Take Back our Walk.
Ne laissons pas les industriels saloper notre lutte.
Annie Ferrand, psychologue, doctorante à Paris 13
http://memoiretraumatique.org/
J’accuse l’industrie du sexe de dominer, d’écraser et de saper la solidarité que nous avons générée dans nos communautés avec une propagande commerciale insensée sur les choix des femmes et les droits des hommes.
J’accuse l’industrie internationale du sexe de saper, de dominer et d’écraser le peu de démocratie que les femmes ont réussi à obtenir des gouvernements.
Lee Lakeman, 20 avril 2011.
« Quand ceux qui vous dominent vous amènent a prendre l'initiative de votre propre destruction, alors vous avez perdu plus qu'aucun peuple opprimé n’a jamais pu se réapproprier. »
Andrea Dworkin, 1987.
I- Take Back The Night : rejeter les politiques sexuelles pour détruire la culture de viol.
a- Le nuit sociale contre les femmes.
b- Les politiques sexuelles sont au cœur du système.
c- Les principes de l’action Marche de nuit.
d- Marchons contre la nuit noire de notre oppression
II- « SlutWalk » : le backlash sexiste.
a- « Assumer » d’être les « s. » qui sont violées.
b- Baser la lutte contre le viol sur le mot qui menace de viol.
c- Déréaliser l’oppression pour réduire la lutte à des actes symboliques.
III- Le backlash néolibéral : prôner une solidarité aberrante et une liberté aliénante.
a- Célébrer les principes de liberté et de choix du patriarcat néolibéral.
b- Prendre des artéfacts d’industries sexistes pour des femmes réelles…
c- … pour prôner une solidarité fantoche et couvrir le système proxénète.
IV - Non pas liberté sexuelle mais libéralisation sexiste : nous faire jouer le rôle de cible dans le monde des porno-proxénètes
Dans son discours à la « SlutWalk » (« marche des salopes ») de Philadelphie, 6 août 2011, Aishah Shahidah Simmons a lié l’événement aux « Take Back the Night », actions contre le viol débutées en 1975. Féministe, elle a voulu voir là le rassemblement de la masse silencieuse : enfant terrorisée, adolescente brisée, jeune femme abattue, femme survivante, qui veulent crier « Assez ». Mais en 2011, le contexte est tout autre : la marche est vidée de sa force révolutionnaire par les principes libéraux et sexistes des recycleurs d’insultes.
I- Take Back The Night : rejeter les politiques sexuelles pour détruire la culture de viol.
a- Le nuit sociale contre les femmes.
Andrea Dworkin, dans son style si porteur d’action et d’utopie, a ouvert la « Marche de nuit » de 1979 (ici). Elle rappelle le caractère politique de la nuit et de la rue : toutes deux excluent les femmes par principe, et tout homme peut se transformer en milice de cet ordre tacite et punir l’une d’elles de s’y aventurer. Faire une incursion dans la rue, la nuit, est alors prendre un double risque : être agressée et être accusée de l’avoir provoqué. Cette violence est donc toujours légitime pour les tenants du pouvoir (police, justice, médias).
Dworkin dit aussi que la nuit ne se limite pas à la rue, que sa menace n’est pas circonscrite. Cette ombre où triomphe l’impunité des hommes s’infiltre sous la porte de la chambre la mieux fermée. Elle menace la fille la plus sage, la plus rangée. Pourquoi ? Car la domination sociale est globale et elle s’accompagne d’une propagande. Les films d’horreur montrent des hommes omnipotents qui envahissent et détruisent les espaces d’inimité où leur proie se tapit. Les films policiers associent meurtre et sexualité, ce qui fait de la chambre une extension de cette nuit noire des intentions dominantes. A côté de cela, la nuit est magique pour les hommes, nous dit Dworkin : ils racolent des femmes prostituées ou ils obtiennent le consentement de leur femme dans le huis clos domestique. Ivres, ils envahissent, de leurs voix et de leurs corps, les rues, les bars, les métros. Ils se rassemblent fraternellement et bruyamment pour voir un match ou harceler des passantes. Dès lors, les femmes ont raison de craindre la nuit : les hommes y deviennent plus dangereux.
Dworkin appelle donc à marcher ensemble contre notre peur et contre leur impunité. Elle espère ainsi désamorcer cette roulette russe qui se presse sur la tempe de chaque femme, chaque nuit. Prendre le risque individuel et remercier au matin d’être indemne ne nous sauvera pas : si nous restons isolées, notre tour viendra. Nous marchons trop souvent seules, or la marche doit être collective. Il est temps de dire « Assez », rappelle Dworkin, mais ce n’est pas assez : nous devons le dire avec nos corps, unis. Former une barricade, une lame de fond puissante. Ce que nous risquons dans la solitude, si nous nous unissons, deviendra une menace pour eux, une action directe contre leur impunité, dans la rue et dans leur chambre. C’est pour cela qu’une marche de nuit touche à nos émotions les plus profondes. Nous devons utiliser notre force, notre passion et notre résistance collectives pour leur reprendre chaque nuit, toutes les nuits. Seulement alors nos jours ne seront pas des lendemains tremblants.
Pour mettre un tel espoir dans la Marche de Nuit, Andrea Dworkin s’appuie sur une solide analyse du pouvoir sexiste, celle du féminisme radical. En voici quelques éléments.
Le pouvoir sexiste subordonne les femmes aux hommes, groupe à groupe et individu à individu (Colette Guillaumin, 1978). Tous les hommes ne dominent pas toutes les femmes mais tous profitent de cette pression : collective sur toutes, individuelle sur quelques unes. Pressions économique, idéologique, physique et sexuelle car ils contrôlent des éléments vitaux (accès aux terres, à l’emploi…), les armes et la propagande. L’inégalité est radicale : « Dans le monde entier, il y a une concentration absolue ou presque des richesses entre les mains des hommes » (Paola Tabet, 2005 : 144). Elle repose sur la division du travail - dans les sociétés capitalistes : l’exploitation domestique (Delphy, 1998), les inégalités à l’emploi et au travail à l’échelle nationale et internationale (Maruani, 2001; Milewski, 2005; Falquet, 2008).
b- Les politiques sexuelles sont au cœur du système.
1) Ces politiques définissent la sexualité comme une violence légitime et les femmes faites pour la sexualité. Ainsi, l’interaction individuelle alimente l’injustice globale. Exemple : il règne une hiérarchie normative des désirs entre initiative masculine et consentement féminin. De même, le harcèlement sexiste est dit « insistance ». Ou, la hiérarchie prétendue anatomique entre pénis pénétrant (dit braquemart ou matraque) et sexe féminin pénétré (dit trou) justifie l’idée d’un rapport sexuel intrusif voire violent (baiser, déchirer).
