samedi 20 décembre 2014

Corine témoigne avec émotion et courage des violences sexuelles qu’elle a subies en tant que mineure et de leurs lourdes conséquences


Ce témoignage est également posté sur le site stopaudeni : http://stopaudeni.com/temoignage-corine




TÉMOIGNAGE DE CORINE


Tout a commencé, j’avais un peu plus de 12 ans 1/2, j’étais une jeune adolescente, naïve, crédule, bref une “gamine”. La benjamine d’une fratrie de quatre enfants. A compter de cette période, je me suis fait voler ma propre vie, mon corps, mon innocence et surtout la confiance, cette confiance que l’on porte envers les adultes qui vous entourent.

Mon bourreau ? Un improbable pédophile. Un bel homme, athlétique, charmeur, souriant, un sportif célèbre de la vie ébroïcienne, reparti sereinement dans son pays d’origine à la fin des années 80, sans que la justice ne l’arrête, ni le condamne. La justice ne fera rien contre lui, et je le savais fort bien. La prescription est désormais la meilleure protection de ce violeur d’enfants.

35 longues années se sont écoulées, bien trop de temps, évidemment. Et pourtant, en mars 2014, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, j’ai décidé de parler. De crier, cette douleur qui perdure.

En décembre 2013, comme tous les ans à la même époque, j’ai de nouveau sombré. Mais cette fois-ci au plus profond de moi, en tentant de mettre fin à mes jours, j’ai touché le fond. Mais pour cette fois-ci, rebondir et repartir de l’avant en dénonçant, ce que mes parents n’avaient jamais voulu croire, ou voulu voir, probablement.

Cette petite fille, est devenue femme. A cet instant, faute de pouvoir atteindre cet homme, à la vie injustement prospère, je veux au moins briser le non-dit.

Je témoigne : “il ne peut être reconnu, je ne sais pourquoi …”. Ce premier viol, celui qu’annonçait une longue série, en 1979, je n’avais que 13 ans. Lui, ce pervers narcissique, en avait 35 ans. Marié, père de deux enfants, il était respecté dans le monde sportif, professionnel, associatif, bref l’homme parfait ! Mes parents étaient amis avec lui et sa famille. Cette 1ère fois, restera à jamais gravée en moi. J’étais baby-sitter, c’était mon exutoire, ma vie, en un mot, mon refuge. Je l’idolâtrais. Lui et son épouse, étaient en sorte, ma seconde famille. A la maison, c’était l’enfer, un père sous l’emprise de l’alcool, au chômage, rongé par le désarroi, une maman, déprimée depuis toujours, sous anxiolytiques… Ses deux fillettes, étaient âgées d’environ 18 mois pour l’aînée, et bébé pour la seconde. 

Alors que j’étais dans la salle de bains, avec la plus jeune des fillettes, il entra, ferma la porte à clés. A cet instant, il prit sa fille, la déposa dans le transat. Très vite, sans saisir ce qui allait se dérouler, je me retrouvais sur cette planche posée en travers de la baignoire, qui faisait office de table à langer. Il ôta mon pantalon, ma culotte, se déshabilla, et me pénétra avec une telle hargne, tout en me bâillonnant avec un mouchoir dans la bouche, afin de ne pas réveiller les filles, dont la plus jeune étaient à nos pieds. Il me disait sans cesse, que c’était normal, toutes les jeunes filles de mon âge faisaient la même chose que moi. Je devais lui faire confiance, j’étais soumise. J’ai cru à cet instant, que j’allais mourir, il ne voulait pas que je bouge, il avait du mal à me pénétrer, normal, j’étais encore vierge (tout juste 13 ans). La douleur était telle, que j’ai failli en perdre connaissance. Une fois terminé, empressé, il sorti de la salle de bains. Je me suis lavée, tant je saignais… En fin de journée, je suis rentrée chez moi, ne comprenant toujours pas ce qui s’était passé. Dès le lendemain, l’intérieur de mes cuisses étaient recouvert d’hématomes, tant il m’avait maintenue avec violence. Mes sous-vêtements étaient tachés de sang. Le soir même, je les ai déposés dans le coffre à linge, maman qui s’occupait de trier et laver, n’a pas remarqué qu’ils étaient souillés de sang !…

