lundi 24 septembre 2018

La négation d’un crime Pourquoi la très grande majorité des victimes de viols ne portent toujours pas plainte ? #WhyIDidnotReport Article de Muriel Salmona


La négation d’un crime
Pourquoi la très grande majorité des victimes de viols ne portent toujours pas plainte ?
#WhyIDidnotReport 



#MeToo, #TimesUp
#PasdeJusticePasdePaix

Dre Muriel Salmona 
psychiatre, présidente de l’association
Mémoire Traumatique et Victimologie
drmsalmona@gmail.com
le 24 septembre 2018

Après le formidable mouvement #MeToo dans les médias et sur les réseaux sociaux qui a débuté il y a tout juste un an aux États-Unis avec l’affaire Weinstein et qui a permis à d’innombrables femmes victimes de violences sexuelles de témoigner et d’être entendues et soutenues partout dans le monde, et après le mouvement solidaire #TimesUp, nous assistons à nouveau à une impressionnante prise de parole des victimes de violences sexuelles sur les réseaux sociaux avec le hashtag #WhyIDidnotReport, « pourquoi je n’ai pas porté plainte », pour témoigner de tout ce qui les a empêchées de dénoncer les violences sexuelles. 

Ce mouvement s’est déclenché aux États-Unis en réaction à un tweet de Donald Trump mettant en doute le témoignage d’une femme universitaire de 51ans Christine Blasey Ford, docteur en psychologie clinique et spécialiste des impacts psychotraumatiques des attentats du 11 septembre 2001, qui a révélé début septembre avoir subi une tentative de viol à l’âge de 15 ans par le juge Brett Kavanaugh (qui est le candidat à la Cour suprême soutenu par Donald Trump) au début des années 1980. Le tweet de Donald Trump affirme « Je suis certain que si l’agression du Dr Ford était aussi terrible qu’elle ne l’assure, la justice aurait ouvert une enquête bien ses parents aimants auraient porté plainte, je demande qu’elle soumette ces procédures afin que nous puissions connaître la date, l’horaire et les lieux des faits » (cité par Mie Kohiyama). Ce tweet a suscité un tollé et dans la foulée un hashtag est alors crée le 21 septembre 2018 en soutien et en solidarité avec la Dr Ford. Des milliers de femmes témoignent alors sur les réseaux sociaux de toutes les raisons qui ne leur ont pas permis de porter plainte pour les violences sexuelles quelles avaient subies.

Les victimes de violences sexuelles, essentiellement des femmes mais également des hommes témoignent de façon bouleversante du fait qu’elles étaient avant tout bien trop jeunes, sans défense aucune face à des adultes, à des membres de leur famille, à un conjoint, et du fait que les violences les avaient laissées comme « rongées par le vide », déconnectées d’elles-mêmes, comme n’existant plus, ne se possédant plus, l’ombre d’elles-mêmes. 

Elles témoignent de leur difficulté à mettre des mots et à comprendre que ce qu’elles avaient subi n’était pas normal, ainsi que du temps mis à en réaliser la réalité, la gravité et les conséquences sur leur santé et leur vie, à arrêter de penser qu’il y avait bien plus grave et à se sentir enfin légitime pour en parler. Elles témoignent également du temps parfois très long, des années, voire des dizaines d’années, à se remémorer les faits après une amnésie traumatique, à se sortir d’un état de stupeur, et du temps nécessaire pour arriver à se penser victime, comme ayant des droits, une valeur. 