2) Ces politiques organisent l’impunité de violences ciblées, qualifiables de crimes dans cette société. Les pornographes déchaînent contre les actrices insultes, humiliations, brutalité physique, scénarios de viol, viols réels. Or cette violence est torture dès que le contexte n’est pas « sexuel » et les cibles sont des hommes (cf. rapport Taguba, "abus" à Abu Ghraib). En fait, les politiques sexuelles produisent des notions qui suspendent le droit commun : sphère privée (Delphy, 1995) ou liberté sexuelle. Les femmes étant surtout brutalisées « en privé » et au nom de la « sexualité », ces politiques organisent un véritable état d’exception sexiste.
3) Ces politiques sont le moteur économico-sexuel de l’oppression. Paola Tabet (2001) parle d’une « grande arnaque » pour analyser les liens qu’elles créent entre exploitation et sexualité. D’abord, les hommes exproprient les femmes des ressources et accaparent leur travail : ils les privent des moyens de vivre sinon à servir. En parallèle, ils transforment leur utilisation sexuelle en monnaie d’échange. Ainsi, ils les réduisent à servir aussi sexuellement pour vivre. Leur vol collectif permet une série de vols individuels. Les mots dominants dévoilent cette arnaque : pénétrer en argot a le sens d’abuser, avoir, voler. De même, pour Andrea Dworkin (1985), dans les sociétés capitalistes, nous sommes contrôlées par l’argent et par la sexualité ; notre subordination se réalise à travers leur fusion. L’exemple caricatural de cette arnaque est la prostitution (hors proxénétisme, où la femme n’est pas sujet de l’échange). Via le marché prostitutionnel, les hommes transforment la servilité sexuelle des femmes en marchandise. Exclue du marché du travail, une femme se tourne vers ce marché où elle a encore une valeur. Elle survit alors à la condition de servir sexuellement des hommes. Ainsi, parce que les hommes accaparent ce dont nous avons besoin, ils peuvent nous imposer aussi leur « sexualité ». Et, dans ce cycle infernal, en nous utilisant sexuellement, ils nous font céder sur tout le reste. Pourquoi ? Car la servilité sexuelle nous dépossède de nous-mêmes : un corps voué à autrui n’est pas à soi ; téléguidé de l’extérieur, il n’est plus perçu comme réel ; contraint, il n’est plus unifié par la volonté (Guillaumin, 1992 : 91-92). Une fois que notre identité est pulvérisée, il est facile d’assigner chaque morceau à une fonction automatique : ranger, nettoyer, laisser passer, soutenir, consoler, consentir… ou spécialiser la personne dans l’une d’elles. C’est ce que font les patriarcats, désormais en phase de mondialisation. Le néolibéralisme exploite le filon du « continuum d’échanges économico-sexuels » (Tabet, 2001) : des arnaques au mariage aux violences à des fins de prostitution (Falquet, 2011 (2)).
c- Les principes de l’action Marche de nuit.
La sexualité est politique.
1) & 2) = L’hétérosexualité est une arme à double tranchant contre les femmes : violence banale à accepter, violence extrême à redouter.
3) = Elle a un pouvoir d’assujettissement économique et sexuel. Elle bénéficie à tous les hommes, individuellement et collectivement.
a) & b) & c) = L’alternance de menace, de violences et de restitution ponctuelle de ressources volées établit un climat de terreur qui nous aliène aux hommes (cf. Dee Graham, 1994).
Les relations sexuelles sont un champ de bataille.
Dire « sexualité » ou « intimité » pour désigner aussi bien l’expérience des femmes que celle des hommes est un mensonge. C’est comme désigner par un même mot l’indemnité de licenciement (un dû qui répare bien peu les vols antérieurs et actuel) et le parachute doré (un hold-up de plus). L’expropriation (économique, physique et mentale) est au cœur de nos vies comme le parasitisme sexiste organise celle des hommes. Leur « intimité » repose sur l’expropriation physique, l’étouffement du plaisir et du désir des femmes. La relation sexuelle est un front de lutte. C’est pourquoi l’interpénétration des sexes est dite pénétration : l’homme est le sujet actif, et il envahit l’autre (Andrea Dworkin, 1986). De même, les hommes jouissent en se valorisant mais poussent les femmes à jouir en s’insultant. Aucun d’eux ne jugerait normal de consentir sans désirer, mais ni le droit ni les femmes ne qualifient de viol les actes non désirés auxquels elles ont consenti. Ils voient le harcèlement, la prostitution et le viol comme sexuels car ils s’identifient à l’agresseur qui jouit aux dépens de l’autre. Pouvons-nous y voir de la sexualité, nous qui en sommes les cibles désignées ? Hélas oui, car nous avons acquis les réflexes de la victime : céder, consentir sans désirer, pour survivre, avoir la paix ou faire plaisir.
Le viol est au centre de notre oppression.
b) & c) = Le viol n’est pas marginal. Il est la norme structurelle et statistique issue des contraintes qui encadrent l’hétérosexualité : pression économique (chantage au logement, à l’emploi, à l’argent), pression ouverte (menaces, violences), pression mentale individuelle (insistance, chantage affectif) et collective (« libération sexuelle » à marche forcée). Les hommes violent car ils ont le pouvoir d’assurer leur impunité; en étalant fierté et menaces dans la culture dominante (mythes, romans, film, science (3)), ils contrôlent nos vies par le viol.
Le viol est au sexisme ce que le lynchage est au racisme.
Le viol est politique car presque toujours les agresseurs sont des hommes, et les victimes, des femmes et des enfants. Si le risque d’être agressé n’est pas aléatoire, alors les victimes sont des cibles et les membres de ces groupes sont des cibles potentielles. Le viol est sexiste car il féminise. Il traumatise garçons et hommes aussi en les féminisant. Mais surtout, il rend docile une classe entière d’humains et le pouvoir nomme ce résultat « féminité ».
Les identités de genre sont sexistes.
Elles sont le résultat de l’oppression et la renforcent au plan local. La féminité est la retenue de tout acte affirmé (désir, parole, pensée, refus) et la perte d’espace à soi. Elle résulte des intrusions répétitives des dominants – regard, menace, acte, exploitation. « Rien de telle que la féminité pour donner à l’indignité la dignité d’une identité » constate Catharine MacKinnon (2007 : 66). La virilité, elle, confère aux dominants un moi hypertrophié vivant du parasitisme affectif, sexuel et économique des femmes (Dworkin, 2007 : 45-73 ; Thiers Vidal, 2010).
Les mots sont importants.
