LE LIVRE NOIR DES VIOLENCES SEXUELLES
Dre Muriel Salmona
2ème édition actualisée chez Dunod
EURO : 23,90
- Broché: 384 pages
- Editeur : Dunod; Édition : 2e édition (28 mars 2018)
- Collection : Hors collection
- Langue : Français
- ISBN-10: 2100773372
- ISBN-13: 978-2100773374
Contact presse :
Elisabeth Erhardy : 01 40 46 32 12 ;
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Les violences sexuelles, familales, conjugales sont une réalité toujours peu prise en considération par les acteurs médico-sociaux et politiques. Or les conséquences psychotraumatiques de ces violences sont énormes en terme de santé publique.
La nouvelle édition entièrement actualisée de cet ouvrage dénonce une véritable loi du silence qui empêche les victimes d'être réellement et efficacement traitées. Un livre document qui éclaire, explique et interpelle !
Extrait du livre (plan, préface 2ème édition, témoignage et une partie de l'introduction)
à lire ICI
Préface à la 2ème édition
Depuis la première parution du Livre noir des violences sexuelles en 2013, le bilan de ces cinq années est paradoxal, à la fois porteur d’espoir avec quelques belles victoires comme la meilleure prise en compte des violences sexuelles envers les enfants, ou la reconnaissance des psychotraumatismes et de la nécessité de les prendre en charge, et désespérant quand on voit année après année les chiffres des violences sexuelles s’aggraver, l’impunité se renforcer, les victimes ne pas être protégées et leurs droits être toujours aussi peu respectés.
Au chapitre des victoires et des améliorations
La réforme de la protection de l’enfance de 2016 qui a replacé l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de toute prise en charge le concernant et réintroduit l’inceste dans le Code Pénal, ainsi que le lancement tant attendu du premier plan interministériel de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants en mars 2017, ont fait progresser la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants.
De même, les plans nationaux 2017-2019 de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, ainsi que le plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de 2018 qui ont fait de la prise en charge des psychotraumatismes un axe majeur, sont une avancée majeure pour toutes les victimes de violences sexuelles. Cette reconnaissance du psychotraumatisme en tant que problème de santé publique, accompagnée d’un dépistage systématique des violences par les professionnels de santé et par la création de centres pluridisciplinaires du psychotraumatisme offrant des soins accessibles et sans frais par des professionnels formés sur tout le territoire (métropole et outre-mer) fait partie de ce que nous réclamions depuis de nombreuses années et pour lesquelles nous avions œuvré avec des campagnes, des enquêtes, des manifestes, des pétitions et des groupes de travail.
La parole des victimes de violences sexuelles s’est libérée grâce à de nombreux témoignages concernant l’Église, le monde politique, le monde des médias, etc. Leur parcours et l’impact catastrophique sur leur vie et leur santé a été mieux connu grâce à une grande enquête « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte » que nous avons réalisée en 2015, auprès de 1214 d’entre elles, avec le soutien de l’UNICEF (IVSEA, 2015).
Pour finir, grâce à la mobilisation de nos collectifs d’associations, nous avons obtenu également de belles avancées législatives, comme celles concernant le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel et la pénalisation du client, la généralisation de la circonstance aggravante de sexisme, la réforme de la prescription qui a doublé les délais pour les délits et les crimes pour les personnes majeures, délais qui sont passés respectivement à 6 et 20 ans. Pour 2018, une loi contre les violences sexistes et sexuelles est en préparation, avec un complément de la réforme de la prescription, concernant les crimes et délits aggravés envers les mineurs (nous militons pour l’imprescriptibilité mais il est probable que nous n’obtiendrons que l’allongement à 30 ans après la majorité), et des mesures pour lutter contre l’impunité des crimes et délits sexuels (âge légal de consentement pour les mineurs, délit d’outrage sexiste, amélioration de la définition du viol, réformes et sécurisation des procédures judiciaires, etc.).
Au chapitre des reculs et des blocages
Malgré toutes ces avancées, force est de constater que le viol, avec plus de 260 000 victimes chaque année (93 000 femmes, 130 000 filles, 16 000 hommes et 35 000 garçons), reste un crime de grande ampleur, bénéficiant en France d’une inconcevable tolérance et d’une impunité quasi totale avec 9 % de plaintes et moins d’1 % de condamnations en cour d’assises (Enquête « Cadre de vie et sécurité » ONDRP – 2012-2017). Les victimes, des personnes vulnérables en grande majorité, sont abandonnées et réduites au silence. Leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés, notre enquête de 2015, montre que 83 % des victimes de violences sexuelles n’ont jamais été protégées, ni reconnues. De plus, la très grande majorité des victimes de viol qui portent plainte ne se sentent pas reconnues ni protégées par la police et la justice, elles vivent très mal les procédures judiciaires et sont significativement plus nombreuses à faire des tentatives de suicides (IVSEA, 2015). La justice n’échappe pas au déni ni à la culture du viol qui règnent dans la société : stéréotypes sur la sexualité féminine et masculine, sur les femmes en tant qu’objet sexuel, sur la notion de consentement, sur la confusion entre sexualité et violence, sur la mise en cause des victimes et de leurs comportements, sur leurs tenues, leur passé, leurs liens avec les agresseurs.
