jeudi 20 janvier 2011

Témoignage édifiant sur les violences que peuvent représenter une mauvaise prise en charge et des soins inappropriés chez une jeune victime de viol



Il s'agit du témoignage émouvant de la mère de cette jeune victime de viol qui a soutenue et entourée sa fille et qui s'est battue pour faire entendre la souffrance de sa fille auprès des médecins et pour la protéger de soins totalement inadaptés, qui a compris bien mieux que les médecins ce qu'était une mémoire traumatique et qui a permis à sa fille d'aller mieux.

Ce témoignage fait partie de plusieurs témoignages postés sur le site memoiretraumatique.org, vous pouvez aussi y trouver les témoignages lus pendant le colloque de l'association du 10 novembre 2010 sur les violences sexuelles :

cliquez sur le lien



Madame,


Je viens de lire vos propositions pour la prise en charge des victimes d’agression sexuelle. Pour la première fois depuis trois ans, j’ai le sentiment que les multiples interrogations que j’ai eu, les certitudes, les choix difficiles apparaissent entre les lignes de vos propositions. Je vais vous apporter mon témoignage de simple maman, puisse-t-il vous aider, être une petite goutte d’eau dans votre action.


Voici trois ans, ma fille cadette alors âgée de 17 ans, a été emmené par sa meilleure amie chez un monsieur de 40 ans qui l’a agressée sexuellement et chez qui elle a été séquestrée, insultée, menacée de mort, une nuit entière. Je vais vous résumer son parcours au niveau de la justice qui, bien que navrant, est malheureusement banal, mais je crois que celui de sa prise en charge médicale vous étonnera peut-être. Quelques mois plus tard, elle s’est confiée à sa sœur puis à moi et elle a porté plainte.


L’enquête a été particulièrement longue, elle a « subi » une première « expertise » par un psychologue qui mit en cause la parole de ma fille, lors d’un entretien qui se déroula porte ouverte. Il a fallu attendre deux ans pour que l’agresseur soit entendu puis relâché.


Durant la première année, ma fille a été déscolarisée et a passé son bac sans avoir été en cours. Elle a ensuite voulu entamer une année de droit puis une année de lettres mais son état de santé l’a contrainte à abandonner. Les événements liés à l’enquête, confrontations, convocations… la rattrapaient toujours. L’an passé elle a reçu l’avis de classement sans suite, puis le dossier de l’enquête avant de décider de faire appel.


Cela fait maintenant un an et elle vient d’être convoquée chez le juge d’instruction et elle ne pense plus être en mesure de poursuivre plus loin l’action judiciaire pour des raisons de santé.


Durant la première année ma fille a commencé à développer tous les symptômes qui sont décrits sur votre site : stress, insomnie, cauchemars, souvenirs intempestifs, elle entendait ou revivait son agression et toutes les agressions de l’enquête, confrontations etc.. Pendant longtemps elle m’a dissimulé ces troubles qui l’effrayaient. Elle a rencontré psychologue, psychiatre sans avoir l’écoute qui lui convenait pendant deux ans. Les traitements à base d’antidépresseurs ne semblaient pas l’aider ou du moins pas suffisamment. Au bout de deux ans, dans le cadre d’une association d’aide aux victimes, elle a enfin rencontré la psychologue qui la suit depuis plus d’un an.


Après avoir eu l’avis de
classement sans suite et après avoir demandé la réouverture du dossier, l’anxiété de ma fille s’est accrue considérablement et elle a fait une tentative de suicide en prenant des médicaments quelques jours avant l’anniversaire de ses 20 ans. Je l’ai emmenée aux urgences, on me dit très vite qu’elle était hors de danger mais sa sœur et moi n’avons pas eu le droit de la voir. Le psychiatre responsable du service psychiatrie nous a rencontrées pour nous expliquer le « protocole » : « En cas de tentative de suicide le patient est isolé de sa famille ». Nous avons tenté de lui expliquer les circonstances de son geste et nous lui avons dit également qu’elle devait sans doute demander à nous voir et que cela la rassurerait. Ce monsieur nous a affirmé que ma fille avait accepté de se faire hospitaliser et qu’elle ne demandait pas à nous voir. Sa sœur et moi-même avions conscience de la nécessité d’une prise en charge mais il nous semblait inconcevable de la priver de sa famille en des moments si difficiles. Sa sœur aînée a dit au psychiatre : « Mais c’est le classement sans suite, les témoignages qui ont déclenché cela, ma sœur allait mieux, elle avait même des amis à la faculté. » Il lui fut répondu : « Si elle était morte, elle n’aurait plus d’amis, plus de famille, et puis cela n’a pas empêché qu’elle fasse une tentative de suicide. »


