CAMPAGNE 2011 VIOLENCES ET SOINS :
DE L'ASSOCIATION MEMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE
PRÉAMBULE
texte disponible sur le blog et sur le site
Les violences qu'elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles sont une atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes.
Elles ont de graves répercussions immédiates et à plus long terme sur la santé et sur le développement psychologique et social des personnes. L'OMS en 1996 a déclaré qu'elles constituaient l'un des principaux problèmes de santé publique dans le monde.
Les violences ayant le plus d'impact sur la santé physique et mentale à long terme sont aussi les violences les plus méconnues malgré leur grande fréquence, comme les maltraitances envers les enfants et les personnes vulnérables, les violences familiales et à l’intérieur du couple, les violences sexuelles. Ces violences qui bénéficient d'une véritable loi du silence sont commises sous couvert de soins, de protection, d'éducation, d'amour, de désir et de sexualité, essentiellement par des proches et des personnes connues dans plus de 80% des cas. La méconnaissance de leur réalité (manque d'études, de chiffres, de recherches), l'absence de prévention ciblée, l'absence d'information sur les risques de subir ces violences, l'absence d'accès à des soins donnés par des médecins formés sont à l'origine d'un abandon total de victimes dont la parole n'est jamais prise en compte.
Or les violences subies pendant l'enfance quand elles ne sont pas prises en charge sont le (un) déterminant majeur de la santé et du bien-être d'une population :
Une étude américaine récente sur 17 000 personnes montre, 50 ans après des violences et des négligences subies pendant l'enfance, une augmentation considérable et proportionnelle (au nombre de violences et de négligences différentes subies, score allant de 0 à 8), de morts précoces, de pathologies organiques (infarctus du myocarde, hypertension, diabète, obésité, affections broncho-pulmonaires, maladies sexuellement transmissibles, fractures, hépatites), de pathologies psychiques (états de stress post traumatique, suicides, dépression, angoisses, attaques de panique, troubles de la personnalité, insomnie, troubles de la mémoire et de la concentration), de conduites addictives (tabac, alcool, drogues), de troubles de l'alimentation, de conduites sexuelles à risque, de violences à nouveau subies et de violences commises, de désinsertion sociale (Felitti VJ, ACE Study, The Relationship of adverse childhood experiences to adult health status, 2010).
Ces conséquences à long terme sont dues à des troubles psychotraumatiques chroniques qui s'installent quand les victimes de violences ne sont ni identifiées, ni prises en charge, ni protégées, ni soignées. Abandonnées seules avec une grande souffrance et un sentiment d'insécurité permanent elles devront survivre en mettant en place des stratégies d'auto-traitement. Ces stratégies de survie auront non seulement de lourdes conséquences sur leur santé, mais elles seront un facteur d'exclusion et de pauvreté, et un facteur de risque d'être à nouveau victime de violence ou de reproduire des violences.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans son texte de recommandations pour la prévention des violences domestiques et sexuelles, présenté le 21 septembre 2010 à la Conférence mondiale de la prévention des traumatismes et de la promotion de la sécurité, a souligné pour la première fois qu'un des principaux facteur de risque de subir et de commettre des violences domestiques et sexuelles est d'avoir subi des violences dans l'enfance (texte téléchargeable sur le site). Les stratégies de survie et d'autotraitement des conséquences psychotraumatiques des violences sont donc au coeur de la reproduction des violences.
Or des traitements de ces troubles psychotraumatiques existent et sont efficaces, et les conséquences sur la santé pourraient être évitées en mettant en place une réelle protection et des soins spécialisés pour toutes les victimes. Toute victime de violence non prise en charge risque d'être à nouveau victime ou de devenir auteur de violences.
Les violences ne sont pas une fatalité, elles sont un privilège que certains s'octroient en toute injustice et impunité. Il faut lutter contre elles en protégeant toutes les victimes, en les soignant et en luttant contre toutes les inégalités et toutes les discriminations.
