lundi 9 septembre 2013

Compte-rendu du colloque des 2 et 3 septembre 2013 Violences faites aux femmes : soins des victimes et prise en charge des auteurs organisé par le ministère des Droits des femmes


Colloque des 2 et 3 septembre 2013 à l'Académie de Médecine 
organisé par le ministère des Droits des femmes 



VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
SOINS AUX VICTIMES, PRISE EN CHARGE DES AUTEURS





Compte-rendu de la Dre Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie :
Je suis intervenue le 2 septembre dans le cadre de la demi-journée consacrée aux soins aux victimes lors de la table ronde : «Quelles réponses, quels soins pour les victimes ? Approche médicales, judiciaires, sociales et associatives. 
Il faut saluer cette grande première que représente la partie soins aux victimes de ce colloque. Enfin, les pouvoirs publiques s’intéressent aux soins des victimes de violences ! Ce n’est qu’un premier pas, mais ce colloque aura le mérite de faire l’état des lieux de la quasi absence d’offres de soins sur le territoire (mis à part quelques rares exceptions), et de faire prendre conscience de la nécessité de donner des soins appropriés aux victimes de violences, et ainsi de respecter leurs droits fondamentaux à recevoir des soins de qualité, gratuits par des professionnels compétents et formés, dans des lieux adaptés et accessibles à tous.
Tous les intervenant-e-s du colloque sur les soins aux victimes ont témoigné de l'importance des soins spécialisés par des professionnels formés et du travail en réseau, et ont partagé leurs expériences qu'elles soient médicales (généralistes, spécialistes, hospitalières), sociales, associatives ou  judiciaires (procureur, avocate). Il est dommage que faute de temps la nécessité de soigner les enfants victimes de violences conjugales n'ait pas été développée. Maudy Piot est intervenue en fin de colloque pour rappeler que les femmes handicapées subissaient 3 fois plus de violences et qu'elles nécessitaient la mise en place de mesures spécifiques pour être efficacement protégées et  soignées, elle a regretté qu'une traduction en langue des signes n'ait pas été prévue. 
Lors de la cloture du colloque Madame la ministre Najat Vallaud Belkacem a fait un discours (cf le résumé de son discours plus bas) où elle s'est clairement engagée pour donner des réponses solides avec la formation initiale et continue des professionnels de la santé (ce dont s'occupe la MIPROF avec un groupe de travail dont je fais partie), et pour améliorer l'accès aux soins des femmes victimes de violences, elle a pris en compte le rôle majeur des recherches sur conséquences psychotraumatiques des violences et leur traitement dont elle veut qu'elles puissent être diffusées "faire en sorte qu’une victime de violences puisse s’inscrire, rapidement et sans frais, dans un protocole de soins établi selon les règles de l’art." Le 16 septembre le gouvernement défendra la loi sur l'égalité et sa partie lutte contre les violences faites aux femmes, et en novembre il fera part du prochain plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, ce sera l'occasion nous dit-elle de faire des propositions concrètes. 