Quand le viol est une norme sexuelle, les mots à connotation sexuelle portent une menace de viol. Un homme, en les proférant, nous menace. Le choc qu’ils nous provoquent (gêne, sidération, angoisse, honte, colère) vient de leur réalisme : nous savons que des hommes mettent à exécution cette menace au même instant, ailleurs, en toute impunité. Les mots « crus » avouent ce qu’est le « sexe » pour les dominants : haine et mépris, qui les excitent.
L’insulte sexiste est une double violence. Elle dévaste sa cible en écrasant tout son être dans un stigmate. De plus, ayant statut de « nom » d’être, elle condense les raisons de l’infériorité de la cible et les violences qu’elle mérite. Les violences antérieures subies resurgissent d’un coup. L’insulte exprime une haine portée par la masse invisible des dominants : par elle, un d’eux incarne la toute puissance de sa classe. Plus que la peur, elle provoque la terreur.
Les industries dites « du sexe » sont nos ennemies.
b) = La pornographie n’est pas la prétendue « représentation crue de la sexualité » que vantent les industriels. Par l’impunité dont bénéficient sa production et sa diffusion, elle démontre ce que ses images montrent : le viol et la torture ne sont ni criminels ni inhumains s’ils ciblent des femmes. Par ses scénarios, elle le justifie : les hommes jouiraient de violer et les femmes, de se soumettre. Par ses images, elle le naturalise : la femme trou, l’homme matraque, deux « anatomies politiques » (Mathieu, 1991) au service d’une propagande de guerre (cf. Russell, 1998 ; Ferrand, 2010).
c) = La prostitution n’est pas un « travail » comme un autre ni une « sexualité périphérique ». Elle établit un niveau légal de viol, couvert par la notion de consentement, et une zone de tolérance de délits et crimes envers les femmes (vols, viols sans consentement, menaces, sadisme, meurtres). Elle instaure donc un climat d’impunité qui nous insécurise toutes. Elle est le diapason auquel résonne la Grande Arnaque, notre exploitation et la destruction méthodique de notre sexualité (réduite à consentir, servir et simuler) (cf. Dworkin, 1983).
d- Marchons contre la nuit noire de notre oppression
Take Back The Night to Take Back the Day.
La nuit est l’heure sociale à laquelle nous devons fuir la rue en tant que femme. Par la Marche de nuit, nous la reprenons à cette heure pour qu’elle ne soit plus celle du crime. Pour qu’il n’existe plus de lieu ni d’heure où le crime est impuni car mérité. Car tant qu’ils existent, nous sommes toutes en danger, dans ce lieu à toute heure, et à cette heure en tout lieu. Andrea Dworkin, dans son sublime « Je veux une trêve de 24 heures durant lesquelles il n’y aurait plus de viol » (ici), montre combien le viol est au centre de la nuit de nos jours. Il ne peut y avoir de liberté pour aucune d’entre nous tant que le viol existe quelque part. Aucune égalité n’est envisageable sans une trêve des hostilités.
La Marche de nuit, en luttant contre le viol, touche à nos peurs les plus profondes. Non pas la peur d’un acte physique – nombre de femmes encaissent au quotidien autant sinon pire. Mais la sanction irréparable que nous promet le pouvoir depuis l’enfance : la sanction qui s’abat du seul fait que l’on existe, l’acte par lequel un dominant juge notre être et notre utilité sur terre. Cette menace nous suit à toute heure, piste notre existence, paralyse nos élans. Elle crée le noyau des peurs qui nous téléguident de jour, de nuit, pour céder, servir et nous taire ; qui brouillent notre conscience (Mathieu, 1985 : 204). L’enjeu de la Marche est considérable.
La non-mixité est une condition absolue. Car la rue, la nuit, la sexualité et le viol sont sexistes. L’identité des hommes est construite par une culture du viol. Leur présence nous est imposée : nous sommes éduquées à étouffer nos sentiments et nos réflexes de protection pour ne pas les fuir. Impossible de nous libérer dans cette même contrainte. Nous devons pouvoir accuser nos oppresseurs, dénoncer leur engagement passif voire actif aux politiques sexuelles. Il est indispensable de repérer des sources immédiates d’oppression pour la rendre réelles à nos yeux. C’est la condition pour éprouver la colère en toute légitimité, donc créer le moteur d’une conscience de classe et d’une mobilisation déterminée (cf. Delphy, 2004).
La lutte contre le viol suppose un rejet radical de ce qui le produit : identités de genre, contrainte à l’hétérosexualité, inégalités économiques.
Elle est indissociable de la lutte contre les industries du viol : pornographie et prostitution.
II- « SlutWalk » : le backlash sexiste.
La première « SW » (4) de Toronto, janvier 2011, s’est levée car un policier a commenté ainsi le viol d’une étudiante : les femmes devraient éviter de s’habiller en « s. » si elles ne veulent pas être violées. Il accusait la victime d’avoir provoqué le crime et occultait l’agresseur. Les organisatrices de la marche ont voulu lui répondre : « We are tired of being oppressed by slut-shaming; of being judged by our sexuality […] [We want to be] in charge of our sexual lives […], regardless if we participate in sex for pleasure or work. […] We are coming […] not only as women, but as people from all gender expressions and orientations […]we just ask that you come. […] Singles, couples. » (ici). En un mot : Acceptez-nous comme nous sommes : « sexy » ou « travailleuses du sexe », personne n’a le droit de juger notre sexualité. Pour affirmer une solidarité avec les femmes violées, la manifestation s’appellera la « marche des s. ». Elle est mixte et l’hétérosexualité est noyée dans la multitude des sexualités librement choisies. Les hommes, dans un élan féministe, revendiquent le droit pour les femmes de s’insulter et d’être « travailleuse du sexe ». Marcher en mixité, réaffirmer l’hétérosexualité, insulter les victimes, insulter les femmes, promouvoir la prostitution et les codes pornographiques : l’agenda est chargé, même plombé.
a- « Assumer » d’être les « s. » qui sont violées.
Pourquoi les SWer répondent à la menace de viol par un collectif : « Laisse-moi m’habiller comme je veux, t’occupes-pas de ma sexualité » ? Le viol a-t-il quelque chose à voir avec le look ? Juge-t-il la sexualité de la victime ou préjuge-t-il de celle du criminel ? Non. Le viol est affaire de faciès – être ciblée « femme » – et de pouvoir – sexiste. Pourquoi presque tous les slogans emblématiques de la marche sont un dialogue individualiste entre « moi » et « toi » ? Ce dialogue porte sur des comportements individuels : « mon » look ou « ma » sexualité » face à « tes » jugements ou tes tendances à violer. Les slogans dénoncent rarement un système sauf s’il est idéologique (pensées, idées reçues). Les explications sont souvent bien pauvres : l’éducation (5) voire la tautologie - « women get raped because someone raped them ». Les slogans visent souvent à changer les mentalités : « resignifier » les mots, « déconnoter » l’insulte, « expliquer » aux violeurs des choses. Les SWer font comme si le viol avait pour cause les idées que s’en font « les gens » (6°).
