Viols à Villefontaine : les élèves ont été exposés à un danger. Cela aurait dû être évité
LE PLUS. Le directeur de l'école de Villefontaine a avoué, mardi 24 mars, des actes pédocriminels sur neuf de ses élèves. Depuis, les plaintes se multiplient : l'homme, qui avait déjà été condamné en 2008 à six mois de prison avec sursis pour recel d'images à caractère pornographique, est visé par 14 nouvelles accusations de viols. Pour Muriel Salmona, psychiatre, il n'aurait jamais dû continuer à exercer.
Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,
À Villefontaine, environ mille personnes ont participé samedi 27 mars à une marche silencieuse pour exprimer leur solidarité avec les enfants violés et leur famille, mais également leur immense colère contre le directeur d’école mis en examen, et leur révolte et leur incompréhension face à l’inconcevable irresponsabilité des institutions judiciaires et scolaires qui ont mis en grand danger les élèves de CP en laissant enseigner un homme condamné en 2008 pour recel d’images pédopornographiques.
Les deux premières plaintes initiales pour viols, concernant deux petites filles de 6 ans et demi de la classe de CP, ont été rapidement suivies par celles de sept autres enfants qui rapportaient les mêmes violences et la même mise en scène abjecte. D’après le procureur, le directeur de l’école a reconnu avoir violé par surprise ces neuf enfants (sept filles et deux garçons), il a admis avoir photographié les viols à l’aide du matériel vidéo placé dans la classe, avant de les effacer, et reconnu posséder des images pédopornographiques. Depuis, les plaintes de 14 autres parents d'élèves, dont certains ne sont pas scolarisés dans cette école, sont en cours de recueil par les enquêteurs.
Ce sont donc 23 enfants qui rapportent avoir subi des viols assortis de plusieurs circonstances aggravantes. Au moins 23 enfants victimes de crimes, 23 enfants gravement traumatisés.
Il y a de quoi être sous le choc, effondré à l’idée que ces enfants victimes de viols aient été livrés sans aucune défense à une personne potentiellement dangereuse, et scandalisé et écœuré par les incroyables failles de la justice et de l’Education nationale.
Comment est-il possible qu’un homme, dont le métier lui confère une autorité sur les très jeunes enfants qui lui sont confiés et avec lesquels il est en contact quotidiennement, ait pu continuer d’exercer en tant qu’enseignant après une condamnation pour détention d’images pédopornographiques ? Pourtant, le procureur à l’obligation de prévenir toute administration en cas de poursuite ou de condamnation pénale à caractère sexuel, ce qui semble ne pas avoir été fait. Pourquoi la justice n’a-t-elle pas prévenu l’Education nationale, ni assorti sa condamnation comportant 6 mois avec sursis et une mise à l’épreuve avec obligation de soin, d’une mesure lui interdisant d’être en contact avec les enfants dans le cadre de son exercice professionnel ? Et pourquoi l'inspection d'académie qui n’aurait découvert cette condamnation qu’au moment de l'arrestation du directeur, n’a-t-elle pas depuis 2008 eu connaissance de son casier judiciaire ?
Comment de tels risques ont-t-ils été pris par la justice ? Pour donner une chance à cet homme qui n’avait pas d’antécédents connus lors de sa première condamnation ? Mais pas d’antécédents connus ne signifie nullement pas de délits ou de crimes commis précédemment au vu du très faible pourcentage de violences sexuelles faisant l’objet de plaintes, moins de 10% pour les viols. De toute façon, en aucun cas un risque d’exposer à un danger potentiel de jeunes enfants totalement vulnérables n’aurait dû être pris. Protéger les enfants de tout risque de violence sexuelle est un impératif catégorique.
Faut-il que personne parmi les magistrats ou les responsables de l’Education nationale n’ait eu suffisamment peur pour les enfants, pour qu’aucune mesure pour les protéger n’ait été mise en place ?
Faut-il que le déni et la loi du silence règnent au sein de ces institutions pour que personne ne prenne en considération qu’un homme qui a été de façon avérée un consommateur de pédopornographie représente un danger potentiel pour des élèves de primaire, et pour que le risque qu’ils subissent des violences sexuelles soit à ce point minimisé ! Et faut-il, enfin, que la stratégie des pédocriminels sexuels, qui recherchent bien évidemment le contact avec les enfants, soit totalement ignorée ! Si cet homme avait été réellement déterminé à se traiter et à contrôler des passages à l’actes, il aurait de lui-même tout fait pour ne plus être en contact avec des enfants. Et il faut être bien naïf pour ne pas se confronter à la réalité de ce que signifie le recel d’images pédopornographiques qui implique de jouir de délits ou de crimes bien réels commis sur des enfants par d’autres agresseurs, et bien souvent d’avoir partagé en réseau avec eux ses propres images.