Les violences, en ce début du XXème siècle, sont un des derniers privilèges qui continuent de parasiter notre démocratie et de mettre à mal les valeurs fondamentales que sont la liberté, l'égalité et la fraternité. Exercer des violences c'est s'octroyer le "droit" au nom d'une prétendue supériorité de dominer, de soumettre, de détruire des personnes qui sont considérées comme ayant moins de valeur que soi. Il s'agit de les réduire en esclavage et/ou de les instrumentaliser comme un "médicament ou une drogue" pour s'anesthésier et s'éviter ainsi toute contrainte, angoisse, tension ou remise en question.
Les violences les plus fréquentes et les moins dénoncées sont :
les violences envers les enfants : les études épidémiologiques manquent, quelques études internationales rapportent des violences physiques graves et fréquentes. La violence physique exercée contre les enfants est en général infligée pour punir et elle est acceptée par les parents, comme une norme sociale qui prévaut et est souvent même considérée de droit comme une forme correcte de discipline. Par ailleurs, selon des études effectuées dans le monde entier, environ 20 % des femmes, et 5 à 10 % des hommes déclarent avoir été victimes de violence sexuelle dans l’enfance. Beaucoup d’enfants souffrent de violence psychologique aussi bien que de négligence, dont on ignore l’ampleur du phénomène dans le monde. Lors de l'étude ACE Study portant sur 17000 personnes, on a retrouvé dans leur enfance des violences psychologiques chez 11% d’entre elles, des violences physiques chez 28 %, des violences sexuelles chez 21%.
les violences sexistes ou sexuelles envers les femmes : les chiffres sont impressionnants, suivant les pays, 15 à 71 % des femmes ont été maltraitées, frappées, agressées sexuellement au cours de leur leur vie, aucune femme, aucune fille dans le monde n'est à l'abri de subir des violences en raison de son sexe, et les violences sexuelles, suivant les études et les pays, toucheraient 20 à 30% des personnes au cours de leur vie et plus de la moitié avant 18 ans. (pour en savoir plus lire l'article du dr M. Salmona de septembre 2010 avec toutes les références : violences envers les femmes et les filles : un fléau mondial
les violences au travail, dans le cadre du soin, et les violences sur des personnes en situations de vulnérabilité (handicaps, maladies, grand âge, grande pauvreté) et de discrimination (en fonction des origines, de l'orientation sexuelle, , des opinions politiques ou religieuses).
Ces violences sont rendues possible par de nombreux stéréotypes et de fausses représentations (la place de l'homme, de la femme et de l'enfant dans la société, l'équivalence entre éducation et dressage, amour et possession, sexualité et violence, la confusion entre désir et prédation, les prétendues pulsions sexuelles irrépressibles des hommes et disponibilité sexuelle des femmes, etc.), le déni et la loi du silence qui pèsent sur elles, la méconnaissance de leur fréquence et de la gravité de leur impact.
Les violences sont toujours intentionnelles, souvent préméditées et elles sont une drogue au service de l'agresseur, elles n'ont rien à voir avec la victime :
Elles s'exercent de façon mystificatrice sous couvert d'amour, de désir, d'éducation, de soins, de sécurité, pour le "bien" de la victime. Il n'en est rien. La violence ne sert que l'agresseur. Rien de ce qu'est ou fait la victime ne ne justifie la violence, la victime n'est pas responsable de la violence exercée contre elle. L'agresseur impose par manipulation, emprise, domination ou terreur un scénario et un rôle à la victime qui ne la concernent en rien. Il s'agit pour l'agresseur d'utiliser une victime pour son seul et unique intérêt, pour son confort et pour s'éviter des angoisses (esclaves à disposition, fusibles pour s'anesthésier).
Les violences sont à l'origine d'une atteinte grave de l'intégrité physique et psychique des victimes, avec des blessures physiques mais aussi psychiques et neurologiques liées au stress qui nécessitent des soins urgents et spécialisés.
