URGENT : APPEL À SOLIDARITÉ
Anne-Claire a connu l'enfer de la rue, elle a été une oubliée…, depuis elle témoigne sans relâche et vient en aide avec son association à toutes les oubliées
de son quartier
: femmes SDF, famille en grande précarité, femmes violées dans la rue. C'est une femme remarquable.
Avec ses deux enfants elle est à nouveau en situation de grande précarité (maladie, arrêt de prestations sociales), elle a un besoin d'aide urgent, pour que ses enfants ne souffrent pas de la faim, pour qu'ils puissent avoir un réveillon de Noël, pour qu'elle puisse venir à nouveau en aide à toutes les femmes SDF en détresse de son quartier, vous pouvez l'appeler au :
06 31 98 56 85
Témoignage poignant d'Anne-Claire dans un reportage vidéo sur l'enfer de la rue :
L'oubliée : "qui connaît vraiment la vie dans la rue ? qui peut parler au nom de ceux qui ne parlent plus ? moi je peux. On y vit un destin horrible et incroyablement destructeur. On ne tombe jamais dans la rue par hasard. Être une femme SDF, une oubliée c'est encore pire, c'est d'abord être une femme qui pour survivre doit apprendre à devenir transparente, s'habiller en homme, cacher ses formes, s'emmitouffler pour ne pas attirer l'attention, devenir une ombre devient l'urgence (…) l'oubliée affaiblie, résignée capitule sa force disparaît, ses sourires s'effacent, elle ne vaut plus rien, sinon disparaître à jamais, survivre sans être vue, disparaître pour ne pas exister aux yeux des autres, se plonger dans l'abîmes des ombres, des rues et des trottoirs, pas par envie mais par protection, l'oublie n'est qu'une proie pour tous, elle suscite la violence des mots (…) ne plus se laver pendant des jours, découvrir la faim, être la proie du froid jusqu'à ne plus sentir les parties de son corps, l'oubliée apprend qu'il existe un seuil de douleur ou même la douleur disparaît…
RÉCIT D'ANNE-CLAIRE
Voici mon récit, on n’écrit pas pour se souvenir mais pour témoigner, pour hurler, pour pleurer, pour aller plus loin et réapprendre à sourire ….
Parce que l’enfer de la RUE n’arrive pas qu’aux autres
Honnêtement, je n’ai pas vu arriver la gravité de la dégradation de ma vie et sans pouvoir réagir, je me suis retrouvée à la rue, sans logement, sans nourriture, sans amis, vous savez ceux sur qui on croit pouvoir compter, et à la merci d’un monde sale et agressif, d’un monde qu’on préfère ignorer dans la vie « dite normale ».
Les personnes de la Rue, on les voit sans les voir, on les repousse sans jamais se demander comment ils sont arrivés là, leur vie d’avant, on voit les gens sales, voire répugnants baignant dans leurs vêtements troués. Et un jour, on se retrouve avec eux devant le camion du Samu Social et aux Restaus du Cœur quémandant un sandwich et un café, de quoi tenir la journée.
Avant, j’avais 28 ans, je travaillais comme secrétaire dans une grande banque internationale à Paris, j’avais un beau deux-pièces dans le 17ème arrondissement, j’avais un chat tout mignon, des voisins adorables, une pléiade d’amis avec qui je sortais régulièrement au restau ou au cinéma, bref la vie classique et tranquille d’une jeune femme à Paris. Puis un jour, ma responsable m’appelle dans son bureau et m’explique qu’on doit faire un plan de restructuration dans mon entreprise et que dissoudre mon service est la meilleure solution.
Quittant mon emploi quelques semaines plus tard, je me suis retrouvée à l’ANPE pour m’inscrire, je n’étais pas fière, même si je savais que cela n’était pas si terrible. De nature très sensible, j’ai beaucoup de mal à cacher mon désarroi, ayant de suite les larmes aux yeux quand on m’indique les démarches à enregistrer ce licenciement.
Employée depuis peu de temps dans mon entreprise, mes indemnités sont loin d’être élevées. Mais cela ne fait que deux ou trois semaines et je pense retrouver facilement un poste de secrétaire. Forte de cette conviction, je contacte un service ANPE qui m’aide à faire mon CV et me donne des conseils sur ma manière de me présenter.
