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Les violences sexuelles
journal Ekaitza
mai 2013
n°1294
LA CONSPIRATION DES OREILLES BOUCHÉES
Interview de Muriel Salmona
réalisée
par Isabelle Bordenave
Après avoir chroniqué le Livre noir des violences sexuelles, Ekaitza a rencontré son auteure, le docteur Muriel Salmona. Nous avons pu réaliser une interview pour en savoir plus sur ce véritable fléau que sont toutes les violences, réel problème de santé publique délibérément occulté dans nos sociétés
Ekaitza : Qu’est-ce qui vous a poussée à publier un « livre noir » sur les violences sexuelles ?
Mon but avec ce livre est avant tout d’améliorer la prise en charge des victimes de ces violences, et de dénoncer un véritable scandale de santé publique, puisqu’actuellement, dans leur très grande majorité les victimes sont abandonnées sans protection, sans soin, et sans que justice ni reconnaissance des préjudices subis leur soient reconnus. Ce livre répond à la fois à la nécessité d’informer sur la réalité des violences sexuelles et la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques qui sont méconnues même par les professionnels de la santé censés prendre en charge et accompagner les victimes, mais également de donner des explications sur les mécanismes neuro-biologiques récemment découverts qui permettent de mieux comprendre les comportements des victimes, et de mieux les protéger et les soigner.
Ekaitza : Qui sont les agresseurs, comment devient-on agresseur sexuel ?
Y a-t-il une personnalité de l’agressé « un terrain favorable » ?
Les agresseurs se retrouvent dans tous les milieux, ce sont avant tout des proches des victimes, très majoritairement des hommes. Les agresseurs en commettant des violences sexuelles instrumentalisent des victimes pour s’anesthésier et assouvir leur volonté de domination. Les violences sexuelles ne proviennent pas d’un désir sexuel mais d’une intentionnalité de détruire et de soumettre, il s’agit d’une excitation à la haine et à l’humiliation. La majorité des agresseurs ont subi ou ont été témoin de violences sexuelles et pour auto-traiter leur traumas s’identifient à l’agresseur et s’anesthésie émotionnellement en reproduisant les violences. La violence génère un stress extrême et a de ce fait un pouvoir dissociant comme une drogue (elle entraîne des mécanismes neuro-biologiques de disjonction de sauvegarde dans le cerveau pour éteindre une réponse émotionnelle trop intense représentant un risque vital avec la production de drogues morphine et kétamine-like), et un pouvoir contaminant de proche en proche et de génération en génération si on n’intervient pas très tôt pour protéger et soigner les victimes.
La victime est choisie le plus souvent par l’agresseur en fonction de sa vulnérabilité liée à une situation de discrimination (sexiste, raciste, liée à l’âge, à un handicap, etc.), les personnes handicapée ont trois fois plus de risque de subir des violences sexuelles, la majorité des victimes sont des femmes et des enfants (plus de la moitié des viols sont commis sur des mineurs). Le fait d’avoir déjà subi des violences es également un facteur de risque important d’en subir à nouveau. Les victimes déjà agressée sont choisies car plus isolées, plus facilement sidérables et terrorisables en raison de leurs traumas.
Ekaitza : Y a-t-il des spécificités traumatiques chez les personnes agressées sexuellement ? Le traumatisme naît-il instantanément où s’installe-t-il progressivement ?
Les violences sexuelles font partie des traumatismes les plus graves et les plus à risque d’entraîner des troubles psychotraumatiques, dont une mémoire traumatique qui va transformer la vie des victimes en un terrain miné. Cette mémoire traumatique est la conséquences de mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques déclenchés par le cerveau pour survivre au stress extrême produit par les violences, c’est une mémoire émotionnelle et sensorielle « fantôme » intrusive et incontrôlable des violences subies. Quand elle n’est pas traitée, elle revient hanter les victimes traumatisées pendant de longues années après les violences et parfois même toute leur vie, leur faisant revivre « éternellement » et à l'identique, quand elle envahit le psychisme, le « film » des violences avec les mêmes sentiments d'effroi, de détresse, de mort imminente, d'impuissance et de sidération ressentis lors de celles-ci. Elle va coloniser la vie de la vicyime, particulièrement sa vie affective et sexuelle. Elle va obliger la victime à mettre en place des stratégies de survie qui vont être très handicapantes et représenter un facteur de risque important pour leur santé avec des conduites d’évitement (pour éviter l’explosion de la mémoire traumatique), de contrôle et d’hypervigilance entraînant un isolement et un épuisement, et des conduites à risque dissociantes (pour anesthésier la mémoire traumatique) : mise en danger sur la route, dans le sport, les jeux, la sexualité, conduites d’auto-mutilation, conduites addictives : alcool, drogues. Il est important de signaler que toutes ces conséquences graves peuvent être évitées avec une prise en charge adaptée, la mémoire traumatique se soigne, on peut la traiter en la désamorçant et en l’intégrant en mémoire auto-biograpghique.
Ekaitza : Y a-t-il des moyens de prévention mis en place contre les violences sexuelles ? Quelle est leur portée ? Les personnels éducatifs et médicaux sont-ils formés pour parer à ces situations ?
