Commission Guigou :
la commission de trop !
Votre déni et votre inaction protègent les pédocriminels.
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, 14 décembre 2020
En cette journée du 10 décembre, qui est à la fois la journée internationale des droits humains et le dernier des 16 « orange days » de la campagne de l’ONU contre les violences faites aux femmes et aux filles centrée en 2020 sur le viol et les autres violences sexuelles, le lancement par le secrétaire d’État chargé de l'Enfance et des Familles Adrien Taquet d'une commission indépendante sur l’inceste et toutes les autres violences sexuelles faites aux enfants présidée par Elisabeth Guigou nous a fait l’effet d’une claque.
C’est hallucinant que nous en soyons encore là, à créer une telle commission alors que nous avons déjà toutes les connaissances toutes les analyses tous les témoignages nécessaires, que nous savons ce qu'il faut faire, que c'est une urgence absolue de lutter contre une pédocriminalité qui ne fait que s'aggraver avec une impunité quasi totale, et qu'il faut une volonté politique forte, des réformes ambitieuses, des lois et des moyens humains et financiers vraiment à la hauteur.
Avec cette instance créée sur le modèle de la « commission Sauvé », la réponse apportée à la lutte contre la pédocriminalité, au lieu d’agir, est une fois de plus en toute indécence de créer une commission chargée de recueillir pendant deux ans la parole des victimes avant d’élaborer « une véritable politique publique » pour lutter contre ces violences.
Mais de qui se moque-t-on ? Deux années pour découvrir tout ce qui est déjà connu de longue date, faire tout ce qui a déjà été fait, et élaborer des solutions qui ont été à de nombreuses reprises proposées, quel mépris ! Et la nomination à sa tête d’une personnalité comme Elisabeth Guigou qui s’est illustrée par des déclarations qui entretiennent la culture du viol à propos de l’affaire DSK achève de nous faire l’effet d’une provocation.
Quand prendrez-vous enfin vos responsabilités et remplirez-vous vos obligations ? L’heure n’est plus aux rapports aux grenelles aux consultations aux commissions… Cela suffit ! #TimesUP
À quoi va servir cette commission, si ce n’est :
- À constater ce sur quoi nous vous avons, en tant qu’expert.es, militant.es, associations, déjà maintes fois alerté depuis tant d’années.
- À refaire des énièmes auditions, à collecter des données que nous avons déjà, à demander des énièmes enquêtes et recherches alors que depuis plus de 10 ans nous disposons de toutes les informations sur la réalité des violences sexuelles faites aux enfants en France, sur leur nombre effarant, sur leurs très graves conséquences à long terme, sur leur incroyable impunité, et sur l’absence de dépistage, de protection, de soins, de justice et de réparations, et sur la dramatique perte de chance que subissent les victimes (les enquêtes de Felitti et Anda, celles de l’Inserm CSF, VIRAGE, etc. nos enquêtes détaillées récentes, celle de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie « Violences sexuelles dans l’enfance » menée en 2019 par Ipsos et ses résultats édifiants, celle de l’association Face à l’inceste en 2020 menée aussi par Ipsos).
- À faire des groupes de travail pour réfléchir à des pistes d’action alors que la France a signé et ratifié des conventions internationales et européennes qui ont fait des recommandations et en exigent l’application ce qui n’est toujours pas fait, et que nous savons très bien ce qu’il faut faire, ayant réfléchi à toutes les solutions et actions que n’arrêtons pas de proposer (cf nos Manifestes, dont celui contre l’impunité des crimes sexuels co-signé par 29 asso et soutenu par plus de 104 700 personnes, présenté à Marlène Schiappa en 2017, et ceux de nombreux autres collectifs).
- À demander encore et encore aux victimes de témoigner alors qu’elles sont si nombreuses à s‘épuiser à le faire de toutes les manières possibles depuis si longtemps…Pour rappel, en 2015 nous avons fait avec le soutien de l’UNICEF et de la défenseure des droits des enfants une grande enquête sur l’impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (IVSEA) auprès de 1214 victimes de violences sexuelles dont 81% les avaient subies avant 18 ans, et qui ont répondu à plus 180 questions sur les violences subies leurs conséquences, leur vie, leur santé, sur tous leurs parcours maltraitant médical, administratif et judiciaire, avec également de longs témoignages et de nombreuses propositions pour améliorer tous les graves dysfonctionnements et injustices auxquelles elles ont été confrontées. Nous avons fait avec Laure Salmona un rapport de plus de 300 pages dont elle est l’auteure qui a été présenté lors d’un colloque au Sénat, faute de temps et de moyens de nombreuses réponses n'ont pas pu être totalement étudiées, il est toujours temps de le faire.