Elles nous disent à quel point elles avaient été terrorisées et avaient toujours peur de l’agresseur de ses menaces et de ses pressions, mais peur également de l’entourage, de leurs réactions, de leurs jugements, de leurs phrases assassines, peur de ne pas être crues et d’être traitées de menteuses, peur qu’on pense qu’elles exagèrent et en rajoutent, peur qu’en dénonçant toutes les violences sexuelles subies par tant de personnes différentes que personne ne pense que ce soit possible, peur qu’on pense qu’elles l’avaient bien voulu puisqu’elles l’avaient suivi, n’avaient pas pu se sauver, n’avaient pas crié, ne s’était pas débattues, peur que le récit des tortures subies épouvante trop les personnes à qui il faudrait en parler, peur de faire du mal à ses proches, peur de détruire un homme, une famille, une institution, une entreprise, peur de la police, de la justice…, peur de toutes les conséquences catastrophiques sur sa vie si on parle, peur de perdre son travail, sa famille, ses amis, peur de revivre l’horreur si elles parlent, de craquer par excès de souffrance, et de devenir folles. 

Elles nous font part de leur sentiment de honte, de leur sentiment de culpabilité de ne pas avoir réussi à s’opposer, à se défendre, d’avoir été trop naïves, de n’avoir pas réagi comme il aurait fallu, d’être restée si longtemps avec lui, d’avoir parlé  trop tard, au delà des délais de prescription …

Apparaît alors la toile de fond de tout ce qu’elles ont subi non seulement de l’agresseur mais également de leur entourage, de professionnels, de la pression d’une société patriarcale qui diffuse des stéréotypes catastrophiques en permanence, d’une société où règnent de toute part le déni, la loi du silence et la culture du viol et de l’abandon où elles se sont retrouvées. En France, seules 9% des victimes de viols adultes portent plainte (ONDRP 2012-2017), et on estime que les victimes devoirs mineures ne sont que 4% à le faire (estimation à partir des enquête de victimation CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017 ; VIRAGE 2017)

Pourquoi la très grande majorité des victimes de viols ne portent pas plainte ? Parce que tout absolument tout les en empêche alors qu’elles ont un besoin vital de justice, de protection et de soins. Leur dire qu’elles auraient dû porter plainte et que ne pas l’avoir fait les décrédibilise est d’un déni, d’une violence et d’une cruauté sans nom !

Le viol est crime, il s’agit d’un acte cruel, dégradant et inhumain qui porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui en sont victimes, à leur sécurité, à leur dignité et à leur intégrité physique et psychique. Il est à l’origine de très lourdes souffrances et d’un impact grave sur leur santé et leur vie. 

C’est un crime fréquent commis très majoritairement par des hommes (95%) dans un contexte de domination et de rapport d’inégalité et de force, dont les principales victimes sont des filles, des femmes, des garçons et des personnes en situation de vulnérabilité et de discrimination : on estime avec les enquêtes de victimation que chaque année 130 000 filles, 93 000 femmes, 35 000 garçons, 16 000 hommes subissent des viols et des tentatives de viols, les personnes vulnérables handicapées, discriminées en étant bien plus victimes avec 4 fois plus de violences sexuelles chez les filles et les femmes handicapées, et 90% de femmes autistes qui ont subi des violences sexuelles  (estimation à partir des enquête de victimation CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017 ; VIRAGE 2017).

Un crime dont l’énorme souffrance qu’il génère et la gravité de l’impact psychotraumatique sur la santé mentale et physique des victimes est du même ordre que celui des tortures : avec un risque de développer un état de stress posttraumatique chronique associé à des troubles dissociatifs très élevé chez plus de 80% des victimes de viol, contre seulement 24 % pour l’ensemble des traumatismes (Breslau, 1991), ce taux approche 87 % en cas de violences sexuelles ayant eu lieu dans l’enfance (Rodriguez, 1997). La gravité des conséquences psychotraumatiues  du viol en fait un problème humain et de santé publique majeur. On retrouve pour les viols sur les enfants un impact sur la santé mentale pour 95% des victimes (70% quand il s’agit de victimes adultes), et sur la santé physique pour 70% d’entre elles (près de 50% pour les adultes), avec des risques très important de morts précoces, de suicide, de dépressions, d’addictions et de conduites à risque, de risque de subir à nouveau des violences ou d’en commettre, de précarité, de troubles cardio-vasculaires et pulmonaires, de diabète, de troubles de l’immunité, de troubles gynéco-obstétriques, gastro-hépatiques, de douleurs chroniques, de troubles du sommeil, de troubles cognitifs et neurologiques, etc. (Brown, 2009 ; Felitti et Anda, 2010, Hillis, 2016, Fulu, 2017, cf Manifeste stop aux violences envers les enfants), IVSEA, 2015, ; OMS, 2010, 2014 ; 2016)

