vendredi 30 décembre 2016

CHÂTIMENTS CORPORELS ET VIOLENCES ÉDUCATIVES ENFIN INTERDITS EN FRANCE EN 2017



CHÂTIMENTS CORPORELS ET VIOLENCES ÉDUCATIVES ENFIN INTERDITS EN FRANCE À PARTIR DU PREMIER JANVIER 2017



À partir du 1er janvier 2017, tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence corporelle 
est interdit aux parents 



Muriel Salmona, le 30 décembre 2016 


La France vient enfin de se positionner - comme le réclamaient de nombreuses associations dont la nôtre (1) - contre toutes les formes de violences exercées sur les enfants par les parents ou leurs représentants légaux, avec le vote le 22 décembre 2016 de l’amendement (2) de la loi Egalité et citoyenneté complétant l’article 371.1 du Code civil excluant dans le cadre de l’autorité parentale « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence corporelle ». Cette interdiction prenant effet dès le premier janvier 2017. Cet article du code civil sera lu lors de la cérémonie de mariage civil et intégré au livret des parents distribué au quatrième mois de la première grossesse. Il figurera dans le livret de famille. Le code pénal n’est pas modifié, aucune sanction pénale n’est prévue, l'objectif de cette loi étant de favoriser une prise de conscience des parents, mais il est à espérer que la jurisprudence, qui reconnaît parfois un « droit de correction », pourrait évoluer.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette avancée qui, comme l’a dit notre ministre de la famille est « un outil indispensable à la prévention de la maltraitance des enfants», permettant de « franchir une étape supplémentaire dans la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant ». Mais comme aucune sanction pénale n’est prévue et qu’il n’est pas fait explicitement référence aux châtiments corporels et autres punitions éducative, nous ne savons pas encore si le comité des droits de l’enfant fera de la France le 52ème pays dans le monde et le 32ème des 47 pays membres du Conseil de l’Europe interdisant tout châtiment corporel à l’encontre des enfants. Pour rendre cette loi efficiente il sera indispensable que les pouvoirs publics diffusent des campagnes de communication pour informer la population de la nocivité des violences éducatives, et pour promouvoir une éducation non-violente. 

Les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives : de quoi s’agit-il ?

Les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences (verbales, psychologiques, économiques, sexuelles) sous couvert d’éducation sont commises sur les enfants par leurs parents ou par toute personne en ayant la garde pour les faire obéir, les corriger et les punir. Il s’agit de leur faire peur, de leur faire mal physiquement et moralement, de les contraindre par des privations et de pressions, de leur faire honte et de les humilier, afin de les rendre obéissants, performants, satisfaisants par rapport à une image idéale parentale, respectueux des règles et soumis à l’autorité des adultes en créant un formatage par des réflexes aversifs.

Ces violences envers les enfants qui seraient déclarées comme intolérables si elles s’exerçaient envers un adulte et seraient qualifiées d’agressions ou de harcèlements, sont banalisées et justifiées par une majorité de personnes quand elles s’exercent dans le cadre familial sur des enfants qui sont des personnes vulnérables, fragiles et dépendantes, par ceux là-même qui devraient les aimer, les protéger et assurer leur sécurité physique et psychologique. 

Non seulement ces violences sont tolérées mais elles sont souvent présentées comme nécessaires pour bien éduquer les enfants en raison de leurs comportements, et considérées comme utiles et inoffensives. Et c’est une très grande majorité des parents en France (de 60 à plus de 85%) qui reconnait avoir recours aux punitions corporelles quels que soient leur niveau socio-culturel et leurs origines. Les facteurs les plus prédictifs pour les parents de recourir à ces violences étant le fait d’en avoir eux-mêmes subi dans leur enfance, leurs niveaux de stress dans la vie quotidienne, et leurs croyances dans les effets bénéfiques des punitions corporelles et la mauvaise nature des enfants.

