Article de la dre Muriel salmona publié en 2010 sur le site de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
www.memoiretraumatique.org
1) Ce sont les victimes de violences sexuelles qui vont subir les plus grandes injustices
Non seulement les violences sexuelles sont très rarement identifiées, les agresseurs encore moins dénoncés, les conséquences sur la santé quasiment jamais dépistées ni traitées, mais le plus souvent les victimes vont être abandonnées, rejetées, exclues, condamnées du fait de leurs symptômes, sommées de s'expliquer et de se justifier par rapport aux troubles du comportement et des conduites qu'elles développent fréquemment, ce sont elles que la société va culpabiliser. C'est à elles que les proches et les intervenants vont faire sans cesse la morale, ce sont elles qui vont être méprisées. Les victimes de violences sexuelles restent fréquemment sans secours, mais de plus leur agression est ignorée voire niée, et leur agresseur n'est absolument pas inquiété. Leurs blessures, leurs symptômes au lieu d'être soignés et pris en compte, leur sont continuellement reprochés, comme si elles en étaient seules la cause par «leur inconséquence, leurs caprices, leur paresse, leur mauvaise volonté, leur égoïsme, leur ingratitude, leurs provocations, leurs faiblesses de caractère», quand ce n'est pas «leur méchanceté, leur agressivité, leurs vices ou leur folie» qui leur sont reprochés. Et il arrive souvent que la famille, les proches, les enseignants, les professionnels du social et de la santé se plaignent «de n'avoir vraiment pas de chance d'être obligés de s'occuper et de supporter des personnes aussi problématiques», sans qu'aucun ne s'interroge sur ce qui a pu bien se passer et leur arriver, ni sur le fait qu'une aussi grande souffrance doive avoir forcément une cause. Étrangement tout le monde a tendance à accepter très facilement que, tous ces symptômes graves (douleur morale, tentatives de suicides, auto-mutilations, fugues, conduites à risques, particulièrement sexuelles, addictions, dont alcoolisme et toxicomanie, dépression, phobies, crises d'angoisse, insomnies, troubles des conduites alimentaires…), se soient développés comme par génération spontanée, «c'est dû à la malchance, ou bien ces enfants et ces adolescents ont dû être trop gâtés, trop couvés !! ou encore ils ont dû avoir de mauvaises fréquentations…ou enfin, ils sont nés comme cela, c'est dans les gènes…, c'est donc de la faute à personne».
2) Cette grande injustice se met en place avec la complicité du plus grand nombre, les violences sexuelles font le plus souvent l'objet d'une absence de reconnaissance.
Déni et loi du silence règnent en maîtres, et s'imposent d'autant plus facilement que les victimes sont prisonnières de troubles psychotraumatiques et de stratégies de survie qui leur brouillent encore plus l'accès à leur vérité :
- avec de fréquentes amnésies traumatiques des violences (jusqu'à 38 % des victimes de violences sexuelles connues dans l'enfance n'en ont aucun souvenir 17 ans après, étude de Williams 1994, et 59 % seront amnésiques lors de périodes plus ou moins longues, étude de Briere, 1993),
- avec des souvenirs tellement saturés de troubles dissociatifs que les violences peuvent leur paraître pas si graves, ou bien irréelles, du fait d'une anesthésie émotionnelle, de sentiments d'étrangeté et de sensations d'avoir été spectatrice de la scène de violence,
- avec des conduites d'évitement qui font éviter tout ce qui peut se rapporter aux agressions (éviter d'y penser, d'en parler),
- avec des sentiments de honte et de culpabilité qui les isolent et les condamnent au silence, parce qu'elles n'ont pas compris pourquoi elles n'ont pas pu se défendre ou fuir, pourquoi elles sont restées avec l'agresseur, ont continué à lui parler, à le voir, parce que la sidération au moment de l'agression est incompréhensible, parce que l'anesthésie émotionnelle liée à la disjonction est troublante et rend confuse, et parce que certaines conduites dissociantes à risque qui poussent à reproduire sur soi les violences ou à se mettre sexuellement en danger font naître le doute («l'agresseur a peut être raison, et si j'aimais ça…, et si je ne méritais que ça…, et si c'était mon destin…»).
