceux qui aident les victimes assistent fréquemment, impuissants, à des processus de répétition : les femmes victimes reviennent vers leur conjoint violent, ou se retrouvent avec de nouveaux partenaires violents. En fait, bien que cela paraisse paradoxal, les victimes de violences se sentent souvent « mieux » (en fait plus dissociées et anesthésiées, voir hypnotisées) avec un conjoint violent que lorsqu’elles sont séparées de lui, et pensent à tort qu'elles l'ont dans la peau et qu'elles l'aiment, alors qu'elles sont en fait tellement terrorisées avec lui qu'un seul regard suffit à les dissocier et à les anesthésier. Se remettre avec un agresseur c'est échapper à sa mémoire traumatique par dissociation, tout en se mettant en danger.

Femmes victimes et hommes violents ont très fréquemment subi des violences dans leur enfance ou ont été témoins de violences conjugales. Une étude de Fulu très récente publiée en 2017 dans une grande revue scientifique internationale montre que « pour les hommes, toutes les formes de traumatismes chez l'enfant étaient associées à toutes les formes de perpétration de violence conjugale. Pour les femmes, toutes les formes de traumatismes chez les enfants ont été associées à la violence conjugale physique et à la violence conjugale sexuelle » (Fulu, 2017). Les troubles psychotraumatiques qui en sont la conséquence vont être à l’origine d’une mémoire traumatique, de troubles dissociatifs et de stratégies de survie. Si on n’est pas responsable des violences qu’on a subi, ni de leurs conséquences traumatiques, en revanche on a le choix des ses stratégies de survie (conduite d’évitement et conduites dissociantes anesthésiantes). La violence exercée sur autrui en est une, elle fait partie des conduites dissociantes qui permettent de s’anesthésier, comme une drogue. Une société inégalitaire où les hommes peuvent facilement choisir de mettre en scène une prétendue supériorité au dépens des femmes, facilite le choix de s’autoriser à être violent, en s’identifiant à l’agresseur de son enfance, pour «traiter» une mémoire traumatique qui, comme nous allons le voir, se réactive dans le cadre de la vie conjugale et familiale, et de la grossesse de sa conjointe.

De plus, le conjoint violent bénéficie presque toujours d’un formatage bien antérieur de sa victime à la soumission, à la tolérance et à l’hyper-adaptation à des situations extrêmes, remontant à une enfance dans des milieux familiaux violents : antécédents de maltraitance, d’exposition à des violences conjugales, et de violences sexuelles dont on connaît malheureusement la fréquence (1 femme fille sur 5 a subi des violences sexuelles dans son enfance, OMS, 2016). Avoir subi des violences dans l’enfance est un facteur de risque majeur d’en subir à nouveau tout au long de sa vie (OMS, 2010 et 2014, Felitti 2010). Le conjoint violent bénéficie également du fait que sa victime, quelles que soient les violences subies depuis son plus jeune âge, n’a jamais été ni protégée, ni reconnue comme victime, ni soignée, elle a dû grandir en survivant seule aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques. Elle a appris à considérer qu’elle n’avait pas de valeur, aucun droit et que personne ne viendrait à son secours. Elle a dû construire sa personnalité avec une mémoire traumatique et des troubles dissociatifs de survie, qui l’auront empêché de se connaître et de se penser comme normale (van der Hart, 2010, Salmona, 2013). Il va donc tirer parti des traumas accumulés non traités de sa victime, et des conséquences souvent désastreuses des stratégies de survie qu’elle a été dans l’obligation de développer, et qui sont des facteurs de vulnérabilité. 

En plus de la complicité avec les systèmes agresseurs du passé de sa victime, il bénéficie de toute une complicité ambiante : celle d’une société inégalitaire encore dans le déni face aux violences faites aux femmes et aux filles, et qui véhicule de nombreux stéréotypes sur les femmes, sur le couple et l’amour, ainsi qu’une non reconnaissance de l’impact psychotraumatique des violences sur la santé des victimes. 

Dans cette optique, la reconnaissance de la réalité des violences subies et de leur impact psychotraumatique, la compréhension des mécanismes neuro-biologiques en jeu et des stratégies des agresseurs sont essentielles pour la victime et pour toutes les personnes qui vont la prendre en charge et la soigner.


TROUBLES PSYCHOTRAUMATIQUES : DISSOCIATION TRAUMATIQUE ET MÉMOIRE TRAUMATIQUE À L’ŒUVRE, COMMENT SE FABRIQUE L’EMPRISE.

Les violences, par leur pouvoir de sidération et de paralysie psychique, empêchent toute possibilité de contrôler les réactions émotionnelles et génèrent un état de stress dépassé avec la production de grande quantité d’hormones de stress - adrénaline et cortisol - qui représente un risque vital cardio-vasculaire et neurologique (Nemeroff, 2009). Pour échapper à ce risque, un mécanisme de sauvegarde neuro-biologique exceptionnel déclenché par le cerveau va faire disjoncter le circuit émotionnel ainsi que celui de la mémoire qui lui est lié, ce qui permet un arrêt brutal de la production d’hormones de stress et génère une anesthésie émotionnelle et physique. 

Cette disjonction se produit avec la sécrétion par le cerveau d’un cocktail de subtances ayant un effet morphine-kétamine (Zimmerman, 2010). Elle va être responsable de l’apparition de deux symptômes traumatiques qui sont au cœur des troubles psychotraumatiques et des processus d’emprise : une dissociation traumatique, se traduisant par une anesthésie émotionnelle et physique, un sentiment d’étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation, accompagné d’une perte de repères temporo-spatiaux (Nijenhuis, 2004, Lanius, 2010) ; et une mémoire traumatique se traduisant par une mémoire émotionnelle des violences non intégrée et non consciente qui fait revivre à l’identique les pires moments, de façon incontrôlée et envahissante, avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels sous forme de flashbacks (images, bruits, odeurs, sensations, etc), comme une machine à remonter le temps se déclenchant au moindre lien rappelant les violences et leur contexte (Salmona, 2012).

La dissociation traumatique ou comment on devient étranger à soi-même

Tant que la victime reste en contact avec son agresseur, le danger et la sidération persistent ainsi que le stress extrême, et le mécanisme de sauvegarde continue d’être enclenché produisant chez la victime un état de dissociation traumatique chronique.

Cet état déconnecte la victime de ses émotions, elle se sent spectatrice des événements, comme détachée et privée de ses émotions et de ses ressentis, avec un sentiment d’irréalité. l’anesthésie émotionnelle et physique que produit la dissociation l’empêche d’organiser sa défense et de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter. Les faits les plus graves, vécus sans affect, ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé (amnésie dissociative post-traumatique). L’entourage et la plupart des professionnels, face à la dissociation de la victime et son apparent détachement, ne vont pas ressentir sa détresse, ni prendre conscience du danger (Salmona, 2013). La victime se sentira d’autant plus isolée, et sera d’autant moins reconnue et protégée.

De plus, la dissociation est une véritable hémorragie psychique qui vide la victime et qui annihile ses désirs et sa volonté. Elle se sent perdue et ne se reconnaît plus, elle est comme un pantin. De ce fait, il lui est très difficile de s’opposer, de se projeter dans un autre espace, une autre vie, elle s’en sent incapable. Cet état facilite grandement l’emprise par l’agresseur qui en profite pour coloniser le psychisme de la victime et la réduire en esclavage.

La mémoire traumatique où comment la vie devient un enfer

La mémoire traumatique des violences scelle plus encore cette emprise : lors des violences, la disjonction empêche la mémoire émotionnelle d’être intégrée en mémoire auto-biographique par l’hip-pocampe (structure cérébrale qui est le système d’exploitation de la mémoire et du repérage temporo-spatial), cette mémoire reste donc bloquée dans la structure cérébrale à l’origine de la réponse émotionnelle : l’amygdale cérébrale (Janet, 1928, Van der Kolk, 1991).

Elle y est hors temps, hors de toute possibilité d’analyse et de tri. Elle est indifférenciée comme un magma qui contient à la fois tout ce qu’a ressenti la victime, les violences, et les mises en scène, les paroles, la haine et le mépris du conjoint violent. 

Cette mémoire traumatique se charge de plus en plus lors des nouveaux épisodes de disjonction qui surviennent lors de chaque épisode de violences. Et, telle une bombe à retardement, elle va se déclencher au moindre lien rappelant les violences, elle explose alors et envahit l’espace psychique de la victime en lui faisant revivre à l’identique sous la forme de flashbacks ce qui a été enregistré, comme une machine à remonter le temps, avec la même détresse, les mêmes douleurs, les mêmes sensations, comme une torture sans fin (Salmona, 2012). 