Cet épisode ne fut que le début d’une grande souffrance. Je me sentais si seule, personne pour me tendre la main. Tous les mercredis et week-end, j’ai dû continuer à me rendre chez eux, d’une part je m’occupais des filles, d’autre part je faisais du repassage. Il était généreux, le mercredi, je ramenais 50 francs à la maison (environ 8 euros), le week-end, 100 francs, quand je passais la nuit chez eux pour garder les filles. A l’époque, cela représentait un belle somme d’argent, dont je ne profitais pas, j’en redonnais la quasi totalité à mon père.

Le samedi soir, quand il rentrait à la maison avec sa femme, j’étais endormie dans une chambre avec les filles au pied du lit. Il attendait toujours que son épouse s’écroule de sommeil dans le canapé du salon, pour me rejoindre dans leur chambre, que j’occupais. Il faisait de moi, ce qu’il voulait, et exerçait avec passion tous ses fantasmes. Je ne pouvais pas crier, mais juste m’abandonner, oublier le temps d’un instant que j’existais…

Durant plus de deux ans, j’étais devenue sa chose. Quelques mois plus tard, je suis devenue une “femme”. Jusqu’au jour, où l’absence de mes règles, m’interrogea. Avec l’aide d’amie, je me suis rendue au Planning Familial, endroit où l’on m’a appris que j’étais enceinte. Plus qu’une stupeur, une totale incompréhension. Enceinte pour moi, c’était réservé aux mamans. Moi, je n’étais qu’une gamine… J’ai subi un avortement en janvier 1980.

Les semaines défilaient, se ressemblaient toutes, bien que son “apprentissage” évoluait. Il fallait que j’assouvisse tous ses fantasmes, tels la masturbation, la fellation et même la sodomie.
Ce n’est qu’à 15 ans 1/2, en 1981, qu’enfin j’ai pu dire STOP ! “Plus jamais tu ne me toucheras”. Je m’en souviens encore, nous fêtions l’élection présidentielle de François Mitterrand. J’allais rentrer en classe de seconde en septembre, je devenais de plus en plus rebelle. Enfin, je trouvais la force et le courage nécessaire pour refuser de me rendre chez lui. Il m’a fallu de nombreux prétextes, pour échapper à ce que je qualifierais de tortures physiques et morales.

Mes parents ne m’ont pas comprise. Pourquoi, ne sont-ils jamais venus à mon aide ? Pourquoi tant d’ignorance ? Je pense, qu’ils étaient simplement enfermés dans leur marasme. A leurs yeux, je n’existais pas. Durant, ces trois longues années, j’ai l’amère impression de m’être prostituée pour eux.

Ils sont restés dans le déni durant 35 longues années. Maman, a enfin ouvert les yeux, le 9 décembre 2013, lors de ma tentative de suicide. A ce jour, elle me soutient de son mieux.

Lui, mon bourreau, s’en est fort bien sorti. Après être devenu une personnalité importante dans son pays, il est congratulé, honoré de toute part. A environ 70 ans, il mène une vie paisible, sans se soucier un instant, de la vie que je mène aujourd’hui. Je ne pense pas que ses filles savent vraiment qui est leur père. Si aujourd’hui, je dévoile mon histoire au grand jour, c’est pour ne plus avoir honte, ou du moins essayer, en fait il a fait de moi une LOQUE. Je ne suis toujours pas en paix avec cette jeune fille de 13 ans. Je mène un combat de tous les jours, pour ne pas sombrer.

