mardi 27 octobre 2020

Article traduit de l'anglais de Kate Rose : Violence sexuelle, mémoire traumatique et fiction spéculative en tant qu'action

 Violence sexuelle, mémoire traumatique et fiction spéculative en tant qu'action

Kate Rose

Northern Arizona University, daretotell@yahoo.com



Publié dans la revue :

Dignity : A Journal on Sexual Exploitation and Violence, Volume 5 Issue 1 Article 5, août 2020.


Rose, Kate (2020) "Sexual Violence, Traumatic Memory, and Speculative Fiction as Action," Dignity: A Journal on Sexual Exploitation and Violence: Vol. 5: Iss. 1, Article 5.


Article consultable et téléchargeable en Anglais sur le site de Dignity  ICI 

https://digitalcommons.uri.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1176&context=dignity


Article traduit en français avec l’autorisation de l’auteure par Muriel et Jean-Pierre Salmona téléchargeable en PDF sur le site memoiretraumatique.org de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie ICI

https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/doc_violences_sex/2020-Kate_Rose-Violence_sexuelle_memoire_traumatique_et_fiction.pdf



Résumé :


Le roman spéculatif de Starhawk City of Refuge (2015) décrit le traumatisme du viol et ses conséquences dans une société dystopique qui est la conclusion logique du patriarcat. Les recherches de la psychiatre française Muriel Salmona sur la contribution de la mémoire traumatique à l'inégalité et sur la façon dont la reconstruction du récit peut guérir les survivantes la placent de la même manière à l'intersection de l'histoire et de l'activisme. City of Refuge est une expérience littéraire axée sur les survivants d'agressions sexuelles institutionnalisées, tandis que le travail de Salmona cartographie les conséquences de la mémoire traumatique liée à la violence sexuelle infantile. Le principe de base de la médecine narrative selon lequel les expériences vécues de la vie affectent la santé mentale et physique coïncide avec la critique de Salmona sur la façon dont les maladies mentales sont souvent considérées à tort par les psychiatres comme des anomalies génétiques ou congénitales isolées. Elles sont vues comme des manifestations de pathologies essentielles liées aux individus, dépourvues de passé ou de contexte. Ce point de vue peut conduire à ce que les violences sexuelles restent impunies. Starhawk explore les traumatismes à travers des personnages sexuellement esclaves et les problèmes qu'ils rencontrent même après que leur liberté a été acquise. La conjugaison de la recherche de Salmona et du roman de Starhawk peut aider à faire prendre conscience des mécanismes de la mémoire traumatique, en illustrant la dissociation, les conduites à risque, l'anesthésie émotionnelle, la disjonction et les modèles qui conditionnent les hommes et femmes à revivre le traumatisme en l'infligeant ou en se l’infligeant à soi-même. L'écart entre ceux qui sont affectés d’une mémoire traumatique et ceux qui ne le sont pas est large, et souvent les survivants sont blâmés pour des comportements déterminés par des schémas liés neurolo-giquement au traumatisme. Comprendre les survivants nécessite une prise de conscience des symptômes afin qu'ils puissent être traités efficacement en réassemblant et en contextualisant leurs récits.


Mots clés 

mémoire traumatique, violences sexuelles, littérature, féminisme, fiction spéculative, état de stress post-traumatique, ESPT, Starhawk, Muriel Salmona


Article


 CET ARTICLE CONJUGUE UNE RECHERCHE RÉCENTE de la psychiatre française Muriel Salmona et la fiction spéculative de Starhawk, une militante féministe devenue célèbre pour son livre non romanesque de 1979 La danse en spirale : une renaissance de l'ancienne religion de la grande déesse. Son objectif est de faire la lumière sur les aspects négligés mais répandus des traumatismes afin de promouvoir une détection, une prévention et une guérison plus adéquate des effets dévastateurs des violences sexuelles. Après avoir brièvement présenté les travaux de Salmona et Starhawk, j'élabore sur les mécanismes neurologiques du traumatisme tels que la dissociation, et sur la manière dont ils influencent les individus et la société. Ensuite, j'examine comment le roman City of Refuge illustre ces mécanismes, complétant un tableau souvent invisible même des professionnels, que le discours scientifique ne décrit souvent pas (et peut-être ne peut décrire) convenablement. Enfin, j’explore les spécificités avec lesquelles la mémoire traumatique assure le contrôle social dans le roman et, implicitement, dans la société, notamment à travers les rôles genrés, ainsi que les possibilités de changement social qui sont offertes.


Starhawk est une fondatrice et présidente de la Reclaiming Cooperative, dont les actions sont fondées sur la spiritualité écoféministe. Elle détient une maîtrise en psychologie spécialisée en thérapie féministe, avec une expérience du traitement des survivantes de traumatismes sexuels. L'association de Muriel Salmona, Mémoire Traumatique et Victimologie, est très influente en France, faisant évoluer les lois et la sensibilisation du public aux violences sexuelles et à leurs conséquences, notamment en amenant la France à adopter le modèle nordique de criminalisation des « acheteurs » de sexe et non des personnes prostituées. Les deux femmes considèrent la compréhension et la dénonciation de la culture du viol comme faisant partie du processus de guérison des survivantes. Elles prônent un monde où la sexualité ne repose plus sur la domination, où les survivantes de traumatismes sont comprises et reçoivent des soins adéquats, où les cycles de violence et d’oppression sont brisés. En tant qu'activistes et auteures, elles défient la culture du viol à partir de l'un de ses piliers centraux, souvent caché, mais en fait crucial pour maintenir la structure : la mémoire traumatique. Si nous comprenons ce pilier, nous pouvons le supprimer, faisant s'effondrer l'institution de la violence masculine. Les deux femmes ont obtenu une reconnaissance publique et un succès certain, mais pas en proportion de leurs réalisations, et les aspects clés de leur travail qui pourraient avoir un grand impact ont été négligés ; parmi ceux-ci figurent le sujet de cet article : la mémoire traumatique. 


Alors que Starhawk est avant tout une écrivaine avec une formation en psychologie, Salmona est une psychiatre avec une certaine formation en littérature, car sa thèse décrivait l'état psychologique d'un personnage fictif d'un des romans classiques français. Elle fait souvent allusion à des œuvres littéraires et utilise une abondance de récits pour illustrer ses points théoriques. Tant City of Refuge que Le Livre noir des violences sexuelles peuvent être considérés comme des formes de médecine narrative car ils explorent le traumatisme du viol dans ses conséquences sociales et individuelles liées à l'inégalité. Dans les Southlands dystopiques de City of Refuge, les pen-girls (femmes) et sojuhs (hommes) sont élevées et/ou brisés pour être respectivement des esclaves sexuels ou militaires, et en tant que tels n'ont pas de véritable moi (ils ne peuvent pas utiliser de pronoms personnels), pas de nom, aucune notion de la vie ordinaire telle que nous la connaissons, ni de la sexualité comme autre chose qu'un moyen de satisfaire une faim primitive chez un homme (en violant les esclaves sexuelles mises à la disposition des sojuhs dans les enclos). 