Quelques mois plus tard et une soixantaine d’entretiens suivants, toujours rien, et par contre de l’autre côté un amoncellement de factures impayées, des repas de pâtes tous les jours et mentalement une dépression qui commence à voir le jour.
Après deux mois de loyers impayés, mon propriétaire engage une procédure d’expulsion, ce qui me met encore le moral au plus bas. Envahie d’une panique certaine, je commence à chercher des petits boulots comme vendeuse de vêtements, et là on me regarde de travers car je n’ai pas vraiment le « look » de la vendeuse type, avec mon surpoids de « ronde », j’essaie alors le travail de caissière mais mon CV démontrant un BTS fait peur et je suis aussi refusée. Je décide de refaire un CV mais en allégeant mes diplômes et expériences professionnelles, mais rien à faire je ne trouve aucun emploi. Mon propriétaire m’annonce que je dois quitter mon appartement mi-juin. En attendant cette date fatidique, j’essaie de vendre mes affaires à mes proches, aux Puces et même sur une brocante. Vendre est un grand mot, brader serait plus juste car je n’en retire presque rien. De quoi me payer un hôtel minable avec toujours l’espoir de retrouver un emploi, quel qu’il soit.
Je passe une annonce dans les boulangeries pour garder des enfants ou faire du ménage. Là j’ai quelques réponses. La première personne que je rencontre est une femme d’affaire, mère de trois enfants merveilleusement gâtés, sans souci d’argent. La première soirée se passe très bien mais au bout de quelques jours, elle commence à me poser des questions légitimes sur ma situation et je fais l’erreur de lui parler de mon expulsion, de mon hôtel … et là, changement d’humeur, cette femme me demande de quitter sa maison sans me payer un centime.
Me retrouvant à la case départ, affamée, je commence à réaliser que je deviens marginale, comprenant que ma situation peut faire peur. Je me suis mis à la place des gens et j’ai repensé à ma vie « d’avant ». Comment aurais-je réagi si j’avais rencontré une fille comme moi, l’aurais-je aidé ou ignoré ? Cela aurait-il dérangé mes petites habitudes quotidiennes ? Le problème était que je comprenais la réaction des gens mais j’avais faim et je devais trouver une solution.
On était au mois d’Août, il faisait chaud et j’étais souvent sur les quais de la Seine. Souvent j’allais à l’église de Saint Germain des Prés, j’avais un peu parlé à un prêtre, un jour où je pleurais seule sur une chaise, quand la situation était encore plus insupportable. Discrètement, cet homme devenait important pour moi car je pouvais m’épancher sans craindre le jugement, c’était plus que nécessaire pour moi. C’est lui qui a commencé à me parler d’associations de SDF, délicatement car cette idée de rentrer dans cette catégorie était presque révoltante, je refusais ce mot pour moi. D’ailleurs j’avais un toit puisque j’étais à l’hôtel … mais jusqu’à quand ? je pense tenir un mois, peut-être 5 semaines et après … non le mot SDF n’était pas pour moi et pourtant cela y ressemblait bien … Cela m’effrayait énormément.
Alors ce prêtre m’a mise en relation avec une association : Là, cela a été le gros choc : première rencontre avec d’autres personnes SDF et la peur que cela engendre, le regard transperçant des hommes, et la rencontre avec des bénévoles sûrement très attentionnés mais j’étais si mal à l’aise que je ne percevais rien, une horreur totale. Résultat : je me suis enfuie en courant, et ce n’est pas seulement une image. Je me suis réfugiée dans un square et là j’ai pleuré … longtemps, très longtemps.
J’avais enfin réalisé ce qu’était devenue ma vie, si rapidement. Mes amis et mes proches ne connaissaient pas ma nouvelle déchéance. Je voulais les protéger, les épargner. Ma famille d’abord, mes amis ensuite. J’ai coupé les ponts avec tout le monde, humiliée et surtout honteuse de me retrouver dans cette situation. J’ai souvent regretté cette décision car en gardant un contact même difficile avec ma famille au moins, je ne serais peut être pas descendue aussi loin dans la précarité mais cela, je le réalise que maintenant, une fois sortie de cet état.