Mme la ministre de l’Éducation nationale, Najat Valaud Belkacem, qui s’est exprimée devant la presse, mais ne s’est pas encore déplacée sur les lieux pour soutenir les victimes et leurs familles, a-t-elle vraiment pris la mesure de la gravité de ce qu’on subi tous ces très jeunes enfants, et de la scandaleuse absence de protection dont ils ont été l’objet ? Elle nous dit que « ce drame ne doit plus se reproduire« et qu’elle a diligenté avec Mme la ministre de la Justice Christiane Taubira, dont le silence est assourdissant, une enquête administrative, confiée à l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche. Car il n’est pas question de drame, mais de crimes aggravés qui auraient pu être évités, et donc de fautes graves de l’État !
Malheureusement ce qui vient de se passer d’intolérable à Villefontaine, n’a rien d’exceptionnel. Ces situations scandaleuses sont monnaie courante, malgré des plaintes classées sans suite ou étouffées au sein des institutions concernées, des criminels ont pu, sans être inquiétés, faire des centaines de victimes pendant des dizaines d’années avant d’être arrêtés et jugés. Nous en avons eu de nombreux exemples avec les scandales au sein de l’Eglise et de l’école, ou comme ceux de l’Ecole en bateau ou de l’affaire Régis de Camaret.
Les enquêtes de victimation, les récentes études nationales et internationales, celle l'OMS ainsi que l’enquête : «Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte», menée en France par notre association Mémoire Traumatique et Victimologie dans le cadre de sa nouvelle campagne STOP AU DENI, soutenue par l’UNICEF et diffusée le 1er mars 2015, convergent dans le terrible constat d'une insuffisante reconnaissance des violences sexuelles, de leur gravité et de l’importance de leur impact sur la santé et la vie des enfants même à très long terme, ainsi que de l’absence de protection et de prise en charge des victimes.
Les chiffres de l’OMS (18% des filles et 7% des garçons sont victimes de violences sexuelles) et les résultats des études sont alarmants et font des violences sexuelles faites aux enfants un très grave problème de société et un scandale en matière de politique publique.
Notre enquête révèle que 81% des 1214 répondant-e-s victimes de violences sexuelles, ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans, qu’elles sont commises dans 94% des cas par des proches et des personnes connues des enfants, qu’elles ont lieu dans le cadre scolaire dans 12% des cas.
Alors que les enfants sont les principales victimes de ces délits graves et de ces crimes (68% de viols dans notre enquête). Moins de 20% déclarent avoir été reconnus comme victimes et protégés, et 30% en cas de plainte, à peine plus. Les enfants sont d’autant plus pris au piège, condamnés au silence et abandonnés que les agresseurs - essentiellement masculins - bénéficient presque toujours d’une totale impunité, seuls 1 à 2 % des viols font l’objet de condamnations. Les forces publiques et la justice s’avèrent incapables de protéger les enfants (1).
Or les conséquences des violences sexuelles sont très graves si les enfants ne sont pas reconnus, ni pris en charge, les violences sexuelles font partie des pires traumas, avec de lourdes conséquences sur leur santé mentale et physique. Ces traumas ne sont pas seulement psychologiques mais aussi neuro-biologiques avec des atteintes corticales et des altérations des circuits émotionnels et de la mémoire à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique qui — telle une machine infernale à remonter le temps — leur fait revivre à l’identique ce qu’ils ont subi, comme une torture sans fin, tant qu’ele n’est pas traitée, les obligeant à mettre en place de coûteuses stratégies de survie pour y échapper.
Avoir subi des violences dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après et peut faire perdre jusqu’à 20 années d’espérance de vie si plusieurs violences sont associées. Dans notre enquête 95% des victimes de violences sexuelles rapportaient un impact sur leur santé mentale, 70% sur leur santé physique, 45% d’entre elles ont tenté de se suicider, et 48% ont développé des addictions, et elles sont 70% à subir à nouveau des violences sexuelles. Les soins sont efficaces et essentiels, ils doivent être prodigués le plus tôt possible pour éviter de lourdes conséquences.
Mme la ministre Najat Valaud Belkacem nous l’a assuré, tout est mis en place pour prendre en charge les enfants victimes le temps nécessaire par des cellules médico-psychologiques. Nous espérons qu’ils recevront des soins de qualité et qu’ils continueront ensuite d’être suivis dans les meilleures conditions et sans frais, ce qui risque d’être beaucoup plus aléatoire, vu la rareté de l’offre de soins spécialisés. De même nous espérons qu’ils ne subiront pas de maltraitances lors de leur parcours judiciaire, qu’ils seront efficacement protégés, et qu’ils obtiendront justice et des réparations à hauteur du préjudice subi.
Le déni des violences sexuelles envers les enfants est un scandale humain, sanitaire et social, aussi dans le cadre de la campagne «Stop au déni» notre association Mémoire traumatique et victimologie a récemment lancé une pétition intitulée « Droit d'être soignées et protégées pour toutes les victimes de violences sexuelles», qui a déjà recueilli plus de 10 000 signatures. Cette pétition réclame la mise en place d’un plan global de lutte et de prévention contre toutes les violences sexuelles et d’amélioration de la prise en charge des victimes.
Dre Muriel Salmona
[1] situation que je dénonce dans mon ouvrage "Le livre noir des violences sexuelles", paru chez Dunod en 2013.
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