À travers ces horreurs et les contrastes avec les Northlands utopiques, Starhawk explore les mécanismes de la mémoire traumatique, de l'oppression et de l'inégalité. Les recherches de Salmona les explorent également, mais avec une orientation scientifique, reliant les découvertes neurologiques et sociologiques, tout en les illustrants avec des exemples tirés d'histoires réelles. L'originalité du travail de Salmona est de faire la lumière sur des comportements largement connus mais non compris chez les survivants. Certains prétendent même que les survivants sont victimisés parce qu'ils avaient déjà certaines caractéristiques (en les essentialisant, ndlr), plutôt que d'identifier ces caractéristiques comme des symptômes de mémoire traumatique (qui incluent la polyvictimisation). Salmona décrit les symptômes en détail, y compris les mécanismes neurologiques et comment ils se transforment en comportements, ainsi que la façon dont ces comportements sont reçus, et leurs conséquences dans la vie des survivants. En abattant les murs disciplinaires habituels entre la neurologie, la psychologie, la sociologie et la littérature, cet article plaide pour une meilleure prévention et prise en charge des survivants et explique comment prévention et prise en charge sont liées à la reconnaissance des inégalités résultant de la mémoire traumatique et à la lutte contre elles.


Le traumatisme est un prisme populaire de l'analyse littéraire depuis les années 1980, l'écriture étant considérée comme un moyen de briser et de transformer un isolement handicapant. À travers la perspective unique que la fiction permet, de nombreux écrivains ont tenté de représenter les violences sexuelles et leurs conséquences (Roussos, 2007). Le désir de faire face à ce problème répandu peut expliquer le succès record de la trilogie Millenium de l'écrivain suédois Stieg Larsson (Rose, 2018), qui, en se concentrant sur le comportement apparemment étrange de Lisbeth Salander, survivante de violences sexuelles dans l’enfance, illustre les symptômes de la mémoire traumatique. Le dernier roman de Toni Morrison, God Help the Child, met en évidence la prévalence des violences sexuelles sur les enfants et les insuffisances du système judiciaire pour les traiter efficacement (les vrais auteurs sont libres, tandis que les innocents sont accusés). Les romans peuvent accroître la prise de conscience d'un problème social dont les effets délétères se répandent dans toutes nos vies (perte de productivité d'une grande partie de la population, violence et insécurité accrues, coûts matériels et immatériels, et persistance générale des inégalités). La fiction peut transformer la société, car elle est accessible et attrayante pour des personnes qui autrement ne voudraient peut-être pas affronter des réalités douloureuses. 


La tragédie ignorée de la mémoire traumatique 


Salmona insiste sur la qualité non verbale de la mémoire traumatique et sur la façon dont elle éloigne, aliène et confond les survivants :


Tant qu'il reste non représentable et non verbalisé, le souvenir « fantôme » de la violence hante constamment le psychisme de la victime traumatisée… colonisée par la victime terrorisée qu'elle a été au moment du traumatisme, par la violence, et par l'agresseur, la victime a l'impression d'être double, voire triple, oscillant continuellement entre la dépression la plus sombre et l'envie de déplacer les montagnes (Salmona 2013, 169). 


Depuis les années 1990, l'étude révolutionnaire des expériences défavorables de l'enfance (Adverse Childhood Expérience, ACE) a montré que sur 17337 membres adultes de HMO (Américains de classe moyenne à supérieure), 22% ont été victimes de violences sexuelles pendant l'enfance (17% d'hommes, 25% de femmes). En dressant un tableau des antécédents médicaux et des problèmes de santé au cours des décennies, les investigateurs ont déterminé que l'exposition des enfants à un stress toxique était le principal obstacle à une bonne santé à 55 ans. Les problèmes de santé physique et mentale sont déclenchés et aggravés par les circonstances de la vie, et les violences sexuelles pendant l'enfance ont de graves conséquences à long terme. On a constaté que ceux qui ont subi des expériences négatives dans l'enfance couraient un risque significativement plus élevé de troubles physiques et psychologiques, de toxicomanie et de suicide ; les comportements sexuels à risque sont également beaucoup plus répandus, en particulier chez les femmes (Felitti et Anda 2010). 


L'étude ACE a ouvert les portes pour l'inclusion de ces connaissances dans la communauté médicale traditionnelle. Cependant, il y a encore très peu de reconnaissance et de compréhension des conséquences neurologiques, comportementales et sociales entrecroisées de la violence sexuelle et des traumatismes. Les recherches internationales de premier ordre de la psychologue Melissa Farley auprès de femmes prostituées mettent en évidence les symptômes de l’état de stress post-traumatique. Elle a classé les symptômes en trois catégories : reviviscence du traumatisme (flashbacks et comportements à risque), évitement et anesthésie émotionnelle, et manifestations d'anxiété telles que l'insomnie ou l'irritabilité (Farley 2003, 36-37). Ces observations coïncident avec les recherches de Salmona. Cependant, les découvertes de Salmona élargissent ces catégories en s’étayant sur la neurologie. Elle construit ensuite une approche de la prise en charge basée sur le traçage des symptômes pour les relier aux traumatismes d'origine, à la lumière des mécanismes sociaux d'oppression. Les recherches interdisciplinaires comme celles de Farley et Salmona (recherches étonnamment rares étant donné la prévalence et l'impact des violences sexuelles) sont cruciales pour la justice, la prévention et le traitement des symptômes souvent mal diagnostiqués des survivants. 


Les travaux de Salmona mettent en lumière ces symptômes. Le symptôme pivot est la disjonction, par lequel le cerveau produit ses propres « drogues dures » en renouvelant le traumatisme, puis arrête les émotions pour survivre : 


Face au risque cardiovasculaire et neurologique potentiellement mortel, le cerveau dispose d’un mécanisme de survie exceptionnel : la disjonction. Comme dans un circuit électrique en survoltage qui s'arrête pour éviter de faire griller tout ce qui y est branché, le cerveau coupe le circuit émotionnel en sécrétant des neurotransmetteurs d'urgence (endorphines) et des substances (bloquant les récepteurs N-méthyl-D-Aspertate) qui sont comme des drogues dures de type morphine et kétamine (Salmona 2013, 77). 


L'hippocampe, responsable du récit, est coupé de l'amygdale, ou système d’alarme ; par conséquent, l'événement traumatique ne peut pas être traduit en souvenirs concrets qui peuvent être relatés et compris rationnellement (Shin et al. 2006 ; Bremner, Vythilingam et Vermetten 2003). De plus, coupée de la partie du cerveau qui devrait rationaliser et raconter (donner un sens à un événement et signaler que le danger est passé), « l'alarme » du cerveau ne sera pas éteinte. 


Nos cerveaux ont évolué pour répondre rapidement aux dangers (combat, fuite ou immobilité), puis pour les comprendre et se calmer. Une alarme sonne, envoyant des hormones de stress pour augmenter rapidité et force ; puis une fois le danger passé et compris, il est retenu comme un récit et n'induit plus la terreur (à l'inverse, la réaction à la menace pourrait être de s'arrêter immédiatement, engageant directement l'étape de dissociation décrite ci-dessous). Une violence perçue comme mettant la vie en danger et/parce que non compréhensible par le cerveau, comme l'agression sexuelle d'un enfant (très différente d'une attaque de tigre à dents de sabre), ne peut être traduite en récit. L'alarme ne peut être désactivée. Le stress de l'alarme qui sonne constamment doit être atténué par certains mécanismes tels que la disjonction (arrêt brutal), la dissociation (état prolongé d'être au-delà de soi) et l'anesthésie (engourdissement émotionnel et physique). Ceux-ci sont mis en œuvre dans des conduites à risque. Cette réaction neurologique normative peu connue mais bien documentée à un traumatisme extrême (un mécanisme de survie évolutif) est cruciale pour comprendre les survivants. 


