vendredi 30 décembre 2011

Refaire l'amour après un viol Article de Giulia Foïs, Psychologies Magazine, janvier 2012

Article pour lequel Muriel Salmona, présidente de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie a été interviewée par Giulia Foïs.



tabou
REFAIRE L'AMOUR APRÈS UN VIOL
par Giulia Foïs, Psychologies Magazine, janvier 2012
Revivre, retomber amoureuse, renouer avec la sexualité… Impossible, pense-t-on : ces femmes ont été si maltraitées. Cassées, donc bonnes pour la casse ? Non. Avec les années, et beaucoup d'attentions de l'entourage, le regard sur soi devient plus doux et la confiance en l'autre revient…
Il fait beau ce jour-là. C'est le hasard, mais ça tombe bien. Et Nathalie raconte : "il m'a dit qu'on ferait un enfant dans l'année, et puis qu'on se marierait." Quand elle le dit, elle a les yeux qui brillent. L'émotion, bien sûr. Mais l'incrédulité, aussi. Il y a cinq ans, elle a été violée dans le hall d'un immeuble parisien. Des insultes, des coups, un couteau, la peur, le "Tais-toi, sinon je te plante"… Vêtements arrachés, le dos au mur, l'humiliation ultime. Réduite à rien, en l'espace de quelques minutes. Victime de viol, "Ex-victime", corrige la jeune femme de 35 ans, dans un joli sourire.

Comme Nathalie, soixante-quinze mille femmes sont violées chaque année en France (1). Après, il faut réapprendre à marcher. À rire. À aimer. C'est la vie. Juste la vie. Mais c'est un travail de titan. Nathalie dit des choses toutes simples, ce jour-là : "il m'a dit qu'on ferai un enfant… " Et c'est une renaissance. Parce qu'il y a cinq ans, comme soixante quinze mille femmes chaque année, on a voulu la tuer.
Un corps en libre service

"Un viol, c'est un meurtre, martèle la psychiatre Muriel Salmona (2), spécialiste des victimes de violences sexuelles. Il ne s'agit ni de désir, ni de "pulsion" : le viol n'a rien à voir avec la sexualité. C'est une violence monstrueuse, préméditée, qui utilise la sexualité comme arme. La féminité et le sexe de la victime sont instrumentalisée ; son intimité et son identité de sujet sont niées : elles volent en éclats. Ce que le violeur tue, c'est ce qui fait d'elle un être désirant, aimant, confiant. Vivant, donc. " Les principaux moteurs sont brutalement stoppés. Les ailes brisées.

À 32 ans, Olivia est tout juste en train de retrouver les siennes. Elle en avait 22 quand elle a rencontré cet homme. Et 24 quand elle a pu le quitter. Entretemps il l'a violée. À plusieurs reprises. Accessoirement, il l'a aussi giflée, insultée, coupée de son entourage… Elle a retrouvé ses amis, repris le cours de sa vie. Et puis elle a sombré : "Je passais des dimanches entiers dans mon lit à pleurer. Je tombais tout le temps malade. Mon corps était devenu un lieu de douleur. Je voulais retomber amoureuse, je faisais des rencontres… Et tout à coup, je ne pouvais plus. Ni un baiser, ni une caresse parfois. J'aurais voulu, à cette époque, pouvoir nier ma féminité. J'ai écrit, une fois : "Je voudrais que mes organes génitaux disparaissent. Ça parait fou, non ? " Mais qu'est-ce qui n'est pas "fou " en matière de viol ? " Le viol est un non-sens total, souligne Muriel Salmona : c'est une tornade qui s'abat sur nos fondations, et vient démolir notre relation à l'autre et au monde extérieur. "

Ce dernier devient une menace perpétuelle. Si l'inconcevable s'est produit, il peut se reproduire. La confiance, indispensable à la rencontre, à l'amour, au lâcher-prise et au plaisir, a disparu. Olivia se souvient avoir eu terriblement peur, pendant de longues années. Dans la rue, dans le métro, partout. " Ce que cet homme m'a mis dans la tête, explique-elle, c'est : " Ton corps ne t'appartiens pas : j'en fais ce que je veux, quand je veux. " Longtemps, j'ai eu la sensation qu'il n'était plus protégé par rien : il était comme en libre-service. Et puis, une fois qu'on t'a fait ça, tu es tellement convaincue que tu ne vaux rien… "