C’est donc un crime qui concentre toutes les raisons (en raison de sa fréquence, de son caractère cruel, dégradant et inhumain comme le rappelle la cour européenne, de la gravité de ses impacts long terme, et des personnes vulnérables qui en sont les principales victimes comme les enfants) pour être considéré comme particulièrement intolérable, pour soulever la plus grande indignation, pour réclamer justice et protection pour les victimes et la société, pour condamner les agresseurs et pour susciter un formidable élan de solidarité vis à vis des victimes !

Or il n’en est rien, la négation de ce crime est omniprésente dans notre société où règnent déni, loi du silence, culture du viol, impunité, abandon des victimes sans protection, ni justice, ni soins, ni réparation, ni solidarité…  Pourtant face  à ce crime les victimes ont un besoin vital :

  • de parler, d’être entendues, secourues, réconfortées, accompagnées : devoir survivre seules face à l’agresseur et ses violences ainsi qu’à leurs graves conséquences psychotraumatiques est un enfer et une torture.

  • de protection et de soins : être protégées des agresseurs, et de toutes formes de violences, être mises en sécurité à tous niveaux (économique, administratif, professionnel, social, avoir un logement sécurisé), et bénéficier de soins spécifiques sans frais avec des professionnels formés ; ne pas recevoir de protection ni de soins adaptés est une perte de chance intolérable pour ces victimes traumatisées ;

  • de justice, pour que les agresseurs répondent de leurs actes criminels, soient condamnés et ne puissent plus exercer de violences sur elles et sur d’autres victimes, et pour que leurs droits soient respectés et leurs préjudices réparés. Être confrontées à une cascade d’injustices, savoir son agresseur en liberté, se sentir continuellement en danger, avoir peur pour d’autres personnes, être en situation de précarité et de vulnérabilité est terriblement désespérant et invivable ;

  • de solidarité, de soutien, de compréhension, de reconnaissance et de vérité. Pour les victimes être abandonnées, isolées, voire rejetées et précarisées est extrêmement douloureux.

Tous ces besoins fondamentaux pour la victime ne sont que très exceptionnellement remplis, à la place la victime doit faire face :

  • au déni, à la loi du silence, à une culture du viol, culture du viol qui véhicule de nombreux stéréotypes qui minimise ou banalise les violences, voire les nie, qui déresponsabilise et disculpe les agresseurs, voire les protège, qui culpabilise et juge la victime, la considère comme une menteuse, comme ayant provoqué les violences, ou pire comme les ayant voulu en en étant consentante quelque soit son âge ou la situation où les violences se sont déroulés que ces violences soient incestueuses, dégradantes, humiliantes, portant atteinte à la dignité ou qu’elles aient été commises dans un cadre d’emprise et de rapport d’autorité ;

  • à l’absence de protection, de reconnaissance et de soins et à une impunité quasi totale puisque 1% des viols seulement commis sur des adultes, 0,1% des vils conjugaux et 0,3% des viols commis sur des enfants seront jugés en cour d’assises… non seulement les plaintes sont rares (moins de 10%) mais la prescription, les classements sans suite, les déqualifications, les non-lieux et les acquittements vont faire que 90% de ces plaintes n’aboutiront pas… et cette faillite de la justice ne fait que s’aggraver puisque les condamnations ont diminuée de 40% depuis 10 ans (infostats justice 2018)

Comment dans ces conditions une victime peut-elle espérer être entendue, reconnue, soutenue, protégée, et avoir accès à la justice ? 