Ces croyances s’inscrivent dans une méconnaissance :

  • des droits des enfants, 
  • de leurs besoins fondamentaux de sécurité émotionnelle pour se développer, apprendre et avoir une estime suffisante de soi ,
  • de leurs capacités psycho-motrices et de contrôle émotionnel en fonction de leur âge ce qui entraînent des exigences irréalistes et des interprétations erronées, 
  • de l’impact des violences sur leur cerveau et sur leur santé physique et mentale à long terme,
  • du risque réel d’escalade et de graves maltraitances, les violences ayant un effet addictif et anesthésiant émotionnellement pour celui qui les exerce, elles sont utilisées avant tout pour soulager un état de tension ou de frustration,
  • du risque de reproduction des violences tout au long de la vie (avoir subi des violences est le facteur de risque principal d’en subir à nouveau) 
  • des mécanismes psychotraumatiques qui font que les signes de souffrance sont rarement identifiés et rapportés aux violences et mis sur le compte du caractère de l’enfant,
  • de la mémoire traumatique des violences qui fait revivre les mêmes stress, douleur et peur ressentis au moment des violences, et les mêmes mises en scènes et paroles du parent violent, véritable machine à remonter le temps  qui fait que l’enfant puis l’adulte qu’il sera pourra être colonisé par ce stress, cette souffrance mais également par la colère, la haine, les cris, les paroles violentes et culpabilisantes qui l’envahiront et qu’il pourra intégrer comme venant de lui pour s’attaquer lui-même ou attaquer autrui si cette mémoire es activée par des situations rappelant les violences (par exemple à l’école ou face à ses propres enfants),
  • de la dissociation traumatique de survie pour échapper au stress produite par le cerveau lors des violences ou ensuite par des conduites dissociantes lors de l’activation de la mémoire traumatique (conduites addictives, mise en danger, violences contre soi ou contre autrui) entraînant une anesthésie émotionnelle avec une pseudo tolérance ou indifférence aux violences et à la douleur qui participe au déni ou à la minimisation des traumatismes.

Cette méconnaissance des besoins et des droits fondamentaux  des enfants et des conséquences traumatiques des violences éducatives donne aux parents un permis en toute «innocence» de taper, menacer et humilier leurs enfants, aussi petits soient-ils puisqu’un pourcentage important des violences éducatives commencent avant 2 ans, et plus de la majorité avant 7 ans. 

Quels sont les arguments pour interdire les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives

Depuis plus de 25 ans, droits et recherches universitaires en psychologie, en médecine et en sciences de l’éducation (plusieurs centaines de publications scientifiques) démontrent  sans appel que les les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives sont injustifiables, qu’elles ne sont ni utiles, ni inoffensives, et nous donnent 10 raisons pour que les parents renoncent à ce droit de correction et de domination sur leurs enfants, et pour qu’une loi les interdise explicitement en tous lieux y compris dans la famille

1 - ces pratiques portent atteinte aux droits garantis par la Convention Internationale des droits de l’enfant que la France a ratifié le 7 aout 1990 : droits à la dignité, à l’intégrité physique et psychologique des enfants, à leur santé, leur bien-être, leur développement et leurs apprentissages, ainsi qu’à la Charte sociale européenne La famille ne doit pas être une zone de non-droit, il n’est pas tolérable que les enfants restent les seules personnes en France qu’il soit possible de taper sous couvert d’éducation. La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par le Conseil de l’Europe au motif qu’elle «ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels» et le Comité des droits de l'enfant lui a demandé à deux reprises  d'interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes , y compris la maison

2 - 51 pays ont déjà interdit les châtiments corporels en tous lieux y compris la famille dont 29 en Europe : la Suède a été le premier pays à le faire en 1979.

3 - aucune étude scientifique n’a pu démontrer un effet positif des punitions corporelles sur le comportement, le développement et les capacités d’apprentissage de l’enfant. 

4 - bien au contraire elles sont corrélées fortement à des troubles cognitifs et de l’apprentissage chez les enfants, et à une augmentation de l’agressivité, des conduites à risque et des comportements anti-sociaux que l’on retrouve à l’âge adulte avec un risque de reproduire des violences intra-familiales et conjugales (8). 

5 - elles représentent un facteur de risque de maltraitances puisque 75% de celles-ci sont commises dans un cadre de punitions corporelles   de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie.