Le cerveau est modifié par la mémoire traumatique, et peut se réparer lui-même grâce à des soins adéquats qui incluent la reconnaissance des événements traumatiques et de leurs effets : 


Il s'agit de « réparer » l'effraction psychologique initiale, la pétrification psychologique qui découle de l'irritabilité de la violence… Cela se fait en « revisitant » l'expérience de la violence pour qu'elle devienne progressivement intégrable… en donnant des mots à chacun situation, comportement, émotion, en analysant avec précision le contexte, les réactions de la victime et le comportement de l'agresseur (Salmona 2018, 12).


L'approche de Salmona combine la conscience sociale féministe de la violence masculine en tant que modèle courant accepté. Elle explique comment l'amnésie fonctionne pour rendre les survivants étrangers à eux-mêmes, et donc encore moins capables de riposter.


Le but de « coder la mémoire traumatique émotionnelle dans une mémoire autobiographique consciente et gérable » (Salmona 2018, 12) est une forme de médecine narrative. Reconstruire une histoire perdue, relier les circuits narratifs (hippocampe) et émotionnels bruts (amygdale) du cerveau conduit à « décoloniser » le survivant, qui n’est plus en proie à la présence nébuleuse et terrifiante de l'agression (agresseur) et de ses symptômes « mystérieux ». En outre, relier les violences de manière cohérente peut sensibiliser le public, et contribuer à des stratégies de prévention plus efficaces (l'écrasante majorité des auteurs ne sont jamais traduits en justice et continuent donc en toute impunité). 


Souvent, au lieu de recevoir des soins adéquats, les survivants sont mal diagnostiqués et même blâmés pour leurs comportements « étranges ». Ils peuvent également être médicamentés en permanence pour des affections considérées comme incurables telles que la schizophrénie ou la dépression, alors que leurs symptômes résultent en réalité d'une mémoire traumatique et ne sont pas incurables : 


lorsque le souvenir traumatique est traité, les événements traumatiques peuvent s'intégrer dans [sa] mémoire autobiographique [et ainsi ne plus coloniser sa vie]. Malheureusement, les professionnels ne sont pas formés en psychotraumatologie, et donc la grande majorité des victimes de violences sexuelles dans l'enfance sont abandonnées à elles-mêmes ... non identifiées, non protégées et sans soins (Salmona 2018, 9). 


En lisant entre les lignes, à travers le prisme de la recherche de Salmona, on voit partout des preuves de cas non reconnus de violences probables, peut-être seulement rappelés à travers des symptômes et des sentiments vagues (dus à une amnésie traumatique). Un exemple de 2020 est la récente nécrologie du New York Times (Kurutz, 2020) d'une femme qui était autrefois une « star du département de théâtre de Yale », puis a passé le reste de sa vie en tant que mendiante (comme mentionné précédemment  de Salmona : fluctuation entre « dépression sombre et impression de pouvoir bouger des montagnes »). « La maladie mentale et la toxicomanie » sont citées comme les raisons de son déclin, même si elle « a décrit son paysage mental de cette façon : 'Je suis violée. Je suis violée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7'. » 


Il s'agit d'une représentation fidèle des effets colonisateurs de la mémoire traumatique. La probabilité qu'elle ait été violée et que cela soit responsable de son déclin n'est pas mentionnée ou probablement pas considérée par son entourage ; sa déclaration claire était plutôt considérée comme un symptôme d'une maladie mentale survenue spontanément. L'article mentionne qu'elle « s'est éloignée de sa famille en tant qu'adulte », suggérant en outre qu'elle a peut-être été maltraitée dans son enfance (Kurutz, 2020). Ne pas écouter les survivants signifie ne pas entendre les messages plus profonds de leurs symptômes. Les romanciers, contrairement au reste de la société (y compris les professionnels), ont tendance à fournir des textes de fond ; dans la fiction, les personnages sont moins susceptibles d'être malades mentaux « sans raison » qu'ils ne le sont dans la vraie vie. De même, les chercheurs de l'ACE ont rapporté que la grande majorité des patients n'avaient jamais été interrogés auparavant par les professionnels de santé sur des antécédents de violences subies, qu'ils ont reconnues comme les causes les plus fréquentes de maladies physiques et mentales. 


Ce manque de compréhension s'étend aux professionnels et chercheurs luttant contre les violences sexuelles, non formés pour reconnaître et traiter les manifestations spécifiques de la mémoire traumatique. Les patients sont souvent critiqués pour leur incapacité à faire face à l'existence ordinaire, la société en faisant des boucs émissaires plutôt que de faire face à l'épidémie cachée :


Malgré tous leurs efforts pour survivre, ce seront eux qui seront tenus pour responsables et non leurs agresseurs. Ils seront blâmés pour les stratégies de survie qu'ils ont mises en place. Leur stratégie d'évitement sera critiquée, de même que leur « timidité », leur manque de motivation… Quant à leurs stratégies de dissociation, elles seront perçues très négativement quand elles concernent la consommation d'alcool ou de drogues, et les comportements à risque leur seront amèrement reprochés et à l'origine d'incompréhension grave (Salmona 2013, 304). 

Parfois par méchanceté, mais largement par ignorance, cet angle mort persiste via les stéréotypes des hommes, des femmes et de la sexualité, « l'inéluctabilité » de la violence et de la domination, et via la façon misogyne de voir les femmes comme des « hystériques », qui persistent aujourd'hui sous d'autres formes, médicalisant les femmes pour des états qui ne sont pas reconnus comme liés aux traumatismes. 


Les chercheurs de l'ACE Felitti et Anda (2010) établissent un lien entre le taux plus élevé d'exposition aux violences des enfants et le stress toxique chez les filles… 


qui, dans l'épidémiologie traditionnelle, apparaît comme une prédisposition naturelle des femmes à des problèmes de santé mal définis ... aveuglement aux réalités sociales et ignorance de l'impact du genre (78). 


Cette cécité est non seulement préjudiciable à la santé des survivants, mais altère également la justice, puisque les symptômes de la mémoire traumatique peuvent être « confondus avec une hallucination ou une entrée dans une psychose, et donc traités avec des neuroleptiques lourds ; lorsqu'elle dépose une plainte, la victime sera considérée comme un cas psychiatrique, ce qui met en péril la crédibilité de son compte rendu, conduisant sa plainte à être classée sans suite » (Salmona 2018, 13). Il y a un énorme besoin d'une compréhension plus précise, et la fiction comme la non-fiction peuvent fournir des récits comme outils pour cela. 


