Les enfants subissent les violences conjugales souvent dès leur vie fœtale, des études ont montré que les violences conjugales commençaient dans 40 % des cas pendant une grossesse et qu'elles étaient plus graves lors de la grossesse pour deux femmes sur trois avec quatre fois plus de femmes signalant de très mauvais traitements (coups, menaces avec armes, agressions sexuelles). Le foetus se retrouve alors en grand danger, submergé par un stress continu générant une souffrance physiologique cardio-vasculaire et neurologique, avec comme risque : un avortement en début de grossesse (2 fois plus de fausses-couche `-Saurel-Cubizolles et al., 1997), une mort in-utéro par décollement placentaire, une hémorragie foeto-maternelle (Purwar, 1999), un accouchement prématuré : 37% d’augmentation de risque, un petit poids de naissance : 17 % d’augmentation de risque (Silverman, 2006). À la naissance le nouveau-né va être doublement en danger, directement par la violence de son père qui peut fréquemment s’abattre sur lui (dans trois cas sur quatre), indirectement par les violences que continue à subir sa mère (dans 90 % des cas) et par la difficulté de sa mère à s’occuper de lui et à établir un lien mère-enfant de qualité du fait des violences et des troubles psychotraumatiques qui en sont la conséquence.
En cas de violences conjugales, les enfants sont témoins directs des violences dans 40 à 60 % des cas. Pour ces enfants témoins, les 2/3 sont eux-mêmes victimes directes de violences familiales et risquent. Les enfants risquent aussi d'être tués lors de séparation. Dans le cadre des appels au 119 : 80 % des enfants victimes de mauvais traitements ont été témoins de violences conjugales ; pour les parents, les enfants ont été perçus comme cause des violences conjugales dans 19 % des cas ; les violences conjugales augmentent le risque de mauvais traitement aux enfants '6 à 15 fois plus de risque)
Les conséquences psychotraumatiques sont dues à des mécanismes psychologiques et neuro-biologiques, connus depuis peu :
Ces mécanismes sont assimilables à des mécanismes exceptionnels de sauvegarde qui sont déclenchés par le cerveau pour échapper au risque vital que fait courir une réponse émotionnelle extrême impossible à calmer lors des violences, et ensuite à distance lors de leurs réminiscences (mémoire traumatique). En raison de la terreur, de l'impuissance de l'enfant confronté à des violences incompréhensibles et à un parent qui soudain se transforme en «monstre », ou qui se comporte de façon incohérente, imprévisible et injuste, l'enfant se retrouve sidéré et le plus souvent seul pour faire face à un état de détresse et de stress extrême déclenchés par le danger.
Cette sidération de son appareil psychique va paralyser toute représentation mentale et empêcher toute possibilité de contrôle d'une réponse émotionnelle qui est déclenchée par une structure cérébrale sous-corticale : l'amygdale. L'amygdale s'apparente à une alarme qui s'allume pour que l'organisme réponde au danger et lui fasse face ou puisse le fuir. Comme toute alarme, par sécurité, elle ne s'éteint pas spontannément, seul le cortex peut l'éteindre grâce à des représentations mentales (intégration et compréhension de la situation et prise de décisions). Un enfant confronté à des violences commise par un de ses parents est totalement démuni et en état de sidération, il n'a pas de possibilité d'échapper à la situation, ni le plus souvent de la comprendre, il se retrouve seul et impuissant : aucun adulte n'étant dans la capacité de l'aider et de le rassurer, pas le parent agresseur bien sûr, ni le parent victime qui ne peut pas être disponible pour l'enfant puisqu'il fait face aux violences. L'alarme continue donc à « hurler », un stress extrême va alors l'envahir et mettre l'organisme en situation de survoltage, avec des taux toxiques d'hormones de stress : adrénaline et cortisol qui représentent un risque vital cardiovasculaire et neurologique. C'est alors que, comme dans circuit electrique en survoltage qui disjoncte pour protéger les appareils electriques, le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel à l'aide de neurotransmetteurs qui sont des « drogues dures » anesthésiantes et dissociantes (morphine-like et kétamine like).