J’ai ensuite alors quitté mon hôtel pour aller dans un foyer de jeunes femmes en difficulté mais vivre en communauté, sans aucune pudeur, avec les agressions gratuites des autres filles m’était très difficile.
Puis en me promenant sur les quais, j’ai rencontré un groupe de jeunes sdf qui eux dormaient dehors. Ils faisaient la manche en jouant de la musique, et surtout ils m’ont donné de quoi manger. J’ai partagé avec eux plusieurs repas et quand je déprimais dans le foyer, je venais les voir. Cela me faisait du bien de sourire un peu, de rire même. C’est comme si j’avais oublié ces sensations, cela était très bizarre.
Ils m’ont appris à faire la manche, m’ont montré que le faire dans un quartier populaire était bien plus lucratif que dans un quartier chic où chacun vivait pour soi.
Par contre, il faut savoir qu’un morceau de trottoir est comme un commerce, on ne fait pas la manche qui veut et surtout où on veut. Chaque trottoir, chaque petite marche, chaque porche appartient à des bandes de SDF, souvent étrangères et violentes. Ils vont même jusqu’à prendre un pourcentage sur le produit de la manche. C’est incroyable et surtout cela rajoute des difficultés à la démarche même de tendre la main, il faut pouvoir se justifier, voire mettre se soumettre à ces « leaders de trottoirs », c’est d’autant plus humiliant.
Devant un supermarché, en étant gentil et souriant, on approche mieux les gens qui préfèrent donner un paquet de gâteaux plutôt que de l’argent. Bien sûr, il y a aussi ceux qui insultent, histoire de se défouler et ils font très mal. Mais il y a aussi, et heureusement en majorité, ceux qui s’arrêtent pour demander sincèrement ce qui nous ferait plaisir. Pour moi qui essayais de garder toujours un aspect digne, je demandais souvent des produits d’hygiène comme un shampoing ou du dentifrice.
Car il est très dur de rester propre et présentable dans le milieu de la rue. Il y a très peu d’associations qui ont des douches mais il est difficile, au niveau de la sécurité, de se laver correctement, surtout les femmes qui se font régulièrement agressées voire violées. Il m’arrivait de rester deux à trois semaines sans me pouvoir me laver, ce qui était évidemment horrible pour une femme.
Il y avait un énorme décalage entre ce que j’étais et ce que je véhiculais comme crasse par exemple. Ma pudeur naturelle était anéantie..
Je me disais que je me sentais vraiment en décalage avec toutes les personnes à la « vie normale », à qui je ressemblais il y a encore moins de six mois et maintenant j’étais complètement exclue du monde social et professionnel. Cela ne me ressemblait en rien et pourtant je n’avais pas le choix. J’avais honte de moi, de ma déchéance mais j’essayais de rester moi-même malgré tout, d’autres sdf me proposaient souvent de l’alcool ou de la drogue pour « oublier », comme ils disaient mais je refusais, non pas par bravoure, mais plutôt parce je me doutais que ma résistance à ce monde de brutes, qu’est la Rue, se serait affaiblit et que ma situation serait encore pire.
Je ne savais plus vraiment où j’allais, vers quoi et la dépression s’est vite installé. D’une jeune femme très sensible, je suis devenue une sdf larmoyante à chaque seconde, marchant toujours la tête baissée, de peur de rencontrer quelqu'un et surtout incapable de soutenir un regard. J’ai souvent songé à sauter d’un pont, à me jeter sous une voiture à ce moment là mais honnêtement, je n’ai jamais trouvé le courage. C’était horrible.
Dans le foyer, l’animatrice me parlait de temps en temps pour voir comment je vivais cette situation mais je n’arrivais pas à répondre. Je voulais vraiment communiquer mais rien ne sortait, j’étais devenue complètement renfermée sur moi-même, je n’arrivais plus à me confier. Pas découragée, elle ne me laissait pas m’apitoyer sur mon sort mais elle me remuait, histoire de voir ce que je cachais sous mes vêtements sales et troués. Et elle m’a dit quelque chose qui m’accompagnera ensuite chaque jour : « La vie peut tout t’enlever sauf ta dignité ».