Les trajectoires des victimes sont singulières : elles dépendent du vécu de chacune, descirconstances de chaque viol. Mais sur ce point notamment elles se rejoignent toutes. Car ici, il s'agit d'histoire et d'inconscient collectif. " Le corps des femmes a été à disposition des hommes pendant des siècles, rappelle Emmanuelle Piet, médecin et présidente du Collectif Féministe contre le Viol (3). Et le viol n'est un crime que depuis 1980 : on ne fait pas la révolution en trente ans… La société considère toujours ces femmes comme suspectes. C'est le fameux " Elle l'a bien cherché ". Du coup, elles ont aussi du mal à se penser victimes, et dépensent souvent beaucoup d'énergie à faire comme si de rien n'était. " D'ailleurs, la plupart se taisent - seules 10 % portent plainte. Elles veulent oublier. Tentent de nier. La réalité du viol, ou son impact.
La mémoire, une bombe à retardement

Èlisa, 42 ans aujourd'hui, a porté plainte. Un matin, il y a vingt ans, un homme se fait passer pour son voisin, venu pour vérifier un dégât des eaux. Il la ligote, la bâillonne… Le jour même, accompagnée par son amoureux, elle se rend au commissariat. Et la même semaine, elle veut refaire l'amour. " Je me disais : "Il a eu mon corps le temps que ça a duré, mais il n'aura ni mon esprit, ni ma vie. Je recommencerai comme avant : même pas mal, même pas peur. " Mon mec m'a soutenue. Sexuellement, ça s'était toujours très bien passé. Et puis, ce que j'avais subi n'avait tellement rien à voir avec nos étreintes ! Donc c'était presque comme avant. Sauf quand j'avais des flashs : des images du viol surgissaient, et là, j'arrêtais en plein milieu. "

Ces réminiscences brutales, elles l'évoquent toutes. Olivia parle de " son bas-ventre qui se crispe, avec parfois des douleurs très fortes dans le vagin ". Nathalie évoque son corps qui " dit stop, sur un geste, une position, trop proche de ce que j'ai subi, je tremble de partout. Parfois, je fonds en larmes. C'est totalement incontrôlable ". Incontrôlable, c'est bien le propre de la mémoire traumatique : de l'émotion brute, non digérée, qui saute à la gorge au moment où on s'y attend le moins. Contrairement à la mémoire autobiographique, que l'on convoque quand on le souhaite et que l'on sait mettre en mots. " Le viol provoque une terreur telle, affirme Muriel Salmona, que le cerveau disjoncte. Sur le moment, on est en état de sidération : paralysé psychiquement, anesthésié émotionnellement. L'esprit semble se dissocier du corps : on est comme spectateur de l'évènement. C'est la condition sine qua non pour survivre à l'insupportable. En réalité, les émotions sont stockées à l'état brut à l'intérieur de soi. Cette mémoire fonctionne ensuite comme une bombe à retardement : le moindre détail qui rappelle le viol, même inconsciemment, la réactive, et fait revivre le viol à l'identique. La vie tout entière devient un terrain miné. " Certaines vont alors tout faire pour éviter les bombes. Ne plus y penser, ne plus se souvenir. Ne plus sortir le soir, voire ne plus sortir du tout. Ne plus faire l'amour. Ne plus toucher, ou même ne plus ressentir. Sauf que ça ne suffit pas. " On peut enfouir ces souvenir, poursuit la psychiatre, mais on ne peut pas oublier. Comme un endroit où l'on a arrêté de se rendre : on ne sait plus comment y aller, mais il est bien là. "

L'inconscient se rappelle à nous, et le corps témoigne. Insomnies, dépression, douleurs chroniques, troubles alimentaires, problèmes gynécologiques à répétition… La liste des séquelles posttraumatique est longue. " En fait, ton corps, c'est toi, sourit Elisa : tu ne peux pas le nier, le séparer de ton esprit, il a été meurtri, humilié… je n'ai pas mesuré, à l'époque, la force de cette humiliation. " Jusqu'au jour où son corps a parlé : un an plus tard, infection des glandes de Bartholin - responsables de la lubrification du vagin. Une opération, comme une nouvelle intrusion dans mon corps ", une cicatrisation difficile… Pendant des années, les pénétrations ont été douloureuses. Non, on n'oublie pas un viol. La force de la volonté n'y peut rien. " Certaines peuvent alors chercher à s'anesthésier de nouveau, observe Muriel Salmona. Elles se mettent dans des situations extrêmes, pour essayer de disjoncter, comme cela s'était produit à ce moment-là. " Se faire mal, se faire peur, pour déconnecter : elles vont multiplier les conduites à risques. " Je me suis mise à détester mon corps, témoigne Nathalie. L'alcool, la drogue : je lui ai tout fait. Je me tapais les mains contre le mur, je ne mangeais plus : pour moi, je n'existais plus. Mais je voulais que les autres me voient. J'ai commencé à porter des couleurs flashy. Je sortais seule, le soir. Je draguais des inconnus, les ramenais chez moi : montée d'adrénaline. Mon corps ne voulait pas, mais je lui imposais. Pendant l'acte, c'est comme si je n'étais pas là. Juste après, je virais le mec. Violemment, je voulais lui faire mal. C'est à moi que j'en faisais. Parce que le lendemain, prendre conscience de ce que j'avais fait, c'était terrible. En fait, je mourrai à petit feu. " Nathalie est allée très loin. Jusqu'à toucher le fond : nuits dans la rue, séjours en psychiatrie, deux tentatives de suicide… Et puis elle est remontée. Doucement, douloureusement, mais elle est remontée. Elle avait porté plainte, il a été condamné. Elle a rencontré son homme, il l'a écoutée. Aimée. Lui a redonné l'envie. Le goût. " Les hommes ont un rôle clé à jouer dans la reconstruction de toutes ces femmes, insiste Emmanuelle Piet. Si elles sont crues, écoutées, entendues, par leur compagnon, et au-delà, par leur entourage, ça peut faire toute la différence pour la suite. Malheureusement c'est encore bien trop rare. "
Un combat à mener par tous

