vendredi 2 mars 2018

Violences conjugales faites aux femmes : 2 ème chronique de la Dre Muriel Salmona du 27/02/2018 au Magazine de la santé de France 5


Les violences conjugales faites aux femmes : quand la violence s'exerce au sein du couple 




2 ème chronique de la Dre Muriel Salmona du 27/02/2018 au Magazine de la santé de France 5



Dans le monde, une femme sur trois subit des violences physiques et sexuelles par son partenaire. En France, une femme est tuée tous les trois jours par son conjoint. Comment expliquer que le couple puisse être une telle zone de non-droit ? Les explications avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie.



Il est intolérable en effet que les lieux censés être les plus protecteurs comme la famille et le couple soient ceux où les femmes et leurs enfants subissent le plus de violences qui peuvent aller jusqu’au viol et au meurtre : violences physiques, psychologiques, sexuelles, qui s’accompagnent de violences économiques et de privation d’accès à des soins, à des droits administratifs et sociaux, à des études ou à un travail.

Des chiffres accablants 

D’année en année, les chiffres sont toujours aussi accablants. En France, 1 femme sur 4 a subi des violences par un partenaire depuis l’âge de 15 ans. Chaque année, plus de 225 000 femmes sont victimes de violences conjugales, 42 000 femmes de viols conjugaux, et plus de 120 femmes sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint (131 recensées en 2017, 15 depuis le 1er janvier 2018). Leurs enfants sont également victimes de ces violences, tous les ans 20 à 30 enfants sont tués, 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales avec un risque beaucoup plus élevé d’être maltraités (INSEE-ONDRP 2012-2017)

Les violences conjugales sont d’autant plus fréquentes que les femmes sont jeunes, vulnérables (grossesse, maladie, handicap), discriminées, marginalisées, sans-papiers, et qu’elles ont déjà été victimes de maltraitance physiques et sexuelles dans l’enfance (avec 16 fois plus de risque). Et les hommes ont 14 fois plus de risque d’être violents avec leur partenaire qu’ils ont subi des violences dans l’enfance ou y ont été exposés.

Ces violences sont très traumatisantes avec un lourd impact sur la santé et la vie des femmes et de leurs enfants, elles aggravent les inégalités et sont un facteur de précarité, d’autant plus que les femmes qui en sont victimes restent dans leur grande majorité isolées (elles ne sont que la moitié à en parler à des professionnels ou des associations), à devoir faire face aux violences sans protection, ni secours, ni soins, ni justice. 

Peu de femmes portent plainte

Oui, seules 19% vont arriver à porter plainte, et 5% pour des viols conjugaux. Sur l’ensemble des violences conjugales, 8% feront l’objet de condamnation (1 plainte sur 4), et sur l’ensemble des viols conjugaux 0,1% seront condamnés en cours d’assises (INSEE-ONDRP 2012-2017).

Mais porter plainte n’est pas une garantie d’être protégée. Il est rare, dans notre expérience, que les menaces de mort et les tentatives de meurtres soient prises au sérieux, et que la sécurité des femmes qui appellent à l’aide soit réellement assurée. Même si, depuis 2010, il existe en plus des centres d’hébergement d’urgence de nouvelles mesures de protection telles que les ordonnances de protection et le téléphone grand danger (TGD), cela reste très insuffisant.

Malgré l’ampleur et le caractère systémique (touchant tous les milieux) et spécifique de ces violences faites aux femmes qui se produisent dans un contexte d’inégalités et de domination masculine ce qui en fait un grave problème de société, malgré le fait qu’elles soient considérées comme des violences aggravées, elles sont encore trop tolérées, minimisées, banalisées et considérées comme des affaires privées. Elles sont présentées comme des conflits ou des drames de la passion ou de la jalousie, la violence de ces hommes est souvent rationalisée, voire excusée par la frustration, la prise d’alcool ou le désespoir d’avoir été quitté, tandis qu’une loi du silence et un déni sont imposés aux femmes qui en sont victimes. Et quand elles arrivent à dénoncer ces violences, elles sont fréquemment culpabilisées, soupçonnées d’exagérer, d’être à l’origine des violences et de n’avoir pas fait ce qu’il fallait pour y échapper

Des femmes culpabilisées et non protégées

On considère encore qu’une femme victime de violences conjugales est censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup qu’elle reçoit. Si elle ne le fait pas et si elle continue à vivre de nombreuses années avec un conjoint violent, voire retourne vivre avec lui après avoir tenté de s’en séparer, ou se retrouve avec un nouveau partenaire violent, cela suscite une incompréhension, des doutes et des jugements négatifs de la part de l’entourage et des professionnels qui la prennent en charge, allant jusqu’à penser qu’elle pourrait aimer être violentée, humiliée ou dégradée ou qu’elle mériterait de l’être en raison de leurs comportements.