ôur lutter contre ces violences et les prévenir, il est est déjà nécessaire d’en connaître la réalité, les chiffres, qui elles touchent, comment, où, etc. D’où l’importance de faire des études de victimisation, et de continuer les recherches sur les victimes et les agresseurs, et sur les conséquences. Actuellement les moyens mis en place sont encore très insuffisants : il y a un plan triennal (2010-2013) avec des campagnes d’informations, d’éducation et de sensibilisation, avec une promotion des numéros nationaux (119, 39-19, viol-femme information), des outils de communication (clips, brochures) une formation des professionnels, ce plan est relayé par les délégations aux droits des femmes et les préfectures. Une mission interministérielle de protection des femmes victimes de violence a été crée et mise en place en janvier 2013 pour améliorer la formation des professionnels particulièrement ceux du secteur médical. Les professionnels de tous les secteurs sont très peu formés, voir pas du tout (les médecins ne sont ni formés pendant leurs études, ni dans le cadre de la formation continue), il y a un énorme travail à faire. La meilleure prévention consiste à dénoncer sans cesse ces violences pour que le niveau de tolérance baisse et à dépister le plus tôt possible les victimes, pour les protéger, identifier et juger les agresseurs et éviter ainsi de nouvelles violences, pour cela il ne faut pas attendre que les victimes parlent, il faut aller au-devant d’elle en posant systématiquement la question : avez-vous subi ou subissez-vous des violences sexuelles ?
Ekaitza : Les conséquences sont-elles à considérer différemment pour les enfants et pour les adultes ?
Oui, car elles sont plus graves, les enfants sont encore plus vulnérables et plus exposés aux troubles psychotraumatiques (ils sont dépendants et ils ont encore moins d’outils pour se représenter ce qui se passe, ils ont des structures neurologiques qui ne sont pas matures et plus fragiles) qui vont impacter encore plus leur développement et leur vie avec des risques importants de troubles de leur personnalité, de troubles des apprentissages, d’échecs scolaires, de conduites à risques avec des risques d’accidents, de suicides importants, de marginalisation, de prostitution. Il est essentirel de les protéger. Il faut rappeler que les enfants sont les plus touchés par ces violences. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance représente le déterminant principal de la santé cinquante ans après (que ce soit au niveau de la santé mentale, de troubles addictifs et alimentaires, au niveau cardio-vasculaire, endocrinien, neurologique, immunitaire, pulmonaire, digestif, gynécologique, etc.). En revanche si les enfants ont accès à des soins, leur plasticité neurologique est très importante et permet une très bonne récupération des lésions neurologiques générés par les violences, avec une très bonne récupération cognitive, ce qui leur permet de récupérer de capacités normales et d’éviter les conséquences sur leur santé.
Ekaitza : Pour quelles raisons les victimes, dans leur grande majorité, ne portent-elles pas plainte ? La réponse judiciaire ou policière répond-elle à ces situations ? Et la réponse médicale ?
Moins de 10% des victimes de violences sexuelles portent plainte. Les raisons sont avant tout liées aux menaces et à la loi du silence imposées par les agresseurs mais aussi souvent par les proches qui veulent «protéger» l’image de la famille, dd couple ou les institutions soient atteinte. La victime a souvent peur de ne pas être crue, voir même d’être rejetée ou jugée comme coupable (elle l’a cherché ou provoqué, elle ne s’est pas suffisamment protégée, elle a été imprudente, elle a mal compris, mal interprêté, etc.) ou comme une menteuse qui invente pour se venger ou se rendre intéressante. Pour la victime il peut être très difficile de parler en raison de ses troubles psychotraumatiques, la mémoire traumatique et la souffrance est telle qu’elle évite d’y penser, et encore plus d’en parler. Si la victime est trop jeune ou très dissociée par les violences qu’elle a subi, elle peut pendant des semaines, voire des mois ou des années ne pas réaliser ce qui s’est passé, être totalement perdue, tellement anesthésier qu’elle ne réalisera pas la gravité des faits, ou ne pourra pas définir ni qualifier ce qui s’est passé , une amnésie psychogène de défense dissociative peut également s’installer pendant parfois de longues années, cette amnésie pouvant céder lors d’évènements signifiants de la vie (deuil, nouvelles violences, accouchement, etc.). Enfin la honte et la culpabilité organisée par l’agresseur sont aussi des verrous efficaces pour que la victime ne parle pas, de même l’horreur des sévices qui sont impossibles à dire, et également une obligation de loyauté dans le cadre de la famille ou du couple ou d’une institution (pour ne pas la détruire).
Les réponses policières et judiciaires ne répondent pas à ces situations, par manque de formations seront reprochés à la victimes comme des éléments mettant en cause sa parole et la véracité des faits rapportés des comportements qui sont en fait des conséquences directes des violences.
L’avancée du code pénal qui a peris en compte une réalité de la spécificité des conséquences des violences sexuelles commises sur les enfants est l’allongement de la prescription à 20 ans après la majorité, mais une imprescribilité serait encore plus adaptée, c’est ce que npus demandons.