Aujourd’hui, j’ai le soutien de ma famille proche, mon mari, mes trois enfants. Tous connaissent mon histoire dans les moindres détails. Sans jugement, ils m’accompagnent dans mon difficile parcours de reconstruction. Le délai de prescription étant écoulé, depuis plus de 10 ans, je souhaite aujourd’hui tout de même que la vérité puisse éclater au grand jour. Ne plus me cacher, avoir ce sentiment de honte qui vous habite, vous ronge, cette culpabilité d’avoir accepté si longtemps d’être sa proie.

Depuis un an, je me bats contre cette mémoire traumatique, qui a anéanti ma santé morale et physique. En effet, sous l’effet de la douleur, de la peur, de l’incompréhension, parce qu’on ne peut pas s’enfuir, le cerveau se fige, il est comme paralysé. C’est ce que l’on appelle la sidération. C’est un état de stupeur émotive dans le quel la victime, reste figée, inerte, donnant l’impression d’une perte de connaissance. C’est un phénomène psychologique, qui a toujours existé. La sidération agit comme un arrêt du temps, et fige la personne dans une blessure psychologique, au point que les émotions semblent pratiquement absentes. C’est un blocage total qui protège la victime de la souffrance en s’en distanciant. La sidération est à l’origine d’un état de stress intense qui peut durer plusieurs heures. A cet instant, la victime se retrouve dans un état de repli sur soi avec des pleurs et des angoisses, voire même jusqu’à des tremblements ou des vomissements. On se sent alors terriblement coupable, on a honte. Ce sentiment de culpabilité est omniprésent.

On pourrait me reprocher de ne pas avoir parlé plus tôt, mais le pouvais-je ? Terriblement seule, à environ 13 ans, mes chances d’être entendue étaient quasiment inexistantes. 35 longues années se sont écoulées, c’est le temps qu’il m’a fallu pour crier ma souffrance afin de tenter une reconstruction. Pourtant à l’âge de 28 ans, j’ai tenté une approche avec mes parents, leur expliquer ma souffrance, pourquoi cet individu, m’avait fait tant de mal, avait abusé de mon corps avec une telle hargne. A cet instant, mes parents sont restés dans le déni. Pourquoi, certainement pour se protéger, la honte qu’une telle histoire puisse éclater au grand jour !…

Le délai de prescription étant dépassé (20 ans pour les mineures, à compter de leur majorité), la bataille est engagée, car un fort désir de reconstruction de mon image personnelle, me taraude. A mon grand regret, cette reconstruction ne pourra passer par une reconnaissance de la Justice et du Droit. Aujourd’hui, je ne peux exprimer ma haine publiquement envers cet individu. Je suis contrainte et obligée d’anesthésier ma souffrance.

Les conséquences de la mémoire traumatique :

Dès l’âge de 17 ans, j’ai présenté des troubles d’épilepsie à la suite d’un banal accident de la voie publique. Un manque de confiance en moi s’en est suivi, et ne me quitte plus depuis. Etats successifs de déprime depuis plus de 25 ans.  Dès l’âge de 40 ans, j’ai présenté une pathologie discale sévère qui m’a amenée à être opérée à 4 reprises. En novembre 2006, j’ai été opérée d’un nodule au sein. J’ai du subir une hystérectomie à 43 ans, pour un fibrome important de l’utérus. Lors de cette intervention chirurgicale, j’ai perdu l’autonomie de ma vessie, d’où l’obligation à ce jour d’effectuer des auto-sondages. Deux interventions chirurgicales successives ont été pratiquées dans la région pelvienne.

Que dire, si ce n’est, que de tels traumatismes, ont engendré chez moi, une lourde pathologie médicale, qui font que ma vie n’est plus la même aujourd’hui.

C’est avec beaucoup d’émotion et de sincérité, que je vous livre mon histoire. J’espère qu’elle sera lue sans jugement, et qu’elle permettra aux lecteurs et lectrices, de prendre conscience, combien tant de violence et de souffrance, peuvent anéantir toute une vie.

Corine 

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