Le viol est un tabou encore vivace. Le silence pèse lourd sur ses victimes. Parler, c'est pourtant la clé. " La parole désamorce la mémoire traumatique, analyse Muriel Salmona : on élabore ses émotions. Mis en mots, le viol rejoint la mémoire autobiographique : c'est un récit, que l'on raconte au passé. Ce faisant, on remet du sens dans le non-sens : on comprend qu'on a été victime, piégée par l'agresseur. " Ce ,'était pas de ma faute. C'est lui le coupable. " Et si le monde permet qu'il existe, c'est que la société est complice, ajoute Élisa. Dans une association féministe, j'ai rencontré d'autres victimes. Et j'ai compris que ce que j'avais subi se raccrochait à un contexte global : celui d'une société sexiste où dominent toujours les hommes. À partir de là, tu n'es plus seule avec ta souffrance, tu la mets à distance : il y a un combat à mener, et il est collectif. "

Et elles se battent. Tous les jours. Nathalie est à deux pas de la victoire : " Un enfant, et enfin, quelque chose de beau sortira de mon corps ! La blessure ne sera jamais totalement refermée, mais j'avance. Il m'a cassée, mais il ne m'a pas tuée. " Avec les années, ces " flashs " si délétères s'espacent. Le regard sur soi devient plus doux. La confiance en l'autre revient. Alors on peut lâcher prise, et retrouver le plaisir. Et oui, on peut s'en sortir. " On  n'imagine pas, hein ? s'amuse Emmanuelle Piet. On voudrait toutes ces femmes victimes à vie… mais elles ne le sont pas forcément, pour peu qu'on le leur permette ! " Or, l'image que l'on renvoie des victimes est toujours la même : définitivement brisées. Pas d' " après " possible. Comme si le viol était une condamnation à mort… Pour retrouver le goût de vivre, il va falloir aussi se battre avec le regard des autres.

" J'ai longtemps eu honte d'avoir du désir, soupire Élisa. Normalement, si tu as été violée, tu es traumatisée, donc tu ne peux plus. J'avais peur que les gens se disent : " Elle refait l'amour ? Ça ne devait pas être si terrible… Elle a peut-être même aimé ça ! " Il faudrait donc porter sa croix à vie pour être reconnue comme victime : c'est la double  peine. " Le viol est le seul crime dont la victime soit aussi suspecte : pour l'immense jury populaire que nous sommes, elle devrait payer à perpétuité… " Quoi qu'il arrive, les victimes ont tout faux, tempête Muriel Salmona, qu'elles soient visiblement traumatisées ou qu'elles reprennent le cours de leur vie. Mais de toute façon, on a toujours eu du mal à accorder une vie sexuelle libre et épanouie aux femmes ! " Le combat sera long, donc… Mais on peut le gagner.
  1. Soixante-quinze mille femmes sont violées chaque année en France (pour trois mille hommes) soit une femme toutes les sept minutes. Source : Observatoire nationale de la délinquance 2008
  2. Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, memoiretraumatique.org
  3. Collectif Féministe contre le viol : cfcv.asso.fr
EN CAS D'URGENCE, appeler la police ou la gendarmerie (composer le 17 depuis son téléphone fixe, le 112 depuis un portable).
Deux lignes d'écoute anonymes et gratuites : 
SOS viols femmes information (08 00 05 95 95)
et Violences conjugales, femmes info services (39 19)
Signer le manifeste contre le viol : contreleviol.fr

1 commentaire:

Unknown a dit…

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