Tant que la victime est exposée aux violences qui peuvent se répéter pendant de nombreuses années, à leur contexte, et à l’agresseur (même s’il ne commet plus de violence) elle reste dissociée, la mémoire traumatique la colonise, mais elle n’en ressent pas les émotions qui y sont attachées. Mais, aussitôt que la victime n’est momentanément plus en état de dissociation (par exemple si l’agresseur est absent, si elle est protégée, ou si une violence encore plus extrême dépasse les capacités de disjonction), elle ressent alors lors des flashbacks la même terreur et les mêmes douleurs que celles provoquées par les violences, avec une acuité intolérable sous la forme d’attaques de panique avec des sensations de mort imminente, la dissociation n’étant plus là pour les atténuer. Elle ré-entend également les paroles et les mises en scène culpabilisatrices, haineuses et méprisantes de l’agresseur "tout est de ta faute, tu l’as bien mérité, tu ne vaux rien, tu n’es rien sans moi, etc.", auxquelles elle peut totalement adhérer en pensant qu’elles proviennent de ses propres processus psychiques, et croire qu’elle se hait et se méprise.

La victime, dès qu’elle n’est pas avec son conjoint, se retrouve donc envahie et terrorisée par la mémoire traumatique des violences, avec un discours intérieur qui l’attaque et l’humilie, et qu’elle pense être le sien puisque c’est là, dans sa tête, alors qu’il s’agit du discours culpabilisant et humiliant de son conjoint, enregistré et bloqué dans son amygdale cérébrale. La victime, colonisée par ce discours, se sent coupable et honteuse, elle se croit folle et incapable, et ressent de la haine pour elle-même (celle de l’agresseur qui la colonise), ce qui rend toute prise de conscience de ses droits et toute révolte impossibles. La mémoire traumatique transforme en enfer les seuls moments où elle pourrait récupérer, et organiser sa défense et sa fuite. 

Être envahie par sa mémoire traumatique et revivre les violences est tellement intolérable pour la victime, qu’elle doit à tout prix trouver des stratégies de survie pour y échapper ou l’anesthésier. Mais ces stratégies sont coûteuses et handicapantes, elles sont au nombre de deux : des conduites d’évitement et de contrôle (mise en retrait, conduites phobiques et obsessionnelles), et des conduites dissociantes (addictions pour s’anesthésier : alcool, drogues, tabac, troubles alimentaires ; mises en danger ; auto-mutilations et conduites à risque pour générer un stress important et provoquer une disjonction afin d’obtenir une anesthésie émotionnelle). Ces stratégies de survie vont participer à enfoncer un peu plus la victime dans une culpabilité et mésestime d’elle-même, et à la confusionner  en raison du caractère paradoxal et incompréhensible de certaines (conduites à risque et mises en danger). 

L’emprise où comment le piège se referme sur la victime

Ces états de dissociation et ces allumages de mémoire traumatique vont empêcher la victime de comprendre ses réactions et ses émotions : d’un côté elle sait qu’elle subit des violences graves, mais comme elle est coupée de ses émotions, elle doute ; de l’autre elle est colonisées par des images, des émotions, des sensations, des phrases, qu’elle ne peut pas relier à des situations précises qui surviennent à l’improviste et qui lui font craindre d’être folle. Cet état de doute, d’incertitude, de confusion permet à l’auteur de consolider son emprise, de la manipuler et de lui dicter des émotions, de lui imposer des pensées et un rôle dans sa mise en scène.

Comment, dans ces conditions, la victime peut-elle échapper à l’emprise de l’agresseur, comment peut-elle envisager de se défendre et de recouvrer son autonomie ? Elle est sans cesse sous son contrôle, même quand il n’est pas là ! Et si elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est en sécurité, elle sortira alors de sa dissociation, et sera envahie par sa mémoire traumatique. Au lieu de se sentir enfin en sécurité et plus sereine, elle ressentira une détresse intolérable et subira des attaques intra-psychiques qui la culpabiliseront et la disqualifieront.

Il y a alors un grand risque qu’elle retourne avec son agresseur qui, en ayant le pouvoir de la dissocier aussitôt, va l’anesthésier ; elle pourra croire qu’elle l’a dans la peau et qu’elle est dépendante de lui et qu’elle ne peut pas s’en passer de lui, alors que c’est dans son amygdale cérébrale qu’il loge !

Ce comportement, en apparence paradoxal, est un processus psychotraumatique habituel qui aurait pu être traité, ou tout au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses qui l’empêchent de se libérer de son conjoint violent, la condamnant à des allers et retours qui vont encore plus la priver de soutien, les proches et les professionnels ne comprenant et ne supportant pas ces comportements qu’ils jugent incohérents (Salmona, 2015).

Cette oscillation entre dissociation traumatique et mémoire traumatique explique pourquoi la victime est souvent condamnée à rester sous l’emprise de son conjoint. Le piège est refermé sur elle, seules une protection et une prise en charge par des professionnels formés en psychotraumatologie qui seront en mesure de lui donner les bonnes explications, de l’aider à identifier les stratégies dissociantes de son conjoint, et de traiter ses traumatismes à l’aide d’une psychothérapie spécialisée, en intégrant sa mémoire traumatique en mémoire autobiographique, pourront lui permettre de s’en libérer.

LE TRAITEMENT DES TROUBLES PSYCHTRAUMATIQUES

Le traitement des troubles psychotraumatiques est essentiellement psychothérapique centrée sur la mémoire traumatique des violences (Van der Hart, 2010). Il nécessite un travail en réseau avec tous les autres acteurs de la prise en charge, et dans la mesure du possible que la victime soit totalement protégée des violences, de leur contexte et de l’agresseur, ce qui est souvent très compliqué, même après séparation, surtout quand il y a des enfants et des droits de garde, la justice ne prenant pas toujours suffisamment en compte la nécessité de protéger la mère et les enfants traumatisés de tout contact avec le conjoint violent. La persistance d’un contact met en danger les victimes de subir de nouvelles violences, de les re-traumatiser et de réactiver les processus de dissociation qui les vulnérabilisent, et sont un facteur de risque pour leur santé et un frein pour le traitement. De même, les victimes ne doivent pas être exposées à des situations de précarité.

Un bilan de santé global doit être fait, en raison des répercussions importantes de ces violences sur la santé autant mentale que physique. Une chimiothérapie associée permet de contrôler le stress avec des béta-bloquants ( Pitman et al., 2002 ) ; l'anxiété, la dépression et les attaques de panique peuvent nécessiter de façon transitoire des antidépresseurs sérotoninergiques et des anxiolytiques, et la douleur des antalgiques, et bénéficier de prises en charge psycho-corporelles. 

Le travail psychothérapique a pour but d’intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique. Cela se fait dans un premier temps en donnant aux victimes et à leurs proches protecteurs des informations et des explications précises et détaillées sur leurs droits et sur les troubles psychotraumatiques, leurs mécanismes et leurs impacts, ce temps de psycho-éducation est un temps thérapeutique  fondamental. Dans ce cadre les groupes de parole peuvent être d’un grand apport. Il s’agit de lutter contre le déni et tous les stéréotypes, de remettre le monde à l’endroit, de permettre aux victimes de se comprendre, de connaître leurs droits, de dénoncer les stratégies mystifiante de leurs conjoint violent, et de se libérer de sentiments de honte et de culpabilité. 

Ensuite, le travail psychothérapique en identifiant, en comprenant puis en reliant chaque manifestation de la mémoire traumatique aux violences dont elle est la réminiscence, permet de la re-contexualiser et de réintroduire des représentations mentales qui permettent de rétablir un contrôle émotionnel efficace sur la mémoire traumatique et de pouvoir ainsi la désamorcer. Ce travail de déminage permet de créer suffisamment de sécurité pour qu’il soit possible de "revisiter" pas à pas le vécu des violences, de toutes les violences, dont très souvent les premières remontent à l’enfance. Il s'agit de "réparer" l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l'irreprésentabilité des violences (Van der Kolk, 1991 ; Foa, 2006) pour que le vécu puisse devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, chaque réaction, chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte ainsi que le comportement et la stratégie de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l'hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale, de rétablir des connexions neurologiques et d'encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable (Nijenhuis, 2004). Parallèlement à l'efficacité clinique du traitement, la neuro-imagerie montre une augmentation du volume de l'hippocampe avec une neurogenèse et une restauration dendritique : les atteintes neuronales ne sont donc pas définitives (Ehling, 2003).

Le but de la psychothérapie, que ce soit pour le psychothérapeute ou le patient, est donc de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de la mettre en perspective avec les violences subies, et pouvoir ainsi la désamorcer (Foa, 2006, Salmona, 2012). Il s’agit, pour le patient, de devenir expert en gestion et en « déminage », et de poursuivre le travail seul, pour que la mémoire traumatique se décharge de plus en plus et que les conduites dissociantes ne soient plus nécessaires. La sensation de danger permanent s’apaise alors, et petit à petit il lui devient possible de sortir de la dissociation, de se décoloniser de la mémoire traumatique, de retrouver sa cohérence, de se réconcilier avec soi-même et d’arrêter de survivre pour vivre enfin en étant enfin lui-même.

