LES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES ET LES FILLES :
UN FLÉAU MONDIAL ENCORE TROP IGNORÉ ALORS QU'IL POURRAIT ÊTRE COMBATTU ET PRÉVENU EFFICACEMENT SI LES CAUSES ET LES MÉCANISMES DE LA VIOLENCE ÉTAIENT MIEUX CONNUS
article disponible sur le site http://www.memoiretraumatique.org/
http://www.memoiretraumatique.org/qui-sommes-nous/publications.html#titre46-2
Dr Muriel Salmona, Bourg la Reine le 27 septembre 2010
Article publié en synergie avec le site DIPLOWEB
Site de géopolitique où a été mis en ligne le 7 novembre 2010 une partie de l'article
MÉCANISMES DES VIOLENCES : QUELLES ORIGINES
http://www.diploweb.com/Mecanismes-des-violences-quelles.html
INTRODUCTION
Les violences faites aux femmes et aux filles sont un fléau qui transcende les pays, les ethnies, les cultures, les classes sociales et les classes d'âge. Elles sont une violation des droits fondamentaux de l'être humain. Les chiffres sont impressionnants. Suivant les pays, 15 à 71 % des femmes ont été maltraitées, frappées, agressées sexuellement au cours de leur leur vie
. Aucune femme, aucune fille dans le monde n'est à l'abri de subir des violences en raison de son sexe. A tout moment de leur vie, dans leur petite enfance, leur enfance, leur adolescence, à l'âge adulte ou pendant leur vieillesse, les femmes peuvent subir de mauvais traitements physiques ou moraux et des violences sexuelles. L'auteur des violences est majoritairement un homme, une personne connue de la victime, le plus souvent un proche. Aucun espace de vie des femmes et des filles n'est protégé. Et les espaces habituellement considérés comme les plus protecteurs - la famille, le couple - où amour, soins et sécurité devraient normalement régner, sont ceux où se produisent le plus de violences. Et ces violences les plus fréquentes sont aussi celles qui seront à l'origine des plus graves traumatismes psychiques et neurologiques. Toutes les violences entraînent chez les victimes des atteintes graves à leur intégrité physique et psychique. Cependant les violences familiale, les violences conjugales et les violences sexuelles font partie des violences les plus traumatisantes sur le psychisme. De 58 à 80 % des femmes victimes de ces violences développeront des troubles psychotraumatiques chroniques
. Ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie et ont un impact considérable sur la santé des victimes, la santé de leurs enfants, leur insertion sociale et professionnelle et leur qualité de vie. Ils représentent également un coût financier important pour les États.
Pourtant, en 2010, malgré leur fréquence et leur gravité, ces violences faites aux femmes font toujours l'objet d'une méconnaissance et d'une sous-estimation, au pire d'un déni ou d'une tolérance coupable. Elles font l'objet d'une véritable loi du silence. Cette loi du silence protège les agresseurs en leur assurant l'impunité, et elle protège également le mythe d’une société patriarcale idéale où les plus forts (les hommes et tout ceux qui détiennent une autorité) protégeraient ceux désignés comme étant les plus faibles ou les plus vulnérables (les femmes et les enfants). Surtout, cette loi du silence abandonne les victimes à leur sort, toutes les victimes. Les femmes et les filles victimes de violences se retrouvent donc seules. Abandonnées, elles ne bénéficient ni de protection, ni de soins spécifiques. Les hommes et les garçons victimes ou témoins de violence eux aussi sont laissés sans soin.
Cet abandon a pour conséquence d'obliger toutes les victimes à survivre seules dans une grande souffrance et une insécurité totale, et à se réparer comme elles peuvent. Les stratégies de survie qu'elles développeront seront un facteur d'exclusion, de pauvreté, et de vulnérabilité à de nouvelles violences. Mais ces stratégies de survie favoriseront également la reproduction de violences, car certaines victimes choisiront de s'auto-traiter en adhérant à la loi du plus fort et en exerçant elles-mêmes des violences. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans son texte de recommandations pour la prévention des violences domestiques et sexuelles, présenté le 21 septembre 2010 à la Conférence mondiale de la prévention des traumatismes et de la promotion de la sécurité
, a souligné pour la première fois qu'un des principaux facteur de risque de subir et de commettre des violences domestiques et sexuelles est d'avoir subi des violences dans l'enfance
,
,
. Les stratégies de survie et d'auto-traitement des conséquences psychotraumatiques des violences sont donc au cœur de la reproduction des violences. Or des traitements sont efficaces, et ces conséquences pourraient être évitées en mettant en place une réelle protection et des soins spécialisés pour toutes les victimes. Toute victime de violence non prise en charge risque d'être à nouveau victime ou de devenir auteur de violence. La violence risque d'engendrer de la violence dans un processus sans fin si rien n'est fait pour l'arrêter. Il est donc possible de combattre la violence, non par un tout-sécuritaire qui ne cible que certaines violences, mais par une protection sans failles et une prise en charge spécialisée des victimes.
Les États ont l'obligation de protéger les femmes contre la violence et d'assurer soins, justice et réparation aux victimes. Pourtant la violence faite aux femmes reste généralisée et la prise en charge des victimes est notoirement insuffisante dans tous les États du monde. Suivant les Etats, le pourcentage de femmes victimes - nous l'avons vu - peut aller du simple au quintuple. Ces différences sont liées avant tout au degré de violence et de discrimination qui règnent dans chaque État. Le pourcentage de femmes victimes de violences est d'autant plus élevé dans un État que des conflits armés s'y produisent ou s'y sont produits récemment, que le taux de criminalité y est élevé, et que les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes y sont importantes.
En 2010, la méconnaissance de la réalité de la violence faite aux femmes et aux filles, de ses conséquences à long terme sur leur santé, l'insuffisance des moyens mis en œuvre pour lutter contre elle, l'absence de prise en charge des victimes sont donc dues avant tout à l'ignorance des véritables causes de la violence, de ses effets et des mécanismes de sa reproduction. Cet état de fait est aggravé par les fausses représentations sur les violences et par des stéréotypes sexistes, qui font de la violence une fatalité, de l'homme un prédateur et de la femme un objet de consommation et d'instrumentalisation.
Pour les États et tous les acteurs engagés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, connaître leur réalité, leurs effets, et en comprendre les mécanismes psychotraumatiques est indispensable pour agir efficacement.
Après un état des lieux des violences faites aux femmes et aux filles, les mécanismes neuro-biologiques à l’origine des violences seront détaillés. Puis seront envisagées les graves conséquences individuelles et socio-économiques des violences, avant d’aborder les mesures déjà existantes et les mesures à mettre en œuvre pour combattre ces violences.
ÉTAT DES LIEUX DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
Les violences faites aux femmes et aux filles englobent la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, au sein des relations intimes avec des partenaires, au sein de la collectivité, du travail et dans les espaces publics. Cet ensemble comporte aussi les mariages précoces, les mariages forcés, les violences liées à la dot, les crimes d'honneur, les mutilations sexuelles féminines et les autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme. Il faut y ajouter la violence liée à l'exploitation, le harcèlement sexuel et l'intimidation au travail, dans les établissements d'enseignement et ailleurs. En font également partie le proxénétisme, la prostitution et la violence perpétrée ou tolérée par l'Etat, et les crimes commis contre les femmes durant les conflits armés.
Les violences permettent à leurs auteurs d'alimenter maints stéréotypes qui confortent toutes les formes de domination, des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres, des puissants sur les faibles, stéréotypes qui, sans ces violences, auraient dû disparaître.
Les femmes jeunes sont en plus grand danger de subir des violences, toutes les études montrent que près de 50% des violences sexuelles sont commises sur des filles de moins de 16 ans. La première expérience sexuelle est forcée pour 3 à 24% des femmes suivant les pays, et le pourcentage est encore plus élevé parmi les filles de moins de 15 ans
.