Cette disjonction éteint la réponse émotionnelle et fait disparaître le risque vital en créant un état d'anesthésie émotionnelle, mais elle est à l'origine aussi :
- d'une dissociation : (déconnection avec le cortex) il s'agit d'un trouble de la conscience liée à la déconnection, avec une sensation d'irréalité et d'être un spectateur extérieur aux événements, l'enfant a l'impression de regarder un film ;
- et d'une mémoire traumatique, (déconnection avec l'hippocampe) la mémoire émotionnelle de l'événement du fait de la disjonction ne va pas être traitée par l'hippocampe. L'hippocampe est une structure cérébrale qui intégre et transforme la mémoire émotionnelle inconsciente en mémoire consciente autobiographique et verbalisable (c'est un véritable logiciel indispensable pour que la mémoire des événements et des apprentissages soit stockée et réccherchée). La mémoire traumatique est donc une mémoire émotionnelle des événements qui va rester non-consciente, non contrôlable, et enkystée. Un nouveau-né peut développer cette mémoire traumatique.
La mémoire traumatique :
La mémoire traumatique est une mémoire « fantôme » et hypersensible, prête à « exploser » en faisant revivre à l'identique, avec le même effroi et la même détresse, les événements violents et/ou les émotions et les sensations qui y sont rattachées Elle « explose » aussitôt qu'une situation, un affect ou une sensation rappelle les violences ou fait craindre qu'elles ne se reproduisent. Elle sera comme une « bombe à retardement » susceptible d'exploser souvent des mois, voire des années ou des dizaines d'années après après les violences. Quand elle « explose » elle envahit tout l'espace psychique de façon incontrôlable. Elle transforme la vie psychique en un terrain miné. Pour un enfant traumatisé par des violences graves (comme une tentative de meurtre sur sa mère), entendre son père au téléphone, le revoir ou même savoir qu'il risque de le revoir peut déclencher des attaques de panique et une détresse avec stress extrême et à nouveau disjonction et des réaction motrice de frayeur (fuite éperdue ou au contraire l'enfant peut se recroqueviller sous un meuble). De même après des violences avec des hurlements et des coups donnés, le simple fait pour l'enfant d'entendre un bruit inattendu, un cri, un objet qui tombe, une porte qui claque peut déclencher une terreur. Si la mère a été blessée, voir du sang (même s'il s'agit d'une petite blessure) peut là aussi déclencher un état de panique. Si des violences ont eu lieu la nuit, l'enfant peut ne plus du tout pouvoir dormir, si des violences ont eu lieu lors des repas (ce qui est fréquent) l'enfant peut ne plus pouvoir manger. L'enfant va vivre dans un état de peur permanente et aura besoin d'être rassuré tout le temps (angoisse de séparation, insomnie), il aura peur pour sa mère et ne pourra plus la quitter (phobies et refus scolaire), il sera en état d'alerte permanente, à surveiller continuellement tout ce qui l'entoure, il développera des stratégies pour éviter les conflits, pour éviter que son parent violent s'énerve, il pourra se sentir responsable et coupable si des violences éclatent à son propos. S'il est l'aîné des enfants il pourra s 'obliger à prendre en charge les autres enfants et se parentaliser et s'il est plus grand il peut devenir le protecteur de sa mère, s'interposer pendant les violences et s'exposer à recevoir des coups.
Les conduites d'hypervigilance, de contrôle et d'évitement :
L'enfant pour éviter ces déclenchements effrayants de sa mémoire traumatique, va mettre en place des conduites d'hypervigilance, de contrôle et d'évitement vis à vis de tout ce qui est susceptible de la faire « exploser », mais comme il n'a aucune autonomie et qu'il est dépendant des adultes il est souvent empêché de le faire, les adultes, le plus souvent, comme ils ne comprenent pas les troubles et les réactions des enfants contrecarrent les conduites d'évitement des enfants et leur interdisent de les mettre en place, en recourant éventuellement à des punitions. Les adultes vont obliger les enfants à s'exposer à ce qui leur font le plus peur, comme être séparé de leur mère pour voir leur père violent et rester seul avec lui lors de séparation.
Les conduites à risque dissociantes :
Quand l'enfant n'est pas sécurisé et ne peut pas mettre en place des conduites d'évitement efficaces, sa mémoire traumatique va exploser fréquemment et du fait d'une accoutumance aux drogues dissociantes secrétées par le cerveau, le circuit émotionnel ne va pas pouvoir disjoncter lors du survoltage déclenché par la mémoire traumatique, ce qui crée une situation de détresse intolérable qui ne pourra être calmée (en l'absence de soutien et de soin spécialisé) que par des conduites à risque dissociantes. Ces conduites à risque dont l'enfant et l'adolescent expérimentent rapidement l'efficacité servent à augmenter le niveau de stress et la quantité de drogues dissociantes secrétées par l'organisme ou apportées de l'extérieur (alcool, drogues) pour déclencher « à tout prix » une disjonction qui permettra une extinction de la réponse émotionnelle et la mise en place de l'anesthésie émotionnelle recherchée pour calmer l'état de tension.