Tout s’y oppose à chaque étape, pourtant la plupart des victimes ne renoncent pas, elles parlent, essaient de se faire entendre, réclament une protection, des soins mais le plus souvent en pure perte, on leur renvoie fréquemment qu’elles racontent n’importe quoi, que ce n’est pas possible et s’il est impossible de nier les actes on dit qu’il ne s’agit pas de violences ou qu’elles sont certainement responsables de ce qui leur est arrivée… On leur renvoie qu’elles n’ont pas de droits, pas de valeurs, et que la justice ne sera pas pour elles !

Le plus souvent une grande partie de l’entourage la famille, le conjoint, les amis, les collègues sont colonisés par des stéréotypes, par une culture du viol et/ou sont complices de l’agresseur, les professionnels qui ne sont pas formés et la société toute entière inégalitaire, soumise à la domination patriarcale participent à une véritable négation du viol et de ses conséquences, et à une déresponsabilisation voire une protection de l’agresseur qui sous-tend que c’est la victime la coupable, que c’est elle qui a provoqué le crime, que c’est elle qui a fabriqué un criminel (et non l’inverse que c’est le criminel qui fabrique des victimes), que ses droits, sa valeur ne comptent pas… 

La méconnaissance des mécanismes psychotraumatiques universels fait que des symptômes pathognomoniques du trauma tels que la sidération qui paralyse la victime, la dissociation traumatique qui la déconnecte de ses émotions et la rend incapable de se défendre et la vulnérabilise, l’amnésie traumatique qui la prive pendant parfois de longues années d’accéder à des souvenirs préciser complet, et la mémoire traumatiques qui lui fait revivre sans fin les pires moments de terreur et transforme sa vie en un terrain miné, sont de façon particulièrement cruelles renvoyés à la victime, pour exiger qu’elle s’en explique, pour la mettre en cause, et pour décrédibiliser son récit.

Et, puisque dans plus de 80% la victime n’est pas protégée et ni reconnue, et que dans plus de 90% des cas, 96 % quant il s’agit de victimes mineures (IVSEA, 2015) l’agresseur est un proche, un conjoint ou un membre de sa famille dans plus de la moitié des cas (et dans plus de 80% pour les moins de 15 ans) (Virage 2017), elle reste en permanence exposée au système agresseur, en danger et gravement traumatisée. Face à cette exposition traumatique en continu, le cerveau de la victime met en place des mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques qui entraînent un état dissociatif traumatique chronique avec une anesthésie émotionnelle et sensorielle de survie. La victime se retrouvent alors déconnectée, en mode automatique, avec une pseudo-tolérance et une indifférence à ce qui lui arrive, dans un sentiment d’irréalité, qui rend toute analyse de sa situation et toute défense impossible, la rendant très vulnérables à des situation d’emprise et à d’autres violences et à des mises en danger. Et ce, d’autant plus, que cet état dissociatif entraîne de fréquentes amnésies traumatiques (on retrouve 40% d’amnésie traumatique totale et 60% de partielle lors de violences sexuelles subies par des mineurs) qui peuvent durer des années, la dissociation traumatique et les amnésies se levant quand la victime n’est plus exposée à l’agresseur ou à des violences, et qu’elle est enfin protégée.

Cette dissociation est malheureusement souvent perçue par les proches et tous les interlocuteurs de la victime comme une preuve qu’elle n’a pas pu vivre quelque chose de si grave et qu’elle n’est pas en danger puisqu’elle ne paraît pas impactée voire même elle semble indifférente, son récit privé d’émotion, de repères temporo-spatiaux précis et criblé de trous du fait des amnésies ne semble pas crédible. De plus, face à une victime dissociée, les neurones miroirs des interlocuteurs ne renvoient aucune émotion et ne déclenchent pas un processus automatique d’empathie, la plupart des interlocuteurs ne vont donc ne rien ressentir et être indifférents par rapport aux crimes qu’a pu subir la victime et aux dangers qu’elle coure, et de ce fait, ils ne vont pas se mobiliser ou se sentir solidaires. Le risque est grand alors que la victime soit maltraitée et abandonnée.

