Témoignage publié également sur le blog
de l’ouvrage de la Dre Muriel Salmona : Le livre noir des violences sexuelles à Paraître chez Dunod le 10 avril 2013
sur la page Témoigner
Mon témoignage, 13 février 2013.
Je suis née en 1957
Je suis victime de mon père de ma plus tendre enfance jusqu'à mes cinq ans.
Comme de nombreuses victimes j’ai « oublié » ce traumatisme au plus profond de ma mémoire.
J’ai grandi dans une famille mise à huis clos par ce père tyrannique, avec un profil manipulateur, pervers narcissique.
Ma mère soumise est déjà bien détruite par une mise sous emprise de son époux et réduite aux tâches ménagères et à « l’éducation » de ses huit enfants. Etant la dernière née j’ai reçu pour héritage les méfaits installés au sein de ce fracas émotionnel.
Je me suis construite sur un terrain toxique des plus destructeurs.
Une scolarité désastreuse et une mise à l’écart de l’enfance puis d’une adolescence tristement meublé de cauchemars, de phobies de manque d’estime de soi de non existence et d’aucune valeur où se raccrocher, anorexique et pleine d’idées noires.
J’ai 20 ans et une vie affective désertique puis une descente aux enfers avec un départ de la maison avec un homme qui n’aura aucune difficulté pour finir le travail paternel (viols et violences conjugales) cinq années d’errances de non respect de moi-même, de drogues, de conduites à risques, jusqu'à l’overdose. Trois semaines en hôpital psychiatrique, puis suivi thérapeutique, le psy me maintient juste la tête hors de l’eau. Dose surélevée de benzodiazépine et je me dope avec ce produit : je pratique le nomadisme médical.
Un jour mon conjoint me séquestre dans l’appartement (j’avais osé parler de séparation) me frappe avec violence, m’insulte et me mets un grand couteau de cuisine sous la gorge. Il est hors de lui et dans son regard je vois sa folie meurtrière.
Je m’enfuis avec pour seul bien ma voiture et deux valises en carton…
Aujourd’hui je suis en couple avec un mari formidable et nous avons deux fils c’est seulement a quarante ans que j’ai retrouvé la mémoire avec l’aide d’un thérapeute.
Confrontation avec mon père en 2002 et révélation au reste de la fratrie (face à face et en individuel avec chacun de mes frères et sœurs : Résultat indifférences et rejet. Tentatives de manipulations pour me faire taire.
Avril 2010 mon agresseur est mort.
Mai 2011.j’écris une lettre au procureur de la république.
Objet : Dépôt de plainte.
Extraits de cette lettre.
Ai l’honneur de porter plainte contre mon père …..Sachant que cette plainte n’aura pas de suite, le seul but de ce courrier est d’être entendue par vous et ainsi de me libérer de ce lourd et encombrant héritage.
Déposer ainsi une trace au niveau de la justice pour que tout ce que j’ai enduré ne soit pas inutile.
Ne dit –on pas qu’une victime ne peut se réparer que si elle est reconnue en tant que telle.
Voici donc mon seul recours pour me faire entendre et sortir du monde du Silence.
Les faits :
Toute mon enfance a été marquée par l’isolement et la violence des mots prononcée par ma mère »Putain Saleté Sale crasse » et lorsque j’ai débuté ma thérapie ce sont les premiers mots que j’ai révélés à mon thérapeute.
J’ai eu une scolarité désastreuse. J’étais une petite fille instable, très angoissée et je faisais des crises de nerfs avec impossibilité de me concentrer. Je suis née en 1957 et hélas à cette époque à la période de ma scolarité aucun enseignant n’a prêté attention à cette petite fille qui était si mal. J’ai donc été mise de côté autant à l’école que dans ma famille, qui disait de moi que j’étais bizarre, étrange, folle.
A 20 ans j’ai quitté ma famille pour suivre mon premier mari, un homme violent. J’ai vécu l’Enfer. J’ai fui le foyer conjugal pour me réfugier et me protéger dans un centre d’accueil pour femmes en détresse.
En 1981 j’ai rencontré mon époux actuel et en 1983 nous avons eu notre premier enfant. Cette naissance a déclenché un véritable séisme intérieur et le début d’une longue et douloureuse thérapie. J’ai mis à jour des souvenirs insoutenables et traumatisants (autres détails réservés au procureur)
Cela se déroulait dans la salle de bains, sans violence, sous forme de jeux et de soins corporels. Le but étant pour lui l’introduction de ses doigts dans mon vagin et l’anus …. (Autres détails réservés au procureur).
Souvenir de cette scène hallucinante ou petite fille je frappais avec violence l’entre jambe de ma poupée avec une fourchette.
Avoir mis à jour ces souvenirs fut si dur que je n’ai pu en parler, avec l’aide de mon thérapeute, à mon époux que six mois plus tard. Tant j’avais peur d’être prise pour folle !
En 2002 je suis allée voir mes parents. J’ai parlé avec mon père et je l’ai confronté, il ne croisait pas mon regard. Il m’a dit ceci
-J’espère que tu n’en as rien dit à ta mère.
-Je te ferais un procès.
- Je ne veux plus te voir.
Plus tard j’ai vus, un à un, mes frères et sœurs et j’ai fait mes révélations.
Conclusion tous sans exception m’ont tourné le dos et ainsi réduite au Silence.
A ce jour je n’ai plus aucun contact avec ma famille et pas plus avec la famille de ma mère. Mais Tous sont au courant.
Je ne changerai pas le passé, mais cette lettre est pour moi une étape très importante pour enfin tourner la page.
Je suis militante et mon combat est orienté vers les nombreuses victimes qui vivent ce calvaire d’être rejetées et exclues. Quelle douleur inimaginable.
A ma grande surprise j’ai reçu rapidement la réponse du Procureur
REPONSE DU PROCUREUR le 9 Juin 2011
Madame,
J’ai lu avec beaucoup d’attention votre courrier en date du 23 mai dernier, dans lequel vous avez souhaité m’exposer les abus sexuels incestueux dont vous avez été victime au cours de votre enfance, de la part de votre père aujourd’hui décédé.
Je suis naturellement sensible à votre démarche, et je tiens à vous informer que si votre plainte sera effectivement classée sans suite, elle fera l’objet, à votre nom, d’un enregistrement au bureau d’ordre national qui répertorie l’ensemble des procédures pénales traitées sur le territoire national. La Justice conservera donc, conformément à votre souhait, la trace des actes que vous avez souhaité dénoncer officiellement aujourd’hui.
Je me permets d’ajouter, à titre personnel, que je suis heureux de constater que vous avez su trouver dans la parole et l’engagement au service d’autres victimes de faits similaires, une réponse au traumatisme que vous avez subi.
Je vous prie d’agréer, madame, l’expression de toute ma considération.
Voilà mon témoignage et un ENORME REMERCIEMENT à Muriel pour son engagement et sa ténacité.
1 commentaire:
Ce témoignage vient en grande résonance avec ma frustration de ne pas avoir été reconnue , ni comme victime , ni comme victime de ce que j'ai vraiment vécu (qui avait fait l'objet d'un signalement( incomplet, puisque ma première agresseuse et son protecteur viennent seulement de décéder ,mon quatrième agresseur, toujours familial, étant mort en 1989, je ne l'avais pas évoqué)de fin 2003 , puis d'un non-lieu en 2004).La récente mort de mes deux parents va me permettre de porter plainte, dans ce seul but d'être reconnue comme victime , moi et mes trois enfants.
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