lundi 23 mai 2011

Communique de l'association Memoire Traumatique et Victimologie, 23 mai 2011





COMMUNIQUÉ DE L'ASSOCIATION MEMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE


Le 23 mai 2011,


http://memoiretraumatique.org/



Avec l'inculpation aux Etats-Unis de Dominique Strauss-Kahn pour actes sexuels criminels, tentative de viol et agressions sexuelles, nous avons eu un florilège de réactions mettant en cause la plaignante et minimisant les violences dénoncées. Ces réactions de déni, ces propos sexistes sont les mêmes que ceux que subissent journellement les victimes que nous prenons en charge quand elles dénoncent un inceste, des viols ou des agressions sexuelles au sein du couple, au travail, en institution… Aussi, la quasi totalité de ces victimes ressentent de ce fait un sentiment de solitude, d'incompréhension et d'abandon. Pour toutes ces victimes les parcours judiciaires, sociaux et médicaux sont très difficiles, elles ont rencontré indifférence, déni, mise en doute, non reconnaissance, incompréhension, jugements négatifs, culpabilisations, violences à répétition. Et elles sont de ce fait nombreuses à regretter d'avoir porté plainte.

http://stopauxviolences.blogspot.com/2011/04/bilan-2010-de-lactivite-de-consultation.html


Pourtant la résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unis le 29 novembre 1989 définit comme victime-s « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subit un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales dans un État membre". La résolution précise qu’une personne peut-être considérée comme victime « que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable » (la présomption d'innocence n'implique pas que la plaignante ne puisse pas être reconnue comme victime, NDLA), et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Ces « dispositions s’appliquent à tous, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, de nationalité, d’opinion politique ou autre, de croyances et de pratiques culturelles, de fortune, de naissance ou de situation de famille, d’origine ethnique ou sociale, et de capacité physique ». La résolution ajoute que les victimes doivent avoir un accès à la justice et à un traitement équitable, et doivent être « traitées avec compassion et dans le respect de leur dignité » ; elles doivent être informées de leur droits, leur vie privée doit être protégée, leur sécurité assurée ainsi que celle de leur famille, une assistance doit leur être fournie tout au long des procédures, elle précise aussi que les auteurs sont dans l’obligation de restitution et de réparation et que les victimes doivent être indemnisée. Enfin « les victimes doivent recevoir l’assistance matérielle, médicale, psychologique et sociale dont elles ont besoin » et doivent être informées de l’existence de services de santé, de services sociaux, et d’autres formes d’assistance qui peuvent leur être utiles. Elles doivent y avoir facilement accès, et le personnel des services de police et de santé ainsi que celui des services sociaux et des autres services intéressés doit recevoir une formation.

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Cette absence de reconnaissance des violences est due à une tradition de déni de la réalité des violences sexuelles, particulièrement de celles faites aux mineurs, notamment des incestes. Il s’y ajoute une tradition de sous-estimation de leur gravité et de leur fréquence, une tradition de banalisation et de tolérance, voire de justification (idées reçues sur la sexualité masculine et féminine, stéréotypes sexistes). Cette situation est aggravée par la méconnaissance généralisée de la gravité des conséquences sanitaires et sociales de ces violences. Ces conséquences lourdes concernent la santé physique et psychique, mais aussi les capacités cognitives, les apprentissages, la socialisation, la vie sexuelle et amoureuse. Les violences sexuelles augmentent considérablement les risques de suicide, de conduite à risque, d'accidents, de marginalisation et de délinquance, ainsi que les risques d’être à nouveau victime de violences ou d’en devenir un auteur. Ces conséquences sont en rapport avec des mécanismes psychotraumatiques largement méconnus. Il faut rappeler que les violences sont des situations anormales entraînant des conséquences psychotraumatiques normales, fréquentes, graves et durables, qui sont liées à la mise en place de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde à l'origine d'une mémoire traumatique faisant revivre à l'identique les violences avec la même détresse, les mêmes sensations, les mêmes douleurs dès qu'une situation, une perception rappelle l'évènement, et d'une dissociation. Cette mémoire traumatique extrêmement douloureuse transforme la vie en un terrain miné, les victimes n'ont comme solution que la mise en place de stratégies de survie invalidantes : conduites d'évitement, de contrôle et d'hypervigilance pour éviter l'allumage de cette mémoire traumatique, et conduites dissociantes pour l'anesthésier (conduites à risque, mises en danger, consommation d'alcool, de drogue). Les violences subies, particulièrement sexuelles, sont un déterminant majeur de la santé des victimes des années, voire des dizaines d'années plus tard. Pour en savoir plus :

http://memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/origine-et-mecanismes.html