J’ai rencontré aussi une bénévole magique qui travaillait aussi dans un vestiaire d’un église protestante dans les quartiers chics de Paris. Je suis allée la voir, elle m’a présentée ses « collègues », des femmes adorables. Elles offraient un café aux nouveaux arrivants et leur proposaient des vêtements et de la nourriture. Elles m’ont permis de me rhabiller, malgré ma grande taille, elles m’ont donné des vivres et surtout du chocolat. C’est idiot mais cela faisait plus d’un an que je n’en avais pas mangé !
Elles m’ont mis en contact avec une association qui proposait des douches, des machines pour laver son linge, des services de coiffure, un service médical etc … Je commençais à reprendre espoir. Je retrouvais une allure humaine et surtout une certaine dignité, un respect de soi-même qu’on oublie très vite. En quelques mois, j’ai repris bonne figure. Je continuais à mendier mais cela marchait mieux car je parlais aux gens, j’arrivais vraiment à communiquer.
J’ai décidé de quitter le foyer pour un squat dans le 17ème arrondissement, un immeuble inhabité de 5 étages, d’autres sdf y étaient déjà installés et nous arrivions en hiver, rester dormir sur les quais n’était plus possible et la police venait un peu trop souvent nous déranger.
Au niveau de la sécurité, une obsession pour les gens qui vivent dehors, je pensais être tranquille. Mais un jour une bande de 6 garçons ont débarqué. Lorsqu’ils m’ont vu, ils ont rigolé en disant qu’ils n’étaient pas venus pour rien en secouant leurs bouteilles de whisky déjà bien entamées. Je n’avais aucune issue et ils étaient trop nombreux. Ils m’ont violés à tour de rôle et sont repartis me laissant dans un sale état physique et psychologique.
Les autres sdf de l’immeuble m’ont porté à moitié inconsciente dans la rue et ont appelé les pompiers. Là ils m’ont soigné et je suis resté une semaine hospitalisée avant de pouvoir sortir. La police a fait une enquête mais cela n’a rien donné. Cela a été évidemment l’expérience la plus horrible et la plus humiliante de ma vie. J’ai mis de longs mois à m’en remettre. D’ailleurs, je ne voulais plus m’en sortir, cela m’était égal de rester moisir dans ces conditions. Je n’avais plus de famille, plus d’amis, plus personne. Mais peu à peu mon découragement s’est transformé en rage et je n’ai eu qu’une envie, celle de redevenir comme avant.
Alors je suis retournée voir cette bénévole dans les quartiers chics, je lui ai tout raconté et on a pleuré ensemble. Je lui ai dit que je voulais parler alors elle m’a conseillé de voir un psychologue d’ « Aides aux Victimes » dans le 14ème arrondissement. Et c’est vrai que cela m’a fait du bien. Je retrouvais le sens des mots, j’avais envie d’écrire. J’écrivais sur tout ce que je trouvais, des serviettes en papier, des tickets de courses que je trouvais dans la rue, des affiches etc … Les mots devenaient un moyen d’exister.
J’ai rencontré une assistante sociale, un peu plus sociale que les autres, qui m’a aidé à trouver une chambre dans un hôtel social près du Parc des Buttes Chaumont, elle m’a donné des tickets restaurant, une carte de téléphone et surtout une domiciliation. J’avais enfin une boite aux lettres, j’avais retrouvé un nom. Psychologiquement, cela est très important car dans la rue, plus personne ne nous voit vraiment et retrouver son nom, c’est retrouver une identité, une personnalité, un échange … Je ne savais pas par où commencer.
On était au mois d’octobre et il commençait à refaire froid. Rester assise de longues heures sur un trottoir n’était pas vraiment la meilleure position pour une femme et je venais de savoir que j’étais enceinte suite au viol, j’étais en panique. Mais pas question d’avorter, ce petit n’avait rien demandé et pour moi une vie reste une vie, d’où vient-elle … Cette décision a été la plus dure de ma vie mais je ne l’ai jamais regretté. Ma nouvelle priorité était de me procurer un minimum de monnaie pour m’acheter des produits laitiers. Je savais que ce serait bon pour le bébé. J’essayais aussi de mettre un peu d’argent de côté car je ne savais pas vraiment où j’allais donner la vie à cet enfant et j’avais peur de devoir louer une chambre d’hôtel les derniers jours pour être au chaud.