La violence conjugale est la forme la plus courante des violences subies par les femmes dans le monde. Des études démographiques ont été conduites dans 71 pays pour recueillir des informations sur l’ampleur et la prévalence de la violence conjugale. Il ressort de l’Étude multi-pays citée par l’OMS sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes que la prévalence de la violence physique commise par un partenaire intime durant la vie d’une femme oscille entre 13 % et 61 %5. La prévalence varie entre 23 % et 49 % pour la majorité des lieux étudiés
. Plus les inégalités sont grandes entre les hommes et les femmes, plus la prévalence des violences physiques est élevée. La prévalence de la violence sexuelle commise par un partenaire intime au cours de la vie d’une femme oscille entre 6 % et 59 %. Plusieurs études conduites dans différents pays en développement indiquent que la violence physique durant la grossesse oscille entre 4 % et 32 %, et que la prévalence de la violence physique durant la grossesse, de sa forme modérée à sa forme extrême est d’environ 13 %. En France 157 femmes sont décédées en 2008, victimes de leur compagnon ou ex-compagnon
. L'enquête ENVEFF
(enquête nationale sur les violences faites aux femmes) a été faite en 2000, sur un échantillon de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans, résidant en France métropolitaine. Elle montre que 10% des femmes ont été victimes de violences conjugales dans les 12 mois précédant l'enquête. L'enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles (CSVF) de Seine-Saint-Denis en 2007 confirme que les femmes les plus jeunes (18-21 ans) subissent plus de violences, elles sont 25% a avoir subi des violences conjugales
.
La prostitution, la traite des êtres humains et le tourisme sexuel sont en augmentation. Les femmes et les filles représentent 80% du chiffre estimé de 800 000 personnes victimes de trafic trans-frontalier chaque année
, la majorité d'entre elles à des fins d'exploitation sexuelle ou de servitude domestique. En Europe une étude
montre que 60% des femmes victimes de trafic avaient subi des violences physiques et/ou sexuelles avant la traite. De même la majorité des personnes prostituées ont subi depuis la petite enfance des violences avec des maltraitances graves dont des agressions sexuelles pour 55 à 90% d'entres elles (63% avec en moyenne avec 4 auteurs de violences pour chaque enfant dans l'étude de Melissa Farley publiée en 2003, faite dans 9 pays sur 854 personnes prostituées
). Et il ne faut pas oublier que la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (en moyenne entre 13 et 14 ans). Les femmes et les filles prostituées subissent des violences graves, fréquentes et répétées. Melissa Farley rapporte que 71% d'entre elles ont subis des violences physiques avec dommages corporels (commis par les clients et les proxénètes), 63% ont subi des viols, 64% ont été menacées avec des armes, 75% ont été en situation de sans-domicile-fixe (SDF) pendant leur parcours12.
Le harcèlement sexuel se produit sur les lieux de travail, à l'école, dans la rue et les espaces publics. Dans les pays de l'Union européenne, 40 à 50% des femmes subissent des avances sexuelles non désirées ou des agressions sexuelles. Cette situation explique que la majorité des femmes ont peur de marcher seules dans la rue la nuit (c'est le cas pour près de 60% des femmes interrogées à Montréal au Canada, alors que seuls 17% des hommes interrogés ont peur)
.
Les violences faites aux femmes lors de conflits armés font partie de stratégies de guerre, particulièrement les violences sexuelles avec l'utilisation fréquente du viol comme arme de guerre, de terreur et de répression. Les viols sont reconnus comme crimes de guerre et ils ont été reconnus comme crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPR). Lors de la guerre en Bosnie 20 000 à 50 000 femmes auraient été violées entre 1992 et 1995. Et lors du génocide rwandais 250 000 à 500 000 femmes auraient été violées. En Sierra Léone, 50 000 à 64 000 femmes et filles vivant dans des camps de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays ont été sexuellement agressées par les combattants entre 1991 et 2001. Dans l'est de la République Démocratique du Congo, au moins 200 000 cas de violences sexuelles ont été enregistrés depuis 1996. Plus récemment, à Conakry en Guinée, lors du massacre du 28 septembre 2009 qui a fait plus de 150 morts, plus de 40 femmes ont été violées en public par les forces de sécurité gouvernementales. L'ONU a lancé une action contre les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre de conflits (http://stoprapenow.org/get-cross).
Les mutilations sexuelles féminines : on estime entre 100 et 140 millions le nombre de filles et de femmes aujourd’hui vivantes ayant subi une mutilation sexuelle, principalement en Afrique et dans certains pays du Moyen-Orient. Et on estime à trois millions le nombre de celles qui courent chaque année le risque de subir une mutilation
. Près de 5% des victimes de mutilations sexuelles féminines vivent dans les pays du Nord, ce qui représente plus de 6,5 millions de femmes et de filles
.
Dans le monde plus de 60 millions de filles sont mariées avant l'âge de 18 ans. Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) a estimé à 5 000 le nombre de femmes victimes de « crimes d’honneur » chaque année dans le monde.
Les femmes qui vivent dans dans les zones urbaines pauvres, qui sont sans chez-soi, risquent bien plus que les hommes de subir des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Une étude de Médecins du Monde faite en 2009 à Marseille
a montré qu'une femme sans abri a un risque très élevé d'être maltraitée et violée. Elles ont une espérance de vie moyenne de 41 ans, bien moindre que celle des hommes sans abri, qui est de 56 ans.
Les violences sexuelles sont les violences sexistes les plus spécifiques faites aux femmes et aux filles. Les violences sexuelles n'ont rien à voir avec un désir sexuel ni avec des pulsions sexuelles, ce sont des armes très efficaces pour détruire et dégrader l'autre, le soumettre et le réduire à l'état d'objet et d'esclave. Il s'agit avant tout de dominer et d'exercer sa toute puissance. Les violences sexuelles sont fréquentes, suivant les études et les pays elles toucheraient entre 20 et 30 % des personnes au cours de leur vie. En France 16% des femmes ont subis des viols ou des tentatives de viols dans leur vie, dont 59% avant 18 ans
. Une étude canadienne ancienne
a montré que 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Toutes ces violences sexuelles sont le prototype du « crime parfait ». Dans l'immense majorité des cas, les agresseurs restent impunis, quels que soient les pays. En France seulement 10% des viols (12 000 sur 120 000) font l'objet d'une plainte, 3% font l'objet d'un jugement et 1% d'une condamnation (1 200 sur 120 000)
. La loi du silence règne particulièrement à l'intérieur des familles, du couple des institutions et des entreprises : c'est à la victime de ne pas faire de vagues, de ne pas « détruire » la famille, le couple, d'être loyale, compréhensive, d'être gentille, et puis ce n'est pas si grave, il y a bien pire ailleurs !
La méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences, des mécanismes neuro-biologiques en jeu, font que les symptômes présentés par les victimes ne sont presque jamais reliés aux violences et que les violences ne sont pas identifiées. Il est encore trop rare que les professionnels des secteurs du social et de la santé posent aux personnes qu'ils prennent en charge la question sur l'existence de violences subies, particulièrement sexuelles. Le déni des agressions sexuelles chez les victimes est extrêmement fréquent, et les allégations mensongères des victimes sont rares, inférieures à 3%
,
,
. Le plus souvent c'est la victime qui est considérée comme coupable et doit se justifier - si elle n'a pas dénoncée les violences sexuelles et/ou l'agresseur - d'être pénible, difficile, tout le temps mal, à se plaindre, à s'isoler, d'être en échec scolaire, professionnel, amoureux, d' avoir des conduites à risques qui font qu'elle est jugée très négativement. Et si elle a dénoncée les violences sexuelles et/ou les agresseurs, on lui reproche d'exagérer, de ne pas avoir le sens de l'humour, d'être méchante, égoïste, perverse, de l'avoir bien cherché, de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour l'éviter : « tu aurais dû... », « pourquoi as-tu fait…? » L'auteur des agressions est le plus souvent considéré comme innocent. Soit il serait victime d'une machination que la victime aurait mise en place, soit la victime n'aurait pas compris qu'il s'agissait d'un jeu, d’humour, ou qu'il était tout simplement amoureux. Ou bien ce ne serait pas de sa faute : « il est comme ça, tu sais bien !, il a des pulsions », « la victime l'a certainement provoqué », « il avait bu, il ne s'est pas rendu compte, il n'a pas compris que la victime n'était pas consentante…». De plus, il bénéficie des symptômes psychotraumatiques présentés par la victime à la fois pour se disculper mais aussi pour agresser en toute sécurité.