Les victimes traumatisées sont également aux prises avec une mémoire traumatique qui leur fait revivre à l’identique de façon non contrôlée les violences, la terreur et la détresse, et les mises en scène, le mépris, la haine, l’excitation perverse et les phrases culpabilisatrices des agresseurs. Cela explique pourquoi, même si elles ne sont plus en contact avec l’agresseur, il leur est si difficile de parler des violences qu’elles ont subies sans avoir des attaques de panique et être envahie par une grande détresse, mais également sans être envahies par la haine et les propos culpabilisants et méprisants des agresseurs («  c’est de ta faute », « tu l’as bien cherché et tu l’as mérité », « tu l’as voulu, tu aimes ça », « personne te croira ou te viendra en aide car tu vaux rien », etc.), au final c’est la victime qui se sent coupable, honteuse et qui peut avoir peur d’être un monstre. Et plus une victime sera aux prises avec une mémoire traumatique explosive à devoir mettre en place des stratégies de survie (conduites d’évitement, conduites dissociantes) plus elle risque d’être considérée non comme une personne gravement traumatisée colonisée par les violences mais comme une personne ayant des troubles psychiatriques et des troubles de la personnalité et du comportement sans que personne ne lui explique que ces symptômes sont des conséquences normales et universelles des violences subies et qu’ils peuvent être traités. Cette mémoire traumatique est une torture, elle va fragiliser encore plus la confiance et l’estime de soi de la victime et elle risque d’être utilisée pour psychiatriser et décrédibiliser sa parole.

Tout est fait pour décourager les victimes, porter plainte dans ces conditions relève alors de l’exploit et à de quoi faire peur, la procédure judiciaire est perçue souvent à juste titre comme une épreuve vaine et maltraitante qui n’aboutira pas à une condamnation, en effet :

  • Seules 9% des femmes victimes de viols portent plainte, et encore bien moins quant il s’agit de viols conjugaux (5%) et de viols d’enfant (4%) ( estimation à partir des enquête de victimation CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017 ; VIRAGE 2017), 

  • sur ces rares plaintes, 73% des plaintes sont classées sans suite, 30% sont instruites, dont la moitié sont déqualifiées et correctionnalisées ; et finalement 10% des plaintes sont jugées pour viol en cour d’assises ou au Tribunal pour enfants, soit 1% de l’ensemble des viols commis sur des adultes et 0,3% de l’ensemble des viols commis sur des enfants  (CSF, 2008, ONDRP, 2016, infostat justice, 2016, 2018).

  • les victimes rapporteront que 82% ont mal vécu le dépôt de plainte, 77% ont ma vécu l’enquête policière, les auditions, les confrontations et la procédure judiciaire et sur les rares qui ont pu avoir un procès 89% l’ont mal vécu (IVSEA, 2015)

La faillie de la justice est donc presque totale

Quand on sait depuis peu que les condamnations pour viols ont diminué de 40% depuis 10 ans (de façon concomittante à la loi Perben qui a permis la déqualification des viols et du procès d’Outreau) alors que les plaintes ont augmenté de près de 40%, il est évident que la justice échoue à protéger et à reconnaître les victimes de viols et à punir les agresseurs (infostat justice, 2018)


Les raisons pour lesquelles les victimes n’ont pas pu parler pendant souvent de nombreuses années (par ordre décroissant, IVSEA, 2015) :