Avec les semaines qui passaient de plus en plus vite, je me sentais de moins en moins en sécurité dans le squat, il y avait peu de femmes dans l’immeuble et celles que j’entendais étaient toujours ivres, racontant n’importe quoi. J’avais attrapé une bronchite et j’avais beaucoup de mal à respirer. Mon ventre était énorme, il bougeait dans tous les sens et j’avais très mal. J’allais accoucher. Je le savais, c’était pour cette nuit. Je suis allée aux urgences de l’hôpital. Je n’en pouvais plus. Je ne savais pas qu’il fallait souffrir autant pour mettre une vie au monde. A l’hôpital, ils ont été très étonnés de voir arriver une SDF sale et ils m’ont renvoyé dans mon squat car ce n’était pas le moment, il fallait attendre plus de contractions.
Mais moi tout ce que je voulais, c’était accoucher, qu’on m’enlève cette douleur, et que je puisse enfin prendre mon enfant dans mes bras. Douze heures après, mon fils est né dans le squat et les pompiers sont venus me chercher pour m’emmener à l’hôpital. Evidemment il était le plus beau des bébés et pour moi la plus grande merveille du monde. Je ne me savais pas capable d’aimer comme cela. Il m’a regardé avec ses grands yeux, semblant me dire : alors c’est toi ma mère ? J’ai complètement craqué. L’hôpital m’a gardé une bonne semaine car je devais guérir de ma bronchite. Puis ils m’ont envoyé dans un centre de jeunes mères pour rencontrer les responsables et là, j’ai enfin su que j’allais me sentir mieux. Dans ce centre, on m’a fourni de quoi habiller et nourrir mon fils, les biberons, les couches venaient de l’association Paris Tout Petits, un merveilleux endroit pour mamans en difficultés.
Je ne remercierais jamais assez un homme bénévole qui malgré mon apparence fragile, m’a beaucoup parlé. Il m’a conseillé de laisser de temps en temps mon fils au centre avec les animatrices et de commencer peu à peu à me réinsérer dans la vie, en faisant des ménages. Cela me rapporterait un peu d’argent, de quoi économiser pour m’acheter des vêtements pour devenir un peu plus présentable. Il m’a rappelé que l’assurance et le côté vestimentaire était primordial dans le monde du travail, même pour une femme de ménage. Je ne pouvais pas arriver chez les gens avec des vêtements déchirés et les cheveux sales. L’image que l’on donne était encore plus importante que le travail qu’on exécute, la manière de parler aussi et surtout le respect qu’on donne invite au respect. Des phrases lâchées de temps en temps mais qui faisaient leur chemin dans ma tête et qui me donnait plus ou moins une orientation. Mon fils grandissait avec tout l’amour qu’une mère peut apporter. Je refaisais un peu la manche mais beaucoup moins.
L’argent que je pouvais recevoir m’aidait à me payer quelques heures d’internet dans des cybers cafés. Pourquoi ? Etant une fille un peu ronde, j’ai fait appel à un site de « ronde » pour me faire prêter ou donner des vêtements même usagés afin de garder une certaine apparence.
Cela a déclenché à la fois des réactions négatives comme des insultes, de personnes qui pensaient que je mendiais directement sur Internet mais surtout d’autres qui stupéfaits de lire un bref résumé de mon histoire ont voulu en savoir un peu plus et petit à petit j’ai approché des personnes attentionnées avec qui j’ai pu nouer une amitié, sentiment qu’honnêtement j’avais oublié. Cela n’a pas été facile de me livrer mais cela m’a fait énormément de bien.
J’ai ainsi entamé des longues conversations avec des femmes qui, un peu plus tard, m’ont envoyé des vêtements aussi mais elles ont pris le temps de me donner de la nourriture, des pots pour bébé, des biberons etc … et surtout du maquillage car Etre SDF est assez humiliant comme cela, et rester propre et « jolie » est un vrai défi quotidien, je voulais redevenir une femme, quitter ce « costume » de sdf, de vêtements sales. J’en avais marre de ressembler à un sac poubelle, c’est violent mais se sentir aussi mal habillée est vraiment difficile pour une femme.