De plus ce travail de compréhension permet à la victime d’éviter d’être traumatisée par de nouvelles violences. Une fois que les violences prennent sens par rapport au passé traumatisant de l’agresseur, que les victimes se rendent comte que les violences ne les concernent absolument pas, qu’elles se jouent sur une autre scène, celle de la mémoire traumatique de l’agresseur et de son passé, le scénario mis en scène par l’agresseur ne fonctionne plus, il devient possible aux victimes de ne plus être piéger et de ne plus y participer. À partir du moment où les victimes comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle dans lequel l’agresseur tente de les piéger et s’en libérer, elles ne sont plus la proie pétrifiée dont l’agresseur a besoin pour sa mise en scène. Le «jeu» ne fonctionne plus, la victime peut se mettre «hors-jeu» et laisser l’agresseur face à une scène où il ne peut plus jouer le rôle de bourreau, faute de victime pétrifiée. Son histoire, qu’il imposait à la victime, lui est renvoyée en pleine figure, en miroir. Il est alors ramené à son propre rôle originel, un rôle de victime qu’il ne veut surtout pas jouer. Le «jeu» n’a donc plus de sens, plus d’intérêt et il n’est plus dissociant, l’agresseur devra se dissocier autrement ou se calmer. Face à lui, la victime est devenue comme Persée face à Méduse, sa compréhension est le bouclier miroir offert par Athéna (déesse de la sagesse et de la raison) à Persée, elle lui évite d’être pétrifiée par le regard de Méduse.

CONCLUSION

Au total, les mécanismes psychotraumatiques neuro-biologiques de disjonction et leurs conséquences sont essentiels à comprendre, ils permettent aux professionnels de prendre en compte les processus d’emprise que subissent les victimes et de comprendre les symptômes et les comportements des victimes, et de mieux les protéger et les prendre en charge et les soigner. 

Pour les victimes il est déjà très libérateur d’apprendre que leurs symptômes, leur souffrance, leur mal-être, leurs troubles du comportements sont des conséquences des violences, sont cohérents et normaux à la lumières des processus psychotraumatiques (MacFarlane, 2010), qu’elles ne sont pas folles, ni débiles, ni incapables, etc. Les femmes victimes nous rapportent à quel point cela change tout pour elles. Soudain elles ont des clés qui leur permettent de comprendre ce qu’elles ressentent, d’expliquer des comportements qui sont en fait des stratégies de survie, et de pouvoir en sortir, de ne plus être piégées par certaines réminiscences de leur mémoire traumatique qui leur imposent une pseudo-réalité, et de pouvoir faire le tri entre ce qu’elles sont et ce qui les colonise. 

Cette compréhension leur permet de renouer avec leur estime de soi, leur sentiment de dignité, d’unité, de cohérence et de sécurité intérieure, d’être moins vulnérables et de ne plus se sentir coupables. Elle leur permet également de démonter le système agresseur, d’identifier l'incohérence et la stratégie intentionnelle à l’œuvre chez l’agresseur, ce qui leur permet de déjouer leur pouvoir sidérant et dissociant, et de pouvoir mieux se défendre, de dénoncer les violences, de ne plus être manipulées, et de ne plus être sous emprise (Salmona, 2015).

L’information sur les troubles psychotraumatique et leurs mécanismes, la formation des professionnel, et la mise en place de centre de soins spécialisés et accessibles sont des impératifs si l’on veut que les droits des victimes soient enfin respectés : droit à la protection et à la sécurité, droit à la santé et à des soins de qualité, droit à une prise en charge sociale, droit à la justice et à des réparations. 


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mercredi 7 juin 2017

Article Dre Muriel Salmona LIEN ENTRE VIOLENCES, PSYCHOTRAUMATISMES ET TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE


LIEN ENTRE
VIOLENCES, PSYCHOTRAUMATISMES

ET TROUBLES DU COMPORTEMENT 
ALIMENTAIRE

07 juin 2017


Dre Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, 
présidente de l’association Mémoire Traumatique et victimologie




TÉMOIGNAGE 

LU LORS DE LA CONFÉRENCE-DÉBAT À REIMS «TRAUMATISMES ET TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE » co-organisée le 19 mai 2017 par l’association Le Regard du Miroir et le Prof. Bertin du CHU de Reims, où je suis intervenue :




Je m’appelle Margaux, j’ai une quarante d’année. 
J’ai été victime d’inceste, humiliée pendant de nombreuses années, par des membres de ma famille.  

Les conséquences ont été dramatiques. 
Je me suis renfermée sur moi même, avec des accès d’ agressivité. 
L’énurésie a fait partie de toutes mes nuits jusqu’à mes 18 ans.
Mais les médecins vont dire à ma mère que je suis une paresseuse; c’est pour cela que je ne me lève pas la nuit. En même temps dès l’âge de 8 ans je vais être sous antidépresseurs accompagnés de sanctions. Je devais laver mes draps seule. 

Je suis une enfant obèse, depuis l’adolescence je vais tomber dans l’enfer de la  boulimie avec des périodes de restrictions importantes .Je vais être mise dans la case « sans volonté », paresseuse. Une fois de plus.
Je n’arrivais pas à apprendre, me concentrer à l’école et j’étais en plus toujours malade. 

Mon corps, va tellement exprimer mon mal être que petite je vais faire des otites à répétition, puis à l’âge adulte je vais faire des infections urinaires. Je ne les compte plus tellement elles sont nombreuses. 
J’étais tout le temps douloureuse.
J’abusais de médicaments, j’ai fait plusieurs tentatives de suicide. J’étais  dans une grande détresse.

Je n’étais pas comprise. J’aurais pu sombrer dans la folie, la drogue, l’alcoolisme .
Jusqu’au jour où j’ai rencontré un médecin, qui m’a écouté et respecté . 
Il ne s’est pas arrêté à mon problème de poids mais est allé voir ce qui se cachait derrière.

J’étais entendue, comprise, sans jugement.Ce médecin ne s’est pas arrêté aux symptômes physiques. J’ai eu accès à un suivi psychologique et orientée vers l’association.
J’ai dû aller guérir mes plaies les plus profondes. 

Aujourd’hui, je vais bien.

Je suis passée de la survie à la vie.
Mon corps n’est plus douloureux, je ne suis plus dans les Troubles Alimentaires. 
Je me sens libre. 

Merci à ce médecin qui m’a  comprise et m’a profondément aidée.



ARTICLE DE LA DRE MURIEL SALMONA

Article télécharchargeable en PDF 
ICI sur le site Mémoire Traumatique et Victimologie :
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20170519_lien_entre_TCA_et_psychotraumatisme_web.pdf

MISE EN PERSPECTIVE  :

Violences et psychotraumatismes

De très nombreuses recherches internationales, toutes concordantes, ont démontré que les violences ont de lourdes conséquences à court, moyen et long termes sur la santé physique et mentale des personnes qui en sont victimes ou témoins (Felitti, 1998, MacFarlane, 2010, Garcia-Moreno, 2010, Blake, 2011). 

Et nous savons, depuis la grande étude épidémiologique des Dr Felitti et Anda sur les violences et expériences négatives familiales dans l'enfance (étude ACE - Adverse Childhood Expériences - conduite auprès de 17424 personnes adultes du département de médecine préventive Kaiser permanente dont les premiers résultats ont été publiés en 1998), qu’il y a une forte corrélation entre l'ampleur de l'exposition aux violences pendant l'enfance et les principales causes de morbidité et de décès précoces chez les adultes. Avoir subi des violences dans l’enfance est la première cause de suicide, de dépression, de conduites addictives, d’obésité, et peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie (Felitti, 1998 ;Brown, 2009).

Cet impact des violences sur la santé en font un problème de santé publique majeur. Il est lié à la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques, les violences ayant le plus fort impact traumatique étant celles faites aux enfants ainsi que les violences sexuelles et les violences conjugales touchant majoritairement les femmes (Breslau,1991; Astin, 1995 ; Rodriguez, 1997). 

Les troubles psychotraumatiques (dont l’état de stress post-traumatique ESPT ou PTSD en anglais) sont définis comme des troubles psychiques complexes organisés autour de symptômes de reviviscence de traumatismes (mémoire traumatique) associés à des symptômes d’évitements, des symptômes dissociatifs, des symptômes dysphoriques et des symptômes d’hyperactivation survenant à la suite de la confrontation d'un individu à un ou plusieurs événements stressants vécus comme particulièrement agressifs ou dangereux, impliquant le plus souvent une menace vitale (Louville et Salmona 2013). Ces troubles psychotraumatiques sont des réponses normales et universelles à des traumatismes majeurs,  toutes les victimes qu’elles que soient leur âge, leur sexe, leur milieu socio-culturel, leurs origines, leur histoire et leur personnalité peuvent en être atteintes. Le risque de survenue d’un psychotraumatisme existe pour des traumatismes de toute sorte (catastrophes naturelles, accidents, violences) mais il est plus élevé après certains types d’événement, et notamment après les différentes formes d’agression interindividuelle. En dehors de situations de conflits armés, les violences qui vont avoir le plus d’impacts traumatiques sont les violences intra-familiales, conjugales et surtout sexuelles qui touchent principalement les enfants et les femmes, c’est pour cela qu’en population générale les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à présenter un ESPT. Après un viol ou une agression sexuelle, les études montrent que jusqu’à deux tiers des victimes vont souffrir d’ESPT, les agressions sexuelles représentant la cause la plus fréquente d’ESPT chez les femmes (Louville et Salmona 2013). Ces troubles psychotraumatiques, qui s’installent dans la durée, sont associés avec de nombreuses pathologies telles que la dépression, les conduites addictives, les accidents ischémiques coronariens, thrombo-emboliques, le diabète, le syndrome métabolique, des troubles uro-génitaux, des douleurs chroniques, etc.  (Couglihn, 2011)