D’autre part, nous peinons toujours autant à mobiliser le monde médical : bien que les violences soient reconnues comme un problème majeur de santé publique par l’Organisation Mondiale de la Santé les médecins restent très peu formés aux violences sexuelles et à leurs conséquences alors qu’ils sont le premier recours des victimes. Malgré tout le travail réalisé avec la Mission Interministérielle de Protection des Femmes Victimes de violences (MIPROF) depuis 2013 pour former les professionnels, les facultés de médecine n’ont toujours pas intégré à leur cursus général et spécialisé des cours sur les violences et leurs conséquences psychotraumatiques, sauf exception. Sachant que la prise en charge des psychotraumatismes permettrait d’éviter l’impact catastrophique des violences sexuelles sur la vie et la santé des victimes et de nouvelles violences, la perte de chance occasionnée par ce manque de soins spécifiques est scandaleuse et intolérable (Hillis, 2016).
Mais l’espoir va peut-être l’emporter sur le désespoir
Surtout en ce début d’année 2018, depuis le séisme provoqué par l’article du New York Times du 5 octobre 2017 et les révélations en cascades d’actrices célèbres - une centaine - accusant de violences sexuelles le producteur le plus puissant d’Hollywood, Harvey Weinstein, qui ont été, parce qu’elles étaient enfin prises en compte, à l’origine d’un mouvement spontané et inédit de libération internationale de la parole des victimes de violences sexuelles et de solidarité sur les réseaux sociaux.
Avec ce mouvement qui s’est rapidement amplifié, et s’est étendu bien au-delà de Harvey Weinstein, du milieu du cinéma et des États-Unis, pour atteindre l’Europe, et jusqu’à toucher des pays comme l’Inde, le Pakistan, la Chine et le Japon, nous avons assisté à un tournant historique qui donne l’espoir que le déni et la loi du silence puissent être enfin battus en brèche.
L’heure est à un constat effroyable qui ne peut plus être nié ni minimisé
L’affaire Weinstein a joué un rôle de révélateur, tout le monde savait, beaucoup étaient complices ou soumis, les actrices victimes avaient parlé, mais le déni et le mépris de leur parole, le rejet, la culpabilisation, les pressions, les menaces, les humiliations qu’elles avaient endurées, les avaient, ensuite, bâillonnées efficacement.
Soudain, la parole de ces victimes de violences sexuelles est enfin entendue et largement médiatisée par des journalistes qui se sont mobilisés et ont enquêté. Les femmes victimes de violences sexuelles sont crues, reconnues, et les agresseurs étaient enfin mis en cause, la honte change de camp. Ce n’est plus aux victimes de se taire, de se cacher, de supporter ou de fuir, c’est aux agresseurs de partir et d’avoir à rendre des comptes.
De plus en plus de femmes sont alors venues en renfort, par solidarité et parce qu’elles se sont senties soudain légitimes et beaucoup plus sécurisées pour témoigner à nouveau ou pour la première fois de ce qu’elles subissaient. Elles ont commencé à dénoncer bien d’autres violences sexuelles que celles subies au travail. Rares sont celles qui n’ont pas subi de nombreuses violences sexuelles tout au long de leur vie, le plus souvent dès l’enfance, dans tous leurs espaces de vie à commencer par la famille, le couple, l’école, le travail, les soins, le sport, l’espace public… la liste est tellement longue. Ainsi, des pans entiers de notre société se sont révèlent totalement gangrenés par les violences sexuelles.
Dès lors, ces violences sexuelles sont apparaissent pour ce qu’elles sont, des violences systémiques, s’exerçant dans un contexte de domination masculine sur des personnes en situation d’inégalité, de discrimination, et de vulnérabilité, tout en n’étant que la partie émergée d’un immense iceberg, puisque la majorité de ces violences sexuelles sont subies par des personnes qui ne peuvent pas parler et qui n’ont que très peu accès aux réseaux sociaux : les enfants, les personnes handicapées, les personnes en institution (personnes âgées, démentes), les personnes sans toit, les femmes migrantes et les mineurs isolés étrangers, toutes celles qui devraient être les plus protégées.