Dans nos sociétés dites civilisées, loi du silence et dénis de justice sont donc la norme pour les violences sexuelles. C'est toujours à la victime de ne pas faire de vagues, de ne pas « détruire la famille, le couple…, de ne pas nuire à un personnage important, d'être loyale, compréhensive, gentille…, et puis ce n'est pas si grave, il y a bien pire ailleurs !....». Le viol est le crime parfait, assurant dans l'immense majorité des cas une impunité totale. Moins de 8% des viols font l'objet d'une plainte, environ 3% d'une procédure judiciaire et environ 1% seulement d'une condamnation. Et cela n'empêche pas que les rares victimes qui ont le courage de porter plainte soient presque toujours suspectées d'exagérer, d'être des menteuses, des folles, des manipulatrices ou des provocatrices qui ont bien cherché ce qui leur est arrivé même quand elle ne sont que des enfants ! (cf l'article de Sokhna Fall, L'éternel détournement de Dolores Haze http://stopauxviolences.blogspot.com/2010/11/article-de-sokhna-fall-sur-lolita-de.html Leur parole n'est pas entendue, ni crue, elles sont à priori soupçonnées de vouloir susciter l'intérêt, de faire parler d'elles, d’avoir été manipulées, de vouloir se venger ou de rechercher des bénéfices financiers.. L'auteur des agressions, souvent un proche ou une personne connue de la victime est en général considéré comme innocent, victime d'une machination que la victime aurait mise en place, d’une incompréhension. La victime n'aurait pas compris qu'il s'agissait d'un jeu, d'humour, ou qu'il était tout simplement amoureux, victime de ses pulsions : « il est comme ça, tu sais bien ! il a des pulsions », « la victime l'a certainement provoqué », « il avait bu, il ne s'est pas rendu compte, il n'a pas compris que la victime n'était pas consentante… ». De plus, il bénéficie des symptômes psychotraumatiques présentés par la victime à la fois pour se disculper (« de toutes façons, elle est folle, incohérente, pas crédible,…etc. ») mais aussi pour agresser en toute sécurité, les victimes étant sidérées, dans un état d’anesthésie émotionnelle, avec un sentiment d’irréalité et des troubles mnésiques.


Pourtant 16% des femmes ont subi dans leur vie un viol ou une tentative de viol (59% avant 18 ans, l'âge moyen pour les mineures étant de 9 ans !), 5% des hommes ont subis des viols ou des tentatives de viols dans leur vie (67% avant 18 ans), bulletin de l’INED 2008 à télécharger, 3% des français déclarent avoir été victimes d'inceste enquête AIVI-IPSOS 2010 à télécharger. Suivant les études et les pays les violences sexuelles toucheraient entre 20 à 30 % des personnes au cours de leur vie. Une étude canadienne a montré que 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.. Les violences sexuelles sont graves : elles ont le triste privilège de partager avec les tortures le palmarès des violences qui ont les conséquences les plus durables et les plus importantes sur la santé psychique et physique. Elles peuvent faire courir un risque vital et elles sont responsables d'une atteinte à l'intégrité physique et psychique des victimes. Elles font partie de traumatismes qui sont à l'origine des plus forts pourcentages de troubles psychotraumatiques tels que les états de stress post-traumatiques (ESPT) : 80 % des victimes de viols et 60 % de victimes d'agressions sexuelles peuvent présenter des troubles psychotraumatiques (contre 24 % des victimes de traumatismes en général, Astin et Breslau). Ces troubles psychotraumatiques s'installent dans la durée, souvent sur toute la vie si les victimes ne bénéficient pas de prises en charge spécialisée. Particulièrement quand elles ont été commises sur des enfants lors d'inceste, elles ont un impact catastrophique sur la santé physique et psychique des victimes, sur leur personnalité, et sur leur vie sociale, scolaire, professionnelle, personnelle, familiale et amoureuse. Tout comme la torture, la dégradation, l'humiliation, l'atteinte à la dignité humaine génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique, elles se perçoivent comme des survivantes et même comme des « mortes vivantes », leur vie devient un enfer.


Pourquoi ces violences, pourquoi ce déni ? Dans nos sociétés le sexisme, le racisme, les abus de pouvoir, les discriminations vis à vis des plus faibles et des plus dépendants (enfants, handicapés, malades, personnes très âgées) sont loin d'avoir disparu et ont encore de beaux jours devant eux ! Des personnes s'étant proclamées dominantes mettent continuellement en scène une supériorité construite de toute pièce. Il s'agit d'une véritable escroquerie intellectuelle qui réifie des catégories de personnes déclarées comme inférieures, dédiées au bien-être des dominants, servant à alimenter leur toute-puissance et à traiter leurs angoisses et leurs frustrations. Les hommes dominants auront des femmes à leur disposition, les adultes dominants auront des enfants à leur disposition, les employeurs dominants auront des travailleurs à leur disposition, les riches dominants auront des pauvres à leur disposition, les blancs dominants auront des noirs à leur disposition, les soignants dominants auront des malades et des handicapés à leur disposition, etc. Mais pour maquiller ces violences, la domination est présentée comme une nécessité pour le bien de ceux qui en sont victimes. « C'est pour mieux te protéger mon enfant ! ». Aussi les concepts humains fondamentaux tels que l'Amour, la Famille, la Patrie, le Travail, l'Éducation, la Santé vont être utilisés de façon perverse et justifier toutes les violences avec le « c'est pour ton Bien » dénoncé par Alice Miller.