Nous avons pendant la nuit cherché une solution et le lendemain nous avons présenté une lettre de ma fille hospitalisée précisant que j’étais son référent. Devant le refus des infirmières, j’ai rencontré une personne de la direction qui m’a reçue et a convoqué le psychiatre. Celui-ci a alors dit que si je rencontrai ma fille, il ne l’accepterait pas dans son service et qu’elle devait accepter de sortir contre avis médical. Lorsque sa sœur et moi avons enfin pu la rencontrer, nous avons appris que depuis la veille, elle demandait à nous voir et qu’elle avait accepté de faire hospitaliser sans savoir qu’elle ne pourrait pas nous rencontrer. Nous sommes sorties au plus vite de cet hôpital.


L’état de ma fille demeurait très inquiétant.
Sa souffrance était très importante et omniprésente, elle éprouvait le besoin d’une prise en charge hospitalière. Nous avons donc rencontré son médecin traitant qui lui a conseillé une clinique privée. L’hospitalisation de ma fille a eu lieu deux semaines plus tard. J’ai accompagné ma fille et, avec son accord, j’ai rencontré le psychiatre pour lui expliquer ce que ma fille avait subi. A ce moment là, elle avait des difficultés d’élocution proche du bégaiement et s’exprimait très difficilement devant d’autres personnes que sa famille. Néanmoins, je peux dire que ce monsieur était au courant de son vécu.


Ma fille était en attente de prise en charge psychologique et dés les premiers jours, elle me disait vouloir rencontrer la psychologue et participer à des groupes de paroles. Au bout de quelques jours je la vis de plus en plus diminuée. Elle ne pouvait plus parler. Elle n’avait plus le contrôle de la mâchoire inférieure et était visiblement la personne la plus médicamentée de la clinique. M’inquiétant, je réussis à avoir le psychiatre au téléphone qui me dit : « avant de rencontrer la psychologue il faut calmer l’anxiété de votre fille et nous soupçonnons une autre maladie car votre fille a des hallucinations.»


Le lendemain, je rencontre ma fille et lui pose quelques questions et là, elle me dit tristement : « on m’a dit que j’avais une autre maladie et que je devrais prendre des médicaments toute ma vie. Je n’ai pas osé te le dire mais j’ai des hallucinations ». Je continue à lui poser des questions sur ce qui s’est passé dans le service et sur le contenu de ses hallucinations. Je réalise alors trois choses : premièrement la fatigue de ma fille est telle qu’elle a de grandes difficultés pour s’exprimer et que ses crises de dissociation s’expriment de façon pauvre : « j’entends des voix, on crie sur moi, on va me tuer, les gens veulent m’agresser » puis les injections pour la calmer, l’endorment profondément. En second lieu, ma fille se croit folle, et n’est pas étonnée par le diagnostic à peine dissimulé, de schizophrénie, il fait écho à tous les étranges symptômes qu’elle dissimule depuis plusieurs années. Enfin en continuant à l’interroger, elle me décrit plus en détail le contenu de ces états et je réalise qu’ils correspondent tous à une réalité de son passé : la lecture de témoignages qui l’agressent, l’agression proprement dite, elle entend des phrases que j’ai lu dans le dossier, elle décrit des endroits précis (l’appartement, la gendarmerie) j’apprends aussi que personne dans la clinique ne lui a posé les questions que je lui pose. Je lui dis alors que ce qu’elle vit correspond à des souvenirs bien réels et que ce ne sont pas des hallucinations. Je lui conseille d’en parler à la psychologue ou au psychiatre.

Durant les jours qui suivent ma fille essaiera en vain de rencontrer la psychologue. Elle tombera à plusieurs reprises avec une tension qui chute à 7. Elle garde encore aujourd’hui les cicatrices de ses chutes. En colère, elle se heurte à un des psychiatres et trouve l’énergie de sortir de la clinique une semaine plus tard après quinze jours d’hospitalisation. C’est la deuxième sortie contre avis médical.


Nous rencontrons son médecin traitant qui découvre que ma fille a un traitement extrêmement lourd : Risperdal à haute dose, Tercian, injections de calmant dont j’ai oublié le nom et arrêt des antidépresseurs. En une semaine, malgré le contexte psycho-traumatique, ma fille a été traitée pour schizophrénie. Son médecin traitant diminue les doses de Risperdal et la place sous antidépresseur avec des anxiolytiques. Nous trouvons un hôpital de jour à 50 km qui pratique des activités basées sur la voix et le chant. Cela aide beaucoup ma fille qui s’y rend une fois par semaine.