Que vous faut-il d’autre ?
C’est particulièrement usant pour nous mais surtout cruel et inhumain pour les victimes de devoir encore attendre ! Quand on pense qu'il a fallu attendre mars 2017 pour qu'il y ait un premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants et pour que l’on parle enfin de psychotraumatismes, de problème de de santé publique, d’inceste, de centres de prises en charge, et que ce plan n’est toujours pas appliqué en 2020.
Le but n’est-il pas de masquer une absence de volonté d’agir, en donnant l’illusion de faire quelque chose afin de nous faire patienter encore et encore ? Pendant ce temps, chaque année plusieurs centaines de milliers d’enfants sont violés, agressés sexuellement, et des millions d’anciennes victimes, presque toutes abandonnées, essaient au prix de quels efforts et de quelles souffrances de survivre, quand elles n’en sont pas mortes ! Alors qu’avec les victimes nous dormons mal, hanté.es par toutes les violences et les injustices subies, terrifiées à l’idée que les agresseurs qui n’ont jamais été inquiétés fassent d’autres victimes, vous, comment dormez-vous ?
Ces commissions, Grenelles, consultations nationales, groupes de travail, etc, ne sont à l’évidence que des pertes de temps, des mises en scène inutiles et coûteuses, et des mascarades présentées comme de belles avancées dont nous devrions nous contenter. Et il faudrait qu’en tant qu’expert.es, responsables d’asso, militant.es, victimes, nous y participions à nouveau pour refaire les mêmes bilans, proposer les mêmes solutions ?
Aussi, quand nous apprenons que cette commission Guigou est financée à hauteur de 4 millions d'euros sur 2 ans pour "briser le tabou de l'inceste et des violences sexuelles sur mineurs" nous avons de quoi être écœuré ! Et nous devrions attendre gentiment encore deux ans ? Mais qui brise le tabou, et fait le travail depuis tant d'années ? Si ce n'est les victimes, les militant.es et les associations qui les soutiennent.
Quand on sait tout ce que notre association Mémoire Traumatique et Victimologie a fait en 10 ans depuis sa création en 2010 avec essentiellement du bénévolat et en tout et pour un budget total de 250 000 euros provenant de dons et du fruit des formations et des conférences que font les membres du bureau et le soutien de nos 700 adhérents, et de quelques maigres subventions. À savoir : créer un site performant continuellement mis à jour d’information, de formation et de ressources pour les victimes et les professionnel.les les prenant en charge, faire d’innombrables formations (des professionnels des secteurs médico-social, de la police et de la gendarmerie (dont la formation à deux reprises des policiers de la plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles), judiciaires (ENM, PJJ, TGI, barreaux, CNDA, etc.), de l’éducation nationale et de la protection de l’enfance, et j’ai formé gratuitement au ministère de la santé tous les médecins référents violences faites aux femmes des services hospitaliers d’urgence et les formateur.trices des écoles de sage-femmes, d’infirmier.es et dentaires (au total nous faisons plus de 80 formations et sensibilisation par an, cf nos bilans), organiser quatre colloques, réaliser une grande enquête de victimation auprès 1214 victimes de violences sexuelles en 2015 citée plus haut, ainsi que quatre autres enquêtes menées par Ipsos auprès des français, publier d’innombrables articles et vidéos, diffuser des centaines de milliers de plaquettes et de brochures d'infos, deux modules de formation en ligne (un troisième est en cours), le tout étant accessible et distribué gratuitement ; faire de très nombreux plaidoyers manifestes, auditions, et groupes de travail (MIPROF, DGOS, HAS, Grenelles, etc.) pour répéter éternellement les mêmes analyses, données, recherches et enquêtes, pour porter la voix des victimes, transmettre leurs témoignages et dénoncer les injustices encore et encore au niveau des plus hautes instances nationales et internationales ; faire quantité de lettres ouvertes, de manifestes, de pétitions, faire des propositions, demander des mesures urgentes, témoigner de notre expertise auprès des parlementaires, de toutes les instances décisionnaires, en cour d'assise, se battre sans fin… Alors que nous ne sommes pas que des expertes, des militantes, mais pour leur plus grande part des victimes qui ont été fracassées dans l’enfance, nous tenons bon malgré tout pour lutter pour la cause des victimes, lutter contre l’impunité, pour la justice, malgré les traumas, les obstacles, les avanies, les menaces, les maltraitances et les injustices, et nous sommes toujours là, debout survivantes, solidaires, combattantes, unies et déterminées pour lutter pour notre dignité, nos droits et pour remettre le monde à l’endroit et le rendre plus juste plus égalitaire. Malgré tout cela, nous ne baissons pas les bras, nous ne cédons pas au découragement, et nous continuons à monter au créneau pour porter la voix et les droits de tous les enfants qui ont été victimes, qui sont victimes et qui risquent de l’être. Heureusement que nous ne vous attendons pas !!!