6 - il a été prouvé par de nombreuses recherches internationales qu’elles ont des conséquences traumatiques à long terme sur la santé mentale et physique des enfants. Ces recherches montrent le même risque que pour les autres violences de présenter dans l’enfance et à l’âge adulte des troubles mentaux post-traumatiques, et aussi une hyperactivité chez l’enfant.  Deux grandes études publiées dans les revues internationales Pediatrics en 2013 et CMJA en 2014  ont permis d’attribuer aux punitions corporelles 2 à 5% des troubles psychiatriques de l’axe I dans la population générale (troubles de l’humeur, troubles anxieux, conduites addictives, risque suicidaire), et 4 à 7% des troubles psychiatriques de l’axe II (troubles de la personnalité comme les personnalités borderline, schizotypiques, a-sociales), et un risque plus grand de troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, de l’immunité, d’arthrites, de douleurs chroniques et d’obésité. Interdire les violences éducatives est une affaire non seulement de respect de droits fondamentaux, mais également de santé publique.

7 - elles sont également à l’origine d’atteintes neuro-biologiques et corticales du cerveau, et de modifications épigénétiques, ces atteintes étant liées au stress, au dysfonctionnement des systèmes de régulation de la réponse émotionnelle et à l’excès de production de cortisol qui est neurotoxique. Le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable à la violence (cf l’article complet). 

8 - en revanche des méthodes éducatives non-violentes et bienveillantes ont fait leurs preuves pour bien éduquer un enfant sans châtiments corporels.

9 - il a été démontré que la réduction des punitions corporelles par les parents est suivi rapidement d’une diminution de l’agressivité, de l’anxiété et des comportements anti-sociaux chez leurs enfants.

10 - et qu’une interdiction par la loi des violences éducatives ainsi que des campagnes d’information et de soutien à la parentalité, permettent de diminuer leur nombre de façon très significative.

Nous avons donc à notre disposition tous les arguments pour interdire explicitement les punitions corporelles en tous lieux y compris la famille, et considérer que le droit de correction ne peut jamais s’appliquer puisque la santé, le bien-être et le développement de l’enfant sont mis en danger ; et il est démontré que l’abandon par les parents de ces violences éducatives permet aux enfants de ne plus être impactés par la plupart, voire la totalité de ces conséquences. 

Rappelons que la première des sept stratégies pour réduire les violences à l’encontre des enfants du programme « INSPIRE » présenté par l’OMS en 2016 est la mise en œuvre et l’application de lois interdisant aux parents d’infliger aux enfants des châtiments corporels et autres punitions violentes. 


Dre Muriel Salmona, le 30 décembre 2016
Psychiatre-psychotraumatologue
Présidente de l’association Mémoire
Traumatique et Victimologie
06 32 39 99 34
www.memoiretraumatique.org

1- des associations qui ont été très actives comme l'Observatoire de la violence éducative ordinaire (Oveo) et Stop VEO,  ainsi que la Fondation pour l'enfance et l'UNICEF et le Dr Gilles Lazimi qui a coordonné les campagnes. 
2- amendement déposé en juin, trois députés PS, Marie-Anne Chapdelaine François-Michel Lambert et Édith Gueugneau


pour en savoir plus et avoir toutes les références scientifiques 

mon ouvrage sur le sujet publié en 2016 chez Dunod : « Châtiments corporels et violences éducatives. Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses.»

et sa présentation détaillée, argumentée et complète : http://stopauxviolences.blogspot.fr/2016/08/presentation-par-muriel-salmona-de-son.html

mon article complet sur le sujet :  "Pourquoi interdire les punitions corporelles et les autres violences éducatives au sein de la famille est une priorité humaine et de santé publique." 
http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Article-Chatiments-corporels-et-violence-educative-du-1er-novembre-2014.pdf


ma contribution au livre publié par l'UNICEF  en 2015, Les enfants peuvent bien attendre : 25 regards d’experts :  "Le respect des droits des enfants à être protégés de toute forme de violence, et à recevoir tous les soins nécessaire  quand ils en sont victimes devrait être un impératif absolu pour les pouvoirs publics"
livre téléchargeable :

ainsi que deux contributions au Plus de l'Obs :



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