Le médecin traitant de ma fille lui fait lire le compte rendu fait par le psychiatre de la clinique : il évoque un contexte traumatique sans le lier réellement aux symptômes. Durant les mois qui ont suivi, ma fille a eu plusieurs épisodes dissociatifs devant moi. J’ai remarqué qu’ils étaient toujours déclenchés par une lumière particulière, une fenêtre. Je l’ai rassurée, je lui disais qu’il s’agissait de souvenirs, je lui ai demandé de dire ce qu’elle voyait et j’ai constaté à chaque fois qu’il s’agissait de souvenirs précis. Je l’ai aidée comme je pouvais à sortir de ces souvenirs, en se rappelant qu’elle était sortie de l’appartement où elle a été agressée, qu’elle était sortie de la gendarmerie où elle avait revu son agresseur. Je la guidai parfois pour trouver la porte. A chaque fois que je pouvais faire cela, elle se calmait progressivement et se sentait beaucoup mieux en revenant à elle.


Ma fille avait des épisodes où sa souffrance était insupportable et j’ai parfois tenté de lui obtenir de l’aide en allant aux urgences. Je croyais naïvement qu’on pourrait lui administrer un calmant pour atténuer momentanément sa souffrance. En rencontrant une infirmière, je posais simplement la question et elle me répondit : cela dépend de l’interne. Puis au fur et à mesure des questions qu’elle posait, je réalisais que l’on soupçonnait ma fille d’être en manque de drogue. Ce jour là ma fille sortit sans aucune aide. J’ai d’ailleurs pensé que si sa prise en charge n’était pas satisfaisante, celle des jeunes en état de manque ne devait pas l’être non plus et qu’il fallait être inhumain pour ne pas soulager de telles souffrances qu’elles soient dû à un état de manque ou à un traumatisme.


J’ai remarqué qu’il y avait un décalage important entre les émotions que ma fille ressentait et les manifestations anxieuses et j’ai tenté au quotidien de réduire ce décalage et de l’encourager à s’exprimer soit directement soit en écrivant pour ses rendez-vous avec sa psychologue.


Dans le même temps la juge d’instruction qui avait accepté immédiatement de rouvrir le dossier a demandé une nouvelle expertise psychologique. Cette dame a fait l’effort de chercher quelqu’un de compétent et nous avons dû faire 150 km pour nous rendre au rendez-vous…


Ma fille a ensuite tenté d’arrêter elle-même ses anti-dépresseurs et a fait une rechute au mois de juin, un peu avant la date anniversaire de son agression. Les anxiolytiques qui lui furent prescrit (Lysanxia puis Xanax) semblaient augmenter ses crises d’anxiété, qui étaient telles qu’elle perdait conscience durant plus d’une demi-heure. Elle a dû être mise sous oxygène par les pompiers à plusieurs reprises. Elle a été hospitalisée deux jours en psychiatrie. Là, elle a précisé qu’elle ne voulait pas de neuroleptiques et malgré cela, dés le premier jour elle en a eu associés à de l’Effexor et du Temesta. En sortant deux jours plus tard, son médecin traitant a commencé à être ébranlé par tant d’avis médicaux convergents (mais sans doute motivé par un seul dossier médical ) et a évoqué la nécessité de poursuivre le médicament prescrit. Ma fille avait eu des difficultés à arrêter le Risperdal quelques mois auparavant. Ses troubles par contre étaient apparus après l’arrêt des antidépresseurs et avec la prise de Lysanxia et de Xanax. Nous avons donc décidé de poursuivre uniquement le traitement par Effexor et Temesta. Celui-ci a beaucoup aidé ma fille. Elle a pu reprendre la lecture. Les crises d’angoisses sont gérables et baissent considérablement sous Témesta à dose correcte. En août ma fille a fait une cure à Néris-les-Bains. Les massages lui furent très bénéfiques.


Depuis le mois de septembre, elle est partie vivre la semaine chez son frère dans une ville à plus de 100 km pour reprendre une vie sociale avec des jeunes de son âge. Elle a entamé une formation pour s’orienter vers un BTS en alternance. Elle continue à voir très régulièrement sa psychologue. Elle avait décidé d’arrêter la procédure mais a été convoquée par la juge d’instruction. Elle vient d’apprendre qu’il n’est pas possible d’arrêter la procédure. Bien sûr elle n’a pas été bien. Elle a eu de nouveau des épisodes de souvenirs non maîtrisés mais elle a lu votre phrase : « des manifestations normales à une situation anormale »…elle a lu vos articles et elle est maintenant persuadée de ne pas être ni psychotique ni schizophrène.