C’est faux et particulièrement injuste, et c’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que ces victimes vivent (souvent depuis l’enfance), sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles et leurs enfants, sur la mise en place de dépendances et de contraintes émotionnelles, économiques et administratives qui les privent d’autonomie, sur les nombreuses stratégies des agresseurs qui les manipulent ainsi que leur entourage, les contrôlent, les isolent et les disqualifient en permanence.

C’est ne pas prendre en compte qu’après une séparation il est fréquent que les violences continuent ou s’aggravent (les féminicides conjugaux sont commis principalement dans un contexte de séparation), les ex-conjoints utilisent les enfants pour exercer des violences dans le cadre de leur autorité parentale et de leurs droits de visite qui sont souvent conservés malgré leur dangerosité. La justice peut même se retourner contre elles quand elles essaient de protéger leur enfant lors d’une séparation, au nom d’un syndrome d’aliénation parentale qui n’a aucune validité scientifique, elles peuvent perdre la garde de leur enfant qui se retrouve confié au père violent, voire être condamnée pour non-présentation d’enfant.

Et c’est méconnaître les troubles psychotraumatiques qui mettent les victimes hors d’état de réagir et sous emprise.

Des femmes sous emprise 

Ces violences répétées ont un impact psychotraumatique majeur à long terme sur les victimes et elles sont une véritable entreprise de coercition et de soumission. Elles sont une arme très efficace pour les instrumentaliser au service du confort de leur conjoint, les transformant en esclave, en « médicament-drogue », en leur chose qui leur appartient. 

Les violences sidèrent, dissocient et anesthésient les victimes par des mécanismes psycho-traumatiques de sauvegarde mis en place par le cerveau qui s’apparentent à une disjonction pour échapper à un stress dépassé. Ils sont à l’origine d’une dissociation traumatique avec une anesthésie émotionnelle, ainsi que d’un trouble de l’intégration de la mémoire avec une mémoire traumatique qui fait revivre les violences et les mises en scène du conjoint violent à l’identique comme une torture qui n’en finit pas.

Tant que la victime reste en contact avec son agresseur, le mécanisme de sauvegarde reste enclenché, produisant chez la victime un état de dissociation traumatique chronique. Les victimes dissociées sont déconnectées, privées de leurs émotions et de tout moyen de défense, elles semblent « tolérer » des niveaux très élevés de violence. La dissociation est une véritable hémorragie psychique qui annihile leur volonté ce qui facilite grandement leur mise sous emprise et leur colonisation par le conjoint violent, et les rend très vulnérables à d’autres violences. Les faits les plus graves, vécus sans affect ni douleur exprimable, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé (amnésie dissociative). Elles donnent l’impression qu’elles sont indifférentes, leurs interlocuteurs ne vont rien ressentir, ils n’auront pas peur pour elles, considéreront qu’elles ne sont pas vraiment traumatisées et qu’il n’est pas nécessaire de les protéger.

Il est très difficile de sortir de l’emprise de son conjoint violent  

Oui et si malgré tout, elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est protégée, elle sort alors de sa dissociation et se retrouve envahie par sa mémoire traumatique. Au lieu de se sentir enfin en sécurité, elle a une impression de détresse et d’angoisse intolérables et subit des attaques intra-psychiques qui la culpabilisent et la disqualifient.

Il y a alors un grand risque qu’elle retourne avec son agresseur ou un autre homme violent, qui, ayant le pouvoir de la dissocier, va l’anesthésier ; elle pourra croire qu’elle ne peut pas s’en passer… Ce comportement d’apparence paradoxale est un processus d’origine psychotraumatique qui aurait pu être traité ou tout au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses qui vont l’empêcher de se libérer de son conjoint violent. Ses retours chez le conjoint agresseur contribuent à la priver de soutien, les proches et les professionnels ne comprenant pas et ne supportant pas ces comportements paradoxaux.

Des mécanismes psychotraumatiques qui gagneraient beaucoup à être connus : le rôle du médecin est primordial

Oui la méconnaissance des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes par la plupart des professionnels porte lourdement préjudice aux victimes, c’est une perte de chance.

Le premier recours de ces femmes en danger est le médecin, ce sont eux qui pourraient par un dépistage systématique identifier ce qu’elles vivent, évaluer le danger qu’elles et leurs enfants courent et organiser leur protection et mettre en place une prise en charge et des soins qui sont efficaces et nécessaires. Et il est essentiel de les informer sur leurs droits, et de les déculpabiliser en leur expliquant que les mécanismes des psycho-traumatismes sont des réactions normales aux situations anormales que sont les violences. Mais actuellement rares sont les médecins qui sont formés alors qu’il s’agit d’un problème majeur de santé publique.

Un plan global de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants beaucoup plus ambitieux et une loi-cadre avec des juridictions spécialisées est une urgence humanitaire et de santé publique. Cette lutte passe avant tout par la protection des victimes dès leur plus jeune âge.



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