Mais là, c’est trop !
Nous n’en pouvons plus d’alerter et de crier dans le désert, de témoigner, de faire des recherches, des enquêtes, des analyses, des manifestes, des propositions qui ne servent finalement qu’à si peu de choses, puisque très rapidement rangées ou oubliées.
Il y a une outrecuidance tout à fait française de ne pas tenir compte de tout ce qui a déjà été étudié, pensé, analysé, dénoncé et proposé depuis des décennies au niveau national et international, de toutes études les recherches, les travaux et les expertises qui ont déjà faites, de tout le travail des asso, de tous les combats menés essentiellement par les victimes elles-mêmes et il faudrait encore et encore qu'elles témoignent expliquent convainquent après tant d'années à crier et alerter mais c'est d'une indécence inouïe ! C’est cruel et inhumain !
Les derniers rapport et commission en date sont de trop ! Ce sont des exemples indéniables d’une absence de volonté politique pour lutter contre ces violences sexuelles et en protéger les enfants : celui d’Alexandra Louis sur la loi Schiappa dont nous avions dit dès le départ qu’elle serait un fiasco, qui ne fait même pas le bilan des décisions judiciaires iniques depuis la loi, et qui ne prend à aucun moment en compte l’urgence absolue d’agir ; et cette commission Guigou censée servir à « mieux comprendre l’ampleur du phénomène et ses mécanismes, appréhender les conséquences traumatiques, et ainsi impulser un changement de société » qui ne fait que ré-inventer l’eau chaude et ne rendra ses conclusions que dans deux ans… Les victimes de violences sexuelles peuvent bien attendre pour être protégés, soignés et accéder à une justice et des réparations. Ceux qui seront encore protégés et en sécurité, ce sont les innombrables prédateurs sexuels qui bénéficient du déni, de la loi du silence et d’une impunité quasi totale avec des lois inappropriées, une non application et un détournement inconcevable des lois en vigueur, une justice sinistrée et en échec continuel.
Et nous ce que nous demandions, c’est une toute autre commission indépendante pluridisciplinaire qui aurait été chargée pour rendre justice aux victimes de reprendre toutes les plaintes classées sans suite, déqualifiées, ayant fait l’objet d’un non lieu, d’acquittement ou de condamnations légères avec sursis, d’enquêter sur les maltraitances, les manquements institutionnels et sur toutes les décisions de justice qui n’ont pas permis de protéger les enfants, et sur les mises en cause de personnes protectrices et de lanceur-ses d’alerte.
Vous n’avez donc pas peur pour les enfants ?
Alors que les chiffres de la pédocriminalité ne font que s’aggraver, de même que son impunité, le risque que cela fait courir sur tous les enfants, particulièrement sur les filles et les enfants les plus vulnérables et discriminés, ne vous émeut donc pas plus que ça ? Et que faites-vous de vos obligations internationales de prévenir et de punir ces graves violations de masse des droits humains, et de tout faire pour en éviter les conséquences catastrophiques à long terme sur la santé et la vie des ses innombrables victimes ? Vous pourriez être poursuivi pour cela par une cour internationale sous l’inculpation de tortures. Vous mettez en péril les valeurs humaines fondamentales d’égalité et de solidarité.