  • ils n’avaient pas les mots pour décrire ni réaliser ce qui s’était passé
  • ils se sentaient honteux et coupable, ils pensaient que c’était de leur faute, qu’ils avaient été naïfs, bêtes, incapables de réagir
  • ils avaient peur de ne pas être crus, que ce ne soit pas pris en compte, d’être confrontés à de l’indifférence ou à des jugements négatifs
  • c’était trop dur d’en parler, ils n’étaient pas en état de le faire et ils ne comprenaient pas et avaient peur de leurs émotions et de leurs réactions
  • ils étaient amnésiques d’une partie ou de la totalité des violences
  • ils étaient bien trop petits
  • ils croyaient que ce n’était pas si grave
  • ils craignaient que ce soit insupportable ou impossible à entendre
  • ils pensaient que ce n’était pas des violences 
  • ils pensaient que c’était mérité
  • ils étaient l’objet de menaces et de pressions de la part du ou des agresseurs 
  • ils avaient peur de réactions violentes de leurs proches
  • ils étaient l’objet de menaces et de pressions de la part de leurs proches
  • leurs proches étaient menacés et ils avaient peur pour eux

Ces réalités permettent de comprendre qu’il est encore beaucoup plus difficile de parler pour une victime : quand elle est toute petite et n’a pas la possibilité de comprendre, ni de dire ce qui s’est passé ; et quand elle est dépendante de l’agresseur et sous son autorité, ce qui est le cas des enfants et des personnes vulnérables, en situation de grand handicap, des patients face aux soignants… 

De même plus la victime est terrorisée et traumatisée, plus il est difficile de parler, de se remémorer les faits, d’autant plus quand on vit avec l’agresseur ou qu’on le côtoie quotidiennement, « les agresseurs sont des proches pour plus de 90% des victimes adultes, et plus de 96% des victimes mineures », et quand on est victime de viols conjugaux, qu’on n’est pas informé sur la loi et qu’on pense être obligé de se soumettre au « devoir conjugal » (cela explique pourquoi les victimes de viol conjugal ne sont que 5% à porter plainte). Rester en contact avec l’agresseur, pour la victime, c’est être sous son emprise, sous ses menaces, c’est subir ses manipulations, c’est également subir la loi du silence à l’œuvre dans les familles, les entreprises ou les institutions. 


Que faut-il faire ?

Des mesures et des réformes ambitieuses sont nécessaires et urgentes à mener par les pouvoirs publics avec des moyens suffisants pour avant tout protéger les victimes et leur venir en aide, les soigner et leur rendre justice. Protéger les enfants et les personnes les plus vulnérables et les plus discriminées doit être une priorité absolue.
Et pour tout un chacun, à tous les niveaux de responsabilité, il est indispensable de se révolter, de s’indigner, d'être solidaire des victimes, de s’engager, d’informer et de former sans relâche, de lutter contre toutes les formes de violences, contre toutes les formes de discriminations, de lutter contre le déni, la loi du silence, la culture du viol, l’impunité, de lutter pour plus de protection, plus de respects des droits des victimes, plus de justice ! Remettre le monde à l’endroit ! #PasdeJusticePasdePaix

Pour sortir du déni, de la loi du silence et de l’impunité, pour lutter contre l’abandon où sont laissées les victimes, pour qu’elles soient enfin protégées et qu’elles puissent accéder à des soins et à une justice, il faut être à l’écoute, solidaire et :

  • ne plus tolérer les violences sexuelles quelles qu’elles soient et mettre en place des procédures judiciaires adaptées et respectueuses des droits des victimes et de leur protection, et lutter contre l’impunité en améliorant les lois et les moyens de la justice et son accès pour les victimes (seuil d’âge du consentement, imprescriptibilité, arrêt des déqualifications, reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable levant la prescription, etc. Cf le manifeste contre l’impunité et ses 8 mesures urgentes qui a été présenté le 20 octobre 2017 au secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui est co-signé par 28 associations et qui a recueilli près de 60 000 signatures) ;
  • informer sans relâche sur la réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences psychotraumatiques, faire de la prévention dès la maternelle ;
  • lutter contre toutes les inégalités, les discriminations et les stéréotypes, lutter contre touselles formes de violences ;
  • former tous les professionnels prenant en charge les victimes ;
  • mettre en place une offre de soin adaptée et accessible à toutes les victimes (cf les 10 centres du psychotraumatisme qui vont s’ouvrir prochainement dont on avait avec la DGOS le cahier des charges, mais ce sera encore très insuffisant, il faut au moins 100 centres un dans chaque département ou par bassin de 200 000 habitants comme le recommande la convention d’Istanbul) ; 
  • et il est impératif de protéger les victimes et pour cela d’aller vers elles pour les identifier, et non d’attendre qu’elles viennent parler, pour cela il faut rechercher auprès de toutes les personnes si elles ont subi ou si elles subissent des violences sexuelles en leur posant régulièrement la question.