Dissociation, amnésie traumatique et autres obstacles vitaux à la guérison 


Paradoxalement, les symptômes de la mémoire traumatique qui se sont mis en place pour assurer la survie peuvent également être dangereux pour les survivants. Ceux-ci incluent l'oubli et le détachement des événements, les comportements à risque et la toxicomanie. Les survivants dissociés s'engagent dans des stratégies d'évitement pour ne pas déclencher l'alarme de mémoire traumatique. Lorsque le traumatisme est chronique, il peut y avoir une extinction émotionnelle complète (dissociation permanente), alors qu'ils effectuent certains des actes de la vie avec une impression de mort intérieure. Cette extinction est en réalité une stratégie de survie, car ils pourraient littéralement mourir de l'état émotionnel lié à un traumatisme trop intense, en raison d'un excès de cortisol et d'adrénaline provoquant une crise cardiaque  : 


Lorsque les comportements d'évitement ne suffisent plus ou ne sont pas possibles, la seule solution laissée à la victime pour maîtriser sa mémoire traumatique est d'utiliser les comportements dissociants dont elle a empiriquement découvert l'efficacité lors des violences. Pour mettre fin à l'état intolérable de souffrance et de détresse ou pour éviter à tout prix qu'il se reproduise, la victime recherche l'anesthésie émotionnelle qui la protégera et la soulagera (2013, 116). 


Méconnaissance de ce mécanisme normatif (le « mécanisme de gel » décrit par Porges, appelé « sidération » par Salmona) conduit à des erreurs lorsque des cas de viol sont jugés, car ne pas avoir protesté peut être interprété à tort comme un signe de consentement. 


De plus, en racontant un événement avec ce détachement apparent le survivant donne l'impression qu'il ne s’en soucie pas vraiment, ou que ce n'était pas très grave, alors qu'en fait le détachement signale que l'événement était suffisamment grave pour provoquer une disjonction. Cela peut expliquer pourquoi la majorité des cas de plaintes pour viol sont rejetées : 


Les troubles dissociatifs sont [alors] interprétés comme des éléments qui remettent en cause la crédibilité de la victime, ou, puisque la victime semble indifférente, comme une preuve que les violences alléguées ne l'ont pas traumatisée (alors que c’est le contraire) (Salmona 2013, 12). 


De plus, l'agresseur peut être un manipulateur habile qui peut réussir à gagner l'empathie (d'un jury, par exemple). La réaction miroir qui déclenche généralement l'empathie ne fonctionne pas comme elle le devrait, laissant la personne confrontée au survivant dissocié aussi froide et détachée que le survivant semble l'être (Salmona 2013, 99). De même, des lacunes dans les souvenirs peuvent être utilisées contre une survivante, en affirmant que son histoire ne tient pas, ou même que si elle était vraiment sérieuse, elle s'en souviendrait (encore une fois, c’est le contraire qui est vrai). Le détachement de son propre corps, de l'ici et maintenant, joue contre les survivants qui recherchent justice. 


Les mécanismes dissociatifs peuvent affecter le sens du temps, de l'espace et de la réalité des survivants. Ils sont, cependant, la preuve de très graves violences, indiquant que les récits devraient être reconstitués à partir de ce qui est connu, plutôt que rejetés. S'il est reconnu que l'amnésie accompagne un traumatisme grave dans environ 60% des cas (Salmona, 2018), et que les amnésies traumatiques dissociatives sont une composante déterminante du trouble de stress post-traumatique (DSM-5, 2015), cela continue d'être ignoré en pratique. Il est possible que la société ne soit pas désireuse d’affronter la prévalence d’un problème aussi inquiétant que les violences sexuelles commises contre des enfants dans leur propre foyer. Ceci est particulièrement difficile dans la mesure où cela recoupe les catégories socio-économiques (il est plus facile pour les travailleurs sociaux de cibler une « mère connue comme cas social » qu'une famille riche, bien que ses membres soient tout aussi susceptibles de commettre des atrocités contre leurs propres enfants). 


La disjonction se produit généralement lors d'une agression, lorsque l'on est témoin d'un événement traumatisant et à chaque fois qu'un souvenir traumatisant est déclenché. Lors de l'écoute des épisodes de l'histoire d'un survivant, la disjonction (et ses effets persistants, appelés dissociation) doit être prise en compte pour reconstruire une image précise des événements. 


Tragiquement, à partir du moment où elle a trouvé un soulagement par une première disjonction lors de l'agression, une survivante peut rechercher le même type de violence afin de se dissocier et de s’anesthésier efficacement ; cela la rend vulnérable pour toute une vie de violences. Cela explique également pourquoi la majorité des femmes prostituées ont subi des violences sexuelles dans leur enfance (Farley et al. 2003, 35) et pourquoi les femmes victimes de violence retournent vivre avec des partenaires violents ou « recherchent » des hommes similaires (Graham 1994). Cela ne signifie pas que ces femmes aiment la violence ; il s'agit plutôt (comme un court-circuit électrique) d'une tentative désespérée d'éviter la mort en raison de quantités excessives de « drogues dures » que le corps produit et qui sont liées au traumatisme. Elle implique le sentiment de mort imminente que seule une dissociation rapide (disjonction) peut combattre. Les drogues et l'alcool peuvent aider les propres « drogues dures » du corps (adrénaline et cortisol), ce qui conduit à un taux élevé de dépendance chez les survivants ; cela rend les récits des violence qu'ils subissent encore plus faciles à discréditer et à rejeter pour la société (Kendler et al. 2000). 


Le roman spéculatif de Starhawk City of Refuge décrit le mécanisme de « recherche » d'une violence similaire (dissociation) à travers les luttes de Zap et Zoom, des garçons sauvés par les protagonistes Madrone et Bird. Zoom, qui était auparavant asservi comme voleur d'eau dans les Southlands (où l'eau est une denrée rare et amassée), avait été contraint pendant de nombreuses années à aller sous terre et à puiser dans les tuyaux. Dans sa nouvelle vie libre, « il avait la terrifiante habitude de disparaître dans de petits trous » (253). Quand Madrone s'étonne qu'un enfant forcé à la clandestinité y aille volontairement une fois libre, Bird (lui-même un survivant) explique ce mécanisme dissociatif : « Mais vous revenez en arrière… Vous revenez en arrière parce que la peur extérieure est plus facile à affronter que le résidu qu'elle laisse en vous » (253). Le « résidu » est la mémoire traumatique : l'émotion brute de la peur piégée dans le lieu terrorisant au-delà des mots (amygdale coupée de l'hippocampe). Comme l'explique Salmona, « lorsque la dissociation s'estompe, ce qui peut arriver lorsque la victime est enfin protégée et sécurisée… alors sa mémoire traumatique peut se reconnecter. Plus précisément, elle s'enflamme lorsqu'elle est activée par des indices qui rappellent la violence : un lieu, un objet, une odeur… Le souvenir traumatique envahit alors l'espace psychique de la victime, lui faisant revivre la violence comme si une machine à remonter le temps revenait et lui imposait des violences encore une fois »(Salmona 2018, 9). Faire face à de réels dangers produit à nouveau des produits chimiques anesthésiants permettant (paradoxalement) un soulagement temporaire du traumatisme d'origine. Malheureusement, c'est une addiction qui doit être renouvelée (les substances que le corps produit étant d’abord des hormones de stress, puis morphine-like), à ​​moins que ces conduites à risque soient vues et traitées pour ce qu'elles sont, des stratégies de survie dissociantes, de manière à reconstituer un récit en comprenant les mécanismes de la violence. 