Vous n’avez donc aucune conscience, aucune pitié pour ces enfants dont la vie est détruite par ces violences et qui, du fait de l’incurie de toutes nos institutions, vont devoir survivre dans une grande souffrance à ces violences et à leurs conséquences psychotraumatiques avec un risque important de mourir prématurément, de développer de nombreuses et lourdes pathologies mentales et somatiques, et des conduites addictives, de se retrouver en situation de précarité, de pauvreté, de marginalisation, de handicap, de peupler les hôpitaux psychiatriques, les institutions, d’être en situation de subir sans fin de nouvelles violences, discriminations et injustices.
Vous n’avez aucun état d’âme, aucune honte, à laisser tous ces pédocriminels en liberté, à leur permettre de continuer à agresser et violer en toute impunité des enfants et des adultes, des filles et des femmes pour leur très grande majorité, en ciblant d’autant plus les plus vulnérables, handicapées et discriminées ? Vous n’avez pas peur pour vos enfants, vos filles, petites-filles, sœurs, nièces, conjointes, mères, amies, collègues ? Cela ne vous donne pas la nausée d’être forcément en contact avec ces criminels et de les protéger par votre inaction, quand ce n’est pas de les soutenir ?.
Des scandales ont beau se succéder plus intolérables les uns que les autres, il y a une volonté manifeste de continuer à cacher ces violences, à invisibiliser les victimes, à ne pas prendre en compte les témoignages des victimes, les signalements des proches et des professionnels, de ne pas rechercher les preuves et de ne pas traiter ces violences en en classant sans suite et pour celles qui bénéficient d’une procédure judiciaire de les déqualifier et d’en minimiser la gravité.
Vous faites semblant d’y réagir, vous nous faites des promesses non tenues comme pour le seuil d’âge du non-consentement à 15 ans, vous n’abrogez pas le délit d’atteinte sexuelle et toutes les autres déqualifications, vous maintenez la prescription, refusez que l’amnésie traumatique soit reconnue par la loi comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, vous ne réformez pas pas toutes les institutions qui ont gravement failli, police, justice, protection de l’enfance, santé.
Vous n’avez toujours pas imposé une formation sur les violences sexistes et sexuelles, leur dépistage systématique, et leurs conséquences psychotraumatiques pour tous les professionnels qui prennent en charge les victimes et les enfants. Il est scandaleux qu’en faculté de médecine les étudiants ne reçoivent toujours pas de formation systématique sur toutes les violences faites aux enfants, sur les violences sexistes et sexuelles et sur les psychotraumatismes qu’en sont la conséquence, et hallucinant, que les spécialistes les plus concernés pédiatres et psychiatres n’y soient pas dans leur très grande majorité formés, alors que ces violences et ces traumas sont reconnus comme des problème de santé public majeurs et urgents, et que les médecins sont considérés par les victimes comme leur première ressource. Vous n’avez toujours pas mis en place un remboursement des psychothérapies spécialisées réalisées par des psychologues. Alors que les soins pour les victimes de violences sexuelles doivent être gratuits comme le prévoit le code de sécurité sociale. il a fallu attendre mars 2017 pour qu'il y ait un 1er plan de lutte contre les violences faites aux enfants, pour qu’on reconnaisse qu’il s’agisse d’un problème de santé publique majeur et pour qu'on parle enfin de psychotraumatismes.
Pour autant, vous n’avez toujours pas mis en place des centres spécifiques pluridisciplinaires accessibles 24h/24 et gratuits pour prendre en charge les victimes de violences sexuelles de façon holistique (associant les 4 piliers médical, psychologique, social et juridique, comme le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix les a mis en place à l’hopital de référence Panzi en RDC) et traiter spécifiquement les psychotraumatismes. Il en faudrait au moins 100 (un par territoire de santé mentale) comme le recommande la convention d’Istanbul et comme il en était question dans le groupe de travail de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) auquel j’ai participé pendant près d’un an en 2017. Au lieu de cela vous n’avez créé en 2018 pour toute la France et l’outremer. que 10 centres du psychotraumatisme, et plus récemment rajouté 5 plus spécifiquement pour les enfants. Or ces centres ne sont pas des centres spécifiques pour les victimes de violences sexistes et sexuelles et ils sont dans l’incapacité de prendre en charge les psychotraumatismes complexes que ces victimes présentent le plus souvent depuis la petite enfance (51% des violences sexuelles ont été subies avant 11 ans), et qui nécessitent des soins très spécialisés au long cours.