Nous ne pouvons plus nous cacher derrière l’ignorance
Avec ce mouvement, ces innombrables témoignages et leur retentissement médiatique, il est devenu difficile, pour qui que ce soit, d’ignorer l’ampleur du nombre de victimes, la gravité de ces violences et la faillite totale de nos États à les combattre, à protéger les victimes, à respecter leurs droits, ainsi qu’à punir les coupables. Les injustices en cascades et les énormes préjudices subis par les victimes de violences sexuelles apparaissent au grand jour et suscitent enfin une indignation générale.
Beaucoup ont découvert qu’un grand nombre de femmes qu’ils connaissaient avait subi de nombreuses violences sexuelles depuis leur enfance et qu’elles avaient dû survivre seules aux violences et à leurs conséquences. Des hommes leur ont emboîté le pas et ont témoigné également des violences sexuelles qu’ils avaient subies, surtout quand ils étaient enfants.
Un tournant historique ?
Aux États-Unis, ce mouvement se concrétise par des actes forts, les agresseurs sont bannis et avec la campagne « Time’s Up » (« C’est fini ») fondée par de grands noms féminins d’Hollywood, un grand élan de solidarité s’organise pour protéger les victimes de violences sexuelles les plus vulnérables et les plus précaires, et leur apporter une aide financière.
En France, en plus de nombreux témoignages, l’impact de ce mouvement et l’indignation qu’il a suscitée a servi d’accélérateur pour que les parlementaires et le gouvernement proposent des réformes. Le phénomène a été amplifié par plusieurs décisions judiciaires qui ont fait scandale, en ne reconnaissant pas des actes de pénétrations sexuelles par des adultes sur des petites filles de 11 ans comme des viols, parce que pour les magistrats la violence, la contrainte, la menace et la surprise n’étaient pas caractérisées. Que des petites filles puissent être considérées comme consentantes, malgré leur jeune âge et le traumatisme qu’elles avaient subi, a provoqué une onde de choc.
Beaucoup de personnes ont alors découvert avec stupéfaction et incrédulité que notre loi ne fixait pas pour les enfants de un seuil d’âge du consentement, en dessous duquel les actes sexuels seraient automatiquement considérés comme des agressions sexuelles ou des viols. Ces décisions judiciaires ont provoqué une remise en cause de nos lois et de notre justice qui, en participant à l’impunité des délits et des crimes sexuels sur mineurs, ne permettent à l’évidence pas de protéger efficacement les enfants de violences sexuelles commises par des adultes.
Et c’est dans ce contexte que notre association a pu remettre le 20 octobre 2017 à Mme la Ministre Marlène Schiappa notre Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels, avec ses huit mesures dont plusieurs ont été reprises pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles lors du discours engagé du Président de la République à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, dans le cadre de la grande cause du quinquennat pour l’égalité femme-homme.
Nous espérons que l’engagement des pouvoirs publics sera à la hauteur de l’immense chantier de réformes nécessaires que cela implique face à l’extrême gravité et à l’urgence du problème de société et de santé publique que représentent ces crimes sexuels impunis.
La lutte contre ces crimes sexuels est un impératif humain et une urgence absolue nécessitant une volonté politique forte
L’impunité de ces crimes et délits sexuels menace toutes les filles et les femmes ainsi que les enfants et les personnes les plus vulnérables et les plus discriminées, ces mêmes personnes qu’une société démocratique égalitaire et solidaire comme se revendique la nôtre, se doit de protéger avant tout.
L’impunité participe donc à une société profondément injuste, inégalitaire, sexiste et patriarcale, et envoie un message fort de tolérance vis-à-vis des criminels et d’abandon vis-à-vis de victimes dont tous les droits sont bafoués. Elle est incitative pour ceux qui voudraient commettre ces crimes, et représente un obstacle puissant pour les victimes qui veulent faire valoir leurs droits.
Aux termes du droit international, l’État peut être tenu responsable d’actes de violence sexuelle perpétrés par des particuliers s’il a manqué à son obligation d’empêcher ces actes ou de protéger les victimes. Il est temps et urgent d’agir. Et il est temps d’être enfin toutes et tous solidaires des victimes et engagé.e.s dans la lutte contre les violences sexuelles et toutes les autres formes de violences. La violence non prise en charge et qui reste impunie engendre de la violence dans un cycle sans fin, de proche en proche et de génération en génération ; le premier facteur de risque de subir ou de commettre des violences est d’en avoir subi. Lutter contre les violences c’est avant tout protéger les victimes. (Salmona, 2008, OMS, 2010, 2014, Fulu, 2017).
Dre Muriel Salmona, Janvier 2018