Des preuves récentes documentent les impacts neuro-biologiques de la violence, démontrant que le stress traumatique subi en réponse à la violence et à d’autres situations traumatiques peut « nuire à l'architecture du cerveau, au statut immunitaire, aux systèmes métaboliques et aux réponses inflammatoires» (Hillis, 2016, Heim, 2013 ; Rauch, 2006 ; Nemerof, 2009) et être à l’origine de dysfonctionnement des circuits émotionnels et de la mémoire, responsable de troubles dissociatifs et d’une mémoire traumatique qui faute de soins, s’installent dans la durée. Cette mémoire traumatique colonise les victimes leur faisant revivre à l’identique les violences au moindre lien qui les rappelle, comme une torture toujours renouvelée. Ces reviviscences sont tellement intolérables que les victimes traumatisées sont contraintes de mettre en place des stratégies de survie hors normes : conduites d’évitement, de contrôle pour que la mémoire traumatique ne se déclenche pas, conduites à risque dissociantes pour l’anesthésier et soulager ainsi la souffrance quand elle se déclenche (mises en danger, conduites addictives, etc.). Ces conduites de survie auront de lourdes répercussions sur leur qualité de vie et leur santé (Louville et Salmona, 2013).

Troubles du comportement alimentaire

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) font partie de ces conséquences sur la santé à court moyen et long termes de violences et de traumatismes subis que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte, et sont associés à la présence de troubles psychotraumatiques. Ils sont l’expression d’une mémoire traumatique, ou de stratégies de survie pour y échapper ou l’anesthésier. Les liens entre violences, psychotraumatismes et troubles du comportement alimentaire, que ce soit de l’anorexie, de la boulimie ou de l’hyperphagie boulimique, ainsi qu’avec une obésité, sont très bien documentés dans la littérature scientifique internationale, et encore plus particulièrement avec les violences sexuelles et les maltaitances (Brewerton, 2003 ; Kubzansky, 2014 ; Vierling, 2015 ; Caslini, 2016, Palmisano, 2016)

Connaître ces liens est essentiel, cela permet de mieux comprendre et prendre en charge les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, et de leur rendre enfin justice en reconnaissant l’origine traumatique de leur souffrance, comme conséquence de violences commises le plus souvent par un proche avec la volonté de porter atteinte à leur intégrité physique et mentale, et à leur dignité. Les troubles du comportement alimentaire ne sont pas des comportements auto-destructeurs, ils ne sont pas dus à un manque de volonté, ni à des troubles psychiatriques, ce sont des symptômes psychotraumatiques et des tentatives désespérées, dans la plus grande solitude, de trouver des solutions protectrices pour avancer pas à pas malgré de profondes blessures invisibles, et des souffrances indicibles et incontrôlables que personne n’imagine, ni ne comprend. Ces troubles du comportement alimentaire sont très coûteux et handicapants, et ils ont un fort potentiel addictifs et sont tous associés à un risque élevé de mortalité, l’anorexie étant des trois le plus à risque (Sminck, 2012).

La méconnaissance de nombreux professionnels de la santé de la relation entre violences, psychotraumatismes et troubles du comportement alimentaire, et de la réalité et l’ampleur des violences et de leurs conséquences psychotraumatiques est préjudiciable pour les personnes qui souffrent de TCA. Elle représente pour elles, une perte de chance importante, et un risque d’aggraver leur souffrance et de les exposer à des maltraitances dans le cadre des soins (Salmona, 2013, 2015)

Le traitement uniquement symptomatique des troubles du comportement alimentaire est souvent voué à l’échec, avec des régimes, des hospitalisations et des rechutes à répétition tant que l’origine psychotraumatique des troubles du comportement alimentaire, la souffrance liée à la mémoire traumatique ne sont pas identifiées, analysées, mises en sens et traitées.

Le traitement de la mémoire traumatique est essentiellement psychothérapique, il passe par son intégration en une mémoire explicite narrative : une mémoire autobiographique, consciente et contrôlable qui n’aura plus de pouvoir colonisateur et ne sera plus traumatisante. 

Il nécessite un travail de psycho-éducation auprès du patient et de son entourage pour informer et expliquer les mécanismes psychotraumatiques et le fonctionnement de la mémoire traumatique, ainsi qu’un accompagnement éclairé, sécurisé, patient et bienveillant avec des professionnels formés à la prise en charge des psychotraumatismes. La prise en charge doit être pluridisciplinaire, holistique (psychothérapique, somatique, psycho-corporelle, sociale, juridique si besoin).

Au fur et à mesure que la mémoire traumatique est traitée, les stratégies de survie disparaissent, elles ne sont plus nécessaires. Une réparation neurologique avec neurogénèse (Ehling, 2003) peut alors se faire, ce qui permet aux victimes de récupérer leurs compétences cognitives et émotionnelles, et de retrouver ou de découvrir un sentiment de cohérence et d’unité, de retrouvailles avec elles-même : «Je suis passée de la survie à la vie. Mon corps n’est plus douloureux, je ne suis plus dans les Troubles Alimentaires  Je me sens libre.»

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LES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE, QUELLES RÉALITÉ 


Les troubles du comportement alimentaire ( TCA) : anorexie (AN), boulimie (BN) et hyperphagie boulimique (BED), définis par le DSM V (American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders V, 2013), sont bien plus fréquents chez les femmes que chez les hommes (3 fois plus hormis pour l’hyperphagie boulimique). Leur prévalence en population générale est estimée respectivement à 4% pour l’anorexie, 2% pour la boulimie et 2% pour l’hyperphagie boulimique (Sminck, 2013)

1- L’anorexie, se définit par des restrictions énergétiques menant à un poids inférieur au poids normal pour le sexe, l’âge et la taille, associé à une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, et à une altération de la perception du poids et du corps avec une influence sur l’estime de soi et un déni de la gravité de la maigreur actuelle. 

2- La boulimie, se définit par la survenue récurrente de crises  avec une importante absorption de nourriture en un temps limité, et un sentiment de perte de contrôle, associées à des comportements compensatoires visant à prévenir la prise de poids (vomissements, laxatifs, jeûne, activité physique, etc.). Les crises et les comportements compensatoires doivent survenir au moins  une fois par semaine sur une période de 3 mois. L’estime de soi est influencée par le poids et la silhouette. Le trouble peut apparaître sans épisode d’anorexie.

3- L’hyperphagie boulimique (en anglais B.E.D., Binge Eating Disorder) se définit par la survenue récurrente de crises de boulimie avec un sentiment de perte de contrôle. Les crises sont associées à au moins 3 des critères suivants : 
  • la prise alimentaire extrêmement rapide et bien supérieure à la normale  ;  
  • le fait de manger jusqu'à ressentir une distension abdominale inconfortable ; 
  • le fait de manger de grandes quantités de nourriture sans sensation de faim ; 
  • le fait de manger seul pour ne pas se sentir gêné de manger une telle quantité de nourriture  ; 
  • le fait après les crises, de ressentir un dégoût de soi, une dépression ou une grande culpabilité .
Le comportement boulimique est source de souffrance marquée, il survient au moins un fois semaine sur une période de 3 mois. Il n’est pas associé à des comportements compensatoires et il n’intervient pas exclusivement au cours de l’anorexie ou de la boulimie.

Ces troubles alimentaires démarrent le plus souvent à l’adolescence avec des passages fréquents d’une des 3 formes à l’autre. Ils ont un caractère compulsif et envahissant, ils sont fréquemment associés à de multiples régimes et à une altération sévère de l’estime de soi et de l’image corporelle. 


Ils s’installent dans la durée avec de lourdes conséquences sur la qualité de vie et sur la santé, et ils sont surtout pour l’anorexie et la boulimie et dans une moindre mesure pour l’hyperphagie boulimique associés à une augmentation de la mortalité si une prise en charge adaptée n’est pas mise en place. Les taux de récupération à 5 ans pour l’anorexie mentale et la boulimie sont respectivement de 69 et 55% (Sminck, 2013).


Ces troubles du comportement alimentaire sont l’indice d’une très importante souffrance mentale et d’une tentative pour y échapper ou la soulager en l’anesthésiant. Il s’agit de conduites de survie qui s’imposent comme seules solutions disponibles, leur efficacité n’étant que transitoire, ces conduites se répètent, avec des phénomènes de dépendance et de tolérance qui les aggravent. 

Cette souffrance mentale, rarement identifiée comme telle par l’entourage et par certains professionnels, est le plus souvent due à des troubles psychotraumatiques, et plus particulièrement à une mémoire traumatique incontrôlable, véritable torture faisant revivre à l’identique les pires moments de traumas subis antérieurement, avec les mêmes sentiments de détresse, de désespoir et de terreur, les mêmes douleurs, etc. Ces traumas sont majoritairement des violences subies dans l’enfance (violences physiques, sexuelles et psychologiques, négligences, exposition à des violences conjugales, à un homicide), mais également abandon, décès d’un parent ou d’un frère ou une soeur, incarcération d’un membre de la famille, elles peuvent être également dus à des violences à l’âge adulte (violences sexuelles, violences conjugales, violences au travail, violences de guerre, tortures) et à d’autres situations traumatiques que des violences (catastrophes naturelles, incendie, accidents, décès brutal ou par suicide d’un proche, survenue d’une maladie grave ou d’un handicap, situations de migration ou de très grande précarité, etc.