La sexualité est un domaine de l'activité humaine saturé de violence. Les stéréotypes sexistes, la domination masculine et les idées fausses concernant la sexualité masculine permettent une équivalence entre sexualité et conduite agressive « légale », et amènent à tolérer la prostitution, la pornographie et les conduites sexuelles violentes envers les femmes. Cette confusion entre sexualité et violence est entretenue par l’utilisation d’un vocabulaire et d’un discours dégradant sur la sexualité (la majorité des injures sont à connotation sexuelle, les blagues, les sous-entendus, les remarques « graveleuses » abondent, et le champs lexical de la sexualité est souvent guerrier et criminel). Cela véhicule une image dégradée de la femme réduite et morcelée en tant qu'objet sexuel (omniprésente dans les médias, la publicité, le cinéma et une bonne partie de la presse), et crée une vision prédatrice et pulsionnelle de la sexualité masculine avec des rôles caricaturaux distribués aux hommes et aux femmes. Cette représentation de la sexualité à laquelle presque tout le monde adhère par conformisme à une idéologie ambiante, infecte les relations homme-femme et les relations amoureuses. Elles sont à l'origine d'addictions graves à la prostitution et la pornographie, avec une industrie du sexe florissante proposant des pratiques, des films et des images de plus en plus violentes. Elles favorisent une augmentation de la traite d'enfants et de femmes, du « tourisme » sexuel, d'une importante criminalité sexuelle et d'une grande partie des violences faites aux femmes.
MÉCANISMES À L'ORIGINE DES VIOLENCES
Si la violence est un formidable instrument de domination et de soumission, si elle a de graves conséquences psychotraumatiques sur les victimes, elle est aussi un auto-traitement très efficace à court terme d'un état de mal-être. Nous allons voir que la violence a un pouvoir anesthésiant sur les émotions et la douleur, que ce soit sur la victime, sur l'agresseur, ou sur un témoin de violences. Ce pouvoir anesthésiant est au cœur des stratégies de survie des victimes et de la reproduction des violences. Il provient de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde déclenchés par le cerveau lors des violences. Ces mécanismes commencent à être bien connus depuis quelques années grâce à de nombreuses recherches en neurobiologie et en neuro-imagerie. J'ai pu faire la synthèse de tous ces travaux et de mes recherches cliniques pour élaborer un modèle clinique et théorique permettant de mieux comprendre les effets et les causes psychotraumatiques de la violence, et ses mécanismes de reproduction de proche en proche, de génération en génération
.
Face à une situation dangereuse nous sommes programmés pour déclencher immédiatement une réaction émotionnelle de survie, automatique et non consciente. Cette réaction est commandée par une petite structure cérébrale sous-corticale, l'amygdale cérébrale (en vert sur les schémas ci-après). Cette réaction émotionnelle sert d'alarme, et elle prépare l'organisme à fournir un effort exceptionnel pour échapper au danger, en lui faisant face, en l'évitant ou en le fuyant. Pour ce faire, l'amygdale cérébrale commande la sécrétion par les glandes surrénales d'hormones du stress : l'adrénaline et le cortisol. Ces hormones permettent de mobiliser une grande quantité d'énergie en augmentant la quantité d'oxygène et de glucose disponible dans le sang. Le cœur se contracte plus fort et bat beaucoup plus vite, la circulation sanguine augmente dans les vaisseaux, la fréquence respiratoire s'accélère, un état d'hypervigilance se déclenche. Dans un deuxième temps, le cortex cérébral informé du danger analyse les informations, consulte toutes les données acquises se rapportant à l'événement (expériences, apprentissage, repérage temporo-spatial) grâce à l'hippocampe. L'hippocampe est une autre petite structure cérébrale qui s'apparente à un logiciel capable d'encoder toutes les expériences, de les traiter puis de les stocker en les mémorisant, indispensable pour aller ensuite les rechercher. L'hippocampe gère donc la mémoire, les apprentissages, et le repérage temporo-spatial. À l'aide de tout ce travail d'analyse et de synthèse, le cortex peut élaborer des stratégies pour assurer sa survie et prendre les décisions les plus adaptées à la situation. La réponse émotionnelle une fois allumée, comme toute alarme, ne s'éteint pas toute seule, seul le cortex aidé par l'hippocampe pourra la moduler en fonction de la situation et des besoins en énergie de l'organisme, ou l'éteindre si le danger n'existe plus. Pendant l'événement, toutes les informations sensorielles, émotionnelles et les représentations intellectuelles seront traitées, encodées puis stockées par l'hippocampe dans des circuits de mémorisation. L'événement sera alors mémorisé, intégré et disponible pour être ensuite évoqué et raconté. Dans un premier temps le récit sera accompagné d'une réaction émotionnelle, qui progressivement avec le temps, deviendra de moins en moins vive. La mémoire émotionnelle restera sensible comme rappel d'une expérience de danger à éviter. Si l'on a été piqué par un insecte, la vue ou le bruit d'un insecte enclenchera une réaction émotionnelle pour nous informer d'un danger que l'on identifiera aussitôt en se rappelant la piqûre. En identifiant l'insecte on pourra se rassurer ou au contraire se protéger.
En cas de violences, les mécanismes normaux que je viens de décrire vont être très perturbés, et ils seront remplacés par des mécanismes neurobiologiques de survie exceptionnels. Ces mécanismes de survie seront à l'origine de symptômes psychotraumatiques et plus particulièrement d'une mémoire traumatique des violences. Nous sommes beaucoup moins bien programmés pour réagir à un danger quand celui-ci est effroyable, incohérent, imprévisible et incompréhensible et quand il nous met en situation d'impuissance. L'intentionnalité destructrice de l'auteur est inconcevable et impensable, particulièrement si celui-ci est censé être notre protecteur et non pas notre ennemi.
Les violences insensées entraînent une sidération psychique et un état de stress extrême.
L'effroi ressenti et le non-sens de la situation vont être à l'origine d'une effraction et d'une sidération du psychisme de la victime. Devant le danger l'amygdale s'active, la réaction émotionnelle automatique s'enclenche, mais le cortex sidéré va être dans l'incapacité d'analyser la situation et d'y réagir de façon adaptée. La victime est alors comme paralysée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense. Comme le cortex est en panne, il ne peut pas contrôler la réponse émotionnelle. Celle-ci continue alors de monter en puissance, avec des sécrétions de plus en plus importantes d'adrénaline et de cortisol, l'organisme se retrouve rapidement en état de stress extrême.
L'état de stress extrême entraîne un risque vital.
La quantité croissante de ces hormones déversée dans le sang devient toxique pour l'organisme, elle représente un risque vital cardio-vasculaire et neurologique. Le stress extrême peut entraîner une souffrance myocardique susceptible de provoquer un infarctus du myocarde et une mort subite, et une souffrance neuronale qui pourrait être responsable d'un état de mal épileptique et d'un coma (jusqu'à 30% des neurones de certaines structures cérébrales peuvent être détruits). La victime peut être en danger de mort non seulement par la volonté criminelle de l'agresseur, mais aussi par le risque vital dû au stress extrême.
Face à ce risque le cerveau a une parade exceptionnelle, une disjonction.
Comme pour un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour éviter de griller tous les appareils branchés, le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel en sécrétant en urgence, des drogues "dures" morphine-like et kétamine-like. Cette disjonction interrompt brutalement les connections entre l'amygdale et les autres structures. (cf la vidéo de france 5 à partir de mes travaux : http://www.bonjour-docteur.com/actualite-sante--1362.asp?1=1&idbloc=1)
La réponse émotionnelle s’éteint alors brutalement.
L'amygdale isolée reste « allumée » mais ses ordres ne passent plus. Les victimes se retrouvent alors soudain dans un état d'anesthésie émotionnelle et physique. Le risque vital disparait.
L'anesthésie émotionnelle produit une dissociation.
Les victimes continuent de vivre les violences, mais elles ne ressentent plus rien, c'est ce qu'on appelle un état de dissociation. Les victimes dissociées décrivent alors un sentiment d'irréalité, voire d'indifférence et d’insensibilité, comme si elles étaient devenues de simples spectateurs de la situation. Cela est dû à l'anesthésie émotionnelle et physique liée à la disjonction, avec une sensation de corps mort. La conséquence immédiate de la dissociation est que la victime sera encore plus incapable de se défendre.
La disjonction est à l'origine d'une mémoire traumatique.