De temps en temps, j’allais même regarder les vitrines pour m’imaginer dans de beaux vêtements, un peu comme un enfant devant un sapin de Noël. Je voulais essayer de retrouver une apparence digne et commencer un travail sur toutes ces idées noires qui traînaient dans mon esprit pour retrouver une solution pour revenir dans le monde dit « normal ».
Puis j’ai essayé de réfléchir à mon avenir, je voulais quitter ce foyer mais je ne savais pas où aller. Je voulais reprendre une vie quasi normale. Un autre SDF connaissait quelqu'un dans le 17ème arrondissement chez qui nous nous sommes installés. Il n’y avait pas beaucoup de place mais au moins on était au chaud et surtout nous avions une vraie adresse. Je pouvais enfin recevoir directement mes courriers, faire des démarches et surtout emmener mon fils dans une PMI pour qu’il y reçoive des soins. Il semblait avoir quelques difficultés à digérer, on m’a expliqué qu’il était allergique au lait, ce qui ne m’a pas arrangé car je devais acheter des produits laitiers particuliers très chers. Après un bref moment de soulagement, je retombais dans les ennuis. La PMI, voyant que quelque chose n’allait pas, a commencé à me poser plein de questions et j’essayais de ruser en disant que non je ne pouvais pas acheter tel produit car je n’avais pas reçu les allocations, que non mon fils n’avait pas un faible poids mais qu’il allait bientôt prendre son biberon mais que je devais retourner chez moi pour le chauffer etc … J’étais très gênée et je me rendais compte qu’élever un bébé comme cela n’était pas approprié.
Je me suis fait une réelle remise en question car je ne me sentais pas sûre de moi, loin de là : être mère dans ces conditions me semblait insurmontable malgré toute l’affection je portais à cet enfant.
A partir de ce moment-là, j’ai confié mon fils à une amie et je suis partie faire des heures de ménages et de repassage, j’ai pris n’importe quel boulot pour pouvoir subvenir au minimum à ma famille. Cela était fatigant mais nécessaire pour que je puisse retrouver un vrai respect de moi-même, de gagner centimes après centimes mais non pas en faisant la mendicité mais avec la sueur de mon front, cet argent prenait vraiment une autre valeur. Chaque chose achetée avec, et c’est encore le cas aujourd’hui, est longuement réfléchi. Tout en continuant les heures de ménage et de repassage, je suis allée voir l’Agence ANPE, la mairie, les services sociaux et j’ai mis en place tout un processus de réinsertion.
J’ai fait une remise à niveau en informatique et j’ai commencé une psychothérapie pour essayer de relativiser, si c’est possible, cette horrible expérience car j’avais besoin d’aide pour pouvoir avancer, de clarifier mes idées, pour mettre des mots sur ce qui m’était arrivé car quand les gens me posaient des questions, je ne savais que m’effondre en larmes, situation extrêmement gênante pour tout le monde.
Je voulais aussi me reconstruire pour devenir plus forte et réussir un énorme pari : redevenir secrétaire, mon premier métier. Je me suis battue pour revenir sur le marché du travail. Mon voisin avait un ordinateur, ce qui m’a permis d’apprendre internet et de reprendre contact avec les personnes qui m’avaient aidé, j’avais besoin de me sentir entourée. Mon fils grandissait et j’avais peur qu’il prenne trop vite conscience de notre pauvreté. Après presque 6 mois de recherches intensives, une fortune dépensée dans les impressions de CV, les enveloppes et les timbres, j’ai trouvé un petit poste de secrétaire à Paris.
Là s’est posé le problème de s’habiller et de se maquiller comme une secrétaire et de quitter les haillons trouvés à droite à gauche dans les vestiaires humanitaires. C’est un souci récurrent même actuellement.