En effet les études scientifiques internationales ont montré :
  • que les troubles psychotraumatiques (ESPT) sont fréquemment associés à des troubles compulsifs alimentaires ( TCA) : anorexie, boulimie et hyperphagie boulimique (Brewerton, 2003  ; Vierling, 2015) ;
  • que les troubles psychotraumatiques (ESPT) augmentaient le risque d’obésité, particulièrement chez les femmes et les enfants ayant subi des violences (Kubzansky , 2014 ;  Masodkar, 2016, Pas) ;
  • que les expériences négatives de l’enfance (ACE Adverse Childhood Experience), sont un facteur de risque majeur de présenter une obésité et des troubles compulsifs alimentaires à l’âge adulte, elles peuvent être retrouvées dans plus de 70% des cas d’obésité (études épidémiolgiques de Feltti et Anda, 1998, Palmisano, 2016) ;
  • que les méta-analyses montrent que toutes les violences subies dans l’enfance (violences physiques, sexuelles et psychologiques) sont fortement associées à des troubles compulsifs alimentaires et à une obésité, tout au long de la vie avec des Odds Ratios supérieurs à 3, les violences sexuelles étant plus spécifiquement associées à la boulimie et à l’hyperphagie boulimique (Caslini, 2016 ; Palmisano, 2016) ;
  • que plus de 30% des victimes de violences sexuelles présentent des troubles du comportement alimentaires (IVSEA, 2015).
Les troubles du comportement alimentaire font donc partie des conséquences psychotraumatiques des violences, plus particulièrement des violences subies dans l’enfance et des violences sexuelles. 

La plus forte prévalence des troubles compulsifs alimentaires chez les femmes s’explique par le fait qu’elles sont plus touchées par les violences qui sont les plus traumatisantes comme les violences sexuelles.

Les troubles compulsifs alimentaires sont soit l’expression d’un allumage de mémoire traumatique, ou soit de stratégies de survie  (conduits d’évitement, de contrôle ou conduites dissociantes anesthésiantes) pour échapper à cette mémoire traumatique. La dimension symbolique et affective des aliments et de l’alimentation en font de puissants stimuli susceptibles d’entrer en lien avec des situations de violences et d’entraîner des allumages de mémoire traumatique, des évitements phobiques ou des conduites dissociantes (Bertin, 2017).  

Devant tout trouble alimentaire chez un enfant, un adolescent ou un adulte, il est donc essentiel de rechercher si des violences ont été subies ou sont subies, les professionnels de la santé devraient poser systématiquement la question à tous leurs patients puisque :
  • la majorité des personnes présentant des troubles du comportement alimentaire ont subi des violences  particulièrement dans l’enfance, et le plus souvent sexuelles ;
  • les troubles compulsifs alimentaires sont liés à l’impact psychotraumatique des violences, et sont soit l’expression d’un allumage de mémoire traumatique, ou soit de stratégies de survie  (conduits d’évitement, de contrôle ou conduites dissociantes anesthésiantes) pour échapper à cette mémoire traumatique.
  • les violences que subissent les femmes et les enfants sont fréquentes et se rencontrent à tous les âges et dans tous les milieux, le plus souvent elles ne sont pas connues ni dénoncées car elles font l’objet d’un déni et d’une loi du silence, et les traumatismes que présentent les victimes les empêchent de les révéler ;
  • les violences représentent un facteur de risque majeur pour la santé des victimes tout au long de leur vie si les victimes ne sont pas protégées et si leurs troubles psychotraumatiques ne sont pas soignés ; 
  • la prise en charge des psyhotraumatismes est nécessaire pour faire régresser les troubles compulsifs alimentaires et éviter d’autres violences ;
  • la reconnaissance des violences subies et de leur impact psychotraumatique dans la génèse des troubles compulsifs alimentaires est déculpabilisante et libératrice pour les victimes, elle leur rend justice, leur permet de mieux se comprendre et de faire des liens qui vont les aider à contrôler leurs troubles, elle est thérapeutique en soi ; inversement la méconnaissance fréquente par les professionnels de ce lien entre violences et TCA, ainsi que des troubles psychotraumatiques auxquels ils ne sont souvent pas formés représente une perte de chance pour les personnes souffrant de TCA et un risque de subir des maltraitances institutionnelles.

LES VIOLENCES, QUELLES RÉALITÉS ?

Dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques (Enquête Hillis citée par l’OMS 2016).

En France, nous avons très peu de chiffres et pas encore d’enquête de victimation directe auprès des enfants. Cependant, à partir de d’enquêtes faites auprès d’adultes qui rapportent les violences subies dans leur enfance, on peut estimer que chaque année plus de 150 000 enfants subissent des maltraitances physiques, 124 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viols (CSF 2008, CVS-ONDRP 2012-2015), 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (CVS-ONDRP 2012-2015), et plus de 300 enfants sont tués (Turz, 2010).

Dans le monde, une femme sur trois a subi des des violences physiques et sexuelles (OMS, 2013)

En France, nous avons des chiffres provenant d’enquêtes de victimation 10% des femmes déclarant dans l’enquête ENVEFF (2000) avoir subi des violences conjugales dans l’année qui précède, ce chiffre passant à 25% pour les femmes les plus jeunes (3). 223 000 femmes en 2014, 14% qui portent plainte Plus d’1 femme sur 5 (20,4%), déclare dans l’enquête CSF (2008) avoir subi au moins une fois dans sa vie une forme de violences sexuelles (attouchements forcés, tentative de rapports forcés, ou rapports forcés) (4). Parmi elles, 6,8% déclarent au moins un rapport sexuel forcé au cours de leur vie (tandis que les hommes sont 6,8 % à déclarer au moins une forme de violences sexuelles au cours de sa vie et 1,6 % au moins un rapport sexuel forcé). Les femmes et les filles sont chaque année 203 000 a subir un viol ou une tentatives de viol (84 000 pour les femmes adultes, plus de 120 000 pour les mineures) 10% qui portent plainte (

Les sphères orales et alimentaires ainsi que le corps et son apparence physique sont le terrain privilégié de nombreuses violences subies ayant souvent débuté très jeunes, le plus souvent commises par le milieu familial, le conjoint et par l’entourage proche :

violences sexuelles : viol par pénétration orale, agression sexuelle par baiser forcé, intrusion de la langue, ou par des contraintes à embrasser ou lécher des parties sexuelles, harcèlement sexuel avec mises en scène, blagues et propos déplacés à connotation sexuelle par rapport à la bouche, à la façon de manger, à ce qui est mangé , à des parties du corps et à la corpulence. Lors de violences sexuelles, les agresseurs utilisent fréquemment des références à l’alimentation : «suce», «avale», «goûte ça», «c’est comme une glace, une sucette», «c’est bon, tu aimes ça», «petite gourmande»,…


violences physiques : forçages ou privations alimentaires, contraintes à ingérer des choses répugnantes, violences éducatives concernant l’alimentation avec des punitions concernant l’alimentation, violences intra-familiales ou conjugales lors des repas

violences psychologiques : climat de menaces et de chantages pendant les repas, injures, remarques, moqueries, critiques incessantes et humiliations par rapport aux conduites alimentaires, à la façon de manger, à l’aspect physique et à la corpulence

et également des négligences alimentaires

Toutes ses violences peuvent entraîner une mémoire traumatique  à long terme et une dissociation traumatique tant que les violences perdurent ou que la victime reste en contact le ou les agresseurs.


LES CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES LIÉS AUX VIOLENCES

L'exposition précoce à la violence a été reconnue par la communauté scientifique internationale et l’Organisation Mondiale de la Santé comme un problème majeur de santé publique, et comme la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l’âge adulte, c’est, comme l’a démontré la grande enquête épidémiologique de Felitti et Anda en 1998, le déterminant principal de la santé 50 ans après, et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie (Brown, 2009). 

Toujours selon Felitti et Anda c’est également le principal risque, tout au long de sa vie : de faire des tentatives de suicides, d’être alcoolique, toxicomane, tabagique, d’être obèse et d’avoir des troubles du comportement alimentaire comme nous l’avons vu, d’avoir des comportements à risque, de faire des dépressions et de subir à nouveau des violences, ou d’en commettre. Ces risques sont gradués en fonction de la gravité des violences et de leur nombre. De très forts liens sont également retrouvés avec de nombreuses maladies organiques : cardio-vasculaires, gynécologiques, digestives, neurologiques, infectieuses, auto-immunes, etc., et avec des douleurs chroniques.

Ces lourdes conséquences sur la santé mentale et physique sont dues à l’impact psychotraumatique des violences. Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales et universelles des violences qui s’expliquent par la mise en place de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie face à un stress extrême, à l’origine d’une dissociation et d’ne mémoire traumatiques (McFarlane, 2010).