Et les victimes de ces violences sont toujours abandonnées sans protection, sans reconnaissance ni aides spécifiques alors qu’elle devraient bénéficier de réparations et d’aide sociales tout au long de leurs parcours à la hauteur des énormes préjudices qu’elles ont subis, et que le risque pour elles de précarité, de pauvreté, d’exclusion est énorme sans ces aides. C’est une injustice d’autant plus intolérable que l’Etat a failli à tous niveaux pour les protéger et les soigner.
L’absence de prise en compte des conséquences et des mécanismes psychotraumatiques universels que présentent la très grande majorité des victimes de violences sexuelles dans l’enfance (de 80 à plus de 90% et la totalité lors de viols) qui sont pourtant parfaitement connus depuis près de 20 ans et dont j’ai amélioré la compréhension et l’interprétation depuis plus de 10 ans grâce à mes travaux, nuit gravement aux victimes., est non seulement une perte de chance pour leur protection et leur santé, mais également pour leur accès à la justice. Dans un retournement cruel on met en cause la parole des victimes en leur reprochant des réactions, des symptômes et des comportements qui sont des preuves médico-légales des psychotraumatismes qu’elles ont subies (sidération, dissociation, amnésie, mémoire traumatiques, conduites de survie).
Plus les victimes sont traumatisées, moins elles sont entendues, crues et protégées, plus elles sont ignorées, décridibilisées, soupçonnées, maltraitées et culpabilisées. Cela justifie des classements sans suite et des déqualifications des agressions sexuelles et des viols, et une discrimination voire psychiatrisation des victimes. C’est d’une cruauté sans nom ! De ce fait, les procédures judiciaires augmentent significativement le risque de passage à l’acte suicidaire pour les victimes de violences sexuelles (IVSEA, 2015). C’est une très grave violation de leurs droits fondamentaux.
En 2020, avec les innombrables études internationales, toutes les alertes de l’OMS, mon plaidoyer acharné depuis près de 15 ans, et celui du Dr Denis Mukwege, prix Sakharov en 2014 et prix Nobel de la Paix 2018 avec qui je travaille et qui est menacé de mort pour son combat au service des filles et des femmes victimes de violences sexuelles, cette absence de reconnaissance des psychotraumatismes lors de violences sexuelles faites aux enfants et de leurs graves conséquences sur leur santé à long terme ne peut plus être expliqué par l’ignorance. Il y a une volonté patente à nier, invisibiliser et ne pas traiter les psychotraumatismes chez les victimes de violences sexistes et sexuelles qui participe au maintien d’une domination masculine et de l’exploitation domestique et sexuelles des filles et des femmes. Ce comportement négationniste particulièrement présent en France profite aux agresseurs et particulièrement aux pédocriminels
Comment pouvez-vous tolérer une telle impunité ?
Pour finir, la justice n’est pas du tout au rendez-vous, elle échoue totalement à protéger les enfants de ces violences sexuelles en tolérant une impunité quasi totale. Pour les viols sur mineurs, alors que nombre de plaintes est très faible, bien moins que 10% (autour de 4% selon les estimations), 74% de ces plaintes sont classées sans suite et la moitié de celles instruites sont déqualifiées. Nous en sommes encore à rechercher le consentement d'un enfant quelque soit son âge parce que nous n'avons toujours pas de seuil d’âge du non-consentement (nous demandons un à 15 ans, et à 18 ans en cas d’inceste, d’adultes ayant autorité et de handicap. La prescription continue à empêcher de nombreuses victimes, particulièrement celles, et elles sont nombreuses, ayant eu des amnésies traumatiques. Depuis 10 ans les condamnations pour viols ont diminué de 40% alors que les enquêtes de victimation montrent que le nombre de viols a beaucoup augmenté. Il y a une incapacité sidérante de la justice à prendre en compte les témoignages et les récits des victimes (d’autant plus si celles-ci sont très traumatisées, vulnérables, non-verbales, handicapées mentales, étrangères,) sans se donner les moyens pour s’adapter à la spécificité de chaque victime, chaque situation, chaque contexte, et des témoignages de ceux et celles qui veulent les protéger. Tout est bon pour déclarer le manque de preuve, de réduire l’enquête à parole contre parole sans chercher sans prendre en compte l’inégalité tous les faisceaux d’indices.