Ce qui n'a pas été proposée par la ministre et qui me semble essentiel également c'est la diffusion d'informations grand public sur la réalité des violences, leur définitions précises, les droits des victimes, et sur les conséquences psychotraumatiques des violences avec des explications sur les mécanismes neuro-bio qui permettraient aux victimes de mieux se comprendre, de se déculpabiliser et de mieux accéder aux soins. Et cela permettrait également de lutter contre la loi du silence et le déni habituels qui entourent ces violences, contre les stéréotypes catastrophiques sur les violences et sur les victimes, et de bloquer le processus pervers d'abandon et de culpabilisation des victimes. Je vais le lui soumettre.
En ce qui concerne la prise en charge des auteurs de nombreux intervenant-e-s nous ont fait part de leur expérience (dont une étude très intéressante sur une prise en charge intensive de 6 mois d'agresseurs sexuels dans un service de psychiatrie de l'hopital pénitencier de Fresnes). Il a été dit et redit que soigner les auteurs, c'est prendre soin des victimes, certes… Mais il apparaît avec évidence que les agresseurs pris en charge sont presque uniquement (à quelques très rares exceptions près) ceux qui ont fait l'objet de mesures judiciaires (contrôle judiciaire, injonction de soins), donc une très petite minorité d'entre eux. Ce sont donc des hommes appartenant essentiellement à des couches socio-culturelles plutôt défavorisées (cf les études de l'ONED sur les délinquants condamnés) d'ou un biais important dans la prise en compte de la réalité des hommes violents (qui sont souvent présentés d'une façon que je trouve assez discriminatoire comme surtout immatures, égocentriques, impulsifs, il faut leur apprendre à contrôler leurs émotions et à mieux supporter les frustrations…). La stratégie réfléchie de nombreux agresseurs, leur volonté de domination et de mise sous emprise pour soumettre les victimes, leur volonté de détruire ont été très peu évoquées, de même que les facteurs de grande dangerosité et les pistes de prévention des homicides (dont on a pas entendu parler !), ainsi que les facteurs à l'origine de la violence comme la domination masculine du patriarcat et les inégalités hommes-femmes, comme avoir été enfant témoin-victime de violences conjugales ou de violences intra-familiales, avec l'importance d'intervenir précocément pour protéger les enfants avec leur mère et les soigner. Ce qui manque cruellement également ce sont la mise en place de campagnes ciblant les auteurs de violence pour leur donner un signal fort : on ne tolère pas ces violences,  avec des messages rappelant la loi et la définition des crimes et délits, l'interdiction de commettre des violences, la notion de circonstances aggravantes (violences commises par un conjoint, ex-conjoint, par des ascendants, sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants, en réunion, sur des mineurs, sur des personnes vulnérables comme lors d'une grossesse ou handicapées, sous la menace d'une arme, etc.) les droits des victimes, et les conséquences des violences sur la santé des victimes ainsi que les mécanismes psychotraumatiques.
Ce qui reste problématique c'est que les victimes de violences dont on parle et donc celles à qui l'on va proposer des soins rapides et sans frais risquent de n'être que celles qui sont dans un processus judiciaire et qui auront donc porté plainte. Or elles ne sont que 10% pour les violences conjugales, 8% pour les viols (et seulement 2 % pour les viols conjugaux et intra-familiaux !). Quid de toutes les autres ? Tout comme les auteurs de violences pris en charge sont ceux qui sont l'objet de plaintes et de procédures judiciaires dans le cadre d'une injonction de soin, donc d'une très petite minorité.