 Les atteintes spécifiques, très bien documentées actuellement, sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire. Elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM, avec une diminution de l’activité et du volume de certaines structures et de l’épaisseur de certaines zones du cortex (par diminution du nombre de synapses), et pour d’autres une hyperactivité, ainsi qu’une altération du fonctionnement des circuits de la mémoire et des réponses émotionnelles (Rauch, 2006 ; Nemerof, 2009 : Heim, 2013)

Sans une prise en charge adaptée, ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils ne sont pas liés à la victime mais à la gravité de l’agression et à l’intentionnalité destructrice de l’agresseur, Ils sont à l’origine pour les victimes traumatisées non seulement de graves conséquences sur leur santé mais également d’une très grande souffrance mentale, d’une perte d’estime de soi, et d’un impact considérable sur leur vie scolaire, professionnelle, sociale, affective et sexuelle, et d’un risque important de subir à nouveau des violences.

Les mécanismes neurobiologiques à l’origine des psychotraumatismes

La violence a un effet de sidération du psychisme qui paralyse la victime, l’empêche de réagir de façon adaptée, et empêche son cortex cérébral de contrôler l'intensité de la réaction de stress et sa production d'adrénaline et de cortisol. 

Un stress extrême, véritable tempête émotionnelle, envahit alors son organisme et - parce qu'il représente un risque vital (pour le cœur et le cerveau par l’excès d’adrénaline et de cortisol) (Yehuda, 2007) - déclenche des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont pour effet de faire disjoncter le circuit émotionnel, et d'entraîner une anesthésie émotionnelle et physique en produisant des drogues dures morphine et kétamine-like (Lanius, 2010). L'anesthésie émotionnelle génère un état dissociatif avec un sentiment d'étrangeté, de déconnection et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation puisqu'elle la perçoit sans émotion. 

Les enfants même très petits ou nouveaux-nés, sont particulièrement exposés lors de violences qu’ils subissent directement ou dont ils sont témoins à ces mécanismes de sidération et de dissociation.

Mais cette disjonction isole la structure responsable des réponses sensorielles et émotionnelles (l'amygdale cérébrale) de l'hippocampe (autre structure cérébrale, sorte de logiciel qui gère la mémoire et le repérage temporo-spatial, sans elle aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé). 


L'hippocampe ne peut pas faire son travail d'encodage et de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences, celle-ci reste piégée dans l'amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Elle va rester hors temps, non-consciente, à l'identique, susceptible d'envahir le champ de la conscience et de refaire revivre la scène violente de façon hallucinatoire, comme une machine à remonter le temps, avec les mêmes sensations, les mêmes douleurs, les mêmes phrases entendues, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et de terreur, de sensation de mort imminente (ce sont les flashbacks, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de panique…). C'est cette mémoire piégée dans l’amygdale qui n’est pas devenue autobiographique qu'on appelle la mémoire traumatique. 


Dissociation et mémoire traumatique à l'œuvre.

Tant que la victime sera exposée à des violences ou à la présence de l’agresseur ou de ses complices, elle sera déconnectée de ses émotions, dissociée. La dissociation, système de survie en milieu très hostile, peut alors s'installer de manière permanente donnant l'impression à la victime de devenir un automate, d'être dévitalisée, confuse, comme un "mort-vivant", privée de ses émotions et de ses sensations. la dissociation est une véritable hémorragie psychique qui vide la victime et qui annihile les désirs et sa volonté. Elle se sent perdue et ne se reconnaît plus. De ce fait, il lui est très difficile de s’opposer, de se projeter dans un autre espace, une autre vie, elle s’en sent incapable. Cet état facilite grandement l’emprise par l’agresseur qui en profite pour coloniser le psychisme de la victime et la réduire en esclavage.

La dissociation peut entraîner également une décorporalisation avec une anesthésie physique et sensorielle, le corps est perçu comme un corps étranger, la douleur, les sensations ne sont pas intégrées normalement, le schéma corporel peut être gravement perturbé. la tolérance à la douleur, au froid est alors très augmentée. Les sensations de faim, de soif, de fatigue, de satiété sont, elles aussi, perturbées (Salmona, 2013). 

Cette dissociation émotionnelle, physique et sensorielle, en plus de la mémoire traumatique sera au coeur de nombreux symptômes qu’on retrouve dans les troubles du comportement alimentaire.

Cette dissociation isole encore plus la victime et désoriente toutes les personnes qui sont en contact avec elle (Salmona, 2015). L’absence d’émotion et l’indifférence apparente d’une victime dissociée fait que le processus d’empathie automatique n’est pas activé par les neurones miroirs de ses interlocuteurs, et ils seront d’autant plus rares à se mobiliser pour elle, à la protéger e à prendre en compte sa souffrance alors qu’elle est gravement traumatisée et en danger. Ces troubles dissociatifs traumatiques suscitent fréquemment chez l’entourage et les professionnels indifférence, jugements négatifs, voire rejet et maltraitance.

Pendant la dissociation, l’amygdale et la mémoire traumatique qu’elle contient est déconnectée des fonctions d’intégration, et la victime n’aura pas accès émotionnellement aux événements traumatiques, elle n’en sera pas moins sera envahie par elle avec des flashbacks, mais sans impact en terme de stress, d’angoisse, de peur et de douleur, elle le vivra sans émotion, de façon détachée comme si un film défilait dans sa tête. Suivant l’intensité de la dissociation, elle pourra même être amnésique de tout ou partie des événements traumatisants, seules resteront quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails isolés. Cette amnésie traumatique est fréquente chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance (près de 60% des enfants victimes présentent des amnésies partielles des faits et 40% des amnésies totales (C). Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies.

Quand les victimes sortent de leur état dissociatif, la mémoire traumatique prend le relais.

Mais, si la dissociation disparaît, ce qui peut se produire quand la victime est enfin sécurisée et qu’elle n’est plus en permanence confrontée à des violences ou à son agresseur, ou lors d’une énième violence qui, parce qu’elle est encore plus extrême, fait déborder le système de sauvegarde, alors la mémoire traumatique peut se reconnecter. La victime peut soudain être confrontée, lors d’un allumage de sa mémoire traumatique à l’occasion d’une situation qui rappelle les violences, à un véritable tsunami d’émotions, d’images terrifiantes, de bruits, de paroles et d’odeurs  qui vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et détresse. Cela peut entraîner un état de peur panique, une suffocation, une sensation mort imminente, un sentiment de dégoût avec des nausées, une agitation, une angoisse intolérable et un état confusionnel tels que la victime peut se retrouver hospitalisée en psychiatrie en urgence (avec souvent un diagnostic de bouffée délirante), et c’est souvent accompagné d’un risque suicidaire très important, d’autant plus si la victime a été confrontée à une intentionnalité meurtrière, elle revit cette intentionnalité comme si elle émanait d’elle, dans une compulsion à se tuer. 

La mémoire traumatique est au cœur de tous les troubles psychotraumatiques. 

Aussitôt qu’un lien, une situation, un affect ou une sensation rappelle les violences ou fait craindre qu’elles ne se reproduisent, la mémoire traumatique envahit alors tout l’espace psychique de la victime de façon incontrôlable. Comme une « bombe à retardement », susceptible d’exploser, souvent des mois, voire de nombreuses années après les violences, elle transforme sa vie psychique en un terrain miné. 

Telle une « boîte noire », elle contient non seulement le vécu émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime, sa terreur accompagnée des mêmes états de sidération qui la paralyse et la glace à nouveau, des mêmes tremblements, palpitations, suffocations, elle sera envahie à nouveau par la peur panique de mourir, de tomber, de s’évanouir, par des nausées et des vomissements, par des pertes d’urine, des douleurs fulgurantes, etc.
Mais elle sera envahie également par tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte (lieux, heures, situations) et à l’agresseur (ses mimiques, ses mises en scène, sa haine, son mépris, son excitation sexuelle, ses cris, ses paroles, son odeur, etc.). Cette mémoire traumatique des actes violents et de l’agresseur colonise la victime, et lui fera confondre ce qui vient d’elle avec ce qui vient des violences et de l’agresseur. La mémoire traumatique des paroles et de la mise en scène de l’agresseur [« Tu ne vaux rien, tout est de ta faute, tu as bien mérité ça, tu aimes ça », « Tu n’es qu’une grosse vache », «avale, suce, tu n’es qu’une sale petite gourmande», etc.] alimentera chez elle des sentiments de honte, de culpabilité et d’estime de soi catastrophique, et celle de la haine, du mépris et de l’excitation perverse de l’agresseur pourront lui faire croire à tort que c’est elle qui les ressent, ce qui constituera une torture supplémentaire, elle n’aura alors que mépris et haine pour elle-même, pour son corps.

 Et plus les violences ont eu lieu tôt dans la vie des victimes, plus ces dernières seront obligées de se construire avec ces émotions, ces sensations de terreur, ces actes et ces propos pervers, à devoir lutter contre eux sans les comprendre, et sans savoir où se trouve la ligne de démarcation entre leur vraie personnalité et leur vraie sexualité, et ce qui est dû à leur mémoire traumatique (Van der Hart, 2010 ; Salmona, 2013).