Ekaitza : Les décisions de justice prises, condamnations ou dans des cas de violences sexuelles vous semblent-elles adaptées ? Y aurait-il d’autres types de réponses à apporter ?
Les parcours judiciaires sont fréquemment traumatisants et maltraitants, les professionnels ne tiennent pas en compte la gravité du traumatisme des victimes et ils les exposent souvent gravement. Les condamnations sont très rares, elles représentent 1,5 à 2% seulement de la totalité des viols. De très nombreux viols qui sont des crimes sont correctionnalisés.
Il y aurait beaucoup d’auteres réponses à apporter, à commencer par des professionnels vraiment bien formés aux réalités des violences et de leurs conséquences sur les victimes, les enquêtes sont trop tournées sur la validation de la parole des victimes alors que de nombreuses preuves ou faisceaux d’indices graves et concordants pourraient être recherchés du côté de l’agresseur (comme une analyse de sa stratégie, ses antécédents, la recherche d’autres victimes) et de la victime (comme la validation de ses troubles psychotraumatiques). Il faudrait beaucoup plus protéger les victimes, mieux les informer de leurs droits et des conséquences psychotraumatiques et se préoccuper de les soigner de façon adaptée.
Ekaitza : Connaissez-vous le film de Montxo Armendariz « No tengas miedo » sur l’inceste ?
(« N’aie pas peur »). « SYNOPSIS: Une structure familiale normale, qui pourrait être la nôtre, une famille aisée et apparemment heureuse qui se promène dans une ville de province. Il y a le papa, la maman et une jolie fillette blonde bien mise, dont les yeux débordent de curiosité, d'innocence et de vie. Mais quand ils rentrent à la maison, tout en lui disant de ne pas avoir peur, le père abuse de sa fille. La caméra ne montre que le visage de la petite, un visage effrayé et surpris sur lequel on lit beaucoup de confusion. C'est que celui qui devrait la protéger, s'occuper d'elle et l'aimer par dessus tout s'est transformé d'un seul coup en un monstre, un ogre qui lui inspire peur et dégoût, mais aussi respect et estime, c'est-à-dire toute une gamme d'émotions contradictoires. Pour cette fillette, le modèle à suivre, l'exemple à imiter, a cessé d'être valide et la jeune créature sans défense va grandir dans un océan de doutes, de silences, de sentiments de culpabilité et d'incompréhension. Seul le temps, plusieurs thérapies et le fait de verbaliser et d'accepter ce qui s'est passé pourront l'extirper de l'obscurité tourmentée dans laquelle elle a grandi. ...Don't Be Afraid ( No Tengas Miedo ) ( Mi fovasai (Do Not Be Afraid) )
Non je ne le connais pas, mais je vais le voir .
pour en savoir plus : le site de l’association (articles, vidéo, briochures, ressources) http://memoiretraumatique.org
le site du livre noir des violences sexuelles : http://lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com
"Le livre noir des violences sexuelles"
Dre Muriel Salmona
chez Dunod
Avec son site ( informations, articles, nombreux témoignages, ressources et bibliographie actualisées, vidéos, etc. ) :
Avec, à feuilleter, les premières pages du livre noir des violences sexuelles en cliquant ICI
Vous pouvez vous le procurer dans les librairies,
Une première séance dédicace est organisée le 20 avril 2013 à Bourg la Reine de 15 à 19h30
pour toute information: drmsalmona@gmail.com
Et le contact presse Dunod :
Elisabeth Erhardy Attachée de presse, 01 40 46 35 12, presse@dunod.com
En espérant que ce livre puisse contribuer :
- à améliorer les connaissances sur les violences sexuelles, leurs conséquences psychotraumatiques (mémoire traumatique, conduites d'évitement et de contrôle, conduites dissociantes à risque) et leurs conséquences sur la santé et la qualité de vie des victimes ;
- à faire mieux comprendre ce qu'ont subi et ce que vivent les victimes et à en témoigner pour que leurs droits et leurs préjudices soient mieux reconnus, et que justice leur soit rendue ;
- à améliorer la protection des victimes, leur prise en charge et les soins spécialisés à leur prodiguer pour éviter qu'elles subissent, d'une part de nouvelles violences et d'éventuelles maltraitances institutionnelles, et d'autre part une mémoire traumatique qui leur fait revivre les pires moments des violences pendant des années, voire des dizaine d'années, comme une torture sans fin, sauf à être dissociée et anesthésiée ;
- à faire en sorte que les victimes ne soient plus abandonnées, ni obligées d'organiser seules leur protection et leur survie ;
- et enfin à mieux lutter contre ces violences et contre la loi du silence, le déni tenace et la banalisation qui les entourent encore.
Avec toute mon amitié, je vous remercie pour votre soutien
Dre Muriel Salmona,
Psychiatre, psychtraumatologue
Responsable de l'institut de victimologie du 92
Présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
Tel : 06 32 39 99 34
Edition Dunod, hors collection
240 pages, prix conseillé : 19,90 euros
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