Les violences génèrent un stress extrême (avec production d'adrénaline et de cortisol) que la terreur et la sidération psychique de la victime rendent incontrôlable, cela entraîne un risque vital cardio-vasculaire et neurologique, et déclenche alors un mécanisme de sauvegarde neuro-biologique qui - comme dans un circuit électrique qui est en survoltage - fait disjoncter le circuit émotionnel responsable du stress extrême. cette disjonction crée une anesthésie émotionnelle brutale et un état de dissociation (état de conscience altérée avec des sensations de déconnection et de dépersonnalisation) qui protège le cœur et le cerveau. Cette anesthésie émotionnelle est produite par des drogues dures (morphine et kétamine-like sécrétées par le cerveau). Cette anesthésie émotionnelle qui est subie douloureusement par les victimes, est en revanche activement recherchée par les agresseurs et entraîne chez eux une véritable addiction.
Si tout traumatisme peut entraîner des troubles psychotraumatiques chroniques (avec un risque de 24%), les violences sont beaucoup plus à risque d'en développer particulièrement quand il s'agit de violences intra-familiales (60%, Astin,1995) ou de violences sexuelles (jusqu'à 80%, Breslau, 1991). Ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années voire toute une vie si aucun soin n'est donné. Les mécanismes qui sont à l'origine de ces troubles psychotraumatiques sont connus depuis peu. La disjonction de sauvegarde lors du stress extrême entraîne, en plus de l'anesthésie émotionnelle, la mise en place d'une mémoire traumatique (mémoire émotionnelle des violences qui, en raison du court-circuit) ne pourra pas être traitée, ni intégrée au niveau du cortex. Cette mémoire traumatique non-consciente et non-contrôlable, comme une machine à remonter le temps infernal, fait revivre à la victime les violences à l'identique avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes sensations lors de réminiscences, de flash-back, de cauchemars. Elle se déclenche lors de liens qui rappellent les violences (contexte, émotions, sensations, douleurs). Elle va transformer la vie des victimes en un terrain miné et être à l'origine d'une souffrance psychique extrême et d'un sentiment d'insécurité permanent. Avec des soins précoces (dans les 12heures) elle peut être évitée. Si la victime est abandonnée sans protection, sans prise en charge ni soins appropriés, la mémoire traumatique s'installe durablement et s'accompagne d'une souffrance intolérable et d'idées suicidaires. Pour survivre, la victime doit mettre en place des stratégies de survie : des conduites d'évitement, de contrôles et d'hypervigilance pour éviter tout allumage de la mémoire traumatique ; et des conduites dissociantes pour l'anesthésier si elle s'est allumée comme des mises en danger (qui en augmentant le stress provoqueront une disjonction et une anesthésie comme des auto-mutilations, des conduites à risques) et des conduites addictives telles que consommation de produit ayant un pouvoir anesthésiant et dissociant comme de l'alcool ou de la drogue : de 70 à 90% des alcooliques, des toxicomanes, des prostitué-e-s ont subi de graves maltraitances le plus souvent dans l'enfance, avec un très fort pourcentage de violences sexuelles.
Ces stratégies de survie lui permettront de se protéger un peu, mais elles seront très coûteuses, incompréhensibles et culpabilisantes, et elles auront un impact catastrophique sur leur santé et leur vie personnelle, sociale et professionnelle. Avec un risque de mort prématurée (accidents, suicides, morts par maladie), de maladie cardio-vasculaires, de conduites à risques, de conduites addictives, de troubles psychiatriques (dépressions, crises d'angoisse, phobies, insomnie, de troubles de l'alimentations, de la sexualité, troubles de la personnalité, troubles de la mémoire, de la concentration, d'absences, de sentiments de honte et de culpabilité, de dépersonnalisation, d'être différent), accompagnés d'une fatigue et de douleurs chroniques, d'échecs scolaires et professionnels, d'arrêts de travail de longue durée, d'invalidité, d'isolement, de marginalisation, d'exclusion, de grande pauvreté, mais aussi de délinquance et de reproduction des violences (pour s'anesthésier en instrumentalisant autrui).