Avec cette mémoire traumatique, les victimes contre leur gré se retrouvent donc à revivre sans cesse les pires instants comme une torture sans fin, elles ont peur d'être folles, et se sentent étrangères aux autres et à elles-mêmes. Avec ces sensations, les agresseurs restent éternellement présents, à imposer aux victimes les mêmes actes atroces, les mêmes pénétrations, les mêmes phrases assassines, le même regard pervers sur elles et leur corps, la même souffrance délibérément induite, la même jouissance perverse à les détruire et à imposer leurs mises en scène mystificatrices et dégradantes, avec une haine, un mépris, des injures et des propos qui ne les concernent en rien (Salmona, 2013).

Les stratégies de survie : conduites d’évitement et conduites dissociantes.

La vie devient un enfer pour les victimes, avec une sensation d’insécurité, de peur et de guerre permanente. Il leur faut une vigilance de chaque instant pour éviter les situations qui risquent de faire exploser cette mémoire traumatique. Des conduites d’évitement et de contrôle de l’environnement se mettent alors en place (phobies, TOC) et des conduites d'hypervigilance (avec une sensation de danger permanent, un état d'alerte, une hyperactivité, une irritabilité et des troubles de l'attention). Il s’agit d’éviter tout ce qui pourrait rappeler consciemment ou non les violences, tout ce qui pourrait allumer leur mémoire traumatique, en se basant tout d’abord sur les expériences traumatisantes d’allumage déjà vécu, puis par précaution sur tout ce qui s’y apparenterait plus ou mois, et par extension à tout ce qui n’est pas connu ou nouveau, dans une terreur du moindre changement. Le terrain étant possiblement miné, il ne faut surtout plus bouger.

Par exemple, dans le cadre de violences sexuelles touchant la sphère orale, cela peut être par exemple ne pas supporter certains aliments en fonction de leur forme, de leur goût, de leur odeur, de leur couleur, ne pas supporter d’avoir des trop gros morceaux de nourriture dans la bouche, ne pas supporter tout ce qui est tiède et d’une certaine consistance, ne pas supporter d’aller chez le dentiste, d’être embrassé sur la bouche, ne pas supporter certains actes sexuels, ne pas pouvoir avaler un aliment qui a été touché par une autre personne, laver à de nombreuses reprises tout ce qui peut être porté à la bouche, ne pas supporter de manger en public, ou au contraire avoir des aliments fétiches toujours dans la bouche ou ne manger qu’extrêmement épicé pour ne rien sentir d’autre, etc. Il peut être également impossible de manger dans certaines conditions.

Vis-à-vis du corps, le voir nu, se laver peut-être insupportable, la moindre odeur corporelle ou sueur est intolérable, de même avoir des formes peut rappeler le corps qui a subi les violences ou le corps de celui qui les a commises et entraîner un contrôle et une restriction alimentaires très important, inversement un corps mince peut rappeler le corps qui a subi les violences ou le corps de celui qui les a commises et entraîner une prise de poids.

Pour d’autres violences avec des restrictions alimentaires très importantes punitives ou dues à de graves négligences, la faim peut être insupportable à ressentir, il s’agit alors de s’alimenter en continu, et inversement s’il y a eu des forçages alimentaires, etc.
Quand des violences intra-familiales ont eu lieu lors des repas, cela peut entraîner des évitements vis-à-vis de dîner familiaux.

Les victimes, particulièrement quand elles sont des enfants, essaient de se créer un monde sécurisé parallèle où elles se sentent en sécurité, qui peut être un monde physique (comme sa chambre, entouré d’objets, de peluches ou d’animaux qui les rassurent) ou mental (un monde parallèle où elles se réfugient continuellement). Toute situation de stress est à éviter, il est impossible de relâcher sa vigilance, dormir devient extrêmement difficile. Tout changement sera perçu comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place. Ces conduites d’évitement et de contrôle sont épuisantes et envahissantes, elles entraînent des troubles cognitifs (troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire) qui ont souvent un impact négatif sur la scolarité et les apprentissages.

Mais, c’est rarement suffisant, et pour éteindre à tout prix une mémoire traumatique ou pour prévenir son allumage, les victimes découvrent très tôt la possibilité de s’anesthésier émotionnellement grâce à des conduites dissociantes (Salmona, 2012). Ces conduites servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant et calmer ainsi l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue. Cette disjonction provoquée peut se faire de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé qui augmentera la quantité de drogues dissociantes sécrétées par l'organisme, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, stupéfiants)

Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques : conduites auto-agressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations dangereuses), conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, troubles du comportement alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et violentes contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter et s'anesthésier). 
Les conduites à risques sont donc des mises en danger délibérées recherchées pour leur pouvoir dissociant. Elles consistent en une recherche active voire compulsive de situations, de comportements ou d'usages de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen terme. Mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive, et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde. Elles sont chez les victimes à l'origine de sentiments de culpabilité et d'une grande solitude, qui les rendent encore plus vulnérables. Elles peuvent entraîner un état dissociatif permanent comme lors des violences avec la mise en place d’un détachement et d’une indifférence apparente qui les mettent en danger d’être encore moins secourues, d’être ignorées et maltraitées.



LES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE COMME MÉMOIRE TRAUMATIQUE DES VIOLENCES ET STRATÉGIES DE SURVIE 

les allumages de mémoires traumatiques qui sont déclenchés par des liens qui rappellent les violences peuvent se présenter dans les TCA sous forme d’anorexie ou de boulimie :
  • sous la forme d’anorexie, il s’agit d’une reviviscence d’une situation de violence avec une restriction alimentaire punitive ou par négligence, cela peut être également la reviviscence d’un état de choc traumatique avec état de confusion accompagné d’anorexie, ou la reviviscence d’un état de dégoût et de nausées  lors de violences sexuelles. Ces reviviscences brutales font revivre à l’identique la situation de violence vécue par le passé, elles peuvent durer plusieurs jours ou semaines, elles sont déclenchées par  évènement qui rappelle les violences qu’il s’agit de retrouver et d’identifier, il peut s’agir d’une date, d’une période dans l’année, d’une nouvelle situation de violence, etc.
  • sous la forme de boulimie compulsive suivie de vomissements, il s’agit d’une reviviscence d’une situation de violence avec forçage alimentaire qui est revécu comme contrainte qui se remet en scène, jusqu’à étouffement et vomissement, ou bien de pénétration buccale lors de violences sexuelles revécu également revécu comme contrainte jusqu’à étouffement et vomissement, de même qu’avec l’exemple précédent avec l’anorexie, ce sont des situation particulière qui déclenchent l’épisode, telles des acts sexuels, de nouvelles violences aussi, etc.
les conduites d’évitement et de contrôle peuvent se présenter sous plusieurs formes dans les TCA sous forme d’anorexie :
  • avec une restriction alimentaire pour éviter le rappel de situation de forçage alimentaire, de violences ayant eu lieu lors de repas, ou de violences sexuelles orales (éviter de manger, d’avaler) 
  • avec une restriction alimentaire pour éviter de prendre du poids par rapport à des violences psychologiques et verbales concernant l’aspect physique «tu n’es qu’une grosse vache»… 
  • avec une restriction alimentaire pour éviter de prendre du poids par rapport  à un corps qui ne doit pas rappeler celui qui a subi les violences sexuelles quand celles-ci ont eu lieu avant 4-5 ans quand les enfants ont encore des rondeurs, ou par rapport au corps de l’agresseur s’il était corpulent ; ou pour éviter que son corps devienne féminin et «désirable»
  • des phobies alimentaires de tous les aliments qui peuvent rappeler les violences sexuelles (consistance, aspect, couleur, grosseur, odeur qui font lien avec le sexe de l’agresseur ou sa langue, avec le sperme…) comme nous l’avons vu précédemment.
les conduites d’évitement et de contrôle peuvent se présenter sous plusieurs formes dans les TCA, sous forme d’hyperphagie
  • pour éviter de ressentir la moindre notion de faim s’il y a eu des privations de nourriture 
  • pour prendre du poids pour avoir un corps qui ne rappelle pas celui qui a subi les violences sexuelles quand celles-ci ont eu lieu après 6 ans quand les enfants sont beaucoup plus minces
  • pour prendre du poids pour avoir un corps qui ne soit pas «désirable» et pour se sentir imposante, impossible à attraper, à soulever ou à immobiliser

les conduites dissociantes anesthésiantes peuvent se présenter dans les TCA, sous forme d’anorexie
  • avec une recherche de situation de mise en danger et de stress physique extrême avec une restriction alimentaire très importante  qui crée une disjonction permanente avec une anesthésie émotionnelle qui permet d’être soulagé et de ne plus ressentir son corps (dissociation) ce qui engendre une indifférence à son état ;
  • l’état de jeun peut avoir pour fonction également de rejouer une scène proche des violences pour déclencher un état de stress qui va faire disjoncter ;
  • il peut y avoir une recherche de production d’un stress important en faisant peur à l’entourage ce qui permet également de se dissocier