De même, les personnages des Northlands utopiques de City of Refuge, dont beaucoup ont été à l'abri de tout traumatisme, ne comprennent pas pourquoi Rosa, précédemment kidnappée et violée dans les Southlands, voudrait rejoindre une mission dangereuse. Ils ne veulent pas qu'elle parte, d'autant plus qu'elle est encore une enfant. Cependant, ceux qui sont aussi des survivants comprennent son besoin, résumé dans les mots de Sara : « C'est le problème du traumatisme. Quand vous en avez assez vécu, votre ancienne vie ne vous convient plus. La sécurité peut sembler plus douloureuse que le risque » (269). Une personne comprend Rosa, c’est Bird, son ancien professeur de musique, qui a également été capturé et torturé dans les Southlands et souffre de souvenirs traumatisants. Sa partenaire Madrone remarque que Bird, lui aussi, se sent le plus à l'aise au milieu du danger. Dans la sécurité des Northlands, il n'est plus anesthésié et doit faire face à une terreur brute intériorisée, alors que les comportements à risque fournissent la solution chimique qui apaise la mémoire traumatique et le rend temporairement lui-même à nouveau : 


… elle ne pouvait s'empêcher de se souvenir de la maison, parmi les jardins et les ruisseaux et les gens gentils et rieurs. Il avait jeté un regard noir, rêvait et se referma. Et ici, parmi les ruines et la soif et le travail acharné et sinistre, il était comme le vieil Oiseau, riant, joueur, comme si un poids avait été soulevé (283).


L'ancien sojuh River ressent également cette anxiété une fois qu'il est libre : 


La marche a apaisé la tension qu'il ressentait s'insinuer en lui. Pas une douleur, pas exactement une démangeaison, plutôt une sensation de luxation. Comme s'il n'était pas là où il était censé être. Ou qui il était censé être. Il avait changé. Et c'était bien. Tout bon. Mais pas confortable. Pas familier. Comme un uniforme neuf et différent qu'il n'avait pas l'habitude de porter. Ou une nouvelle paire de bottes pas encore cassée. Des bottes dont il ne croyait pas qu'elles pouvaient durer (62). 


Melissa Farley a observé une augmentation des symptômes après que les femmes ont quitté la prostitution. Elles sont plus susceptibles d'éprouver des problèmes physiques (engourdissement, rythme cardiaque irrégulier, troubles de la vision ou de l'équilibre) ainsi que des crises d'angoisse (Farley 2003). Les recherches de Salmona expliquent cela en termes de survivants n'étant plus anesthésiés par la dissociation. Les « drogues dures » produites par le corps diminuent lorsqu'une situation normale revient, ce qui rend la normalité plus difficile à affronter que la violence. C'est un élément clé pour comprendre et aider les survivants. 


Bien que Starhawk reconnaisse clairement les symptômes de la mémoire traumatique, elle permet à ses personnages de traiter le traumatisme par le risque et ne leur donne pas l'occasion de raconter leurs histoires à leur entourage. C'est peut-être parce qu'il y a une guerre : s'ils ne se concentrent pas immédiatement sur la mise au pas des Southlands, ils seront tous esclaves. Starhawk illustre un point important également souligné par Salmona : les survivants doivent reconnaître l'injustice de ce qui leur est arrivé, et lutter pour cela peut être un puissant élément de guérison. Cela peut impliquer le risque et le frisson de la disjonction, le cocktail chimique naturel disponible pour ceux qui sont déjà traumatisés (déplacement des montagnes). Ceci est utilisé par les Southlands pour commander « les grunts » (ou soldats), et également utilisé par des individus des Northlands, bien que cela soit controversé. 


Le comportement à risque est un symptôme central de la mémoire traumatique. Le comprendre peut améliorer les résultats de la prévention et du traitement et l'empathie générale pour les survivants. Madrone n'a jamais été emprisonnée et ne peut donc pas comprendre pleinement Bird ; au contraire, ses comportements la mettent en colère, par exemple lorsqu'elle leur aménage une chambre dans le refuge qu'ils ont créé. Il lui reproche d'avoir « niché » au milieu d'une guerre. À son tour, elle l'avertit de ne pas vouloir risquer de perdre son « avantage ». Le raisonnement de Bird aboutit à l'affirmation que « tout ce qui est précieux est un risque… quelque chose de plus à perdre » (287). S'engager dans des plans et des relations durables est difficile au milieu d'une mémoire traumatisante, car l'enveloppe du sens de soi et de la vie a été déchirée. Toute tentative de vie normale peut déclencher une flambée de traumatisme, enflammant la zone de guerre à l'intérieur (« votre ancienne vie ne va plus »). Le stress insupportable culmine dans la disjonction obtenue par le risque. En situation de danger, l'anesthésie est constante. Lorsque le danger prend fin et que la vie normale revient, le stress devient écrasant. Lorsqu'ils ne sont pas constamment en situation de risque, les survivants ressentent l'assaut permanent de la mémoire non narrative (l'alarme qui n'a jamais été éteinte). La disjonction peut arrêter le système émotionnel, et donc l'alarme (mais pas sans prix). Les habitants des Northlands utopiques de Starhawk ne connaissent généralement pas les mécanismes de la mémoire traumatique en dépit de leur développement social, ce qui suggère à quel point cela n'est pas reconnu dans la vie réelle, y compris par ceux qui se soucient et veulent aider. En tant qu'activiste, Starhawk semble écrire dans le but d'exposer la mémoire traumatique, comblant enfin cette lacune cruciale dans la compréhension. 


Starhawk dépeint le mécanisme de dissociation à travers le point de vue de la protagoniste Smokee, alors que les lecteurs découvrent les horreurs des « enclos cassants » dans lesquels les pré-adolescentes et les jeunes adolescentes sont conditionnées à une vie d'esclavage sexuel après avoir été enlevées à leur famille pour payer des dettes omniprésentes. Les enclos cassants sont l'endroit où tout espoir d'évasion et tout sentiment de soi sont enlevés aux filles par des viols collectifs prolongés ainsi que par d'autres formes de torture physique, sexuelle et psychologique. Après cela, Smokee est livrée au double objectif de l'esclavage dans les enclos : satisfaire les besoins sexuels des sojuhs (hommes élevés pour se battre) et fournir des « races » (enfants) qui seront à leur tour transformées en esclaves sexuels ou militaires. Dans son état de dissociation induite par la drogue, Smokee ne ressent plus de douleur : 


dans l'euphorie [de Smokee] venait la prise de conscience de quelque chose de lourd sur elle, grognant, transpirant et puant le fer et le sang. Mais cela ne la dérangeait pas. Elle se sentait bienveillante, flottant quelque part au-dessus des béances de son corps. Et quand c'était fini, et qu'elle commençait à ressentir les ecchymoses et les douleurs, il arrivait un autre bonbon pour les émousser (30). 


Les bonbons sont des friandises droguées qui rappellent comment la dépendance est utilisée par les proxénètes pour maintenir les femmes dans la prostitution. Farley a noté qu'il est souvent dit à tort que les femmes se tournent vers la prostitution parce qu'elles sont toxicomanes, alors que des études ont montré que la dépendance survient après l'entrée en prostitution comme un moyen de survivre par la dissociation aux violences et aux atteintes à la dignité (Farley, 2003). 


Les sojuhs aiment torturer les pen-girls, rivalisant pour susciter les cris de douleur les plus intenses. En déshumanisant une personne, ils peuvent, pendant un instant, avoir l'impression d'avoir retrouvé le moi qui leur fut volé longtemps auparavant : 


grognant et haletant et martelant sans fin, martelant, faisant entrer dans les tréfonds de son château la vérité qu'elle n'était rien, personne, un chiffon pour essuyer le déversement (34). 