L’impunité, et c’est reconnu internationalement, est une des premières causes de la perpétuations de ces violences sexuelles et de leur aggravation d’année en année. La pédocriminalité sur le net en est un exemple effrayant, chaque année les vidéos et les photos disponible sur les sites pédocriminels double, si leur nombre était évaluer à 1 million en 2014, nous en sommes 70 millions en 2019 (les filles représentent plus de 80% des victimes et la moitié ont moins de 10 ans !). La France qui était le 4 ème pays du monde en nombre de site et de consommateurs, est passé à la 2 ème place ! Si en 2015 on pouvait évaluer à 4 millions le nombre de français.es ayant été victimes d’inceste, en 2020 il est évalué à 6,7 millions.
Cette impunité est une violation très grave des droits des victimes et des obligations européennes et internationales de la France. Elle met en danger tous les enfants par le risque de réitérations des violences sexuelles par les pédocriminels.
Arrêtez de protéger les pédocriminels !
Que vous faut-il encore ! Arrêtez de protéger les pédocriminels. Nous réclamons justice et réparations pour toutes les victimes. La France doit répondre au niveau international de son inaction. Aux termes du droit international, l’Etat peut être tenu responsables d’actes de violence sexuelle perpétrés par des particuliers s’il a manqué à son obligation d’empêcher ces actes ou de protéger les victimes. S’il peut être démontré que les autorités de l’Etat ont une conduite passive ou discriminatoire de manière constante, alors l’Etat peut être pris à partie. Un acte illégal qui viole les droits humains et qui est perpétré par un individu peut conduire à engager la responsabilité de l’Etat, non pas à cause de l’acte en lui-même, mais à cause de l’absence de mesures pour empêcher cette violation ou du manque de réaction des autorités. Les Etats sont soumis à l’obligation de protéger toutes les personnes contre des violations des droits humains (notamment le viol et autres formes de violence sexuelle). Cette obligation s’applique, qu’il s’agisse d’actes perpétrés par des individus agissant en leur qualité de fonctionnaires, en dehors du cadre de cette fonction ou à titre privé. Un tel devoir est aussi assorti d’une obligation d’agir avec la diligence nécessaire.
Car il est possible de lutter efficacement contre cette impunité en dépistant un grand nombre de victimes (par un dépistage systématique universel auprès de tous les enfants mais également de tous les adultes), on pourra ainsi protéger et soigner précocement les victimes et casse ainsi la reproduction des violences puisque l’on sait que le premier facteur de risque pour subir des violences c’est d’en avoir subies et que le premier facteur de risque de commettre des violences c’est aussi d’en avoir subies, en sachant que les rôles de victimes et d’agresseurs sont distribués dans le cadre d’une société inégalitaire ou le privilège d’exercer des violences est dévolu aux hommes (90 % des agresseurs sont des hommes, 80 % des victimes sont des femmes). Il faut rappeler que ce système de reproduction des violences est une des conséquences des psychotraumatismes par l’intermédiaire de la mémoire traumatique des violences (qui fait revivre sans fin comme une torture les pires souffrances) et de conduites dissociantes pour l‘anesthésier, les traiter le plus tôt possible est donc crucial. Tout en sachant que, si on est jamais responsable des violences que l’on subit, ni des psychotramatismes qui en sont la conséquences, on est responsable du choix de ses stratégies de survie dissociantes (conduites à risque et mise en danger pour s’anesthésier) quand elle s’exercent contre autrui, en portant atteinte à son intégrité mentale et physiqiue.