les conduites dissociantes anesthésiantes peuvent se présenter dans les TCA sous forme de boulimie :
  • avec une recherche de situation de stress physiologique avec une augmentation brutale de la glycémie qui va déclencher une disjonction avec une anesthésie émotionnelle qui permet d’être soulagé momentanément
  • la boulimie peut avoir pour fonction également de rejouer une scène proche des violences pour déclencher un état de stress qui va faire disjoncter, en créant une sensation de dégoût et de nausées
Ces listes sont loin d’être exhaustives, ce qui est essentiel c’est de rechercher à chaque crise, à chaque épisode, pour chaque situation phobique et de contrôle, quel est l’élément déclencheur, que s’est-il passer juste avant, quels ont été les ressentis avant, pendant et après. Il s’agit d’identifier ce qui a déclenché la mémoire traumatique ou menacé de la déclencher, de rechercher à quelle situation de violences c’est relié, et d’analyser et comprendre quels mécanismes et quelles stratégies de survie se sont mises en place et pourquoi celles-ci justement. 
Il faut traquer tous les incohérences dans les ressentis et les comportements pour en trouver l’explication, d’où elles viennent, de quelle scène du passé, à qui elles appartiennent : à la victime, à l’agresseur, à d’autres victimes ou témoins présents lors des violences. Souvent ce qui est le plus incohérent, incompréhensible, ce qui paraît le plus fou, provient de la mémoire traumatique de l’agresseur, de ses mises en scène, de ses mensonges, de ses mystifications : «tu aimes ça que je te fasse mal, que je te mette en grand danger que je te dégrade, que je t’humilie, que j’utilise ton corps comme un objet…». 
Il est très important par rapport au magma indifférencié de la mémoire traumatique, de trier ce qui appartient à la victime et de ce qui appartient à l’agresseur. Par exemple la peur, la détresse, le dégoût appartiennent à la victime, l’excitation, la haine, le mépris, le désir de détruire appartiennent à l’agresseur, mais ils peuvent être mélangés et être considérés comme des ressentis émanant tous de la victime, comme si c’était elle qui était excitée sexuellement, qui se haïssait, se méprisait, s’attaquait ou voulait se détruire. Il en est de même, pour tout ce que la victime entend dans sa tête et qu’elle peut prendre pour ses propre pensée, alors qu’il s’agit de la mémoire traumatique de ce que disait l’agresseur : «tu es moche, grosse, sale, etc.», «tout est de ta faute», «tu l’as voulu», «tu aimes ça», «ça t‘excite», ou de ce qu’il imposait à la victime de dire ou de faire.

Ensuite, le travail psychothérapique en identifiant, en comprenant puis en reliant chaque manifestation de la mémoire traumatique aux violences dont elle est la réminiscence, permet de la re-contexualiser et de réintroduire des représentations mentales qui permettent de rétablir un contrôle émotionnel efficace sur la mémoire traumatique et de pouvoir ainsi la désamorcer. Ce travail de déminage permet de créer suffisamment de sécurité pour qu’il soit possible de "revisiter" pas à pas le vécu des violences, de toutes les violences, dont très souvent les premières remontent à l’enfance.
Il s'agit de "réparer" l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l'irreprésentabilité des violences (Van der Kolk, 1991 ; Foa, 2006) pour que le vécu puisse devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, chaque réaction, chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte ainsi que le comportement et la stratégie de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l'hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale, de rétablir des connexions neurologiques et d'encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable (Nijenhuis, 2004). Parallèlement à l'efficacité clinique du traitement, la neuro-imagerie montre une augmentation du volume de l'hippocampe avec une neurogenèse et une restauration dendritique : les atteintes neuronales ne sont donc pas définitives (Ehling, 2003).
Le but de la psychothérapie, que ce soit pour le psychothérapeute ou le patient, est donc de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de la mettre en perspective avec les violences subies, et pouvoir ainsi la désamorcer (Foa, 2006, Salmona, 2012). Il s’agit, pour le patient, de devenir expert en gestion et en « déminage », et de poursuivre le travail seul, pour que la mémoire traumatique se décharge de plus en plus et que les conduites dissociantes ne soient plus nécessaires. La sensation de danger permanent s’apaise alors, et petit à petit il lui devient possible de sortir de la dissociation, de se décoloniser de la mémoire traumatique, de retrouver sa cohérence, de se réconcilier avec soi-même et d’arrêter de survivre pour vivre enfin en étant enfin lui-même.
De plus ce travail de compréhension permet à la victime d’éviter d’être traumatisée par de nouvelles violences. Une fois que les violences prennent sens par rapport au passé traumatisant de l’agresseur, que les victimes se rendent comte que les violences ne les concernent absolument pas, qu’elles se jouent sur une autre scène, celle de la mémoire traumatique de l’agresseur et de son passé, le scénario mis en scène par l’agresseur ne fonctionne plus, il devient possible aux victimes de ne plus être piéger et de ne plus y participer. À partir du moment où les victimes comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle dans lequel l’agresseur tente de les piéger et s’en libérer, elles ne sont plus la proie pétrifiée dont l’agresseur a besoin pour sa mise en scène. Le «jeu» ne fonctionne plus, la victime peut se mettre «hors-jeu» et laisser l’agresseur face à une scène où il ne peut plus jouer le rôle de bourreau, faute de victime pétrifiée. Son histoire, qu’il imposait à la victime, lui est renvoyée en pleine figure, en miroir. Il est alors ramené à son propre rôle originel, un rôle de victime qu’il ne veut surtout pas jouer. Le «jeu» n’a donc plus de sens, plus d’intérêt et il n’est plus dissociant, l’agresseur devra se dissocier autrement ou se calmer. Face à lui, la victime est devenue comme Persée face à Méduse, sa compréhension est le bouclier miroir offert par Athéna (déesse de la sagesse et de la raison) à Persée, elle lui évite d’être pétrifiée par le regard de Méduse.
Ce travail d’explication, d’identification, de mises en lien, d’analyse, de tri et de différenciation est indispensable pour que ce qu’a vécu et ressenti jusque là la victime, prenne enfin sens et devienne cohérent, et puisse être enfin intégré en mémoire auto-biographique. 

CONCLUSION

Au total, il est essentiel pour les professionnels qui prennent en charge les personnes présentant des TCA de penser à rechercher systématiquement des antécédents traumatiques dans l’histoire des patients, et plus particulièrement des antécédents de violences, et de rechercher des troubles psychotraumatiques pour les traiter.  La compréhension des mécanismes psychotraumatiques et de leurs conséquences leur est nécessaire pour mieux comprendre les symptômes, les comportements alimentaires et l’intensité de la souffrance des personnes présentant des TCA, pour mieux les protéger, les prendre en charge en respectant leurs droits et les soigner.
Pour les victimes il est déjà très libérateur d’apprendre que leurs symptômes, leur souffrance, leur mal-être, leurs troubles de comportement alimentaire sont des conséquences des violences, qu’ils sont cohérents et normaux à la lumières des processus psychotraumatiques (MacFarlane, 2010), et qu’elles ne sont pas folles, ni débiles, ni incapables, etc. Les femmes victimes nous rapportent à quel point cela change tout pour elles. Soudain elles ont des clés qui leur permettent de comprendre ce qu’elles ressentent, d’expliquer des comportements qui sont en fait des stratégies de survie, et de pouvoir en sortir, de ne plus être piégées par certaines réminiscences de leur mémoire traumatique qui leur imposent une pseudo-réalité, et de pouvoir faire le tri entre ce qu’elles sont et ce qui les colonise. 
Cette compréhension leur permet de renouer avec leur estime de soi, leur sentiment de dignité, d’unité, de cohérence et de sécurité intérieure, d’être moins vulnérables et de ne plus se sentir coupables. L’information sur les troubles psychotraumatiques et leurs mécanismes, la formation de tous les professionnels de la santé concernés, et la mise en place de centre de soins spécialisés et accessibles, le travail en réseau sont des impératifs si l’on veut que les personnes présentant des troubles du comportement alimentaire puissent accéder .à une prise en charge et des soins adaptés et efficaces.

Dre Muriel Salmona



psychiatre, psychothérapeute, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, auteure de : Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013, et de  Violences sexuelles. Les 40 questions réponses-incontournables, Dunod, 2015, drmsalmona@gmail.com, http://www.memoiretraumatique.org/




Pour en savoir plus, les sites de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, ressources, rapport (IVSEA), dossier très complet sur les violences faites aux enfants (Manifeste Stop aux violences faites aux enfants) et vidéos de formation à consulter et télécharger :
http://manifestestopvfe.blogspot.fr/  site du Manifeste Stop aux violences faites aux enfants
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Les lettres numéro 6 et numéro 8 de l’Observatoire National des violences faites aux femmes de la MIPROF qui recense toutes les études et rapports  sur les violences faites aux femmes ainsi que les données issues de l’activité des associations spécialisées, téléchargeable sur le site http://stop-violences-femmes.gouv.fr

Enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015, conduite auprès de plus de 1200 victimes de violences sexuelles par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: SALMONA Laure auteure, SALMONA Muriel coordinatrice, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites : http://stopaudeni.com et http://www.memoiretraumatique.org

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