Dre Muriel Salmona 
psychiatre, présidente de l’association
Mémoire Traumatique et Victimologie
drmsalmona@gmail.com
le 24 septembre 2018

Pour consulter l’intégralité du Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels :
https://manifestecontrelimpunite.blogspot.fr
Pour lire le Manifeste pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
https://manifestecontrelimpunite.blogspot.fr
Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :
http://manifestestopvfe.blogspot.fr/
   
 BIBLIOGRAPHIE:

Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France – 2017 : http://www.inhesj.fr/fr/ondrp/les- publications/rapports-annuels

Enquête CSF Contexte de la sexualité en France de 2006, Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés (Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques), 445, mai 2008. http://www.ined.fr/fichier/ t_publication/1359/publi_pdf1_pop_soc445.pdf

Enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015, conduite auprès de plus de 1200 victimes de violences sexuelles par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites : http://stopaudeni.com et http://www.memoiretraumatique.org

Enquête VIRAGE INED et premiers résultats sur les violences sexuelles : Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al. Documents de travail n° 229, 2017, 67 pages https://www.ined.fr/fr/publications/document- travail/enquete-virage-premiers-resultats-violences-sexuelles/
INFOSTATS JUSTICE, Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction, mars 2018, Bulletin d’information sta du ministère de la Justice numéro 160 : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/ stat_infostat_160.pdf

INFOSTATS JUSTICE, Les condamnations pour violences sexuelles, septembre 2018, Bulletin d’information sta du ministère de la Justice numéro 164 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/ stat_infostat_164.pdf



Les publications et rapport de Véronique Le Goaziou : rapport final de la recherche "Les viols dans la chaîne pénale" 2016 consultable sur le site de l’ORDCS
Les viols en justice : une (in)justice de classe ? in Nouvelles Questions Féministes 2013/1 (vol.32)

World Health Organization, Global Status Report on Violence Prevention, Genève, WHO, 2014, 2016.
  
 Articles de références

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Salmona M., La mémoire traumatique, violences sexuelles et psychotraumas in Dossier « Maltraitances infantiles » des Cahiers de la justice, éditions Dalloz numéro 2018/1,2018.
Salmona M. L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre, Dunod, 2018 ; in Victimologie, évaluation, traitement, résilience, sous la direction de Roland Coutanceau et Claire Damiani, Dunod, 2018: pp 71-85 Sandford T. G. M., Long-Term Health Correlates of Timing of Sexual Debut: Results From a National US Study, 2007
Widom C. S., Accuracy of Adult Recollections of Childhood Victimization : Part 1 ; Childhood Abuse, NCJRS Psychological Assessment Volume:8 Issue: 4 Dated:(1996) Pages:412-421.
Williams, L. M., « Recall of childhood trauma : a prospective study of women’s memory of child sexual abuse » in Journal of consulting and clinical psychology, 1994, Vol. 62, n°6, p. 1167-1176.