La mémoire traumatique, la souffrance et le stress qu'elle déclenche et les stratégies pour l'éviter et l'anesthésier sont donc à l'origine de toutes les conséquences sur la santé et la vie des victimes. Or si les violences sont connues, il est possible d'éviter la mise en place d'une mémoire traumatique par une protection et une prise en charge précoce, ou de traiter efficacement cette mémoire traumatique par des soins spécialisés. Pour en savoir plus aller sur le site memoiretraumatique.org
Laisser des victimes non identifiées, sans protection, sans information et sans soin c'est donc :
- les condamner à souffrir durant des années, voire toute leur vie, dans une solitude effroyable, dans un état d'insécurité permanente, d'incompréhension et de culpabilité, sans espoir de pouvoir se réaliser et d'être pleinement elles-même
- prendre le risque qu'elles meurent précocément, de morts violentes par homicides, par suicides, par accidents ou par maladie
- prendre le risque qu'elles développent des conduites addictives (tabac, alcool, drogues, jeux), des troubles alimentaires, une sexualité à risque et se retrouvent piégées dans des situations prostitutionnelles
- mettre en danger leur santé, de multiplier la consommation de soins inadaptés et inefficaces
- prendre le risque de les mettre en échec au niveau scolaire et professionnel
- aggraver les inégalités et renforcer les discriminations et les injustices
- augmenter la précarité, les situations de marginalisation, le risque prostitutionnel et la pauvreté et mettre en danger la cohésion sociale,
- donner un signal fort aux agresseurs pour qu'ils se sentent autoriser à continuer les violences sur des victimes qu'ils peuvent estimer sans valeur puisque la société ne met pas tout en œuvre pour les protéger
- mettre les victimes en danger de subir de nouvelles violences et alimenter une reproduction sans fin des violences car certaines victimes choisiront de s'auto-traiter en adhérant à la loi du plus fort et en exerçant elles-mêmes des violences.
Pourtant, en 2011, malgré leur fréquence et leur gravité, ces violences font toujours l'objet d'une méconnaissance et d'une sous-estimation, au pire d'un déni ou d'une tolérance coupable (moins de 10% des viols et des violences conjugales font l'objet d'une plainte, OND 2009).
Elles font l'objet d'une véritable loi du silence. Cette loi du silence protège les agresseurs en leur assurant l'impunité, et elle protège également le mythe d’une société patriarcale idéale où les plus forts (les hommes et tout ceux qui détiennent une autorité) protégeraient ceux désignés comme étant les plus faibles ou les plus vulnérables (les femmes et les enfants).
Surtout, cette loi du silence abandonne les victimes à leur sort. Actuellement l'immense majorité des victimes restent seules car elles ne sont pas identifiées, restent sans soins car leurs troubles psychotraumatiques ne sont pas pris en charge spécifiquement (par méconnaissance de la part des médecins qui ne sont toujours pas formés durant leurs études médicales), et elles subissent souvent des soins inappropriés, voir violents.
Cependant, des soins spécialisés sont efficaces sur les troubles psychotraumatiques et particulièrement sur la mémoire traumatique.. Lʼétude sur les conséquences psychotraumatiques des violences faites en 2008 sur le 92 a montré que plus de 80% des patients victimes de violences recevant des soins spécialisés ont constataient une amélioration de leur santé psychique importante, voire très importante, et 47 % une amélioration de leur santé physique, la prise en charge spécialisée est considérée comme utile, répondant aux attentes, permettant dʼaller mieux et de mieux se comprendre (cf étude M. Salmona 2008).
La violence n'est pas une fatalité et les auteurs de violences doivent
Dr Muriel Salmona, Bourg la Reine, le 22 février 2011, journée européenne des victimes
Présidente de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie
54 avenue des vergers 92340 Bourg la Reine