Cela lui a permis de continuer son stage, de retourner chez son frère, d’être moins exigeante envers elle-même et en étant moins anxieuse devant les symptômes de son traumatisme, l’anxiété est globalement moins importante même si les circonstances restent difficiles.


Pour accompagner ma fille ces dernières années, j’ai été contrainte de me mettre en arrêt maladie. J’ai été plus d’un an avec la moitié d’un salaire, je suis en surendettement, j’ai fait le choix sans hésiter de sacrifier ma vie professionnelle. Pour garder les idées claires, je n’ai jamais pris de médicaments, j’ai pratiqué la brain-gym pour gérer la fatigue et le stress, j’ai dévoré des milliers de pages médicales en Français et en Anglais sur Internet. Le vide existant au niveau d’une bonne prise en charge médicale ne m’a pas laissé le choix, mais j’ai eu conscience que cette absence de prise en charge correcte constituait pour ma fille un traumatisme supplémentaire avec une nouvelle mise en danger, une perte de confiance en son environnement médical.


Souvent ma fille évoque les personnes agressées qui n’ont pas le soutien de leur famille ou pis encore, celles dont on met la parole en doute au sein même de la famille. Comment survivre ?


Bien sûr, j’ai eu le sentiment de prendre des risques en faisant confiance en mon intuition. Je suis certaine d’avoir fait des erreurs dans ce parcours pour lequel je ne m’étais pas préparée. Néanmoins le fait de voir ma fille s’exprimer, pleurer, rire, prendre de l’autonomie, choisir une direction est une joie pour moi. Les feux orange clignotant de l’inquiétude d’une maman sont toujours prêt à s’activer et, actuellement mon travail consiste à les entretenir à bon escient, c'est-à-dire être là quand il faut, seulement quand il faut.


Je me pose cependant une question, au niveau médical, quand je vois les études et les enquêtes sur les schizophrènes et les terrains à risque de cette maladie. Les études se situent toujours sur un diagnostic établi et que l’on ne remet pas en cause. Or le diagnostic ne s’appuie que sur une série de symptômes qui se répètent dans le temps. Si on prend pour exemple des personnes ayant subi un traumatisme, les symptômes de stress post-traumatique alliés à la mauvaise prise en charge de ces malades, et donc à la répétition de ceux-ci dans le temps, peuvent permettre de faire un diagnostic de schizophrénie erroné pour peu que l’on ne fasse pas de lien entre les états dissociatifs et les traumatismes antérieurs. Dans les mêmes enquêtes sur la schizophrénie on voit que les traumatismes durant l’enfance font partie d’un terrain favorable, ainsi que les facteurs environnementaux. Or en changeant de point de vue, il semble légitime de se demander si tous les schizophrènes diagnostiqués dans ce cas ne sont pas des personnes souffrant de SPT.


De même on parle des effets du cannabis à forte dose, je suis bien sûr persuadée que cette substance est nocive, néanmoins on peut remarquer également que la souffrance due au stress post-traumatique favorise la prise de drogue ou d’alcool pour soulager cette souffrance. Il n’est donc pas inopportun de penser qu’un certain nombre de ces schizophrènes diagnostiqués sont des personnes victimes de traumatismes non pris en charge, et dont l’état s’est détérioré avec la prise de ces substances. Ce qui me semble dramatique c’est la difficulté pour remettre en question des diagnostics établis. Il semble difficile de faire part de mon sentiment voire de l’expérience de ma fille sur le net sans risquer de donner de faux espoirs à de vrais malades, ce qui serait désastreux voire dangereux. J’ai essayé d’en parler avec le psychiatre qui avait suivi ma fille à la clinique mais il était tellement difficile pour lui de remettre en cause son diagnostic et tellement facile pour lui de penser qu’une mère qui refuse le diagnostic est une chose tellement courante, normale, compréhensible, que j’ai bien vu qu’il ne m’écoutait pas.


Alors la seule solution que je vois, est de vous écrire mon simple avis, peut-être pourrez vous grâce à vos formations permettre à vos confrères d’éviter des épidémies de schizophrénie, de psychotiques hypermédicamentés (je me demande d’ailleurs si certains laboratoires n’ont pas un intérêt financier à favoriser cette épidémie, à financer des enquêtes). Vous pouvez utiliser mon témoignage comme vous le désirez pour favoriser la création de centre d’accueil pour les victimes ce qui me semble la solution la plus satisfaisante pour elles.


Avec tous mes remerciements pour votre action.


1 commentaire:

Jacklewis a dit…

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