Mais ce pouvoir anesthésiant agit à très court terme, car la disjonction a un prix. L'interruption des connexions entre l'amygdale et l'hippocampe empêche ce dernier d'encoder, d'intégrer et de mémoriser l'évènement violent. Cet événement violent ne deviendra pas un souvenir normal et restera « piégé » tel quel dans l'amygdale cérébrale. C'est cette mémoire émotionnelle et sensorielle qui n'a pas été traitée qui est la mémoire traumatique. L'amygdale lors de toute stimulation susceptible de rappeler les violences, va recréer à nouveau le même stress émotionnel, la même détresse, et le même risque vital sous la forme de flashback, de réminiscences ou de cauchemars. La mémoire traumatique fonctionne comme une machine à remonter le temps qui, en envahissant la conscience, fait revivre à l'identique l'expérience sensorielle et émotionnelle des violences, sans possibilité de contrôle cortical conscient. Cette mémoire traumatique est - telle une mine anti-personnel - susceptible d'exploser à chaque fois qu'on posera le pied dessus, c'est à dire à chaque fois qu'un lien rappellera les violences. Si elle n'est pas traitée elle persiste des années, voire des dizaines d'années, et elle transforme la vie des victimes en un champ de mines, générant un climat de danger et d’insécurité permanent.
Pour échapper à ces souffrances les victimes vont mettre en place des conduites d'évitement, de contrôle et d'hypervigilance.
Les victimes traumatisées essaient d'empêcher à tout prix une explosion de cette mémoire traumatique en évitant tous les stimulus susceptibles de la déclencher. Elles deviennent alors hypervigilantes, et mettent en place des conduites d’évitement et de contrôle de tout leur environnement, de tout ce qui peut rappeler les violences, même inconsciemment, comme une situation de stress, des émotions, des douleurs, des situations imprévues ou inconnues… mais aussi un contexte (un lieu, une date), une image, un regard, une odeur, une voix, un cri, un bruit, une sensation (un attouchement). Elles éviteront d'y penser, d'en parler. Cet évitement entraîne de nombreuses phobies, des troubles obsessionnels compulsifs, un retrait affectif, des troubles du sommeil, une fatigue chronique, des troubles de l’attention et de la concentration très préjudiciables pour mener à bien une vie personnelle, sociale et professionnelle. Cependant les conduites de contrôles et d’évitement sont rarement suffisantes, particulièrement quand de nouvelles violences ou de grands changements surviennent (adolescence, rencontre amoureuse, naissance d’un enfant, entrée dans la vie professionnelle, chômage, etc.). La mémoire traumatique explose alors fréquemment, traumatisant à nouveau les victimes en entraînant un risque vital, une disjonction, une anesthésie émotionnelle et une nouvelle mémoire traumatique. Mais rapidement la disjonction spontanée ne peut plus se faire car un phénomène d’accoutumance aux drogues dures sécrétées par le cerveau se met en place. À quantité égale les drogues ne font plus effet, les victimes restent alors bloquées dans une détresse et une sensation de mort imminente intolérables.
Quand les conduites d'évitement ne suffisent plus la victime a recours à des conduites dissociantes.
Pour faire cesser cet état ou éviter à tout prix qu'il ne se reproduise, la victime cherche à obtenir coûte que coûte une disjonction pour s’anesthésier, en faisant augmenter la quantité de drogues dissociantes. Cela peut s’obtenir de deux façons : soit en leur ajoutant des drogues exogènes - alcool ou substances psycho-actives - qui sont elles aussi dissociantes, soit en augmentant leur sécrétion endogène par aggravation du stress. Pour aggraver leur stress, les victimes se mettent en danger ou exercent des violences le plus souvent contre elles-mêmes : conduites routières à risque, auto-mutilations, sports extrêmes, jeux dangereux, sexualité à risque, etc. Cependant un certain nombre d'entre elles préféreront exercer des violences contre autrui, générant une mémoire traumatique chez de nouvelles victimes. Ces conduites de mises en danger, ces conduites violentes et ces conduites addictives dont les victimes découvrent tôt ou tard l’efficacité sans en comprendre les mécanismes, je les ai nommées conduites dissociantes. Ces conduites dissociantes provoquent la disjonction et l’anesthésie émotionnelle recherchées, mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence.
Ces mécanismes psychotraumatiques permettent de comprendre les symptômes que présentent les femmes victimes de violences. La mémoire traumatique est à l'origine d'une grande souffrance mentale, de troubles anxio-dépressifs, d'idées suicidaires, d'insomnies, de troubles cognitifs… Les conduites d'évitement, de contrôle et les conduites dissociantes sont à l'origine de nombreux troubles du comportement (retrait social, addiction, troubles du comportement alimentaire et sexuel…) et de conduites paradoxales (mises en danger, automutilation, dépendance à l'agresseur…). Les violences sont de grands pourvoyeurs d'accidents (à domicile, sur la voie publique, au travail, dans le sport), de dépressions, de tentatives de suicide, d'alcoolisme, de toxicomanie, de maladies sexuellement transmissibles. Personne ne se retrouve alcoolique, toxicomane, marginal, prostitué(e) sans raison, 80 à plus de 90 % des personnes qui vivent ces situations ont vécues des violences dans leur passé. Ces mécanismes permettent aussi de comprendre le cycle infernal des violences chez les agresseurs, la violence étant une conduite dissociante. Ces mécanismes sont malheureusement méconnus, et les médecins, qui ne sont pas formés à la psychotraumatologie ne relient pas les symptômes des victimes aux violences qu’elles ont subies. Ils ne proposent donc pas de traitement spécifique. A la place ils utilisent des traitements symptomatiques ou des traitements qui sont en fait dissociants, mais sans le savoir. Ces traitements dissociants (comme l’enfermement, la contention, les camisoles chimiques, l’isolement, les chocs électriques, voire la lobotomie qui est encore utilisée dans certains pays….) sont « efficaces » pour faire disparaître transitoirement les symptômes les plus gênants et anesthésier ponctuellement les douleurs et les détresses les plus graves. Mais comme ils produisent des disjonctions ils aggravent la mémoire traumatique des patients. La violence a la triste capacité de traiter les conséquences psychotraumatiques de façon transitoire mais très efficace et très économique pour l'agresseur, tout en les aggravant. Elle est sa propre cause et son propre antidote. Mais à quel prix !
Si les victimes subissent ce mécanisme de sauvegarde anesthésiant qui leur permet de survivre au prix de l'installation d'une mémoire traumatique, les agresseurs, eux, recherchent ce mécanisme pour s'anesthésier, la victime n'étant qu'un fusible pour y parvenir. Si les agresseurs cherchent à s'anesthésier, c'est qu'ils sont eux aussi aux prises avec une mémoire traumatique qui provient de leur passé. Mais, ils convoquent une victime qu'ils se choisissent pour gérer à leur place leurs troubles psychotraumatiques, cette dernière devenant une esclave emprisonnée dans un scénario qui ne la concerne initialement pas. L'agresseur se drogue au stress grâce à la violence qui devient pour lui une véritable toxicomanie. L'anesthésie émotionnelle procurée par les violences lui est utile pour éteindre des angoisses profondes provenant de son histoire et est responsable chez lui d'un véritable un état d'anesthésie émotionnelle. En fait les auteurs de violence ont expérimenté un choc émotionnel traumatisant, sa disjonction de secours et son anesthésie émotionnelle dans leur enfance lors de maltraitances ou en étant témoins de violences extrêmes dans leur famille comme des violences conjugales. Ce choc émotionnel traumatisant a pu aussi se produire à l'âge adulte lors de guerres, de conflits armés, de répressions, d'actes de terrorisme ou lors d'activités professionnelles exposées à des violences extrêmes (soldats, policiers, pompiers, humanitaires…). Et n'ayant pas été traités, ils ont développé une mémoire traumatique qu'ils vont autotraiter en s'identifiant aux agresseurs et en cherchant à s'anesthésier aux dépens de victimes qu'ils se choisissent, d’autant plus faciles à trouver que la société où ils vivent est inégalitaire. Les femmes et les filles sont alors des victimes idéales pour jouer le rôle de fusibles et leur permettre de recycler leurs troubles psychotraumatiques. Ils peuvent les considérer comme leur appartenant et donc comme instrumentalisables à merci. Cela explique que les violences faites aux femmes et aux filles sont beaucoup plus fréquentes et graves dans des sociétés très inégalitaires et après des conflits armés, des guerres civiles, des génocides.