Ce dépistage systématique permet aussi d’identifier un grand nombre de prédateurs et de les poursuivre. Contrairement à ce qui nous est tout le temps asséné, les preuves existent et ce n’est pas parole contre parole. Ces preuves, il suffit de les chercher, de prendre réellement en compte les témoignages des victimes, d’étudier la stratégie des agresseurs, de rechercher d’autres victimes et de développer comme nous le faisons avec le Dr Denis Mukwege, la recherche de preuves médico légales en analysant les symptômes psychotraumatiques (cf mon article : Analyse des symptômes psychotraumatiques : technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol. Au lieu de cela, en faisant preuve d'une injustice sans nom, comme nous l’avons vu, les symptômes psychotraumatiques universels des victimes sont retournés contre elles.
Il est essentiel également, les violences s’exerçant toujours dans le cadre d’un rapport de force et de domination, de lutter contre les inégalités, le sexisme et toutes les autres discriminations, sinon le système s’aggrave sans fin, les violences aggravant les inégalités et le risque de discrimination. Sans oublier de déconstruire dès le plus jeune âge toute l’idéologie sexiste dominante et sa propagande colonisatrice qui impose des stéréotypes et des fausses représentations catastrophiques pour les femmes et les victimes (les deux enquêtes de notre association sur les représentations des français.es sur les violences sexuelles menées par Ipsos en 2016 et 2019 sont édifiantes quand à la persistance des stéréotypes sexistes et des fausses représentations qui alimentent la culture du viol). Et de ne pas oublier que ce n’est pas la victime qui fabrique un agresseur (du fait de son sexe, son physique, son comportement, etc.) mais un agresseur qui est est un prédateur qui fabrique de nombreuses victimes, ce qui rend urgent de stopper son parcours criminel.
Cette absence de protection, d’offre de soin, de réparations et de justice est une grave atteinte aux droits des personnes et une discrimination odieuse envers les victimes. C’est une perte de chance scandaleuse et criminelle quand on sait les risques de morts précoces et de pathologies graves pour ces victimes si une prise en charge de qualité n’est pas mise en place.
Vous avez l’obligation d’agir ! Pour lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants il faut lutter en priorité contre l’impunité et il faut protéger et prendre en charge les enfants victimes. Il faut remettre en urgence le monde à l’endroit et protéger les enfants de ces violences sexuelles si destructrices. Il est intolérable que ce soit encore aux victimes de de se défendre, de survivre seules et à quel prix, de tout porter, de tout prouver, de lutter. Il est temps d’aller à leur secours, de lesreconnaître par un dépistage systématique, de les protéger, de les soigner, de réparer leurs préjudices et de leur rendre justice. C’est une question de volonté politique. Si vous ne le faites pas vous répondrez de votre inaction.
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, 14 décembre 2020
Pour en savoir plus
Sur la loi Schiappa, le seuil d’âge du non-consentement, l’imprescriptibilité, l’amnésie traumatique
Afin de mieux lutter contre l’impunité de la pédocriminalité sexuelle et de mieux protéger les enfants article écrit par Muriel Salmona 2018 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien :
Protéger les enfants des violences sexuelles est un impératif : avant 15 ans un enfant n’est jamais consentant à des actes sexuels avec un adulte ; article écrit par Muriel Salmona 2018 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien :
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2018_Proteger_les_enfants_des_violences_sexuelles_est_un_imperatif_age_legal_du_consentement.pdf
Le fiasco d’une loi censée renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles, article écrit par Muriel Salmona 2018 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien :
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20180729-Le-fiasco-d-une-loi-censee-renforcer-la-protection-des-mineurs-contre-les-violences-sexuelles.pdf
Un an après la loi dite Schiappa, l’article 2 de cette loi est bel et bien un échec… article écrit par Muriel Salmona 2019 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20190801-loi-schiappa-bilan-un-an-apres.pdf
Affaire Matzneff Pour mieux lutter contre la pédocriminalité et son impunité : il est impératif d’instaurer un seuil d’âge du non- consentement et de créer un crime et un délit spécifiques, article écrit par Muriel Salmona 2019 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/202001_article_affaire_Matzeff.pdf
#JusticePourJulie : Une décision judiciaire cruelle, inique et scandaleuse Notre lettre ouverte au Président de la République novembre 2020 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org etsur ce lien : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-justice-pour-Julie-lettre-ouverte.pdf
Sur le psychotraumatisme, les arguments médico-légaux concernant les traumas et l’amnésie traumatique