Pour en savoir plus sur les violences sexuelles la culture du viol et les mythes sur le viol :
Salmona M. La mémoire traumatique. In Kédia M, Sabouraud-Seguin A (eds.). L’aide-mémoire en psychotraumatologie. Paris : Dunod, 2008.
Salmona M. Mémoire traumatique et conduites dissociantes. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Traumas et résilience. Paris : Dunod, 2012, téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org.
Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post- traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie. Paris : Dunod, 2013, téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org.
Salmona M. « Le viol, crime absolu » in doss. « Le traumatisme du viol », Santé Mentale, Mars 2013, n°176. téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org.
Salmona M. Impact des violences sexuelles sur la santé des victimes in Pratique de la psychothérapie EMDR, sous la direction de Cyril Tarquinio et Al., Dunod, 2017 ; 19, pp 207-218.
Salmona M., La mémoire traumatique, violences sexuelles et psychotraumas in Dossier « Maltraitantes infantiles » des Cahiers de la justice, éditions Dalloz numéro 2018/1,2018.
Salmona M. L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre, Dunod, 2018 ; in Victimologie, évaluation, traitement, résilience, sous la direction de Roland Coutanceau et Claire Damiani, Dunod, 2018: pp 71-85
À lire et consulter sur la culture du viol et les violences sexuelles l’excellent blog féministe : Sexisme et Sciences humaines http://antisexisme.net et son livre et ses articles très documentés sur les : Mythes sur les viols.
À lire POUR EN FINIR AVEC LE DÉNI ET LA CULTURE DU VIOL en 12 points article de Muriel Salmona de 2016 réactualisé en 2017 sur le blog stopauxviolences.blogstop.fr : https://stopauxviolences.blogspot.fr/2017/03/ pour-en-finir-avec-le-deni-et-la.html
  
 À lire également Le livre noir des violences sexuelles de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2013.et Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2015.
En quoi connaître l’impact psychotraumatique des viols et des violences sexuelles est-il nécessaire pour mieux lutter contre le déni, la loi du silence et la culture du viol, pour mieux protéger les victimes et pour que leurs droits soient mieux respectés ? de Muriel Salmona 2016 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/2016-Necessaire- connaissance-de-limpact-psychotraumatique-chez-les-victimes-de-viols.pdf
Ces viols que les Français ne sauraient voir : ce déni alimente la honte des victimes de Laure Salmona mars 2016 : http://leplus.nouvelobs.com/ contribution/1490893-ces-viols-que-les-francais-ne-sauraient-voir-ce-deni- alimente-la-honte-des-victimes.html
JUSTICE, VOUS AVEZ DIT JUSTICE ? de Muriel Salmona, 2017 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/ v1/Articles-Dr-MSalmona/20170321-lettre_ouverte_viol_en_re%CC %81union.pdf
La victime c’est la coupable de Muriel Salmona, 2011 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/ La_victime_c_est_la_coupable_4_septembre_2011_Muriel_Salmona.pdf
Pour en savoir plus sur les violences
• Les sites de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie avec de nombreuses informations disponibles et des fiches pratiques sur les violences, leurs conséquences sur la santé, leur prise en charge, et des information sur les campagnes et les actions de l’association :
• http://www.memoiretraumatique.org • http://stopaudeni.com
• Les blogs de la Dre Muriel Salmona :
• http://stopauxviolences.blogspot.fr
• http://lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com avec une
bibliographie générale
• Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel SALMONA Paris, Dunod,
2013.
• Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel
SALMONA Paris, Dunod, 2015.
• Le rapport d’enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015 SALMONA Laure auteure, SALMONA Muriel coordinatrice Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence (téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http:// www.memoiretraumatique.org
• L’enquête Les français-e-s et les représentations du viol et des violences sexuelles, 2016 conduite par IPSOS pour l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie, SALMONA Muriel, directrice et SALMONA Laure coordinatrice et auteure du rapport d’enquête et du dossier de presse téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http:// www.memoiretraumatique.org (3)
• De nombreux articles de la Dre Muriel Salmona, ainsi que des vidéos de formation sont consultables et téléchargeables sur le site http:// www.memoiretraumatique.org à la page http://www.memoiretraumatique.org/ publications-et-outils/articles-de-la-dre-muriel-salmona.html
• Des brochures d’information éditées par l’association, sur les conséquences des violences sur la santé à destination des adultes et des jeunes à télécharger sur le site http://www.memoiretraumatique.org et stopaudeni.com

• Des films témoignages Stop au déni-les sans voix de Catherine Zavlav, 2015 sur http://stopaudeni.com

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