En fait, les SWer n’ont aucune analyse féministe de la culture qui crée le viol : genre, hétérosexualité, pornographie, prostitution. Au mieux, comme nombre de postmodernes, ils-elles analysent le pouvoir en termes de normes/contre-normes & déviance. C'est-à-dire que le pouvoir consiste à imposer une norme et à stigmatiser les « déviant-e-s ». Dans cette perspective, le viol ne cible plus toutes les femmes en tant que femme. Il punirait certaines femmes en tant que déviantes et contrôlerait les autres par la menace.
Le viol ne sanctionnerait les femmes que lorsqu’elles sortent des rangs ? C’est expliquer le viol par le comportement des femmes. Pur sexisme. Pour les « hétéro-normales » non déviantes, le viol ne serait qu’une menace ? Pur négationnisme, issu d’une vision dominante de la violence politique, déjà critiquée par Nicole Claude Mathieu (1985 : 208). La « liberté » des hommes existerait en soi, sans reposer sur la persécution des femmes ? Pur mensonge. En fait, les SWer détournent l’enjeu féministe de la lutte. Ne sachant comment expliquer le viol, ils-elles prennent les alibis des dominants pour ses causes réelles. Selon le policier, est en cause la fille « sexy » ou « facile » ? Alors, ces deux stéréotypes deviennent les emblèmes de la lutte. Selon lui, s’habiller « sexy » ou être prostituée est un motif de punition ? Alors, adopter la « slut-attitude » serait reprendre la liberté que le pouvoir veut brimer. Pur dialogue idéologique. Les SWer ignorent les délits et les crimes de masse sur laquelle repose la soi-disant « libre sexualité masculine ». Ils-elles la prennent pour modèle de liberté. Ils-elles proposent donc de reprendre ses codes dominants : sadomasochisation et pornographisation (7) de la culture et de la sexualité. Loin d’accuser un système, ils-elles individualisent le risque de viol. Loin de dénoncer l’ampleur des violences masculines, ils-elles nient la majorité des viols, à savoir ceux commis sur les femmes « hétéro-normales » par leur partenaire. Loin d’accuser les hommes, coupables ou complices, ils-elles accusent les femmes violées d’être sorties des rangs. Ils-elles entérinent l’équation sexiste : viol = sexualité & victime = salope. Loin de construire une solidarité féministe, ils-elles insultent les victimes de viol et les victimes potentielles.
b- Baser la lutte contre le viol sur le mot qui menace de viol.
User du paradoxe.
Selon les SWer, le mot « s. » ne serait pas une insulte. Voilà un beau paradoxe. Mais il n’est pas nouveau. Les hommes nous le martèlent déjà : pour eux, il n’est pas agressif, « il est sexuel ». De même pour les pornographes, il est féministe en signifiant « femme sans tabou ». Par leur imagerie publicitaire (porno, pub, clip), les proxénètes nous imposent la haine portée par ce mot et par le pilonnage intensif de nos corps qui l’accompagne. Ils veulent nous mener au paradoxe de nous libérer dans la haine de nous-mêmes. Elever « s. » au rang de mot sexuel et de label de liberté vise à érotiser la brutalité et le viol. Pourquoi les SWer veulent-ils baser la lutte antisexiste sur l’insulte sexiste, sceller la solidarité entre victimes de viol par le mot qui menace de viol ?
Autre paradoxe. Arborer tous les signes sexistes créés par les industriels (pornographes, publicitaires, stylistes) mais afficher un fier slogan : « Ma tenue n’est pas une invitation sexuelle ». Suffit-il d’actes de langage pour effacer le sens des choses ? Non. Car le sens des tenues « sexy » vient de la propagande d’empires multimilliardaires. De plus, ces signes sont reçus par des hommes qui ont du pouvoir sur nos vies : le passant qui nous harcèle, le copain qui insiste jusqu’à ce que l’on consente au viol, le collègue qui fait des « blagues » et le patron qui reçoit un spam « explicite » durant notre entretien d’embauche. Pourquoi les SWer préfèrent jouer sur les mots plutôt que combattre les industriels sexistes et dénoncer les hommes ? Pourquoi préfèrent-ils-elles nous faire assumer les signes de la « saloperie » plutôt que changer le contexte de production et de réception de ces signes ?
Nous anesthésier à la haine sexiste pour élever notre degré de tolérance.
Selon les SWer, celles qui refusent d'être traitées de « s. » auraient un problème avec le mot. OUI, il y a un problème avec le mot. Comme le dit Megan Murphy, il a
"été utilisé d’une myriade de façons pour me faire du tort. J’ai été qualifiée de salope pour avoir baisé, pour ne pas avoir voulu baiser, et pour avoir été forcée à baiser […]. J’aimerais bien que ce mot n’ait pas sur moi le pouvoir qu’il a. J’aimerais bien qu’il n’ait pas été utilisé pour me faire mal et me violenter. Mais il l’a été. Il est impossible d’effacer cela. Quelle que soit ma décision de redéfinir ce mot ou non. Et il continue à être utilisé de cette façon." (8)
.
Il y a donc un gros problème avec le mot : il est insultant, fait pour toutes nous terroriser.
Les SWer proposent de « se réapproprier » les « mots qui blessent », pour que chacune se renforce. « Empowerment » ? Selon une méthode de l’armée, peut-être : plus on te hurle dessus, moins tu sens la douleur, plus tu es un « Warrior ». Pure auto destruction. S’anesthésier à la douleur est la technique d’une victime qui ne peut éviter les coups. Pur idéalisme aussi : le pouvoir n’est pas réductible à ses mots.
Nier des expériences irréconciliables …
L’insulte n’est pas qu’un symbole à redéfinir. L’idéologie et le langage sont des réalités matérielles. Les « idées sexistes » « dans nos têtes » ne sont pas des fausses idées à combattre par d’autres idées. Elles sont des effets mentaux des relations de pouvoir - servage, exploitation, violences (Michard, 2002 ; Guillaumin, 1992). Pour les combattre, il faut changer l’expérience quotidienne qui les met dans la tête, donc abolir les relations de pouvoir.