Ces conduites à risques dissociantes sont des conduites autoagressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), des mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, fréquentations dangereuses), des conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, jeux addictifs), des conduites violentes et délinquantes.
Les conduites à risques sont donc des mises en danger délibérées qui auraient normalement pu être prévenues ou évitées. Elles consistent en une recherche active voire compulsive de situations, de comportements ou d'usages de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen terme. Le danger est recherché pour son pouvoir dissociant, et par le stress extrême qu'il entraîne, pour sa capacité à mettre en place un mécanisme de sauvegarde neurobiologique exceptionnel qui va déconnecter les réponses émotionnelles et donc créer une anesthésie émotionnelle et un état dissociatif.
Toutes ces conséquences encore trop méconnues, sont rarement dépistées, alors que la prise en charge est efficace et doit être la plus précoce possible (avec une mise en sécurité) pour éviter chez ces enfants d'importantes souffrances, des échecs scolaires, des risques suicidaires, des risques de mises en danger (accidents, conduites à risques) et de conduites violentes.
Les principaux troubles psychotraumatiques sont à l'origine d'une grande souffrance psychique, sont donc:
- – une mémoire traumatique (qui fait revivre sans fin les violences lors de cauchemars, de flash-back et d'attaque de panique avec une grande détresse),
- – des symptômes dissociatifs (avec des absences, des déconnections et des sensations d'irréalité, des troubles cognitifs, une anesthésie émotionnelle),
- – une hypervigilance (avec une sensation de peur et de danger permanent, un état d'alerte, d'importants troubles du sommeil et de l'alimentation, une hyperactivité, une irritabilité et des troubles de l'attention),
- – des conduites de contrôle et d'évitement (avec des angoisses de séparation, des comportements régressifs et la mise en place de stratégies pour éviter le déclenchement des violences et de la mémoire traumatique, des phobies sociales et des troubles obssessionnels compulsifs)
- – des conduites à risques dissociantes (des mises en danger, des conduites addictives, des conduites auto-agressives, des conduites violentes et délinquantes, pour calmer la souffrance en provoquant par des mises en danger un « court-circuit » émotionnel qui crée une anesthésie émotionnelle, ces conduites pouvant représenter un risque vital pour l'enfant),
- – associés à de nombreux troubles psychosomatiques (maux de tête, de ventre, nausées et vomissements, angines et otites à répétitions, risque de développer de l'asthme, des allergies, troubles dermatologique : eczéma, alopécies, du diabète).
Conséquences :
Ces troubles vont être à l'origine :
- d'importants troubles du développement psycho-moteur,
- de troubles de la personnalité,
- de difficultés scolaires et de troubles de l'apprentissage,
- de troubles relationnels avec un isolement, d'une grande timidité et d'une mauvaise estime de soi,
- de troubles du comportement (10 à 17 fois plus que les enfants dans un foyer sans violence),
- d'un comportement agressif ou d'opposition,
- de symptômes dépressifs et anxieux
- une augmentation des conduites délinquantes, de conduites violentes et
- une augmentation des troubles psychiatriques à l'âge adulte (50% des jeunes délinquants ont vécus dans un milieu familial violent dans l'enfance et 40 à 60 % d'hommes violents avec leur partenaires ont été témoin de violence conjugale dans l'enfance)
- et d'un risque pour la santé physique et psychique, dont un risque vital : risque (x 10 à x 20) de mourir par accidents (liés au conduites à risque, on sait qu'il s'agit de la première cause de mortalité chez les adolescents) et par suicides (deuxième cause de mortalité chez les adolescents).
Conclusion
Il est essentiel de prendre en compte les conséquences psychotraumatiques des violences conjugales chez l'enfant pour pouvoir mieux le comprendre, mieux le protéger, mieux dépister sa souffrance et les risques qu'il peut courir, afin de mieux le prendre en charge et le traiter, et de mieux prévenir de futures violences. Il faut être attentif à ne pas sous-estimer l'impact psychologique des violences sur l'enfant et à ne pas le banaliser et à ne pas mettre sur le compte du jeune âge ou de l'adolescence des troubles qui sont des indicateurs de souffrance.
Il est essentiel d'informer le grand public et de former les professionnels de l'enfance, de la santé, de la police et de la gendarmerie et de la justice et de développer des centres de soins spécifiques.
Dr Muriel Salmona, septembre 2009
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