samedi 17 octobre 2015

LETTRE OUVERTE D'UNE VICTIME D'INCESTE À LA MINISTRE DE LA JUSTICE à propos de la prescription


LETTRE OUVERTE D'UNE VICTIME D'INCESTE À LA MINISTRE DE LA JUSTICE 
à propos de la prescription

Depuis la loi dite «Perben II» du 10 mars 2004 les victimes mineures de crimes sexuels peuvent porter plainte jusqu’à 20 ans après leur majorité, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 38 ans, mais pour les faits commis avant cette loi, seules les victimes de crimes qui étaient mineures et pour lesquelles les faits n’étaient pas déjà prescrits au 10 mars 2004, bénéficient de cet allongement de délai, la prescription de la précédente loi étant de 10 ans après la majorité, il s’agit des personnes qui n’avaient pas atteint l’âge de 28 ans avant la nouvelle loi.
Pour la personne qui témoigne dans cette lettre comme elle avait eu 28 ans quelques semaines avant le 10 mars 2004, elle n’a pas pu bénéficier de cet allongement. Quand elle a été enfin prête à porter plainte avant ses 38 ans elle a appris que les viols qu’elle avait subis étaient prescrits à quelques semaines près, cela a été un immense choc pour elle. 
Sur les conseils de notre association elle a quand même écrit au procureur pour lui signaler les crimes qu’elle avait subis ainsi que ceux subis par d’autres victimes de sa famille, pour certaines, plus jeunes qu’elle, les crimes ne sont pas prescrits. Le procureur a décidé d’instruire une enquête.


À l’attention de Madame la Ministre

Madame,

Je vous écris pour vous raconter mon calvaire que je vis tous les jours, je me bats toutes les secondes pour être là dans ce monde où il n’y a pas de justice, où j’ai l’impression que personne ne nous écoute, où on est oubliés ; on nous met au placard, nous sommes complètement mis au placard, où on nous dit : « vis avec tes problèmes, ça ne nous concerne pas. »


Crédit photo : Pascal Thauvin


Donc voilà, j’ai décidé de vous écrire aujourd’hui pour vous dire que j’ai été violée à l’âge de 14 ans par la personne que je pensais être mon père ; j’ai été violée pendant six ans, j’ai été insultée tout le temps ; il me violait quand il voulait, il me disait « t’es pas ma fille, donc c’est quand je veux et t’as rien à dire. ».
Ma mère savait ce qui se passait mais elle ne faisait rien.

L’école est obligatoire en France, mais j’ai été retirée de l’école sans raison, j’avais 14 ans et personne ne s’est déplacé pour dire pourquoi elle ne va plus à l’école.
Pourtant, on allait souvent voir l’assistante sociale, mais elle n’a jamais rien fait, elle ne l’a pas menacé pour lui faire comprendre qu’il y avait des lois en France et qu’il fallait les respecter.

Il m’a violée pendant six longues années, il fallait que je me taise, il me disait « si tu oses parler, t’es morte, toi, ta mère et tous les autres enfants. » ; et la dernière avait 9 mois quand ça a commencé pour moi.
« Parle, et je vais tous vous flinguer, y compris ta petite sœur, elle aura un coup de fusil dans sa bouche, c’est ce que tu veux ? Et ça sera ta faute… »
Cette personne n’est pas à laisser en liberté !!

Je n’étais pas la seule : ses trois vraies filles, il ne les a pas violées ; mais, moi, ma grande sœur, ma cousine qui est décédée, et la fille de ma grande sœur, il a fait ce qu’il voulait de nous sans que personne ne se pose vraiment de question, et il le disait haut et fort : « je suis le roi, et un roi doit être bien servi. »

J’aimerais savoir, Mme la Ministre, quand ces prédateurs vont être punis ?

Vous savez, j’ai appris récemment qui était mon vrai père ; j’ai fait des enquêtes moi-même et j’ai appris tout ça en 2014, que j’avais mon propre père et que ma mère me l’a toujours caché ; elle n’a jamais voulu me le dire, elle l’a toujours caché.

Alors, quand on me dit « c’est trop tard, on ne peut rien pour vous », j’ai envie de me tuer, d’en finir avec cette vie où on est oublié, on nous met dans une poubelle et bien fermée.
Eh bien moi, je vous dis « non », et il faut mettre en place une loi qui permette de porter plainte quand notre mémoire est réveillée, car c’est invivable pour moi.

Là, je continue à porter le nom de quelqu’un qui n’est pas mon père, et j’aimerais porter le nom de mon vrai père, mais comment faire quand la justice ne nous écoute pas ou ferme les yeux. Elle est où la liberté, l’égalité, et la fraternité ?

J’ai eu une IVG à cause de mon tortionnaire, mon dossier est à Saint-Laurent-du-Maroni, car je suis de Guyane.

Aujourd’hui, j’ai 39 ans, j’ai un mari, je suis maman de 6 enfants, ça fait 5 ans que je ne travaille plus à cause de mes souffrances ; je me fais suivre par une psychologue et une psychiatre, la première, ça fait cinq ans.

Je n’ai plus de revenu, je touche seulement une pension d’invalidité de 300 € et j’ai une prise en charge de la sécu pour mes RDV chez les psys.

Quand va-t-on être entendu en France ?

A cause de mes malheurs, j’ai pris des crédits pour me cacher derrière la réalité ; aujourd’hui, avec mon mari, on a pour plus de 50 000 € de dettes !

Même si je me suis un peu calmée, notre situation est toujours difficile ; je ne travaille plus, mon mari travaille mais son salaire ne suffit plus à faire face, et pour les spécialistes qui me suivent, il n’est pas question de prendre une activité tout de suite, car je suis encore fragile.

Madame la Ministre, j’espère que vous prendrez le temps de lire mon courrier et de me convoquer pour que vous puissiez avoir plus de détails de mon cauchemar.
Pourquoi, moi, je suis punie, et pas le violeur d’enfants, lui il vit bien, il n’est pas inquiet ; il est en liberté et surtout il peut recommencer à n’importe quel moment sans s’inquiéter.

Pour moi, l’État ne m’a pas protégée, il m’a laissée pour morte. Il me disait souvent : « t’es rien, t’es moins que rien, tout ce que tu mérites, c’est d’être violée, espèce de pute ! ».

J’ai quand même porté plainte contre lui en 2014, mon dossier est dans les mains de la justice ; j’espère que je vais être écoutée, qu’il y aura réparations.

Madame la Ministre, je vous demande d’enlever cette prescription, car c’est un cauchemar ; il y a bien jurisprudence pour certaines choses, et pas pour le viol ; je ne veux pas faire justice moi-même, mais que la justice soit faite.
Je demande justice dans mon histoire !

Ma CAF n’a jamais été perçue, alors que j’y avais droit ; il m’a privée de ça aussi, m’a privée d’aller à l’école qui est obligatoire ; être violée et pas de justice, c’est comme être morte et enterrée.

Il faut écouter les femmes et les hommes victimes, car on vous demande tous la même chose : lever la prescription, car on vit dans l’horreur et on a l’impression qu’on a menti ou qu’on est folle.

Je vais me coucher car il est 3 h du matin.

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