« S. » entre « dans la tête » des dominants par la pornographie et signifie être marqué par l’indignité et le masochisme féminins, être utilitaire à prendre. Ça leur rentre dans la tête de manière très efficace : par le corps, dans l’excitation et l’orgasme. Près de 13% d’entre eux sont client-prostitueurs en France (Legardinier & Bouamama, 2004). L’idée est alors plus indubitable car ils ont pu traiter une femme réelle comme un produit pornographique. La publicité relaie le message, en ajoutant que nous sommes des vendues qu’un rien achète (bijou ou voiture). Lors des rassemblements fraternels, chacun s’imprègne des récits du héro qui a réussi à en « prendre » une « comme une s. » ou à la « faire crier » alors qu’elle « faisait sa mijaurée ». Le sexisme de ce mot excite et fédère les dominants, construit leur virilité et leur solidarité.
« S. » entre aussi « dans nos têtes » à travers la pornographie. Loin d’avoir plaisir à jouir, nous nous dégoûtons d’être excitées par le spectacle de notre humiliation. Ce mot nous divise, entre nous, en nous. Nous l’intériorisons aussi par l’agression, redoutée, réalisée et répétée. Il n’a donc pas le même sens « dans les têtes ». Pour les hommes, il veut dire sexualité-plaisir, sexualité-conquête, femme-profiteuse. Pour nous, il veut dire sexualité-insulte, sexualité-danger, indignité. Ces sens sont irréconciliables (cf. Rochefort, 1971).
… et faire consensus sur un malentendu pour nous mettre toutes en danger.
Expliquer aux dominants qu’ils nous oppriment est déjà impossible mais choisir pour mégaphone un mot d’ordre aussi plombé, c’est plus qu’absurde, c’est suicidaire. Quel est l’intérêt des médias à diffuser les slogans de la SW : « Slut say Yes »« It’s my Hot Body » ? Féminisme ou triomphe viriliste de nous voir « assumer » d’être les produits et les vitrines des proxénètes ? Pour éviter les malentendus qui pourraient nous coûter un viol, les SWer comptent distribuer des traductions postmodernes aux hommes ? Par ex. « Mon slogan n’est pas une invitation sexuelle, "s." n’est pas une insulte, l’insulte n’est pas de la haine, et de toute façon, l’agression est une performance de sadisme burlesque ». Au policier revanchard qui moissonne en fin de manifestation, au copain qui veut nous traiter comme la « s. » que nous revendiquons d’être, que dira-t-on ? « "S." veut dire femme libérée et non fais-moi mal ». Suicidaire. Et s’ils décidaient d’entendre le premier degré, quelle manifestante a les moyens (rhétoriques, physiques et psychiques) d’assurer sa sécurité ? Eux qui savent si peu nous écouter, entendront-ils la fin de « tu peux me faire mal, mais seulement comme j’aime » ?
c- Déréaliser l’oppression pour réduire la lutte à des actes symboliques.
Idéalisme.
Les SWer prétendent lutter contre les inégalités en imposant d’autres définitions des mots du pouvoir. Ceci, par la seule force des mots. Puis, ils-elles prétendent faire de leur novlangue une réalité, une libération collective. Par la magie de leur pensée. Pour toute action, ils-elles proposent donc aux subalternes des actes incantatoires : réappropriation d’insultes, jeux de mots sexistes, auto-nominations. En bons post-modernes, les recycleurs d’insulte ont une conception idéaliste du pouvoir et du langage. Ils-elles multiplient les faux raisonnements à partir d’idées simplistes et idéologiques sur la psychologie et le langage. (cf. MacKinnon, 1996 ; Mathieu 1985 ; MacLennan, 2003). Or les mots ne tirent leur pouvoir que de leur condition d’énonciation (Bourdieu, 1982 : 111). Les subalternes ne peuvent définir les mots du pouvoir rien qu’en les énonçant. Seuls les dominants le peuvent, car ils ont le pouvoir matériel d’imposer leur définition à autrui (monopole des médias, contrôle des ressources, des institutions). Réduire le pouvoir à ses mots et prétendre que n’importe qui peut s’en saisir est le double mensonge par lequel les SWer déréalisent le sexisme.
Sexisme au second degré … non, au carré.
Leurs actes incantatoires sont le plus souvent des jeux de mots, du niveau au mieux d’un lacanien, au pire d’un harceleur. Mais les jeux de mots sexuels ne peuvent être des slogans dans une marche contre le viol. Lutter signifie : dénoncer l’ennemi principal, les bénéficiaires de l’ombre et les matraqueurs décomplexés ; organiser une solidarité entre victimes réelles et potentielles. Cette responsabilité ne souffre aucun dérapage sexiste. Or les mots sexuels ne sont que cela : ils déréalisent les agresseurs, nient les préjudices, insultent les victimes, rient de leur peur, occultent l’origine sociale du viol et son but terroriste. L’hétérosexualité n’est pas une farce, c’est l’un des régimes de pouvoir les plus solides au monde. En rire sans l’avoir aboli est cruel : loin de nous libérer, cela étouffe notre peur, nie la gravité des faits et nous met donc en danger. Les jeux des recycleurs d’insulte ne sont que cruauté et sadisme envers les femmes (9).
III- Le backlash néolibéral : prôner une solidarité aberrante et une liberté aliénante.
Les SWer prétendent que le mot « s. » n’est pas une insulte car il désignerait des femmes réelles : les « sexy », celles qui arborent lingerie et maquillage, vêtements décolletés et raccourcis. De même, « p. » ne serait pas une insulte car cela signifierait « femme prostituée ». Refuser « le mot » serait donc rejeter ces femmes, les « stigmatiser », comme le font les policiers et autres censeurs « puritains ». Les féministes appelant à refuser les insultes seraient « anti-sexe » et sexistes, complices du pouvoir « normatif ». Au contraire, « assumer » le « stigmate » serait se solidariser de ces femmes, lutter contre le pouvoir qui s’abat sur elles en raison de « leur » sexualité marginale et de leur « liberté » aux marges de la société « bien-pensante ». Y voir une insulte serait stigmatiser ce qu’elles sont, juger leurs choix et renoncer à la libération sexuelle qu’elles incarnent : injuste, sexiste et idiot.
Ce raisonnement repose sur des mensonges et une indéfectible solidarité avec les industriels qui produisent les stéréotypes de « p. » et de « s. ».
a- Célébrer les principes de liberté et de choix du patriarcat néolibéral.
A quelle liberté aspirent les SWer pour voir un idéal dans l’insulte et la caricature de la féminité ? En fait, ils-elles croient aux vertus du patriarcat néolibéral. La « fille sexy » et la « travailleuse du sexe », purs produits du patriarcat industriel, incarnent pour ces militant-e-s la liberté corporelle, sexuelle et économique.