Ils sont dans le même jeu horrible que lorsqu'ils ont été arrachés à leurs mères, mais les rôles sont inversés et maintenant ils ont le pouvoir, annihilant le moi de la victime dans une tentative de tuer la victime qu'ils étaient autrefois : « L'auteur traumatisé est complètement accro à la violence » (Salmona 2013, 129). Avec le même besoin de se dissocier comme d'autres victimes, pour échapper à l'assaut insupportable de la mémoire traumatique, ils revivent aussi le traumatisme pour obtenir leur solution chimique, mais en faisant souffrir les autres à leur place : 


C'est comme si, pour avancer en toute sécurité dans un champ de mines terriblement dangereux, les auteurs se choisissaient des esclaves pour marcher devant eux, marchant sur des mines terrestres à leur place, comme ils devaient le faire pour quelqu'un d'autre dans leur passé. Les auteurs savent que ce qu'ils imposent à leurs victimes est horrible et profondément injuste, d'autant plus qu'ils l'ont vécu, mais « c'est au tour de quelqu'un d'autre maintenant… tant pis pour les faibles » (Salmona 2013, 129). 


Ils sont anesthésiés émotionnellement, de plus en plus à mesure que la dose de violence augmente ; ils ne ressentent pas l'empathie, mais seulement la montée du pouvoir, annihilant la victime qu'ils étaient et la douleur qu'ils ressentaient. 


River illustre comment la mémoire traumatique fait que certains survivants infligent des violences à d’autres : 


Il avait beaucoup détruit à son époque, et c'était une façon de ressentir du pouvoir. Faire grincer des dents ou crier de douleur un autre, fermer une paire d'yeux pour de bon et anéantir cette personne - il avait toujours aimé cela, parce qu'en comparaison, il se sentait vivant (Starhawk 2015, 57). 


De plus, ils feront en sorte que leurs victimes se sentent coupables à leur place, les convaincant que tout est de leur faute. River est colonisé par le traumatisme même quand, devenu libre, il est sur le chemin de la guérison :


… il voulait la frapper au visage et la jeter par terre et la clouer dans la terre, qu'elle le veuille ou non. Il trouvait toujours l'idée excitante, même s'il ne voulait pas (217). 


Sa mémoire traumatique se rallume, exigeant une violence familière pour dissocier et calmer l'alarme. Il décrit cette colonisation, à commencer par la cruauté infligée aux tout-petits dans les enclos, arrachés à leur mère, à qui on mentait, l'individualité qu'ils avaient gagnée dans les bras de leur mère étant remplacée par la perversion des officiers militaires :


Les bigsticks ont battu cette fureur en lui, et peu importe ce qu'il apprenait dans le Temple de l'Amour, ou combien de fois il choisissait de ne pas agir en conséquence, cela ferait toujours partie du fondement de qui il était ... Quelque part au fond de sa mémoire, un petit garçon a pleuré pour sa maman. Mare a jeté ce chiot, lui dit une voix bourru. Il sentit un coup dans l'estomac, mais les mots lui faisaient plus mal. Je ne veux plus de ce petit. Mais maintenant, l'armée va faire de la puce un sojuh (219) 


Un souvenir traumatique persiste en lui, une lourdeur toujours là. Il ne peut pas simplement vivre sa vie et doit reconstituer cette mémoire profonde et s'opposer à l'injustice de celle-ci pour guérir. 


La compréhension des effets persistants du traumatisme est souvent absente du discours de ceux qui devraient être les plus concernés, y compris les professionnels de la santé et de la justice. Salmona a beaucoup écrit sur la façon dont le traumatisme colonise les survivants, en utilisant une analogie appropriée et des références fréquentes au syndrome de Stockholm. Parmi ceux qui ont exprimé des perspectives similaires, le livre monumental de Bessel van der Kolk, The Body Keeps the Score (2013), se concentre également sur les aspects neurologiques de cette « colonisation » et sur ses effets persistants sur les corps et les vies.


Les travaux de Stephen W. Porges sur les mécanismes neurologiques de la réponse à la menace suggèrent comment promouvoir une compréhension précise des survivants de viol pendant les procès, y compris des raisons pour lesquelles ils n'ont pas essayé de se battre ou de fuir. Le travail de Dee Graham explore les conséquences psychologiques et sociales entrecroisées de la violence masculine envers les femmes. Ces livres aident à faire connaître les apports probants des articles de neurologie (que peu lisent) et à rendre ces recherches disponibles pour un public plus large. 


Salmona a montré comment les hommes victimes sont encouragés à traiter leur propre traumatisme en maltraitant quelqu'un d'autre plutôt que de renouveler leur propre souffrance ; le script reste le même, mais les rôles changent :


La violence est un outil efficace de domination et de soumission, puisqu'elle entraîne la dissociation et l'anesthésie émotionnelle qui font des victimes des «esclaves», et une anesthésie émotionnelle chez les agresseurs qui les transforme en machines de destruction « sans cervelle» »(Salmona 2013, 258). 


Dans l'étude ACE, 94% des femmes survivantes de violences sexuelles et 60% des hommes survivants ont déclaré que les violences avait été commises par des hommes. Salmona s'oppose catégoriquement à l'idée que cela est naturel : les agresseurs ne sont pas des monstres nés, ils le deviennent, comme en témoignent les études sur l'empathie chez les nouveau-nés (Salmona 2013, 147). Typique des paradigmes coloniaux, les habitants de City of Refuge sont essentiellement une ressource à exploiter, y compris pour leurs capacités sexuelles et reproductives. Bien que les « grunts » masculins soient également opprimés, ils ont des privilèges sur les « pen-girls » féminines, d'utiliser leurs corps comme des « spill-rags » (serpillères), ce qui les rend heureux, maintient les « pen-girls » terrorisées et opprimées, et produisent également des esclaves « spawn » (des esclaves reproductrices). Dans ce système comme dans la vraie vie, la plupart des hommes sont aussi des victimes (même s'ils peuvent faire des femmes des boucs émissaires encore plus opprimées qu'ils ne le sont). 


La violence sexuelle n'est ni inévitable ni naturelle. La prise de conscience des mécanismes de la mémoire traumatique peut permettre des stratégies efficaces pour l'éliminer. Une telle prise de conscience permet également aux survivants d'échapper à l'emprise de l'agresseur sur eux, en analysant la manière dont ils sont manipulés et contrôlés pour jouer un scénario qui ne leur appartient pas. Il en est ainsi dans le mythe grec où Persée tient un miroir devant Méduse, de sorte qu'il ne soit pas seulement protégé du visage pétrifiant de Méduse, mais l'oblige à se regarder de façon qu'elle soit elle-même immobilisée par sa propre monstruosité (Salmona 2013, 273). 