Pour autant la violence reste toujours un choix, une facilité dont l'agresseur est entièrement responsable. Bien d'autres conduites d'évitement (hypervigilance et contrôle, retrait social, soumission) et anesthésiantes (conduites à risque, alcool, drogue) existent, qu'il connaît pour les avoir presque toujours expérimentées . Mais il préfère exercer des violences qui lui permettent de faire l'économie de nombreuses stratégies d'évitement et de contrôle, et de conduites dissociantes. De plus comme ces violences font socialement l'objet d'un déni et d'une loi du silence, il peut d'autant plus préférer cette stratégie dissociante plutôt que d'essayer de composer avec une souffrance mentale qui risque de l'exclure et le marginaliser. La société dans son ensemble stigmatise plus les troubles psychiatriques et les conduites addictives des victimes que les violences qui leur sont faites. Et il est bien plus valorisant d'être en position de domination plutôt que de victime. Dans une société inégalitaire, les violences sont un privilège offert à tous ceux qui adhèrent à la loi du plus fort.
Si la violence est paralysante et dissociante pour la victime, elle est donc pour l’auteur un outil de domination et une drogue anesthésiante. La violence permet d’obtenir une anesthésie émotionnelle de l’agresseur (malheureusement largement valorisée dans nos sociétés) en instrumentalisant les victimes comme des fusibles. Elle devient ainsi une usine à fabriquer de nouvelles victimes et de nouvelles violences. Les rationalisations habituelles pour justifier la violence ne sont donc que des leurres :
- La violence n’est pas une fatalité, elle ne procède pas d’une pulsion agressive originelle chez l’homme (comme le dit S. Freud), ni d’une cruauté innée (comme le pense F. W. Nietzsche). L’être humain est naturellement empathique comme le prouvent toutes les études faites sur des nourrissons. Historiquement et socialement, les violences faites aux femmes et aux enfants sont presque toujours présentées comme inhérentes à la condition humaine, à la nature du désir de l'homme, antécédentes à toute histoire personnelle, ou comme justifiées au nom de l'éducation, de l'amour, de la sécurité, du rendement, de l'économie, etc. Cependant elles ne sont pas « naturelles », ni légitimes, ni logiques, ni cohérentes, que ce soit par rapport au contexte où elles se produisent, ou par rapport à la victime. Ceux qui utilisent la violence prônent le mépris et la haine des victimes considérées comme inférieures et sans valeur, alors qu’ils ne sont violents que parce qu’ils ont été eux-mêmes des victimes. Ils n’ont recours à la violence que parce qu’elle leur est utile, possible et qu’elle est une drogue pour eux.
- La victime n’est pas responsable de la violence exercée contre elle. Rien de sa personne ni de ses actes ne la justifie, la victime est toujours innocente d’une violence préméditée qui s’abat sur elle. De fait la victime est interchangeable, et choisie pour jouer par contrainte ou par manipulation un rôle dans un scénario qui ne la concerne pas, monté par l’agresseur.
- La violence n’est pas utile pour la victime. Le « c’est pour ton bien » dénoncé par Alice Miller
- , le « c’est par amour pour toi », le « c’est pour mieux te protéger, t’éduquer, te soigner…» sont des mystifications. La violence n’est utile qu’à son auteur, pour le soulager lui et lui seul, et pour paralyser et soumettre les victimes. Le but de ce dernier est d’imposer à une personne qu’il a choisie d’être son « esclave-soignant et son médicament » pour traiter sa mémoire traumatique. Il instrumentalise sa victime et l’aliène en la privant de ses droits afin de la transformer en esclave soumise qui devra développer des conduites de contrôle et d’évitement à sa place, pour éviter l’explosion de sa mémoire traumatique à lui. Et si l’explosion a quand même lieu, c’est la victime qui devra servir de fusible pour qu’il puisse disjoncter par procuration et s’anesthésier.
- La violence est un privilège, elle est l’apanage d’une société inégalitaire qui distribue des rôles de dominants et de dominés, et qui attribue ensuite à chacun une valeur en fonction de la place qu’il occupe dans le système hiérarchique imposé. Les hommes auteurs de ces violences s’autorisent à transgresser une loi universelle, pour imposer une loi traditionnelle à laquelle les femmes doivent se soumettre. Ils se revendiquent comme étant d’une autre essence, et ils adhérent à une vision du monde profondément inégalitaire où la loi du plus fort pourrait, en toute injustice, régner à leur avantage.
Il est donc évident que laisser des victimes sans soin aux prises avec une mémoire traumatique est irresponsable et alimente la production de futures violences. Il suffit qu’une minorité de victimes deviennent des agresseurs, ils feront alors à leur tour d'autres victimes, dont quelques unes deviendront des agresseurs. Les agresseurs choisiront en priorité des proies qui ont déjà été victimes, car plus isolées et moins protégées, plus faciles à terroriser et à soumettre, plus faciles à réduire à l'état d'esclaves puisqu'elles ont déjà été formatées pour l'être. Les victimes sont donc activement recherchées par les agresseurs et enrôlées de force comme nouvelles victimes dans des scénarios qui n'ont de sens que pour eux.
Trop souvent, les violences ne sont pas reconnues, ni dénoncées, et leurs conséquences psychotraumatiques sont ignorées des professionnels de la santé qui n'ont pas été formés. Il en résulte que les victimes ne peuvent être prises en charge ni soignées efficacement. Pourtant des soins spécialisés permettraient d'éviter la mise en place d'une mémoire traumatique immédiatement après les violences, ou de la traiter si elle est déjà installée. Ces soins éviteraient aux victimes de graves souffrances et de nouvelles violences. Et ils permettraient aussi d'éviter que certaines victimes ne deviennent des agresseurs. Dans un univers sexiste et inégalitaire, un garçon témoin de violences conjugales ou lui-même victime de violences peut facilement s'autoriser à se positionner en dominant et à traiter sa mémoire traumatique en exerçant des violences, ce qui pourrait être évité s’il était pris en charge précocement.
CONSÉQUENCES DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
Les violences imprègnent de telle façon et depuis si longtemps les rapports humains qu’elles en ont modifié les normes et les représentations que l’on peut s’en faire. Les violences saturent et dénaturent la relation amoureuse, la parentalité, la sexualité, le travail, les soins, etc. Dans notre société, les symptômes psychotraumatiques et les troubles des conduites qui y sont rattachés ne sont jamais reconnus comme des conséquences normales des violences, et sont perçus de façon mystificatrice et particulièrement injuste comme provenant des victimes elles-mêmes, liés à leur personnalité, à de prétendus défauts et incapacités, à leur sexe, à leur âge, voire à des troubles mentaux abusivement diagnostiqués comme psychotiques. Les violences et leurs conséquences psychotraumatiques sont à l’origine de nombreux stéréotypes censés caractériser les victimes qui les subissent, principalement les femmes. Leurs symptômes, au lieu d’être identifiés comme réactionnels, sont injustement considérés comme naturels et constitutifs de leur caractère, de leurs conduites et de leur sexualité. Les femmes seraient plus passives, plus émotives, plus sensibles, plus fragiles et dépressives que les hommes, avec une sexualité bien moins pulsionnelle qu’eux. Les adolescents seraient plus enclins aux conduites à risque et aux mises en danger, plus suicidaires, etc… Et bien sûr, il existe de nombreux stéréotypes en miroir sur les hommes qui seraient « naturellement » prédateurs, dominateurs et peu émotifs. Ces stéréotypes, parasités par la violence omniprésente, altèrent profondément les relations humaines et transforment l’amour en une relation de possession et d’emprise, l’éducation en un dressage et une domination, la sexualité en un besoin d’instrumentaliser et de consommer. Ils participent au maintien de l'inégalité entre les sexes et privent une majorité d'hommes et de femmes d'un accès à leur sexualité et à une véritable rencontre amoureuse faite de respect, d'échanges et de découverte de l'autre. Ils entretiennent une confusion entre un véritable désir et une excitation douloureuse liée à une mémoire traumatique sensorielle qu’il s’agit d’éteindre à tout prix, une confusion également entre un plaisir et un soulagement brutal lié à une disjonction accompagnée d'une anesthésie émotionnelle. Ils font aussi prendre des réminiscences visuelles et sensorielles provenant d’une mémoire traumatique pour des fantasmes.