La violence est avec le mensonge et la mise en scène un instrument indispensable pour faire perdurer les inégalités, et elle est un instrument formidable pour soumettre et réduire en esclavage les personnes décrétées « inférieures », en portant atteinte à l'intégrité et à la dignité des personnes qui la subissent, et en générant des troubles qui vont les « paralyser et robotiser ». Personne n'y retrouvera à dire, ni ne tentera de protéger ces victimes puisqu'elles sont faites pour cela. Mais la violence est aussi pour celui qui la commet une drogue, un puissant anesthésique émotionnel, indispensable pour échapper à des émotions (peur, angoisses, très souvent liées à une mémoire traumatique, honte, culpabilité) qui sinon seraient un frein puissant à la possibilité de transgresser, de mentir et d'être violent.

Pour alimenter une anesthésie émotionnelle permettant une toute puissance, la violence sexuelle est de loin la violence la plus efficace et la moins risquée. Elle n'a rien à voir avec un désir sexuel ni avec des pulsions sexuelles, elle est une arme très efficace pour détruire et dégrader l'autre, le réduire à l'état d'objet et se soulager de tensions.


Ce sont donc les victimes de violences sexuelles qui vont subir les plus grandes injustices : les victimes traumatisées subissent des injustices en cascade : injustice d'être des victimes innocentes d'une violence aveugle, piégées dans une histoire qui ne les concerne pas (c’est l’agression sexuelle qui est un délit, le viol qui est un crime, pas le fait d’être court vêtue ou d’entrer dans la chambre d’un homme !) ; injustice d'être victimes d'une société qui les expose doublement, d'une part en créant un contexte inégalitaire qui permet à des agresseurs d'utiliser leur position dominante pour les instrumentaliser, et d'autre part en ne mettant pas tous les moyens politiques en œuvre pour lutter contre les violences ; victimes de leur entourage qui ne veut ni voir, ni savoir, ni entendre, ni dénoncer ce qu'elles subissent dans l'intimité d'une famille, d'un couple, d'une relation ou dans l'espace clos d'un travail, d'une institution ; victimes de toute une maltraitance commise par des professionnels censés les protéger, leur venir en aide, leur rendre justice et les soigner, qui souvent ne les croient pas, banalisent les violences et sous-estiment le danger qu'elles courent et les conséquences qu'elles subissent, par manque de formation surtout, mais aussi par négligence et manque d'empathie ; victimes de l'injustice désespérante de voir des agresseurs bénéficier dans l'immense majorité des cas d'une impunité totale, faute d'être dénoncés, d’être mis en examen, d’être déférés devant un tribunal ou d’être condamnés par une justice encore trop parasitée par de nombreuses idées reçues sur les victimes et les violences, et qui méconnaît de nombreux indices et de nombreuses preuves médicales, les agresseurs pouvant alors continuer à exercer des violences en toute tranquillité ; victimes de l'injustice d'être celles qui en fin de compte se retrouvent condamnées à souffrir, à se battre et à devoir se justifier sans cesse, à supporter mépris, critiques et jugements, à entendre des discours moralisateurs et culpabilisants pour des symptômes que personne ne pense à relier aux violences.

Il est essentiel de reconnaître, de protéger, d'accompagner et de soigner les victimes de violences sexuelles pour éviter des vies fracassées, il est tout aussi essentiel de lutter contre toutes les inégalités, mais nous sommes encore loin de compte… La violence, utilisée comme une drogue pour s'anesthésier et s'auto-traiter, génère de la violence dans un processus sans fin. L'ONU en 2010 a souligné qu'un des principaux risques de subir et de commettre des violences sexuelles est d'avoir subi des violences dans l'enfance. Protéger les victimes, traiter les agresseur est le meilleur moyen pour sortir de ce cercle infernal. (cf l'article de Muriel Salmona : Lutter contre les violences passe avant tout par la protection des victimes http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/combattre-la-violence.html, et la campagne 2011 de l'association sur Violences et Soins et sa pétition à signer: http://stopauxviolences.blogspot.com/2011/03/campagne-de-lassociation-violences-et.html

Pour le Bureau de l'Association


Dre Muriel Salmona

Psychiatre - Psychotraumatologue

Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie

Présidente de l'Association

Mémoire Traumatique et Victimologie

drmsalmona@gmail.com


Sokhna Fall

Ethnologue, victimologue, thérapeute familiale

Vice-présidente de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie


Dre Judith Trinquart

Médecin légiste

Secrétaire générale de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie



Dr Jean-Pierre Salmona

cardiologue

Trésorier de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie





www.memoiretraumatique.org




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