Mémoire traumatique et contrôle social 


Le lien de contrôle dans les régions dystopiques du Sud est la dette, qui est également un fondement de notre système économique actuel. Les descriptions graphiques de l'esclavage sexuel et militaire de City of Refuge évoquent les réalités de nombreuses femmes prostituées ou jeunes hommes vulnérables, souvent venus des minorités, attirés au combat. La principale différence avec la société actuelle réside dans le nombre : il n'y a qu'une petite classe moyenne précaire dans les Southlands, le reste étant l'élite (peu) et leurs esclaves (la plupart). C'est une œuvre de fiction spéculative, située dans le futur ; cela suggère que Starhawk avertit le lecteur de ce qui est à venir si nous continuons sur la voie d'une économie basée sur l'endettement qui permet au bénéfice net de se placer avant les droits de l'homme. La mémoire traumatique assure la persistance de ce système. Sans l’internalisation des mécanismes de domination et de contrôle, une si petite minorité d'élites ne pourrait pas contrôler les masses ; cela est vrai dans la plupart des situations d'esclavage, de colonialisme et d'autres formes extrêmes de domination. 


La violation du corps de Smokee est proportionnelle à sa perte d’espoir :


Quand ils avaient décidé qu'elle avait été suffisamment soumise, ils laissaient  les « grunts » la prendre, l'un après l'autres, heure après heure, et chaque palier lui faisait perdre l'espoir, jusqu'à ce qu'ils fassent enfin pénétrer dans ses endroits les plus profonds et les plus intimes la vérité - qu'il n'y avait pas d'échappatoire, pas de refuge, pas de barrière qu'ils ne puissent franchir, pas de sanctuaire qu'ils ne puissent mettre à nu. (Cité du refuge, 30). 


Les survivants sont maintenant captifs, non seulement leur corps, mais aussi leur esprit et leur âme ; ils sont colonisés. Pour la majorité des personnes, une violation des droits humains extrême comme le viol :


… pénètre comme un raz-de-marée dans la psyché, balayant toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, rien ne pouvant se mettre en travers de son chemin. L'activité corticale de la victime est paralysée et elle est en état de choc. Le cortex sous choc est incapable d'analyser la situation et de réagir en conséquence »(Salmona 2013, 75). 


De plus, la mémoire traumatique rend  la survivante confuse et


… lui fait revivre sa propre expérience mêlée à celle de l'agresseur, dans des fragments non intégrés et inanalysables de ce qu'elle a elle-même vu, entendu, fait et ressenti, et de ce que son agresseur a fait, ses paroles, ses cris, haine, mépris, excitation perverse. Cela peut donner à la victime le sentiment d'entendre des voix... elle peut même s'attaquer à elle-même, s'insulter, se sentir comme un monstre, avoir l'impression d'être habitée par un monstre, être envahie par une violence extrême ou être excitée, alors que tout cela provient de ses souvenirs traumatisants et de l'agresseur, de ce qu'il a dit, ressenti et fait » (Salmona 2018). 


Conformément au syndrome de Stockholm, la victime peut ressentir ce que l’agresseur ressent, y compris ses fantasmes sexuels pervers ; à travers sa mémoire traumatique, elle est colonisée par lui. L'excitation sexuelle de l'agresseur traitant son propre traumatisme en blessant sa victime, et « l'excitation de la victime » d'être blessée, coïncident avec les courants dominants de la pornographie, imposant des paradigmes violents sous le prétexte que les femmes aiment ça, aiment être violées, utilisées, blessées. Ce fantasme afflige la sexualité des hommes et des femmes, et dans les deux cas il trouve son origine dans la mémoire traumatique ; la différence, encore une fois, est dans le choix (influencé par les rôles socio-sexuels) de souffrir ou de faire souffrir quelqu'un d'autre. Ce qui est dépeint dans la pornographie, ce n'est pas la sexualité des hommes imposée aux femmes ; c'est plutôt une sexualité traumatisée imposée aux deux. 


Les pen-girls accueillent les bonbons drogués distribués par leurs tortionnaires. Cela alimente le syndrome de Stockholm et rappelle la fréquence de la dépendance chez les femmes prostituées : 


Et puis, quand l'espoir a complètement disparu, ils l'ont remplacé par une première friandise - un petit gâteau spongieux enroulé autour d'une crème synthétique. Après des semaines sans rien d'autre que des chips salées, son corps accueillit le sucre avec joie. Elle en mangea un et commença à ressentir une délicieuse sensation de libération et de relaxation, une chaleur et une douce langueur traversant ses membres (30). 


Le médicament contenu dans les bonbons supprime la douleur, intensifiant l'anesthésie émotionnelle et physique naturelle provoquée par le traumatisme. 


Le travail de terrain de Melissa Farley auprès des femmes prostituées a montré que l'un des nombreux facteurs qui réduisent leur durée de vie, y compris les meurtres, les agressions, les surdoses, le sida et d'autres maladies, est qu'elles ne réalisent pas quand elles sont blessées physiquement, car leur tolérance à la douleur est devenue dangereusement élevée. Outre les modifications cérébrales liées à la mémoire traumatique, la majorité souffre également de lésions cérébrales dues à des agressions, la frontière entre les deux étant souvent floue (Farley et al.2018). La douleur est la norme de leur vie et l'anesthésie est le mécanisme de survie pour la supporter. C'est un mécanisme de survie par lequel non seulement les émotions s'arrêtent, mais aussi une réponse chimique engourdit la douleur physique. Smokee ne ressent plus les « grunts » et s'accroche plutôt à l'image calme d'elle-même sur une plage. 


La consommation de drogue est, paradoxalement, un mécanisme de survie, bien qu’elle entraîne des problèmes de santé à long terme ; les « drogues dures » de disjonction produites par le corps assurent également la survie. Lorsque Smokee tombe enceinte, elle trouve la force de résister aux bonbons et doit ressentir tout le poids de la négation la plus profonde possible de qui elle est. Elle apprend, avec beaucoup de difficulté, à se détacher sans les produits chimiques ajoutés, en s'appuyant sur sa propre capacité à s'anesthésier émotionnellement : 


Sans [les bonbons] les séances de service étaient presque insupportables - la puanteur, le poids lourd écrasant son corps, tordant toute sa volonté comme l'eau de vaisselle d'une éponge. Pourtant, elle endura cela. Pendant que les sojuh utilisaient son corps, elle alla à la mer, construisit des châteaux de sable et les regarda s'évaporer. (30-31). 


Elle n'est plus présente ; cette absence ne s'arrête pas lorsque les violeurs sont partis, ils restent plutôt dans les recoins sombres de son cerveau, au-delà des mots. Par la dissociation, les survivants sont étrangers à eux-mêmes. 


Après que son bébé a été arraché de ses bras, Smokee tente une grève de la faim. Au lieu de la gaver de force, les autorités l'ont enfermée au milieu de la salle commune pour qu'elle meure de faim, comme un avertissement à d'autres qui pourraient décider de protester. Ils pensent qu'elle va mendier de la nourriture, mais ce n'est pas le cas. Au lieu de cela, elle est presque morte de faim lorsque les enclos sont ouverts, et elle est anesthésiée émotionnellement : 


Quand le jour de la libération est venu, il ne restait plus grand-chose d'elle. Un monticule bas sur une plage lisse qu'une dernière ondulation pourrait démolir. Faiblement, elle avait pris conscience des éclats de voix et des coups, des cris et des hurlements et au loin, des coups de feu. Mais elle était loin, très loin sur la marée descendante, et cela ne signifiait rien pour elle (34).


 Certains survivants de la Shoah étaient dans un état similaire lorsque les camps de la mort ont été libérés. 