Nombreuses sont les femmes qui, ayant subi des violences sexuelles, souvent dès l’enfance, se retrouvent à devoir composer avec une sexualité gravement traumatisée et infectée de symptômes psychotraumatiques non identifiés comme tels. Comme elles se retrouvent seules face à cette sexualité traumatisée, sans aucun outil pour la comprendre, pour la relier aux violences subies dans le passé et pour séparer ce qui est sain de ce qui est « infecté » par les violences et leurs conséquences psychotraumatiques (mémoire traumatique, conduites d’évitement et conduites dissociantes), elles n’auront d’autres possibilités que de l’intégrer telle quelle ou de la rejeter en bloc. Elles se retrouvent seules aussi, dans une société baignant dans le déni qui ne leur fournit aucun repère pour s’y retrouver. Au contraire les normes environnantes les enfoncent encore plus dans des représentations sexuelles d’elles-mêmes aliénantes, en relayant des stéréotypes mystificateurs sur la prétendue sexualité féminine. En réalité, ces stéréotypes sont construits à partir de symptômes psychotraumatiques : la vierge, la frigide, la femme passive, la nymphomane, la fille facile, la bombe sexuelle, la traînée, la salope, la prostituée, etc. Et tous ceux qui ne veulent pas renoncer à une rencontre véritable et à l'amour, et heureusement ils sont nombreux, doivent se battre pour sortir de ces schémas réducteurs et emprisonnants. Les femmes, mais aussi les hommes, pourraient y gagner beaucoup, en récupérant une sexualité non traumatique, enfin libre, avec un plein accès à leur désir et à leur plaisir. Les violences sexuelles fonctionnent comme un permis d'instrumentaliser les femmes comme des esclaves domestiques et sexuelles pour le confort de privilégiés et comme des fusibles pour s'anesthésier en cas de mal-être ou de tension dus à une mémoire traumatique.
Les violences faites aux femmes et aux filles sont avant tout des violences sexistes permises par les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes. La Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies
donne avec l'article premier la définition suivante de la violence à l'égard des femmes et des filles : « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. »
Elles représentent une atteinte grave à leur intégrité physique et psychique, et à leurs droits fondamentaux à la vie, à la sécurité, à l'égalité et à la dignité. D'après le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) « il s'agit sans doute de la violation la plus répandue actuellement des droits fondamentaux de la personne, qui a pour conséquences de détruire des vies, fracturer des communautés et freiner le développement. Les statistiques décrivent une situation effrayante en termes de conséquences sociales et sanitaires de la violence contre les femmes ». Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a quant à lui déclaré le 8 mars 2007 : « La violence contre les femmes et les filles demeure inchangée dans tous les continents, tous les pays et toutes les cultures. Le tribut payé par les victimes, leur famille et la société dans son ensemble est accablant. La plupart des sociétés interdisent cette violence, mais en réalité elle est trop souvent passée sous silence ou tacitement tolérée ».
Elles ont des répercussions considérables sur la société en terme de coût social, de productivité et de développement. Elles sont pour les femmes un facteur important d'analphabétisme, de marginalisation, d'exclusion et de grande pauvreté en freinant leur accès à l'éducation, à l'emploi, à la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité, et en empêchant leur émancipation et à leur autonomie. Et elles sont donc un facteur qui aggrave les inégalités.
Les violences ont des répercussions considérables sur la santé des femmes, générant de très importantes dépenses de santé. Les violences physiques et sexuelles ont des conséquences directes sur l'intégrité physique des femmes et des filles, pouvant aller jusqu'à la mort ou l'infirmité. Les femmes qui subissent des violences ont beaucoup plus souvent recours à des consultations médicales, à des soins en urgences, à des hospitalisation en médecine et en psychiatrie, et à des arrêts de travail. Les violences font partie des facteurs de risques importants pour la santé au même titre que l'hypertension artérielle, le tabagisme et l'obésité
. Les violences sont à l'origine de risques importants pour la santé de la mère et du fœtus pendant les grossesses (les violences débutent fréquemment lors de grossesse et sont dans ce cas décrites par les femmes comme plus graves ; et d'autre part les viols peuvent être à l'origine de grossesse), avec un risque d'avortements répétés, de mort fœtale, d'accouchement prématuré, d'hypertension artérielle et de diabète pour les mères. Les viols sont à l'origine de grossesses précoces chez des adolescentes, et de contamination par des maladies sexuellement transmissibles, particulièrement par le virus HIV responsable du SIDA (risque très augmenté lors de violences sexuelles). Les violences nuisent donc gravement à la santé reproductive et maternelle des femme et à la santé de leurs enfants
’,
.
Les coûts de la violence à l'égard des femmes et des filles (incluant les dépenses de santé, les aides sociales, les dépenses de police et de justice, l'absentéisme et les pertes de revenus et de production, etc.) sont dans la plupart des pays évalués entre un et plusieurs milliards d'euros
.
De plus, nous l'avons vu, les violences faites aux femmes et aux filles sont particulièrement traumatisantes sur le plan psychologique et neurologique, et elles sont à l’origine de chocs psychiques et de troubles psychotraumatiques graves. Les violences subies par les femmes et les filles sont celles qui ont le plus grand potentiel traumatisant en dehors des tortures : 58 % des victimes de violences conjugales risquent de développer un état de stress-post-traumatique contre seulement 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes
, et 80 % des victimes de viols risquent de développer un état de stress-post-traumatique contre seulement 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes
. Cela explique que la prévalence des troubles psychotraumatiques soit plus importante chez les femmes que chez les hommes. Ces troubles psychotraumatiques sont chroniques, ils peuvent s'installer sur des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils auront alors un impact catastrophique sur la vie des victimes traumatisées si elles ne sont pas prises en charge. Ces femmes présentent alors tout au long de leur vie un état de stress post-traumatique, des troubles dissociatifs, des épisodes dépressifs à répétition, des risques suicidaires, des troubles anxieux généralisés, des troubles de la personnalité, des troubles cognitifs, des troubles du sommeil, du comportement alimentaire, et de la sexualité, des addictions à l'alcool, aux drogues, des troubles des conduites avec des mise en danger, des risques d'accidents à répétition, des maladies liées au stress, une fatigue et des douleurs chroniques. Et la plupart du temps ces troubles psychotraumatiques seront injustement stigmatisés comme des handicaps constitutionnels et seront perçus comme une infériorité justifiant a posteriori la mise sous tutelle déjà exercée et justifiant aussi de nouvelles violences, alors que ce sont des réactions normales à des situations violentes anormales.
60% des enfants qui sont témoins de ces violences faites aux femmes développeront des troubles psychotraumatiques
. Ils pourront présenter des troubles du comportement (10 à 17 fois plus que des enfants vivant dans un foyer sans violence) dont des comportements agressifs vis à vis des autres enfants et des conduites délinquantes. On note aussi chez ces enfants une augmentation des conduites agressives, des conduites à risque, des conduites délinquantes, du risque de troubles psychiatriques à l'âge adulte
et du risque de reproduire à nouveau des violences conjugales ou d’en être victime.
COMMENT COMBATTRE EFFICACEMENT CES VIOLENCES :
Pour interrompre la production de violences, il faut éviter l'apparition de nouveaux agresseurs et donc éviter la production de mémoire traumatique chez les victimes. Pour cela il est indispensable de protéger toutes les victimes. Comme les victimes de violences les plus méconnues sont en majorité des femmes il faut dépister ces violences, protéger et prendre en charge les femmes, et lutter contre les inégalité hommes-femmes, la domination masculine et les discriminations. Il faut bien entendu également protéger les hommes lorsqu'ils courrent le risque d’être victimes de violences.
Cela passe par une protection sans faille de tout être humain pour qu’il puisse vivre en sécurité et ne subisse pas de violences.
Il faut donc protéger les femmes et les filles vivant dans les univers malheureusement connus comme les plus dangereux, comme le couple, la famille, les institutions, le travail. Il faut aussi promouvoir une égalité effective des droits, une information sur les conséquences de la violence, une sensibilisation du public, et une éducation des enfants et des jeunes à la nonviolence. Il faut bien sûr protéger les victimes traumatisées et ne plus les abandonner à leur sort. Aucune victime ne doit être laissée sans prise en charge et sans soin. Les professionnels confrontés à la violence faite aux femmes doivent être formés spécifiquement, et des structures de soutien et d'assistance performantes doivent être mises en place. Rendre justice à toute victime est un impératif absolu, et les auteurs de violences doivent rendre des comptes et être sanctionnés. Mais cela ne suffit pas, il faut que les auteurs de violences soient pris en charge et traités dès les premières violences qu’ils commettent, en recevant des soins spécialisés pour traiter leur mémoire traumatique et leur addiction à la violence.