3) Non-reconnaissance des violences sexuelles et incompréhension
Cette absence de reconnaissance des violences est due à une tradition de déni de la réalité des violences sexuellesen général, et particulièrement de celles faites aux mineurs, notamment des incestes. Il s’y ajoute une tradition de sous-estimation de leur gravité et de leur fréquence, une tradition de banalisation et de tolérance, voire de justification (idées reçues sur la sexualité masculine et féminine, stéréotypes sexistes), et également une méconnaissance généralisée de la gravité de leurs conséquences sanitaires et sociales. Les conséquences concernent la santé, psychique notamment, les capacités cognitives, les apprentissages , la socialisation, la vie sexuelle et amoureuse, elles augmentent considérablement les risques de conduite à risque, de marginalisation et de délinquance, les risques d’être à nouveau victime de violences ou d’en devenir un auteur ; ces conséquences sont en rapport avec des mécanismes psychotraumatiques largement méconnus. Il faut rappeler que les violences sont des situations anormales entraînant des conséquences psychotraumatiques normales, fréquentes, graves et durables, qui sont liées à la mise en place de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde, se référer à MÉCANISMES
Et devant des enfants, des adolescents en grande souffrance, suicidaires, dépressifs, insomniaques, ayant fait des fugues, en échec scolaire, ayant des troubles du comportement alimentaire, des conduites addictives (alcool, drogues, tabac, jeux, sexualité), des conduites à risque, la plupart des proches et nombre de professionnels ne se posent pas la question qui serait essentielle : «Mais qu’est-ce qu’on a bien pu leur faire de si grave pour qu’ils soient comme ça, pour qu’ils souffrent comme ça». Au contraire, c'est plutôt : «Mais qu'est ce qu'ils ont ?, pourquoi nous font-ils ça, avec tout ce que l'ont fait pour eux ? Ils nous font honte !…» ou bien «c'est l'adolescence, ça leur passera, les filles c'est comme ça, toujours à se plaindre !», ou «les garçons c'est comme ça, toujours à prendre des risques, à ne jamais rater une bêtise à faire…», ou bien «c'est la maladie (dépression, psychose), c'est génétique,…» ou encore «c'est à cause de l'alcool, de la drogue, des mauvaises fréquentations, de la télé, etc.»
4) Un crime parfait !
Les violences sexuelles sont le prototype du «crime parfait». Dans l'immense majorité des cas les agresseurs restent impunis (en France seulement 10% des viols, 12 000 sur 120 000, font l'objet d'une plainte, 3% font l’objet d'un jugement et 1% d'une condamnation, 1200 sur 120 000). La loi du silence règne particulièrement à l'intérieur des familles, des institutions, des entreprises ; c'est à la victime de ne pas faire de vagues, de ne pas «détruire la famille, le couple…, d'être loyale, compréhensive, gentille…, et puis ce n'est pas si grave, il y a bien pire ailleurs !...» La méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences et des mécanismes neuro-biologioques en jeu fait que les symptômes présentés par les victimes ne sont presque jamais reliés aux violences. Les professionnels du secteur social et de la santé posent encore beaucoup trop rarement aux personnes qu'ils prennent en charge la question sur l'existence de violences subies, particulièrement sexuelles. Le déni des agressions sexuelles chez les victimes est extrêmement fréquent et les allégations mensongères des victimes sont rares, inférieures à 3%, alors que 22% des victimes se rétractent par peur, ou sous la menace.
5) La victime, un coupable idéal !
En effet, le plus souvent c'est la victime qui est considérée comme coupable. Si elle n’a pas dénoncé les violences sexuelles et/ou l’agresseur elle doit sans cesse se justifier d’être pénible, difficile, tout le temps mal, se plaignant et s’isolant, d'être en échec scolaire, professionnel, amoureux, d'avoir des conduites à risques qui font qu'elle est jugée très négativement. Et si elle a dénoncé les violences sexuelles et/ou les agresseurs, elle est soupçonnée ou accusée d'exagérer, de ne pas avoir le sens de l'humour, d'être méchante, égoïste, perverse, de l'avoir bien cherché, de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour l'éviter : « tu aurais dû …», « pourquoi as-tu fait…?»
6) L’agresseur, cette victime innocente !
L'auteur des agressions est en général considéré comme innocent, soit parce qu'il serait victime d'une machination que la victime aurait mis en place, soit parce que la victime n’avait pas compris qu'il s'agissait d'un jeu, d'humour, ou qu'il était tout simplement amoureux, ou encore soit parce que ce ne serait pas de sa faute : «il est comme ça, tu sais bien ! il a des pulsions», «la victime l'a certainement provoqué», «il avait bu, il ne s'est pas rendu compte, il n'a pas compris que la victime n'était pas consentante…». De plus il bénéficie des symptômes psychotraumatiques présentés par la victime à la fois pour se disculper («de toutes façons, elle est folle, elle ment…etc.») mais aussi pour agresser en toute sécurité, les victimes étant sidérées, dans un état d’anesthésie émotionnelle, avec un sentiment d’irréalité et des troubles mnésiques.
Dr Muriel Salmona
Psychiatre - Psychotraumatologue
Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie
Présidente de l'Association
Mémoire Traumatique et Victimologie
drmsalmona@gmail.com
www.memoiretraumatique.org
1 commentaire:
Ce travail d'analyse est tellement au plus près du vécu (ressenti ou manifesté)des survivantes que, bien que s'adressant à tous-tes en général, il est à lui tout seul DEJA SOIGNANT...ce travail , ainsi que toutes les autres analyses réparties dans les divers sites et blogs, fait ,j'espère , déjà l'objet d'une large diffusion aux institutionnels de tous bords...
personnellement, çà me redonne assez de force pour tenter une lecture dansée d'extraits des analyses qui m'ont le plus aidée...
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