Le psychotraumatisme du viol : des conséquences majeures à long terme sur la vie et la santé des enfants victimes
Conférence introductive de Muriel Salmona pour la 2ème journée du 1er Congrès de la chaire internationale Mukwege, Le 14 novembre 2019 téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-psychotraumatisme-du-viol-chaire-Mukwege.pdf
L’analyse de la mémoire traumatique et des autres symptômes psychotraumatiques : une technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol pour obtenir soins, justice et réparations
Article de Muriel Salmona (2019) écrit dans le cadre du travail de la chaire internationale Mukwege sur la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes et aux filles sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien :
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020_analyse_memoire_traumatique_au_secours_des_droits_viol_soins_justice_reparations.pdf
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre ; Article de Muriel Salmona (2018) téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org sur ce lien :
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2018-l-amnesie-traumatique.pdf
Manifestes de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
- Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels : https://manifestecontrelimpunite.blogspot.com avec ses 8 mesures pour lutter contre l’impunité avec 29 associations qui l’ont co-signé et sa pétition https://www.mesopinions.com/petition/justice/stop-impunite-crimes-sexuels/35266 soutenue par plus de 103 600 signataires.
- Manifeste pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels : https://manifesteimprescriptibilite.blogspot.com avec 28 associations qui l’ont co-signé et sa pétition : https://www.mesopinions.com/petition/justice/imprescriptibilite-crimes-sexuels/25896 soutenue par plus de 43 300 signataires.
- Manifeste contre les violences envers les enfants : https://manifestestopvfe.blogspot.com avec ses 10 mesures co-signé par 26 asso et sa pétition : https://www.mesopinions.com/petition/politique/manifeste-stop-aux-violences-aux-enfants/28367 soutenue par près de 65 900 signataires
Campagne et Manifeste #StopPrescription :
- Campagne vidéos et notre Manifeste #StopPrescription : https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2020-stop-prescription-2020.html initiée en juin 2020 par des responsables d’association, militant.e.s et personnalités engagées, et accompagnés de vidéos de témoignages de victimes d'amnésie traumatique suite à des violences sexuelles dans l’enfance.
Enquêtes et rapports :
- Enquête AMTV/Ipsos : « Violences sexuelles dans l’enfance » Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;
- Enquête AMTV/Ipsos : Les Français.es et le projet de loi sur les violences sexuelles concernant les muneur.e.s Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2018, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;
- Enquête AMTV/Ipsos : Les représentations des français.es sur le viol 1 et 2 Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2016 et 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;
- Enquête CSF, « Contexte de la sexualité en France de 2006 », Bajos N., Bozon M. et l’é- quipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés, 445, mai 2008.
- Enquête CVS Insee-ONDRP, Cadre de vie et sécurité de l’Observatoire national de la dé- linquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France 2012 – 2017.
- Enquête IVSEA, « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », conduite par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, 2015, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites http://www.memoiretraumatique.org.
- Enquête VIRAGE INED « Premiers résultats sur les violences sexuelles » : Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al., Documents de travail n° 229, 2017, 67 pages.
- Infostats Justice, « Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n° 160, 2018.
- Infostats Justice, « Les condamnations pour violences sexuelles », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n°164, 2018.
- REDRESS, « Réparation pour viol, Utiliser la jurisprudence internationale relative au viol comme une forme de torture ou d'autres mauvais traitements », 2013., disponible à l’adresse suivante : www.redress.org
- World Health Organization, « Global Status Report on Violence Prevention », Genève, WHO, 2014, 2016. OMS. INSPIRE : Sept stratégies pour mettre fin à la violence à l’encontre des enfants : résumé d’orientation. Genève, Suisse : OMS 2016.
Ouvrages et articles :
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- Brown D. W., Anda R. F., et al., « Adverse Childhood Experiences and the Risk of Premature Mortality » in American Journal of Preventive Medicine, Novembre 2009, Vol. 37, Issue 5, p. 389-396.
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-Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post-traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victi- mologie. Paris : Dunod, 2013
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- Van der Kolk, Le corps n’oublie rien, Paris, Albin Michel, 2018.
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