Comme la violence faite aux femmes et aux filles est une violence sexiste ancrée dans les traditions patriarcales, ces traditions ont trouvé leur expression dans les lois, les institutions, les attitudes et les mentalités. Pendant des siècles, la violence sexuelle faite aux femmes a été considérée essentiellement comme une infraction contre l'époux ou le père (atteinte à l'honneur de la famille). De bonnes lois sont fondamentales pour poser des limites, sans tolérer aucune forme de violence. Il est essentiel d'éliminer toute exception ou condition spéciale donnant à penser que la violence envers une femme est acceptable. Dans beaucoup d'états de grands progrès ont été fait au niveau des lois et des politiques pour lutter contre les violences faites aux femmes, mais l'application de ces lois et de ces politiques laisse encore beaucoup à désirer. La sécurité des femmes lors de violences conjugales est loin d'être optimale, la violence domestique étant encore trop souvent considérée par la police comme une infraction d'ordre privée (un conflit familial). Elle n’est pas assez prise au sérieux, sa gravité est sous-estimée, et le recueil des preuves est rarement correct. Et les auteurs de violences restent très peu poursuivis. Les taux de condamnation pour viols sont en baisse partout en Europe (sauf en Allemagne) alors que les dénonciations ont augmenté selon le Conseil de l'Europe
Le Conseil de l'Europe a adopté en 2002 un texte juridique, « la Recommandation », définissant une approche globale pour mettre fin à la violence envers les femmes. Ce texte exprime un consensus sur des principes généraux ainsi que sur les mesures à prendre en matière de services, de police, d'interventions auprès des auteurs de violences, de sensibilisation, d'éducation et de collecte de données. En 2005, dans la Déclaration de Varsovie
, les chefs d'Etats et les chefs de gouvernement du Conseil de l'Europe ont réaffirmé leur engagement à combattre la violence à l'égard des femmes sous toutes ses formes.
De plus en plus d'Etats membres établissent des plans nationaux d'action, spécifiquement axés sur la violence faite aux femmes, mais dans de nombreux pays, les violences sexuelles ne sont pas encore couvertes par ces plans d'action, a l'exception de l'Allemagne et des Pays-Bas. Certains États membres comme la Roumanie et Malte continuent d'exempter le viol conjugal d'incrimination. D'autres n'engagent pas de poursuites d'office, comme l'Azerbadjian, la Géorgie, l'Irlande, la Lettonie, la Slovénie, l'ex-République yougoslave de Macédoine, et la Turquie. La France et la Grèce n'ont que très récemment supprimé du code pénal la mention de la présomption de consentement des époux à l'acte sexuel (loi du 9 juillet 2010 pour la France).
En 2010 les violences faites aux femmes ont été instituées grande cause nationale en France. Pour en pour en savoir plus, consulter http://www.violencesfaitesauxfemmes.com/ewb_pages/p/presentation-grande-cause2010.php. La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants est venue renforcer l'arsenal juridique. Cette nouvelle loi est un progrès, elle institue une ordonnance de protection des victimes de violences qui peut être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales, lorsque des violences sont exercées au sein du couple ou pour des personnes menacées de mariage forcé. Cette loi comporte trois volets principaux. D’une part, des dispositions visent à renforcer la protection des victimes de violences quelle que soit la nature de celles-ci, avec l'ordonnance de protection et la mise en place de bracelets électroniques. D’autre part, elle prend des dispositions relatives à la prévention de ces violences (informations des scolaires, formations des professionnels, institution d'une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes fixée au 25 novembre). Enfin, plusieurs dispositions visent à renforcer la répression des auteurs de violences faites aux femmes, avec définition d'un nouveau délit de violences psychologiques et de violences habituelles.
D'autres violences sexuelles ne sont toujours pas réprimées totalement, comme celles que représentent le système prostitutionnel et pornographique. L'achat de service sexuel représente l'atteinte à la dignité et à la valeur de la personne humaine, aux droits à l'égalité entre les hommes et les femmes et à l'inaliénabilité du corps humain et de la sexualité. La France se positionne comme un pays abolitionniste en matière de prostitution mais l'achat de service sexuel n'y est pas considéré comme répréhensible par la loi. Seuls le sont les délits de proxénétisme, de prostitution forcée et de prostitution des mineurs, de pédopornographie et de tourisme sexuel sur des mineurs. Les « clients » ne sont pas considérés comme des auteurs de violences, sauf si les personnes prostituées sont mineures (cas qui reste très rarement pénalisé), contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays abolitionnistes comme la Suède et la Norvège qui les pénalisent. La société reste dans son ensemble très tolérante vis à vis de l'achat de service sexuel et de la consommation de pornographie sous le prétexte de besoins sexuels masculins prétendument irrépressibles (les « clients » sont dans leur écrasante majorité des hommes) et du service rendu par la prostitution qui permettrait d'éviter de nombreux viols, ce qui est totalement faux. Il s'agirait donc d'un mal nécessaire et la situation prostitutionnelle pourrait même être envisagée comme une profession comme les autres, ce qui est le cas dans les pays dits réglementaristes : « les travailleurs du sexe ». Dans son article 6, la Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) invitait les États à prendre « toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes »
. Elle refuse donc toute réglementation de la prostitution comme les maisons closes, les fichiers, les contrôles sanitaires.
En ce qui concerne les soins donnés aux femmes victimes de violences, il reste beaucoup à faire pour former les professionnels de la santé à la psychotraumatologie et à la victimologie, et pour les sensibiliser à la fréquence et à la gravité de toutes violences. Il est essentiel de mettre en place des formations sur plusieurs thèmes : sur le dépistage des violences, le diagnostic et la prise en charge et sur le traitement spécialisé de leurs conséquences traumatologiques et psychotraumatologiques (violences familiales, maltraitances, violences conjugales, violences sexuelles), sur l’accueil, l’écoute, l’orientation ainsi que sur le droit, la loi et leurs conséquences médico-légales. Ces formations doivent être faites dès les études médicales. Et il également nécessaire de créer des centres de soins spécifiques et spécialisés accessibles pour toutes les victimes, et d'inciter les professionnels concernés à travailler en réseau. Les services spécifiques de soutien, de conseil, d'accompagnement et d'hébergement, les lignes téléphoniques nationales, les centres de crises sont fondamentaux pour assurer la sécurité des victimes et leur permettre de trouver des solutions adaptées.
CONCLUSION
L'élimination des violences faites aux femmes et aux filles est une question de droit et une priorité humaine et stratégique pour les Etats. La violence sexiste sape les droits humains fondamentaux, l'égalité, la paix, la stabilité sociale, la sécurité, la santé publique, la progression de l'alphabétisation, les possibilités d'amélioration du développement, de la productivité et de la lutte contre la pauvreté.
Pour lutter efficacement contre cette violence, il est absolument nécessaire de ne pas la considérer comme une fatalité et d'en connaître les causes. Seule cette connaissance peut permettre de mettre en place des stratégies efficaces. Comme nous l'avons vu les conséquences psychotraumatiques sont au cœur de la production des violences. Méconnaître les mécanismes psychotraumatiques, c'est se priver d'outils performants pour agir et mettre en place des priorités.
On a tout à gagner à dénoncer ces violences, à ne pas les tolérer, et à faire le pari de protéger toutes les femmes et les filles dès les premières violences : gagner de faire cesser immédiatement les violences et de mettre en sécurité les victimes, gagner de faire respecter les droits des victimes, en leur permettant d’obtenir justice et réparation pour les violences qu’elles ont subies, gagner de leur garantir leur non-répétition, gagner de mettre un terme à l’impunité des auteurs tout en leur proposant des soins précoces pour les sortir de leur addiction à la violence, gagner d’éviter l’installation de troubles psychotraumatiques chroniques chez les victimes grâce à des soins spécialisés précoces. Soigner toutes les victimes est un signal fort donné à tous démontrant la valeur d'une victime : elle est précieuse, on ne l'abandonne pas et il est hors de question qu'elle soit à nouveau victime de violences. Il s'agit aussi de soigner la victime au cœur de chaque auteur de violences. Les auteurs de violences ne sont pas nés comme ça, la violence sexuelle n'est pas inhérente au désir masculin. Il est possible en traitant la mémoire traumatique des agresseurs de les faire renoncer à une conduite addictive qui n'a alors plus de sens.