Starhawk dépeint également la disjonction quand Isis est témoin du meurtre de son amante, Sara, mais doit continuer à commander sa flotte :


Isis se sentait comme un imposteur avec son visage et sa voix continuant de manière silencieuse et efficace tandis que la vraie elle se blottissait à l'intérieur, invisible, les bras au-dessus de sa tête, hurlant silencieusement (621). 


La disjonction crée un moi divisé en coupant des connexions neurologiques, emprisonnant la terreur dans un endroit où elle n'est pas classée et apprivoisée par le récit (à moins que le survivant ne puisse obtenir l'aide/la conscience nécessaire pour recoller minutieusement les morceaux de sens dispersés).


Conclusion 


La mémoire traumatique altérant chimiquement et neurologiquement le corps, il n'est pas utile de dire aux survivants d'oublier le passé et de reprendre la vie (Salmona 2013). Ils doivent plutôt apprendre à affronter pleinement ce qui leur est arrivé, les conséquences intérieures et extérieures et les explications de leurs comportements (souvent incompréhensibles, y compris pour eux-mêmes). Les symptômes sont des repères pour construire un récit à la place de l'amnésie, en particulier en ce qui concerne les pires horreurs subies. Salmona décrit comment la mémoire traumatique colonise les survivants, hantant toujours leur vie en arrière-plan. C'est l'absence de récit qui emprisonne les souvenirs dans cette forme nébuleuse et terrorisante, au-delà des mots, omniprésente, sans nom. Lorsque des mots sont inventés pour remplacer ses propres mots (grunts, pen-girls/spill rags, breaking pens, spawn), le système fonctionne avec la mémoire traumatique, réduisant et redéfinissant la survivante jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'elle. 


Les bénéficiaires du système sont une très petite minorité, les « Primes » de City of Refuge. Ils ont asservi, terrifié et manipulé tout le monde, à travers un système de contrôle social issu de la dette, mais persistant à travers la mémoire traumatique. Les « spawn » élevés dans les enclos n'ont pas de noms, les « grunts » (esclaves militaires mâles) n'ont qu'un numéro, tandis que les « pen-girls » (esclaves sexuelles féminines) ne sont identifiées que par l'emplacement de leurs chambres. Ceux qui ont été capturés en raison de dettes (plutôt que élevés dans les « enclos ») ont des noms qui leur restent de leur passé, et qu'ils oublient progressivement. Attribuer des numéros plutôt que des noms rappelle la Shoah et sert, comme les viols systématiques, à accroître la désorientation et la dissociation chez les victimes, en supprimant leur individualité, qui pourrait autrement les faire se battre ou résister jusqu'à la mort. 


« Sojuh » sonne comme l'anglais utilisé par les noirs pour « soldat », rappelant le racisme dans le système militaire, conduisant des communautés historiquement démunies et appauvries à se battre pour leurs oppresseurs et faisant référence à l'histoire de l'esclavage en Amérique. Les sojuhs changent facilement de camp lorsqu'ils voient l'abondance des terres du Nord et se voient offrir « une place à table ». Interdits d'utiliser des pronoms personnels tout au long de leur asservissement, les évadés continuent une fois libérés de se désigner comme « cette pen-girl » et « ce combattant », etc. (218-219) ; ils doivent apprendre une grammaire de l'être soi. Une fois qu'ils se rendent compte qu'ils ont été maltraités et commencent à se considérer comme des individus, ils commencent à se débarrasser de leur conditionnement. 


Une étape importante est de gagner un nom. Ceci est souligné par une course organisée pour les pen-girls, à l'issue de laquelle chacune déclare fièrement comment elle choisit de s'appeler. Faire partie d'une communauté bienveillante et investir dans le travail de reconstruction d'une ville aide aussi River : « Chaque lourde charge qu'il portait semblait renforcer la conscience de soi en lui, comme s'il s'agissait d'un muscle qui se développait avec l’exercice » (57). Néanmoins, il existe de nombreux obstacles au cours de la prise en charge de la mémoire traumatique. Quand tout va bien, on ressent un stress paradoxalement plus grand, car il n'y a pas de plus la possibilité de se détacher. De plus, il existe une incrédulité par rapport à ce que quelque chose de bon puisse arriver, conditionnée par l'intensité des horreurs précédentes. Après sa vie cauchemardesque de sojuh, River se bat contre ce problème lors de son intégration dans la communauté utopique des Northlands. Starhawk suggère que les survivants libérés ne peuvent pas être simplement soulagés et heureux, car le danger d'une mémoire traumatique demeure en eux. Avec le soulagement vient la peur que cela ne durera pas, alors que le passé pend comme une épée au-dessus de leurs têtes. 


Starhawk et Salmona décrivent toutes deux comment la mémoire traumatique se combine avec les normes sociales perpétuant la domination masculine. Le livre influent de Susan Brownmiller Against our Will, publié pour la première fois en 1975, est malheureusement toujours pertinent pour comprendre les fondements de la culture du viol. Un facteur négligé reste les manifestations de la mémoire traumatique. Ces derniers ont constamment contribué à fabriquer, maintenir et justifier la culture du viol. Les hommes sont encouragés à traiter leur traumatisme en instrumentalisant d'autres personnes, et les femmes en étant instrumentalisées. Ces normes sont intimement liées à la force omniprésente mais non reconnue de la mémoire traumatique. Hommes et femmes se procurent une dissociation et un détachement grâce à des substances produites dans leur cerveau (traitement de la mémoire traumatique), la domination masculine et la souffrance féminine sont érotisées (Salmona 2013, 280). City of Refuge illustre cela (par exemple, lorsque la négation d'une autre personne fait que les « grunts » se sentent plus capables de supporter leur propre oppression). Ainsi, la mémoire traumatique fonctionne également pour le contrôle social. Lorsqu'il n'y a plus de moi, il y a moins de risques de rébellion. La douleur infligée calme les sojuhs et les pen-girls opprimés. Leur dépendance chimique vis-à-vis des aliments drogués offerts et des substances de survie liées à la dissociation que produit leur propre corps limite encore plus la possibilité qu'ils protestent. 


À quoi ressemblerait la sexualité, au-delà de la mémoire traumatique ?    Starhawk tente de décrire cela à travers le Temple de l'Amour des Northlands. Elle a également largement exploré ce sujet dans son œuvre la plus influente, The Spiral Dance. Ici, elle reconstruit la masculinité et la féminité en termes de désir et de joie, en honorant le corps vivant. Alors que les religions dominantes se concentrent sur une vie après la mort, la religion de la déesse vénère la vie ici et maintenant sur cette planète ; le sexe est une fête, pas un péché. Décoloniser à partir de la mémoire traumatique la sexualité ainsi que les relations sociales entre les sexes laisse beaucoup à comprendre et à réaliser dans les futures explorations interdisciplinaires. 






REMERCIEMENTS


Dignity remercie Laura S. Brown, psychologue féministe, pour son temps et son expertise dans la révision de cet article.



BIOGRAPHIE DE L’AUTEURE


Kate Rose enseigne la sociologie à la Northern Arizona University et est titulaire d'un doctorat en littérature comparée de l'Université de Montpellier, France. Elle est rédactrice en chef de Displaced : Migration, Indigeneity, and Trauma (Routledge, 2020), a donné des ateliers d'écriture pour les femmes sur la façon de surmonter les traumatismes et est une survivante qui utilise l'écriture créative pour décrire ses expériences.


CITATION DE L’ARTICLE RECOMMANDÉE


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