Raison de plus de "battre le fer pendant qu'il est chaud" et de signer massivement le Manifeste sur VIOLENCES ET SOINS contre l'abandon que subissent les victimes de violences et sa pétition, pour signer cliquez ICI
Et de venir nombreuses et nombreux au colloque de l'asso le 5 novembre à Bourg la Reine à l'Agoreine sur :
SOINS DES VICTIMES/VICTIMES DES SOINS 
pour vous inscrire (inscription et participation gratuites, il y a 400 places et il y aura une pièce de théâtre, des expositions, des témoignages) envoyez un mail à :  colloque.violencesetsoins@ gmail.com

Résumé de  l'intervention de la Dre Muriel Salmona

Les violences faites aux femmes entraînent, en plus des coups et blessures, de lourdes conséquences sur leur santé psychique et physique par l'intermédiaire de conséquences psychotraumatiques, avec des atteintes des circuits neurologiques visibles sur des IRM. Ces conséquences psychotraumatiques sont très fréquentes, présentes dans 60% des cas pour les violences conjugales, et 80% pour les violences sexuelles. Si des soins ne sont pas mis en place elles s'installent pendant des années, voire toute la vie, avec la mise en place d’une mémoire traumatique qui transforme la vie des victimes en une torture permanente en leur faisant revivre sans fin les violences et la mise en scène destructrice des agresseurs. Abandonnées, elles sont condamnées à mettre en place des stratégies de survie et d'auto-traitement très coûteuses pour leur santé et leur qualité de vie. 
Les études internationales et l'Organisation mondiale de la santé en 2010 ont démontré et reconnu qu’avoir subi des violences est un des déterminants principaux de la santé : soins en psychiatrie (troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, insomnies, phobies, troubles de la mémoire, troubles alimentaires, addictions, etc.), en médecine générale (stress, douleurs et fatigue chroniques, etc.), en cardiologie, en gynéco-obstétrique, en gastroentérologie, en endocrinologie, etc., hospitalisations répétées, multiplication des arrêts de travail, mise en invalidité…
Actuellement l’immense majorité des femmes victimes de violences n’ont pas accès à des soins spécifiques et ne reçoivent pas d’informations qui leur permettraient de mieux comprendre leurs symptômes et les mécanismes neuro-biologiques qui en sont la cause, et ainsi de se déculpabiliser (elles ne sont pas responsables de leur mal-être). Il s’agit d’une atteinte grave à leurs droits fondamentaux d’être protégées et de recevoir des soins adaptés, et d’un véritable scandale de santé publique.
 La cause de tous les symptômes que présentent les victimes – les violences et leurs conséquences psychotraumatiques – n’est jamais prise en compte, ni recherchée, et encore moins prise en charge par des professionnels de la santé qui en 2013 ne reçoivent pas de formation sur les psychotraumatismes. Les victimes ne reçoivent que des traitements symptomatiques ou anesthésiants (camisole chimique) et font l’objet souvent de diagnostics psychiatriques ou organiques erronés et préjudiciables.
Elles ressentent qu’on les considère comme folles et pénibles. Elles peuvent parfois subir de graves maltraitances de la part de soignants. Elles sont culpabilisées et jugées, on leur renvoie que leurs plaintes somatiques et psychiques sont exagérées ou imaginaires, qu’elles sont hypocondriaques, hystériques… Ou bien, à l’inverse, on peut dramatiser leurs symptômes, faire des examens inutiles, les opérer à tort, les traiter pour des pathologies psychotiques, ou pour des démences si elles sont âgées.
Les conséquences psychotraumatiques sont donc encore trop méconnues et peu enseignées alors que leur prise en charge est efficace. Elle doit être la plus précoce possible. En traitant la mémoire traumatique, c'est à dire en l'intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques, et de rendre inutiles des stratégies de survie handicapantes (conduites d’évitement, conduites à risques dissociantes et anesthésiantes : mises en danger et addictions). De plus, la neuroplasticité du cerveau permet une récupération des atteintes cérébrales.
 Il est donc essentiel de protéger les victimes et d'intervenir le plus tôt possible pour leur donner des soins spécifiques auxquels elles ont droit, il s'agit de situations d'urgence pour éviter la mise en place de traumas sévères et chroniques qui impacteront non seulement leur santé mais leur vie future, affective, professionnelle, sociale, avec un risque de subir à nouveau des violences et de se retrouver en situation d’isolement et de marginalisation. Les victimes qui reçoivent des soins sont plus à même de se libérer des situations d’emprise et de manipulation exercées par les agresseurs et leurs complices, et de porter plainte. La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin des victimes.
La violence aggrave les inégalités et renforce les discriminations et les injustices. Elle augmente la vulnérabilité, la précarité, les situations de marginalisation, le risque prostitutionnel et la pauvreté. Elle met les victimes en danger de subir de nouvelles violences si elles ne sont pas soignées. Elle met en danger la cohésion sociale.
Il est donc urgent de former les professionnels de santé et tous ceux qui accompagnent les victimes, de lancer des campagnes d’information grand public sur la réalité des violences, leurs conséquences sur la santé des victimes et sur leurs traitements, de mettre en place une offre de soins digne de ce nom avec des centres spécialisés pour les victimes de violences qui soient accessibles sur tout le territoire.
Soigner les victimes de violence, c’est non seulement respecter leurs droits à la santé, reconnaître leurs préjudices, les libérer d’une souffrance et d’une culpabilité permanentes délibérément voulues par les agresseurs. Mais c'est également leur rendre une valeur, une dignité, une liberté d’être soi et de s’appartenir que les agresseurs, dans leurs mises en scène, leur avaient déniées.