Par contre j’étais psychologiquement encore très affaiblie pour bien réintégrer la milieu professionnel. La première semaine, j’ai eu un différent avec une de mes responsables, rien d’affolant, quelque chose qui aurait dû se régler avec une bonne conversation mais j’ai paniqué, je me suis sentie très mal, j’ai cru que j’avais tout gâché et toutes ces années de cauchemar sont remontées en bloc, j’ai longtemps pleuré dans mon bureau mais je me suis battue pour reprendre figure humaine et je suis allée la voir pour m’excuser. Je pense que l’équipe n’a rien compris et a dû me prendre pour une folle. On m’a déplacé dans le service pour que j’assiste un autre responsable. Il me paraissait gentil mais m’a tout de suite annoncé la couleur : oui j’avais ce poste parce que j’étais en situation de précarité, que je bénéficiais du « Contrat Initiative Emploi » qui leur permettait d’alléger leurs charges mais qu’il savait que j’étais incapable de remplir la fonction de secrétaire ! voilà le super accueil qui m’a réellement refroidi car je croyais avoir décroché ce poste pour mes compétences et non sur les conditions de mon contrat réservé aux gens en difficultés.
Cela m’a fait un grand choc et je n’ai jamais pu regarder cet homme en face. Je n’avais pas la force de répondre à ce genre d’attaque. Mes collègues m’accueillaient le matin en disant : « salut voilà la sdf de service ! » avec beaucoup de mépris. J’avais beaucoup de mal à garder le sourire mais je tenais bon car j’avais besoin de ce salaire pour nourrir mon fils. Mieux valait serrer les dents que de retourner dans la Rue. Un peu plus tard dans l’année, les responsables de cette société ont décidé de me licencier et j’ai du quitter ce poste.
Et ce fut le rappel à la réalité : les licenciements veulent dire automatiquement retourner à la vie dans la Rue.
Là j’ai rencontré ensuite mon futur mari, il était péruvien et clandestin, pauvre mais super amoureux …On a eu un autre enfant et il a trouvé une formation d’électricien qui lui a donné ses papiers et un emploi à mi-temps à Roissy. Moi je survivais en faisant des ménages et en donnant des cours d’informatique.
Aujourd’hui je suis très malade, anémiée, j’ai des problèmes cardiaques et de dépression à cause du viol et de cette vie, d’instabilité aussi. On a eu un petit appartement par la Mairie de Paris mais nous serons bientôt expulsés car nous ne pouvons pas assumer un loyer. Je fais la manche chaque matin pour pouvoir nourrir mes enfants. Nos enfants de 5 et 8 ans sont nos seules sources de joie mais eux aussi souffrent de leur différence, ils ne vivent que de dons de nourriture, que de vêtements usagés, et le combat est loin d’être fini. Ils sont pleins de vie, et pour eux et leurs sourires, je me bats tous les jours pour pouvoir leur apporter le minimum, une belle vie mais ils garderont toujours la trace de leurs débuts chaotiques, il font de nombreux cauchemars. Très peu de gens savent ce que nous avons vécu mais j’avoue ne plus regarder la vie comme avant.
Cela fait très mal de tomber aussi bas, si bas que l’imaginer fait partie de l’impossible mais avec de la volonté, malgré des scènes de violences et deux autres viols que je n’oublierai jamais évidemment, je suis fière de regarder enfin les gens dans les yeux.
Bien sûr ma vie n’est pas luxueuse, avec toujours des milieux et fins de mois très difficiles mais nous essayons de garder la tête haute et digne. Un long chemin nous reste à franchir. Honnêtement je crois qu’on ne sort jamais vraiment de la Rue.
Je recherche un emploi maintenant mais je ne trouve pas. Je n’ai pas le moyen de payer la cantine et le centre de loisirs pour mes enfants donc je suis coincée.
Chaque matin je dois faire la manche, puis courir dans les associations pour trouver de quoi manger à mes deux petits, puis refaire la manche, puis vers 15h aller dans une famille une fois par semaine pour faire des heures de ménages.
La journée est plus que bien remplie comme vous pouvez le voir.
Certes je suis en train de monter avec une amie une association pour aider les gens comme moi mais on ne sort jamais vraiment de la Rue, et rien que de devoir faire la manche encore n’en est une malheureuse preuve.
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