Or loin d’incarner le libre choix, la « putification » (10) procède d’un projet social organisé : celui d’inculquer aux femmes les rôles de cible puis de victime, les pousser à arborer des signes de disponibilité puis se taire quand l’agression tombe. Ses codes sont édictés par les industriels proxénètes des secteurs de la publicité, la beauté, la lingerie, les sex toys et la pornographie. Ils passent d’un canal à l’autre pour nous imposer leur « féminité » capitaliste (Dines, 2005 ; Poulin, 2005). Via la publicité et les magazines, ils nous dévalorisent pour nous vendre leurs produits « réparateurs ». En nous insécurisant, ils créent chez nous un besoin vital d’être désirées (Bouchard & Bouchard, 2005). Ils peuvent alors nous dresser, via la pornographie et la publicité, à leurs scénarios issus de la prostitution : exciter puis servir (Levy, 2010). Le documentaire « Inside Deep Throat », 2004, de Bailey & Barbato, et le film de Milos Forman, « People vs Lary Flynt », 1996, exposent clairement ces objectifs. En nous matraquant avec leurs insultes, ils veulent nous dresser à la « liberté sexuelle » des dominants. Leur projet suppose de nous inculquer les réflexes des femmes qu’ils maltraitent pour produire leurs films : tolérance à la peur, à l’humiliation et à la douleur. C’est pourquoi, ils publient (à la Musardine) des femmes broyées par l’industrie proxénète ou ses franges élitistes (échangisme, sadomasochisme). Ces « sex experts » (Wendy Delorme, Catherine Millet, Ovidie, Coraline Trinh Thi, Annie Sprinkle), rompues à simuler et servir les hommes, incarnent désormais l’idéal de la femme « libérée ». En fait, la machine proxénète a un rendement optimal : la pornographie déréalise les violences indispensables à l’abattage prostitutionnel (viols, brutalité, vols, terreur). Le système fait circuler les femmes de l’un à l’autre, et à mesure qu’il les brise, il les utilise dans ses franges les plus criminelles (films de viols avoués, gang bang, sadisme sexuel destructeur, viols en série même plus rémunérés). En parallèle, par ses organes de presse et médias, il publie quelques femmes alibis, des « fières d’être p. ou s. ». Mais surtout, il publie des « sex experts » qui transmettent aux lectrices ce qu’elles ont appris sous les coups. Elles nous enseignent donc les conduites dissociantes et anesthésiantes des victimes de viol et célèbrent le sadisme dans la sexualité (Salmona, 2012).
b- Prendre des artéfacts d’industries sexistes pour des femmes réelles…
La « fille sexy »
Les SWer prétendent qu’être une fille « sexy » est une simple affaire de vêtements. Serait « sexy » toute personne qui montrerait des parties de son corps. Or les découpages sexy du corps sont très codifiés et ne prennent sens que sur un corps féminin. Notre nudité n’est pas celle d’un corps neutre, humain, car il n’y a d’anatomie sexuée que politique (Mathieu). Or, dans les sociétés sexistes, les femmes n’ont pas le bon sexe pour avoir un corps humain. Elles sont un corps, à utiliser (pour la sexualité et les corvées). Ainsi, le vagin est-il assimilé au trou, il n’est pas un organe du corps propre mais un fourreau dont l’orifice est dit « entrée » (Ferrand, 2010). Nos jambes ne sont pas un moyen de locomotion mais un artifice décoratif destiné à être montré, nos cheveux sont eux aussi sexualisés. Nos seins ne nous appartiennent pas non plus : nous les cachons, les décolletons, nous jugeant dans le miroir, adoptant sur eux un regard extérieur, donc médiatisé par les intérêts dominants. Or les hommes les voient comme des indices de disponibilité sexuelle et non comme une partie de corps humain. En fait, tout bout de « femme » est construit comme voué à l’autre sexe. En retour, les dominants nous perçoivent surtout comme des silhouettes piquées d’appâts.
De plus, les pratiques de beautés actuelles sont notoirement sexistes (Jeffreys, 2005). En dénudant des parties de leur corps, les femmes ne dévoilent ni un corps humain ni une sexualité autonome. Elles montrent une anatomie politique maquillée par des industriels :
- des bouts de femme : non pas d’humain autonome mais d’être appropriable (Guillaumin, 1992 ; Tabet, 1998). Ces bouts sont donc des indices de disponibilité.
- des bouts pornographiques, formatés par l’industrie (MacKinnon, 1989 & 2007 ; Adams, 2010). Or elle construit un désir sexuel non pas humain mais dominant : le désir sadique de contraindre, faire crier une femme. Ces bouts sont donc des provocations au sadisme.
Notre nudité ne renvoie pas à des valeurs abstraites (sexualité, liberté, affirmation de soi) mais à un rapport de force où chacune peut incarner la cible qu’elle est au plan structurel. Adopter des codes « sexy » nous met donc en danger de viol. Les SWer dénient cela. Ils-elles nous menacent : ce serait sexiste de dire ça, car une femme « sexy » afficherait sa liberté et une sexualité épanouie. Donc s’il y a là un appel au viol, ce serait elle qui le formule. Mensonges ! Elle affiche là une norme sexiste et industrielle. La victime « sexy » n’y est pour rien : le pouvoir projette sur nos corps ses appels au viol, en nous truffant d’indices qu’il explicite dans le mode d’emploi qu’est la pornographie. Refuser d’être « sexy » n’est pas accuser les victimes mais refuser d’être l’instrument d’une culture de viol, une cible.
La « s. » et la « p. ».
Comment « s. » et « p. » pourraient vouloir dire « femme habillée sexy » et « femme prostituée » ? En fait, les SWer prennent les insultes politiques pour des mots. Or les insultes politiques ne disent rien des subalternes réel-le-s. Elles ne sont ni des synonymes ni des adjectifs : elles sont des stigmates, à savoir un pur mensonge sur ce que nous sommes et faisons. Elles sont réelles, car elles sont un maillon de la violence politique, mais elles ne sont pas vraies. Elles ne sont pas non plus des noms communs ; elles sont des « noms d’être » inventés par les dominants. Le mot « nègre » ne dit rien de vrai sur les Noir-e-s. Il est le « nom » qui signifie l’être-pour-le-dominant des personnes Noires. Ce nom les cible par un pur acte de discours de haine, proféré du point de vue utilitariste du dominant.
Une femme prostituée n’est donc par une « p. ». Une femme « sexy » n’est donc pas une « s. ». Entériner ces équivalences, c’est adopter le discours de haine sexiste sur les femmes, proféré du point de vue viril. C’est aussi feindre d’ignorer les usages dominants de l’insulte. Car un homme qui traite une femme de « p. » ne fait pas référence aux femmes prostituées. Quand il me traite de « s. », il ne veut rien savoir de moi, ni de ce que je suis ni de ma sexualité. Les insultes ne sont pas des commentaires, elles nous ciblent, nous frappent. Les hommes par elles menacent, disent ce qu’ils pourraient nous faire car ils en ont le pouvoir :
« P. » ça veut dire "Moi, un homme, je fais ce que je veux de toi quand je veux".
« S. » ça veut dire "Moi, un homme, je te brutalise quand je veux, tu vas aimer ça".
Ces sens qu’ils donnent à l’insulte viennent des industriels et non de femmes réelles. Car qu’est-ce que la prostitution sinon la promesse faite à tout homme d’être le maître d’une femme ? Ce pouvoir lui est accordé temporairement par un système qui transforme des humains en automates serviles, dissociées pour survivre (Trinquart, 2002 ; Farley, 1998 ; Poulin, 2001 ; Legardinier, 2002). En effet, il est presque illimité. Les proxénètes organisent un tel régime d’exception que ni le viol ni le vol ni les actes de torture (dits « séance SM ») ne sont poursuivis quand ils sont commis par un client-prostitueur. Le pouvoir évoqué par l’insulte est aussi celui du proxénète car ses droits « patronaux » sur sa victime sont illimités : menace, rétorsion économique, vol, viol, vente à autrui.
De même, qu’est-ce que la pornographie sinon le script du sadisme sexiste ? D’où viennent les images de femmes qui crient sous le pilonnage intensif et les insultes ? D’où vient l’idée qu’elles crient de plaisir et sont donc des « s. » ? Ces idées sont créées par des violences réelles commises sur des femmes réelles mais estampillées fiction (Catharine MacKinnon, 2007). Ce sont des pénétrations répétées, longues et multiples, avec des objets de plus en plus destructeurs ; des insultes dans des scénarios humiliants écrits par des hommes ; la brutalité de l’acteur qui montre comment « défoncer » une femme. Les actes consentis se terminent souvent en viol : le pornographe, excité (il réalise ses fantasmes et les vend), improvise des actes surprises que la femme ne peut pas refuser (11) (par contrainte physique et « éthique professionnelle »). La menace portée par le mot « s. » est crédible : la pornographie bénéficie d’une telle impunité que le pire des viols passe pour être de la « sexualité ».
c- … pour prôner une solidarité fantoche et couvrir le système proxénète.
En prétendant que « p. » signifie femme prostituée, les SWer nous jettent encore dans le paradoxe et le malentendu dangereux. Ils-elles manipulent notre conscience critique en déniant la violence du mot, ils insultent les femmes prostituées en niant que ce mot est un mensonge pur. Ils-elles nous appellent à le revendiquer alors que les dominants l’entendent comme : « à prendre, bonne qu’à ça ». Les SWer font coup double. D’une part, ils-elles légitiment les hommes à nous traiter de « p. » et à traiter les femmes prostituées comme des « p. ». D’autre part, en prenant le stigmate pour un synonyme de « femme prostituée », ils-elles occultent le processus industriel et mafieux qui transforme des femmes, des enfants et des trans en « corps à prendre » : viols, vols, menaces, meurtres, déplacement de population. En nous appelant à nous solidariser des « p. », ils-elles veulent nous faire accepter le système prostitutionnel tel qu’il existe : avec son abattage sexiste de masse (dit « travail du sexe ») et ses insultes. Les recycleurs d’insultes couvrent voire soutiennent le système proxénète.
De même, ils-elles affirment que les prototypes pornographiques sont des femmes réelles, à ériger en « femmes libérées » dites « s. ». De fait, ils-elles occultent les viols commis pour produire les films porno et les violences utilisées pour formater des femmes en « faschion victims ». Les recycleurs d’insultes couvrent les pornographes et les publicitaires.
IV- Non pas liberté sexuelle mais libéralisation sexiste : nous faire jouer le rôle de cible dans le monde des porno-proxénètes.
Aux E-U et en France, les Take Back the Night & the Day sont désormais organisées par les auto-proclamé-e-s « sex-positiv » ou « pro-sexe », des personnes fières de promouvoir les inventions patriarcales : insultes sexistes, industries sexistes (prostitution, pornographie, lingerie) et sexisme divertissant (culte du gode et sadomasochisme).
Quel est l’objet de la SW ? Revendiquer le droit d’être « sexy », se dire « s. ». En somme, incarner la féminité la plus caricaturale. Or la féminité est le produit et la cible de la violence sexiste. La célébrer serait féministe ? Le stigmate est un déni d’humanité. Cumuler nos stigmates (femme et « s. ») pourrait nous rendre une dignité humaine ? La pornographie excite des millions d’hommes en leur montrant comment « mater une s. ». Avant de nous appeler à « assumer » d’en être une, les SWer ont-ils-elles combattu et détruit cette industrie ? NON – ces recycleurs du sexisme la promeuvent, très souvent. Les sociétés sexistes érotisent la violence et le pouvoir, rendent excitante la subordination des femmes (Sheila Jeffreys). Avant de nous lancer dans une surenchère d’insultes, les SWer ont-ils-elles dénoncé et aboli cette politique sexuelle ? NON. Mieux, ils-elles sont nombreux, comme Judith Butler (ici), à trouver que « le pouvoir est une dimension très excitante de la sexualité. », sinon à défendre le sadomasochisme.
Leur politique ? 1) « Assumer » tout ce que le sexisme a inventé depuis Sade. 2) Réduire la lutte collective à un rassemblement de consommateurs : « Laisser moi choisir ce que JE veux ». 3) Prôner la liberté sans jamais parler d’égalité : revendiquer donc la liberté individuelle et non la libération collective. 4) Faire oublier ce que les dominants nous ont volé (la propriété de nous-mêmes, l’accès aux ressources et aux moyens de vivre), et vouloir récupérer ce qu’ils nous ont imposé (« liberté sexuelle » industrielle et entreprenariat). 5) Pour toute utopie, inventer des niches marketing pour les « anormaux » sexuels, bien installés à côté des classiques « normaux ».
Leur stratégie ? Le paradoxe qui nous pousse à la faute : nous insulter pour nous libérer. Célébrer le couple, soutenir le système proxénète et incarner les messages porno-publicitaires pour affirmer notre autonomie économique, physique et mentale. Rire de l’oppression pour être crédible en la dénonçant. Ravaler la douleur et la peur pour nous rendre plus fortes.
Féminisme ? NON : agenda néolibéral du patriarcat. En fait, les SWer veulent nous imposer un rôle écrit par les proxénètes : la fille sexy qui se croit libre, et assume de « jouir » en « s. » ou de « travailler » comme « p. ». Pour cela, ils-elles multiplient les fausses solidarités et divisent les femmes en les insultant. Or les mythes de « s. et p. » que les hommes créent (dans leur cerveau, leurs bouches, par la pornographie, par leurs pratiques de clients-prostitueurs, par leur campagnes publicitaires) n’existent pas. Les féministes n'ont donc ni à les défendre ni à s’identifier à elles ni à se solidariser avec elles ! Il nous suffit de rejeter sans appel ce qui n’est qu’insulte et stigmate. Par contre les femmes traitées comme des « s. » et des « p. » existent : elles sont les plus en danger, avec les femmes brutalisées par leur conjoint ou par tout autre agent de l’ordre. Les féministes doivent donc dénoncer de toute urgence le système proxénète et les politiques qui l’alimentent (politiques sexuelles, plans de réajustement structurel, etc.).
Troisième vague ? NON : ressac. Le néolibéralisme a brisé notre espoir d’autonomie financière, nous condamnant à la cohabitation avec un dominant. Le néocolonialisme a éradiqué le faible espoir d’une internationale féministe. La revanche pornographique a saboté notre libération sexuelle. Malgré cela, certaines persistent à dire : NON, la « libération sexuelle » n’est pas la révolution. OUI, le féminisme peut et doit dans son organisation et son utopie abolir tous les systèmes de pouvoir. NON, votre organisation du travail n’est pas la solidarité que nous espérons. Mais la « 3è vague » recycle tous leurs slogans à l’aide de techniques maketing rodées et les plie aux principes néolibéraux (liberté individuelle et contrat). Elle recycle même les militantes (12). Car que fait Aishah Shahidah Simmons, la remarquable réalisatrice de No ! The rape Documentary, à la SW ? Le système prostitutionnel détruit méthodiquement la sexualité et le travail des femmes des pays endettés ou colonisés (Legardinier, 2002). La pornographie est sa vitrine. Ce sont des industries. Le sadomasochisme érotise la violence et le pouvoir sexiste. Quel poids peut avoir le discours de cette militante anti-raciste, féministe, anticapitaliste dans un tel contexte ? Aucun : c’est la caution politique que se donnent les organisatrices. Au plan global, c’est une revanche sexiste qui vise à capter les radicales de la contestation.
Le but de leur marche contre le viol ? Défendre les artéfacts de la pornographie : « fille sexy » et « travailleuse épanouie ». Donc célébrer la pornographie et la prostitution. Divergence politique ? NON. Pur sabotage des Take Back The Night. Les recycleurs d’insulte ne combattent aucune industrie du viol. Ils-elles nous condamnent donc à la nuit des dominants : la chambre où le copain joue sa virilité pornographique, la rue où règne l’empire proxénète, ses viols et ses menaces publicitaires. Ils-elles nous cernent de violeurs tout en prétendant nous en libérer : pur paradoxe, une des armes idéologiques les plus affûtées des démocraties sexistes néolibérales.
Ne laissons pas saloper notre combat. Car la Marche de nuit est un moyen de lutte féministe extraordinaire : elle peut nous faire dépasser nos peurs viscérales, et par là, desserrer cet étau vissé à nos cous comme une chaîne, une corde ou une laisse, selon les intérêts dominants. Vivre cette libération insuffle un espoir indestructible. L’abdiquer sera une perte irréparable.
Annie Ferrand, psychologue, doctorante à Paris 13
Paris le premier octobre 2011
1 Merci à Olga pour sa relecture et ses critiques. Merci à Sarah pour notre dialogue qui forge mes idées et mon espoir.
2 Jules Falquet ici analyse « le continuum néolibéral de la violence militaro-masculine ». Il me semble que la double pression, idéologique et économique, de la pornographie et de la prostitution est centrale dans ce durcissement du patriarcat. Andrea Dworkin (1983) montre comment elle crée les conditions pour les violences masculines contre toutes les femmes.
3 Freud, par son concept de fantasme originaire, a défini la sexualité comme un viol (de la mère par le père). (Ferrand, 2011).
4 J’utilise « s. » pour « salope », « p. » pour « pute » et « SW/SWer » pour SlutWalk/er car répéter l’insulte est sexiste. Mon propos est de critiquer une ligne politique et non des individus, de dénoncer l’agenda des décideurs (organisatrices, militants associés pro-industries sexistes) et le projet global qu’il alimente. L’élan des milliers de femmes solidaires des victimes est un cri féministe, même s’il est récupéré et retourné contre elles et contre nous toutes par le cadre qui le porte.
5 Cet argument permet d’effacer la violence masculine en chargeant les mères. Cette misogynie est la plus solide racine du sexisme(Plaza, 1980). Or les proxénètes aussi éduquent: le premier porno à 11 ans, la femme prostituée cédée par les copains.
6 Il s’agit d’un idéalisme très postmoderne, largement critiqué par Catharine MacKinnon, 1993.
7 « Sadomasochisation » renvoie au fait que la brutalité est de plus en plus érotisée pour définir les pratiques sexuelles normatives. La pornographie met en scène la pénétration (femme à genoux, à quatre pattes, attendant les actes de l’autre) d’une manière qualifiée de SM quand un homme est traité ainsi par une femme. La « pornographisation » est le processus par lequel les industries proxénètes infiltrent la culture, aux plans idéologique et économique.
8 A lire aussi Gail Dines & Wendy J. Murphy : http://sisyphe.org/spip.php?article3870
9 Megan Murphy rappelle qu’une cofondatrice de la « SW » a écrit un article intitulé : « Être une salope et de plus en plus maudite ». Les recycleurs d’insulte jouissent du sexisme, en érotisant le genre voire en prônant le sadisme sexuel (ils-elles se disent alors « SadoMaso »). Risquer de déchaîner la brutalité dominante ne les arrête donc pas voire les excite.
10 J’entends ici le processus qui fait d’un humain une "femme" (qui sexcise) selon les codes édictés par les porno-proxénètes.
11 « Je me suis sentie violentée. Oui, mes larmes étaient vraies », a dénoncé Maria Schneider, concernant le tournage de Dernier Tango à Paris, 1972.
12 Ainsi, Paola Tabet a été invitée d’honneur du colloque « Transactions sexuelles », mai 2010. Or cette expression vient de chercheurs pro-prostitution qui rejettent sa perspective féministe matérialiste et sabotent son concept d’échange économico-sexuel (Ferrand, 2010).
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