Pour s’opposer à la contamination progressive des individus par la violence, il faut lutter contre les conduites dissociantes. Les Etats luttent habituellement contre les toxicomanies, l'alcoolisme et d'autres conduites dissociantes auto-agressives. Mais il faut bien garder à l'esprit que les violences exercées contre autrui constituent la conduite dissociante la plus grave et la plus lourde de conséquences sociales, et qu'elles doivent être combattues avec détermination. Il faut militer pour la mise en place de règles de conduites bannissant toute violence familiale, conjugale, éducationnelle, institutionnelle ou au travail, et pour une réelle égalité.
Dr Muriel Salmona, Bourg la Reine le 27 septembre 2010
1 Garcia-Moreno C. et al.(2005) Prevalence of intimate partner violence: findings from the WHO (World Health Organisation) multi-country study on wo
men's health and domestic violence, Lancet, 368, 1260
2 Astin Millie C Posttraumatic Stress Disorder and Childhood Abuse in Battered Women: Comparisons with Maritally Distressed Women. Journal of Consulting and Clinical Psychology, v63 n2 p308-12 Apr 1995
3 World Health Organization and London School of Hygiene and Tropical Medecine. Preventing intimate partner and sexual violence against women : Taking action and generating evidence Geneva, World Health Organization, 2010. Le texte de recommandations de l'OMS est téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org)
4 Martin E. K., Taft C. T., & Resick P. A. (2007). A review of marital rape. Aggression and Violent Behavior, 12, 329
5 Sochting I., Fairbrother N. & Koch W.J. (2004). Sexual assault of women: Prevention efforts and risk factors. Violence Against Women, 10, 73
6 Vung N.D. and Krantz G. . Childhood experiences of interparental violence as a risk factor for intimate partner violence : a population-based study from northern Vietnam Journal of Epidemiology & Community
Health, 63, 708
7 Garcia-Moreno C. et al. (2005) Prevalence of intimate partner violence: findings from the WHO (World Health Organisation) multi-country study on women's health and domestic violence, Lancet, 368, 1260
8 Butchart A., Garcia-Moreno C., et Mikton C.. Preventing intimate partner and sexual violence against women. Taking action and generating evidence, OMS 2010
9 Eléments de mesure des violences entre conjoints in La criminalité en France, rapport de l'Observatoire National de la Délinquance (OND), 2009
10 Jaspard M, Brown E, Condon S, Fougeyrollas-Schwebel D, Houel A, Lhomond B, Maillochon F, Saurel-Cubizolles M, and Schiltz M. (2003). Les violences envers les femmes en France: une enquête nationale. [Violence against women in France: a national survey]. Paris, La Documentation Française, 309 p. plus annexes et biblio. de 57 pages. In
French.Rapport national ENVEFF, juillet 2000, disponible sur http://www.eurowrc.org/01.eurowrc/ 06.eurowrc_fr/france/13france_ewrc.htm
11 Enquête sur le comportement sexistes et les violences envers les jeunes filles (CSVF) en Seine Saint Denis, France, 2007 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org)
12 Trafficking in Persons Report, June 2008, Département d’Etat des Etats-Unis, disponible à http:// www.state.gov/documents/organization/105501.pdf, cité dans le Rapport du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) : Mettre fin à la violence à l'égard des femmes et des filles : les faits
13 Zimmerman C., Mazeda Hossain et al. (2006). Stolen Smiles: A Summary Report on the Physical and Psychological Health Consequences of Women and Adolescents Trafficked in Europe. London School of Hygiene & Tropical Medicine: London, United Kingdom.
14 Farley M. “Bad for the Body, Bad for the Heart”:Prostitution Harms Women Even if Legalized or Decriminalized. Violence against women, Vol. 10 No. 10, October 2004, 1087
15Michaud A , Guide d’aménagement pour un environnement urbain sécuritaire, Programme Femmes et ville de la Ville de Montréal, 2002, 163 pages. page 15
16 Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Mutilations sexuelles féminines. Rapport du Secrétariat, 20 mars 2008, Point 11.8 de l'ordre du jour, http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/A61/ A61_11-fr.pdf
17 Site du Groupe pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants Fédération Nationale GAMS: http:// www.federationgams.org/msf.php
18 Etude de mortalité des sans abris à Marseille de Médecins du Monde et de l'équipe mobile santé mentale et communautaire, Marseille janvier 2009
19 Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF. Enquête Contexte de la sexualité en France (CSF) de 2006, Population & Sociétés (Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques), 445, mai 2008. http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1359/publi_pdf1_pop_soc445.pdf
20 McLeod et associées, 1992, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (RAFH), cité dans le Rapport du groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995, Ministère de la Santé du Québec, http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2000/00-807/95-802.pdf
21 Rapport annuel 2009 de l'Observatoire National de la Délinquance (OND), La criminalité en France
22 McIntosh Julia A. and Prinz Ronald J.(1993).The incidence of alleged sexual abuse in 603 family court cases. Law and human behavior, Volume 17, N°1, 95
23 Thoennes N. and Tjaden Patricia G.(1990). The extent, nature, and validity of sexual abuse allegations in custody/visitation disputes. Child Abuse & Neglect, 14, N°2, 1990, 151
24 Dufresne M. (1998). Masculinisme et criminalité sexiste. Recherches féministes, 11, N° 2,125. http://id.erudit.org/iderudit/058007ar
25lSalmona M, La mémoire traumatique in L'aide-mémoire en Psychotraumatologie, Paris, Dunod, 2008 travaux consultables sur le site memoiretraumatique.org)
26 Miller A., C'est pour ton bien, Trad. fr., Paris, Aubier, (1984.)
27 Résolution A/RES/48/104 adoptée le 23 février 1994 par l'Assemblée générale des Nations Unies Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmestexte disponible http://daccess-dds- ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N94/095/06/PDF/N9409506.pdf?OpenElement
28 Vos T et al. Measuring the impact of intimate partner violence on the health of women in Victoria, Australia. Bull World Health Organ [online]. 2006, vol.84, n.9, pp. 739-744.
29 Garcia-Moreno C., Jansen H., Ellsberg M. Heise L. and Watts C.H. (2006). Prevalence of intimate partner violence: findings from the WHO multi-country study on women’s health and domestic violence. Lancet, 368, 1260-1269
30Salmona M. Grossesse et violences conjugales : impact sur l’enfant » in L’observatoire, n°59, janvier 2009
31 Rapport des Nations Unies sur toutes les formes de violences à l'égard des femmes, 2006
32 Astin Millie C. Posttraumatic Stress Disorder and Childhood Abuse in Battered Women: Comparisons with Maritally Distressed Women. Journal of Consulting and Clinical Psychology, v63 n2 p308-12 Apr 1995
33 Breslau N., Davis G.C., Andreski P., Peterson E.L. — Traumatic events and posttraumatic stress disorder in an urban population of young adults. Arch. Gen. Psychiatry, 48, 216-222, 1991.
34 Wolfe V.V. & Lehmann P. (1992). The children’s impact of traumatic events scale - family violence form (CITES-FVF). Unpublished assessment instrument. Children’s Hospital of Western Ontario.
35 Rossman B. B. (2001). Longer term effects of children’s exposure to domestic violence. In S. A. Graham-Bermann & J. L. Edleson (Eds.), Domestic violence in the lives of children: The future of research, intervention, and social policy (pp. 35-65).Washington, DC: American Psychological Association.
36 Hagemann-White C et Bohn S Université d’Osnabrück, Allemagne Protéger les femmes contre la violence : Etude analytique de la mise en oeuvre effective de la Recommandation Rec(2002)5 sur la protection des femmes contre la violence dans les Etats membres du Conseil de l’Europe36 Direction générale des droits de l’Homme et des affaires juridiques Strasbourg, Conseil de l'Europe 2007
37 Déclaration de Varsovie Sommet de Varsovie - Déclaration de Varsovie (16 et 17 mai 2005). Strasbourg Conseil de l'Europe, 2005 Disponible sur http://www.coe.int/t/dcr/summit/
38 CEDAW Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 34/180 du 18 décembre 1979. Entrée en vigueur : le 3 septembre 1981, conformément aux dispositions de l'article 27 (1) texte disponible http://www2.ohchr.org/french/law/cedaw.htm
2 commentaires:
Bonjour,
Je me suis permis de citer votre blog et plus particulièrement cet article sur mon propre blog. En effet, j'en ai vraiment apprécié les angles inédits d'approche des violences sexuées et les infos scientifiques qu'on y trouve. Merci de nous faire partager votre science à travers ce genre d'article.
Bonne continuation !
Wow très intéressant!
Merci de fournir des informations.
kamagra en gelee orale
Enregistrer un commentaire