Violences aux femmes : mobilisation des professionnels pour soigner les victimes et lutter contre la récidive


Le ministère des droits des femmes a organisé les 2 et 3 septembre 2013 à l’Académie nationale de médecine un colloque intitulé « Violences faites aux femmes : soins aux victimes, prise en charge des auteurs », auquel ont participé des praticiens  du droit, de la santé et de l’aide sociale.
Les échanges réunissant psychiatres, travailleurs sociaux et responsables associatifs ont montré que les deux thèmes du colloque « soins aux victimes, prise en charge des auteurs » se rejoignent :  Il s’agit des réponses apportées aux violences après leur signalement. Ce n’est pas parce que la violence s’arrête qu’il n’y plus rien à faire. Ce n’est pas parce que l’agresseur est éloigné, ou même incarcéré, que le travail est fini. Pour qu’elles aient du sens et qu’elles soient utiles, les réponses apportées à la victime et au coupable, dans ces domaines, doivent être articulées. Une articulation soulignée par le leitmotiv des professionnels qui déclaraient nombreux « soigner les auteurs, c’est prendre soin des victimes ».
Le colloque a permis de mettre en lumière de nombreux de dispositifs qui peuvent améliorer la situation des victimes de violences. Le rôle du médecin est déterminant : c’est le premier interlocuteur des victimes qui décident de mettre les mots sur ce qu’elles vivent. Le mieux à même de détecter les violences. Les deux tiers des médecins considèrent qu’ils ne sont ni formés ni même compétents pour traiter de ce sujet. La formation des médecins est un objectif pris très au sérieux : le 20 novembre prochain, la MIPROF réunira les professions médicales. Najat Vallaud-Belkacem a proposé au Parlement de l’inscrire dans la loi, avec le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces soins sont de plus en plus pertinents, de mieux en mieux adaptés. Il s’agit de les diffuser, pour qu’ils soient de plus en plus connus. La psycho-traumatologie apporte désormais des réponses solides. Il faut veiller à ce que l’offre de soin soit à la hauteur des besoins. L’objectif est simple : faire en sorte qu’une victime de violences puisse s’inscrire, rapidement et sans frais, dans un protocole de soins établi selon les règles de l’art. Toutes les victimes sont différentes. Certaines d’entre elles ne souhaitent pas s’inscrire dans un tel protocole. Certaines d’entre elles n’en ont pas besoin. Mais toutes les victimes qui pourraient voir leur état de santé s’améliorer avec une telle prise en charge doivent pouvoir en bénéficier facilement. Cela a d’autant plus de sens qu’une victime qui bénéficie de soins est plus forte pour affronter les étapes de son parcours judiciaire.
Beaucoup de dispositifs fonctionnent déjà, en ordre dispersé, pour la prise en charge des auteurs de violences faites aux femmes. Il faut les regrouper, les animer, les faire travailler ensemble. Ces programmes s’articulent avec le parcours judiciaire de l’agresseur, en cohérence avec la vérité des faits, telles qu’elle est établie par la justice, et avec les décisions d’évictions que le procureur ou le juge ont pu prendre. Ces dispositifs produisent des résultats. C’est pourquoi Najat Vallaud-Belkacem a proposé au Parlement, dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, de faire figurer explicitement ces stages spécifiques dans le code de procédure pénale.
Lutter contre les violences faites aux femmes, cela suppose d’abord de mettre les mots sur les actes et d’appliquer la règle, c’est-à-dire de punir les agresseurs. Mais cela suppose aussi d’apporter des réponses individualisées aux victimes pour leur permettre de se donner un nouveau départ et mettre en place des solutions de prévention efficace de la récidive.

PROGRAMME :



Aucun commentaire: