ENFANTS VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES
QUELLES CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES
Crédit photo Katherine Evans
Intervention de la Dre Muriel SALMONA
psychiatre, psychotraumatologue, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie
lors du colloque à la Cour de cassation le 6 octobre 2016,
« La maltraitance des mineurs »
organisé par l’ENM et la Cour de cassation
Les principales victimes de violences sexuelles sont les enfants, les filles étant trois à six fois plus exposées que les garçons : une fille sur cinq subit des agressions sexuelles (Hillis, 2016 ; OMS, 2016), un garçon sur treize (OMS, 2014). En plus d’être une grave atteinte à leurs droits, les violences sexuelles ont de lourdes conséquences psychotraumatiques à court, moyen et long termes. Elles impactent leur santé, leur scolarité, leur vie affective, sexuelle et sociale, et sont un facteur de risque majeur de re-victimisation. L’absence de dépistage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d’autant plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces. Reconnaître ces violences et leurs conséquences, dépister, protéger, soigner ces enfants et leur rendre justice est un impératif absolu et une urgence de santé publique.
I LA RÉALITÉ DES VIOLENCES SEXUELLES FAITES AUX ENFANTS
1- Des chiffres alarmants
En France, les études de victimation montrent que 59 % des femmes et 67 % des hommes victimes de viols et de tentatives de viols, les ont subis lorsqu’ils étaient mineurs. On estime que chaque année, si 86 000 femmes et 16 000 hommes sont victimes de viols et de tentatives de viol, les enfants sont bien plus nombreux à en être victimes : 124 000 filles et 30 000 garçons (CVS 2012-2015 et enquête CST INSERM, 2008), Selon les résultats de l’enquête de 2015 Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (IVSEA), conduite auprès de plus de 1200 victimes par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, : 81% des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans, et 23% avant 6 ans.
2- Déni, loi du silence, absence de protection et de reconnaissance
Les violences sexuelles sur mineurs sont donc particulièrement fréquentes mais elles restent largement sous-estimées. Le déni et la loi du silence y règnent en maître. La grande majorité des enfants victimes de violences sexuelles ne sont pas identifiés alors qu’ils sont les principales victimes de ces délits graves et de ces crimes (68% de viols dans notre enquête). Moins de 20% déclarent avoir été reconnus comme victimes et protégés, et 30% en cas de plainte, à peine plus (IVSEA, 2016).
Les enfants sont d’autant plus pris au piège, condamnés au silence et abandonnés que 94% de ces violences sont commises par des proches, et 54% par des membres de la famille. Les agresseurs - essentiellement des hommes dont le quart sont des mineurs - bénéficient presque toujours d’une totale impunité. Les enfants sont une cible privilégiée des prédateurs sexuels qui opèrent toujours dans des contextes d’inégalité, de domination masculine et de déni de droits. Ils sont vulnérables, sans défense, dépendants et soumis à l’autorité des adultes. Il est facile de les manipuler, de les menacer et de les contraindre au silence. Plus les enfants sont vulnérables (enfants handicapés, discriminés, étrangers), plus ils subissent des violences et moins ils sont protégés. Ainsi, le risque de subir des violences sexuelles pour un enfant en situation de handicap est multiplié par quatre. Pour pouvoir protéger un enfant, il faut savoir s’il subit des violences, pour cela, il faut poser des questions sans attendre qu’il parle. En effet, un enfant est rarement en capacité de parler, particulièrement lorsque les violences sont commises par des proches.
3- Méconnaissance de l’impact majeur des violences sexuelles sur la santé des enfants
La gravité des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles sur la santé des enfants est encore méconnue, de même pour les conséquences sociales sur l'apprentissage, les capacités cognitives, la socialisation, les risques de conduites asociales et de délinquance, et les risques d'être à nouveau victime de violences ou d'en être auteur (l'OMS a reconnu en 2010 que la principale cause pour subir ou commettre des violences est d'en avoir déjà subi).
Or, les violences sexuelles font partie des pires traumas, et la quasi-totalité des enfants victimes développeront des troubles psychotraumatiques. Ces traumas ne sont pas seulement psychologiques mais aussi neuro-biologiques avec des atteintes corticales et des altérations des circuits émotionnels et de la mémoire à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique, ainsi que d’une hyper-réactivité neuro-végétative, et de stratégies de survie : conduites d’évitement, de contrôle ou conduites à risque.
Alors que pour une exposition traumatique (toutes causes confondues : non seulement des violences mais également des accidents, catastrophes naturelles, morts violentes de proches, etc.) le risque que s'installent des troubles psychotraumatiques (un état de stress post-traumatique) est de 24 %, pour des violences physiques intra-familiales ou d'enfants témoins de violences, il est de 50 à 60% (Astin, 1996 ), et lors de violences sexuelles ou d'actes de barbarie, il est de plus de 80% chez les adultes (Breslau, 1991) et proche de 100% quand il s’agit de mineurs (Lindbeg, 1985).
Les troubles psychotraumatiques sont une réponse universelle et normale, présente chez toutes les victimes dans les jours et les semaines qui suivent un traumatisme (McFarlane, 2000), ils s'installent dans la durée, pendant de nombreuses années, si rien n'est fait pour protéger et soigner les victimes.
Faute d’être reconnus et soignés, ces enfants gravement traumatisés développent des stratégies hors normes pour survivre aux violences et à leur mémoire traumatique qui — telle une machine infernale à remonter le temps — leur fait revivre à l’identique ce qu’ils ont subi, comme une torture sans fin. Ces stratégies de survie (conduites d’évitement et conduites à risque dissociantes) sont invalidantes et à l’origine de fréquentes amnésies traumatiques (38-40%).
Les conséquences sur la santé à long terme seront d’autant plus graves que les victimes ont subi un viol, qu’elles avaient moins de 11 ans et que l’agresseur est un membre de la famille : risque de mort précoce par accidents, maladies et suicides (selon l’enquête une victime sur deux a tenté de se suicider), de troubles anxio-dépressifs (50% font des dépressions, angoisses, attaques de panique, phobies, troubles obsessionnels), addictions (pour 50% des victimes), de troubles cognitifs importants, de maladies liées au stress : maladies cardio-vasculaires et respiratoires, diabète, de retard de croissance, obésité, épilepsie, troubles de l'immunité (maladies infectieuses et auto-immunes : sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, maladie de Crohn, rectocolite hémorragique), troubles endocriniens (troubles thyroïdiens et hypophysaires), d’allergies, de troubles oto-rhino-laryngologiques (ORL) gynécologiques (dyspareunies, fibromes utérins, endométriose, kystes ovariens,papillomavirus), infections urinaires, digestifs (constipation chronique, gastrites, colopathies fonctionnelles) et alimentaires (boulimie, anorexie), les affections dermatologiques (psoriasis, eczéma…), de douleurs chroniques (migraines, douleurs ostéo-articulaires, fibromyalgie), troubles du sommeil, fatigue chronique, ainsi qu’un risque plus important de développer des cancers. Une grossesse consécutive à un viol sur cinq affecte une mineure. Une majorité des femmes prostituées ont subi des violences sexuelles dans leur enfance.
Pour 96% des personnes ayant participé à notre étude IVSEA 2015, les violences sexuelles commises quand elles étaient mineures ont eu des conséquences sur leur santé mentale et pour 69 % sur leur santé physique.
Avoir subi des violences dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après (étude prospective américaine de Felitti et Anda, 2010) et peut faire perdre jusqu’à 20 années d’espérance de vie si plusieurs violences sont associées (Brown, 2009).
Face à un enfant en souffrance, suicidaire ou se mettant en danger, le manque de formation fait que peu de professionnels s’interrogent sur ce que cache cette détresse, ou pensent à lui poser des questions pour savoir s’il a subi ou s’il subit des violences (ce qui devrait être systématique lors de tout entretien). Les symptômes psychotraumatiques des enfants sont fréquemment ignorés, minimisés ou banalisés, mis sur le compte de la crise d'adolescence où à l’inverse étiquetés comme des troubles du comportement ou de la personnalité, voire comme des troubles autistiques ou psychotiques sans qu’aucun lien ne soit fait avec les violences. Les enfants peuvent à tort être considérés comme ayant un retard mental et des troubles graves du développement. Les traitements proposés sont le plus souvent symptomatiques et dissociant, le but étant d’anesthésier la douleur mentale avec parfois de lourds traitements associant des antidépresseurs, des neuroleptiques, des régulateurs de l’humeur…
Pour les victimes, la non reconnaissance de leurs psychotraumatismes est une perte de chance car une prise en charge psychothérapique spécifique leur permet en traitant leur mémoire traumatique, de ne plus être colonisés par les violences et les agresseurs, d’activer une réparation neurologique et d’éviter les conséquences à long termer.
4- De nombreuses études et des recherches cliniques et neuro-biologiques sont pourtant disponibles
De nombreuses recherches cliniques et neuro-biologiques depuis plus de 10 ans ont montré que l’impact des violences sexuelles chez les victimes est non seulement psychologique, mais également neuro-biologique avec des atteintes de circuits neurologiques et des perturbations endocriniennes des réponses au stress (McFarlane, 2010). Ces atteintes ont été bien documentées, elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM, avec une diminution de l’activité et du volume de certaines structures (par diminution du nombre de synapses), et pour d’autres une hyperactivité, ainsi qu’une altération du fonctionnement des circuits de la mémoire et des réponses émotionnelles. Récemment des altérations épigénétiques ont également été mises en évidence chez des victimes de violences sexuelles dans l’enfance, avec la modification d’un gène (NR3C1) impliqué dans le contrôle des réponses au stress et de la sécrétion des hormones de stress (adrénaline, cortisol), altérations qui peuvent être transmises à la génération suivante (Perroud, 2011).
Et encore plus récemment une étude menée par une équipe internationale de chercheurs d’Allemagne, des États-Unis et du Canada et publiée début juin 2013 dans l’American Journal of Psychiatry (Heim, 2013) a mis en évidence des modifications anatomiques visibles par IRM de certaines aires corticales du cerveau de femmes adultes ayant subi dans l’enfance des violences sexuelles. Fait remarquable, ces aires corticales qui ont une épaisseur significativement diminuée par rapport à celles de femmes n’ayant pas subi de violences, sont celles qui correspondent aux zones somato-sensorielles des parties du corps ayant été touchées lors des violences (zones génitales, anales, buccales, etc.). Et l’épaisseur de ces zones corticales est d’autant plus diminuée que les violences sexuelles ont été plus graves (viols, plusieurs agresseurs,…).
Ces nombreuses recherches ont déjà permis de faire le lien entre les découvertes neuro-biologiques et la clinique des psychotraumatismes. La compréhension du lien fait appel à l’élaboration d’un modèle théorique (Shin, 2006 ; Yehuda, 2007, Salmona, 2008 et 2012), c’est-à-dire d’une explication qui permet de mieux appréhender des mécanismes, le modèle ne pouvant prétendre expliquer la réalité dans sa totalité. J’ai participé à cette élaboration qui permet de décrire les mécanismes psychiques et neuro-biologiques à l’œuvre lors des violences, et de donner une explication et une cohérence aux différents symptômes psychotraumatiques qui sinon paraissent paradoxaux et sont difficilement compréhensibles.
II L’IMPACT PSYCHOTRAUMATIQUE DES VIOLENCES SEXUELLES FAITES AUX ENFANTS
1- Les mécanismes psychotraumatiques
Les violences aboutissent à la constitution d’une mémoire traumatique de l’événement, symptôme central du psychotraumatisme. cette mémoire est différente de la mémoire autobiographique normale, il s’agit d’une mémoire non intégrée et piégée dans certaines structures du cerveau. Les mécanismes à l’origine de cette mémoire traumatique sont assimilables à des mécanismes exceptionnels de sauvegarde qui sont déclenchés par le cerveau pour échapper au risque vital que fait courir une réponse émotionnelle extrême face à un trauma.
La sidération psychique
Les violences sexuelles sont terrorisantes et incompréhensibles pour les enfants, elles créent une effraction psychique qui provoque un état de sidération. Les enfants se retrouvent paralysés psychiquement et physiquement, pétrifiés, dans l’incapacité de réagir, de crier, de se défendre ou de fuir. Cette sidération de l’appareil psychique bloque toute représentation mentale et empêche toute possibilité de contrôle de la réponse émotionnelle majeure qui a été déclenchée par une structure cérébrale sous-corticale archaïque de survie : l'amygdale cérébrale. La sidération est d’autant plus importante que l’enfant est jeune et dans l’incapacité de comprendre ce qui se passe.
L'amygdale cérébrale s'apparente à une alarme qui s'allume automatiquement lors de toute situation de menace (la menace peut-être visuelle, auditive, sensitive, émotionnelle) avant même que celle-ci soit identifiée et comprise par les fonctions supérieures, cette alarme a pour fonction d’alerter et de préparer l’organisme pour qu’il répondre à un danger, lui faire face ou le fuir. Elle peut s’activer chez le foetus dès le 3ème trimestre de la grossesse, chez le nouveau-né dès la naissance, elle s’active même si la victime n’a pas les capacités de comprendre intellectuellement ce qui lui arrive (enfants très jeunes, enfants avec de lourds handicaps mentaux, enfants n’étant pas conscients : endormis, drogués). Cela signifie que le danger d’une situation, l’intentionnalité de nuire d’un agresseur va être perçue par l’amygdale cérébrale indépendamment de sa mise en scène qui, elle, peut tromper les fonctions supérieures de la victime (ses capacités d’analyse, de compréhension et de mémorisation).
L’amygdale cérébrale déclenche une réponse émotionnelle avec une hypervigilance et la production d'hormones de stress : adrénaline et cortisol qui fournissent l'organisme en "carburant" (oxygène et glucose). Comme toute alarme, par sécurité, elle ne s'éteint pas spontanément, seul le cortex cérébral et l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissage et du repérage temporo-spatial) peuvent la moduler ou l'éteindre grâce à des représentations mentales et l’expérience de situations analogues (intégration, analyse et compréhension de la situation et prise de décisions).
Disjonction du circuit émotionnel
Lors de violences, la sidération fait que le cortex paralysé est dans l'incapacité de moduler l'alarme qui continue donc à « hurler » et à produire une grande quantité d'hormones de stress. L'organisme se retrouve en état de stress extrême, avec rapidement des taux toxiques d'hormones de stress qui représentent un risque vital cardiovasculaire (adrénaline) et neurologique (le cortisol est neurotoxique). Pour échapper à ce risque vital, comme dans un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour protéger les appareils électriques, le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel à l'aide de neurotransmetteurs qui sont des « drogues dures » anesthésiantes et dissociantes (morphine-like et kétamine-like, des endorphines et des antagonistes des récepteurs de la NDMA).
Dissociation et mémoire traumatique
Cette disjonction en isolant l'amygdale cérébrale éteint la réponse émotionnelle et fait disparaître le risque vital en créant un état d'anesthésie émotionnelle et physique. L’amygdale reste allumée tant que le danger persiste mais elle est isolée du reste du cerveau. Cette disjonction est à l'origine d'une dissociation traumatique, un trouble de la conscience lié à la déconnection avec le cortex, qui entraîne une sensation d'irréalité, d'étrangeté, d’absence, et qui donne à l’enfant l’impression d'être spectateur des événements, de regarder un film. Mais cette disjonction isole également l'amygdale cérébrale de l'hippocampe (autre structure cérébrale, sorte de logiciel qui gère la mémoire et le repérage temporo-spatial, sans elle aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé). L'hippocampe ne peut pas faire son travail d'encodage et de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences, celle-ci reste piégée dans l'amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Elle va rester hors temps, non-consciente, à l'identique, susceptible d'envahir le champ de la conscience et de refaire revivre la scène violente de façon hallucinatoire, comme une machine à remonter le temps, avec les mêmes sensations, les mêmes douleurs, les mêmes phrases entendues, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et de terreur (ce sont les flashbacks, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de panique…). C'est cette mémoire piégée dans l’amygdale qui n’est pas devenue autobiographique qu'on appelle la mémoire traumatique.
La disjonction se produit d’autant plus rapidement que la sidération est importante ou que les fonctions supérieures sont désactivées ou immatures (enfants très jeunes, endormis, drogués, avec des handicaps mentaux ou sensoriels). Le traumatisme sera alors d’autant plus massif.
2- Dissociation traumatique
L’enfant se retrouve alors déconnecté de ses émotions et du stress. Subitement, il bascule dans une situation où tout lui paraît irréel, extérieur à lui-même, comme s’il était spectateur des événements : il est anesthésié émotionnellement et physiquement, et semble tout supporter. Cette dissociation traumatique perdure chez l’enfant tant qu’il est confronté aux personnes qui lui font subir des violences, ou au contexte, ou à une profonde incompréhension de ce qu’il vécu.
Pendant la dissociation, l’amygdale et la mémoire traumatique qu’elle contient est déconnectée, et la victime n’aura pas accès émotionnellement et sensoriellement aux événements traumatiques. Cet état dissociatif anesthésie et empêche la victime d’identifier et de prendre la mesure des violences qu’elle subit ou qu’elle a subies. Les faits les plus graves lui semblent tellement irréels qu’ils perdent toute consistance, comme s’ils n’existaient pas vraiment. Suivant l’intensité de la dissociation, la victime pourra être comme amnésique de tout ou partie des événements traumatisants, seules resteront quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails isolés. Cette amnésie traumatique est fréquente chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance (près de 60% des enfants victimes présentent des amnésies partielles des faits et 40% des amnésies totales (Brière, 1993, Williams, 1995, Widom, 1996, IVSEA, 2015). Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies..
La victime dissociée reste donc comme indifférente non seulement aux violences qu’elle continue à subir, mais également à la mémoire traumatique de celles qu’elle a déjà subies. Cette mémoire traumatique s’active pourtant tout de suite après le trauma dès qu’un lien, une situation, une sensation, une confrontation à l’agresseur rappelle les évènements traumatiques, elle envahit le psychisme de la victime mais elle ne va pas être accompagnée de ressentis émotionnels ce qui la rend irréelle, désincarnée, indistincte, perdue au milieu de toutes les représentations psychiques. Les perceptions sensorielles et kinesthésiques de la mémoire traumatique (images, odeurs, sons, sensations corporelles) sont déconnectées de leur charge affective et émotionnelle : détresse, terreur, dégoût…. Les évènements sont là, mais à distance, comme dans un brouillard, ils ne s’imposent pas émotionnellement, ce qui entraîne chez la victime une sorte d’indifférence face aux violences et une forme de tolérance à la souffrance.
Ce n’est pas pour autant que ces violences et ces réminiscences en sont moins stressantes et traumatisantes, bien au contraire puisqu’il n’y a pas de réflexe de défense et de protection (de même, lorsqu’on pose sa main anesthésiée sur une plaque électrique, ce n’est pas parce qu’on ne ressent pas la douleur, qu’on ne va pas être gravement brûlé).
La dissociation traumatique est une véritable hémorragie psychique qui vide la victime de tous ses désirs, et annihile sa volonté. La victime dissociée se sent perdue avec un sentiment d’étrangeté, elle ne se reconnaît plus. Elle est privée de ses émotions, déconnectée d’elle-même et du monde extérieur, dans l’incapacité de penser ce qui se passe et d’y réagir de façon adaptée. Elle est sur mode automatique, avec un sentiment d’absence au monde, d’être coupée d’elle-même et de son corps. La victime est comme indifférente au danger et à la douleur. La dissociation enferme la victime un espace mental hors temps, où l’avenir n’a pas de réalité.
Cette dissociation rend très difficile voire impossible toute opposition ou toute défense mentale et physique vis à vis de toutes les violences qui sont exercées contre elle : les paroles assassines, les coups, les humiliations ne rencontrent aucune résistance. Cela rend la victime très vulnérable à l’agresseur, qui peut exercer une emprise totale sur elle, coloniser son psychisme, la réduire en esclavage, et lui faire subir en toute tranquillité tous les sévices qu’il veut exercer comme si elle était un pantin, parfois pendant de longues années. L’agresseur peut la soumettre physiquement, l’esclavagiser et la coloniser psychologiquement pour lui faire faire et lui faire penser ce qu’il veut, et la formater pour qu’elle se ressente comme coupable, nulle, sans valeur, sans droit, un objet à sa disposition.
La dissociation est un facteur de risque majeur de re-victimisation et de mise sous emprise (70% des victimes de violences sexuelles subissent d’autres violences sexuelles tout au long de leur vie, IVSEA, 2015). Les prédateurs vont cibler de préférence une personne déjà dissociée par des violences précédemment subies, le plus souvent dans l’enfance, ce qui leur garantit à la fois une impunité et la possibilité d’exercer quasiment sans limite les pires sévices. Les personnes dissociées, particulièrement les enfants, sont fréquemment perçues comme bizarres, ou bien comme étant masochistes, ou comme ayant une pathologie mentale (psychose, troubles autistiques,…).
De plus, l’enfant dissocié est souvent considéré comme limité intellectuellement, « bête », « débile », incapable de comprendre ce qui se passe et d’y réagir, et il sera en butte à des moqueries, des humiliations et des maltraitances de la part de tous. L’enfant sera donc à risque de subir des harcèlements et d’autres violences. Dans le film Polisse nous assistons à une scène de ce type avec la jeune adolescente qui a été obligée de faire des fellations à plusieurs garçons pour récupérer son téléphone portable. Elle semble si indifférente à la situation que les policiers se permettent de lui faire la leçon et même de se moquer d’elle en lui posant la question : « Et si on t’avait pris ton ordinateur portable qu’est-ce que t’aurais fait ? » Et les policiers d’éclater de rire, tout comme les spectateurs… Ils se moquent d’une victime gravement traumatisée.
Les victimes dissociées sont des proies de choix pour les prédateurs. La confusion, la désorientation liées aux symptômes dissociatifs, entraînent des troubles cognitifs et des doutes continuels sur ce qui est perçu, entendu, sur ce qu'on a dit et sur ce qu'on a compris, rendent la victime vulnérable, et la mettent en grande difficulté pour défendre ses convictions et ses volontés. Déconnectées de leur cortex frontal (siège de l’analyse intellectuelle et de la prise de décisions) et de leur hippocampe (système d’exploitation qui gère leur mémoire et leurs apprentissages), les victimes dissociées sont facilement influençables et « hypnotisables », il leur est très diffcile de dire non. Elles fonctionnent souvent sur un mode automatique, préprogrammé. Elles n'ont aucune confiance en elles, et elles se retrouvent bien malgré elles à céder aux désirs d'autrui quand on fait pression sur elles. Plus l'interlocuteur est dangereux, plus il réveillera chez la victime qu'il s'est choisie, une mémoire traumatique et une dissociation par des attitudes et des paroles déplacées ou incongrues, par une mise en scène de domination, et la mettra dans un état hypnoïde qui la rendra incapable de penser, de se défendre, de s’opposer et de dire non. Cet état d'incapacité, les victimes le penseront dû à leur stupidité, à leur infériorité ou à leur timidité maladive, alors qu'il est directement lié au déclenchement de mécanismes de sauvegarde face au danger que représente l’interlocuteur. Mécanismes qui pourraient être une bonne sonnette d'alarme, si les victimes en étaient informées. Mais au lieu de cela, cette situation de danger sera interprétée à l'avantage de l'interlocuteur pervers. Ce dernier sera souvent perçu par les victimes « hypnotisées » et par l’entourage comme quelqu'un de supérieur et d'important, de beaucoup plus intelligent qu'elles, quelqu'un de fascinant, d’une autre essence, quelqu'un dont elles pourraient même se croire « amoureuses » alors qu’il n’en est rien et qu’elles sont juste terrorisée et sous emprise, du fait de ces mécanismes de dissociation.
Les victimes dissociées sont des proies de choix pour les proxénètes. Les jeunes filles ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance par des proches, avec lesquels elles vivent le plus souvent, vont être gravement dissociées. Du fait de cette dissociation, elles vont être recherchées par les proxénètes et particulièrement appréciées des clients puisqu’elles vont pouvoir tolérer des situations de violences sexuelles avec des pratiques douloureuses, humiliantes, et de gaves atteintes à leur intégrité physique et psychique, et leur dignité sans avoir la capacité de s’y opposer et de s’en révolter, en gardant même le sourire. On retrouve chez les personnes en situation prostitutionnelle des antécédents de violences avec de multiples violences exercées le plus souvent depuis la petite enfance : 59% de maltraitance, de 55% à 90% d’agressions sexuelles dans l’enfance, (étude de Mélissa Farley en 2003 dans 9 pays et 854 personnes prostituées, ces pourcentages sont corroborés par de nombreuses autres études), le taux d’antécédents de violences sexuelles retrouvés chez les personnes prostituées est extrêmement important et le lien entre violences sexuelles subies pendant l'enfance et entrée en prostitution est très significatif.
Ainsi, l’enfant semblera indifférent aux violences qu’il subit, mais il n’en sera pas moins traumatisé.
Une victime dissociée, court un grand risque de ne pas être repérée, ni protégée. Alors que chacun a la capacité de percevoir de façon innée les émotions d’autrui, grâce à des neurones miroirs, il n’y aura pas de ressenti émotionnel en face d’une personne anesthésiée ; ce n’est qu’intellectuellement que la souffrance de cette personne pourra être identifiée. Les proches et les professionnels, ne comprenant pas cette dissociation, y réagiront par une absence d’empathie, une minimisation des violences subies par l’enfant et de sa souffrance, une incrédulité, voire une remise en question de sa parole et de la réalité des violences.
Une victime dissociée, court un grand risque de ne pas être crue, ni reconnue par la justice. Les victimes dissociées ne vont pas avoir le comportement que l’on attend d’elles. Elles seront dans un état de déconnection tel qu’elles ne pourront pas parler, ni porter plainte, et ce parfois pendant des années si elles restent en contact avec l’agresseur ou dans le contexte où ont eu lieu les violences. On leur reprochera d’avoir attendu trop longtemps, et cela alimentera des doutes sur leur bonne foi.
La dissociation traumatique va rendre le récit des victimes décousu, elles auront continuellement des doutes sur ce qui s’est passé avec un sentiment d’irréalité, de nombreux épisodes seront frappés d’amnésie, et du fait de la déconnection avec l’hippocampe, elles auront beaucoup de mal à se retrouver dans les repérages temporo-spatiaux concernant les dates et les lieux où se sont produits violences. Plus leur interlocuteur sera incrédule ou agacé, plus elles seront dissociées et perdues.
De même les confrontations avec l’agresseur aggraveront leur dissociation et les re-traumatiseront massivement, elles perdront encore plus leur capacité, seront envahies par un sentiment d’irréalité, se retrouveront facilement sous l’emprise de l’agresseur et pourront remettre en cause ce qu’elles ont dit précédemment, voire même se rétracter.
3- Mémoire traumatique
La mémoire traumatique se met en place dès la disjonction, nous l’avons vu c’est une mémoire émotionnelle des violences contenue dans l’amygdale cérébrale qui n’a pas pu être traitée par l’hippocampe dont elle est déconnectée. L'hippocampe est une structure cérébrale qui intègre et transforme la mémoire émotionnelle en une mémoire autobiographique, verbalisable. Tel un logiciel, l’hippocampe est indispensable pour stocker et aller rechercher les souvenirs et les apprentissages, et pour se repérer dans le temps et l’espace : avec la disjonction ces fonctions seront gravement perturbées.
La mémoire traumatique est donc une mémoire émotionnelle enkystée, une mémoire « fantôme » hypersensible et incontrôlable, prête à « exploser » en faisant revivre à l'identique, avec le même effroi et la même détresse les événements violents, les émotions et les sensations qui y sont rattachées, comme une machine à remonter le temps. Elle « explose » aussitôt qu'une situation, un affect ou une sensation rappelle les violences ou fait craindre qu'elles ne se reproduisent. Elle sera comme une « bombe à retardement » susceptible d'exploser souvent des mois, voire de nombreuses années après les violences. Quand elle « explose » elle envahit tout l'espace psychique de façon incontrôlable. Elle transforme la vie psychique en un terrain miné. Telle une "boîte noire" elle contient non seulement le vécu émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime, mais également tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte et à l'agresseur (ses mimiques, ses mises en scène, sa haine, son excitation, ses cris, ses paroles, son odeur, etc).
Mais tant que les enfants victimes sont dissociés, cette explosion de la mémoire traumatique se produira avec des émotions et des douleurs qui seront anesthésiées, l’enfant victime semblera ne pas en souffir et les tolérer, en réalité elles aggraveront l’impact traumatique, et rechargeront plus encore la méoire traumatique, telle une cocotte minute.
Quand les victimes sortiront de leur état dissociatif, la mémoire traumatique sera alors ressentie sans le filtre de la dissociation et cela sera intolérable.
Si la dissociation disparaît, ce qui peut se produire quand la victime est enfin sécurisée et qu’elle n’est plus en permanence confrontée à des violences, à leur contexte, ou à son agresseur, ou bien parce qu’elle sort de son état d’incompréhension et de confusion en grandissant, en accédant à des informations, à une thérapie ou en étant confrontée à un contexte sexuel, à une grossesse, ou à d’autres violences. Alors, la mémoire traumatique s’impose avec un tel cortège émotionnel que la gravité des violences et de leurs conséquences apparaît soudain à la victime dans toute son horreur. La victime peut être confrontée à un véritable tsunami d’émotions et d’images qui vont la terrifier, elles vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et détresse, c’est une véritable torture. Cela peut entraîner un état de peur panique avec sentiment de mort imminente, d’agitation, d’angoisse intolérable, de douleurs atroces, ainsi qu’un état confusionnel. Ces symptômes sont si impressionnants que la victime peut se retrouver aux urgences médicales ou chirurgicales (elle peut même être opérée en urgence) ou bien être hospitalisée en psychiatrie (avec souvent un diagnostic erroné de bouffée délirante ou d’entrée dans une schizophrénie), et cet état est fréquemment accompagné d’un risque suicidaire très important, d’autant plus si la victime a été confrontée à une intentionnalité meurtrière au moment des violences, elle revit cette intentionnalité comme si elle émanait d’elle, dans une compulsion à se tuer.
C’est à ce moment là, que les victimes sortent de leur état de « pseudo indifférence » et de leur amnésie traumatique dissociative, et peuvent enfin avoir la capacité de réaliser la gravité de ce qu’ils ont subi et de dénoncer les violences. Cette sortie d’état dissociatif peut se produire plusieurs années après les violences, voire plusieurs dizaines d’années après, alors que les faits sont prescrits.
De nombreuses situations sont donc susceptibles de déclencher cette mémoire traumatique : une date, une heure de la journée, un endroit, une situation ou des détails (une odeur, un goût, un bruit, des sons, des paroles, des objets, des éléments du décor, des couleurs, du sang) qui rappellent le contexte, un moment de stress ou une peur, un examen médical, des douleurs, des cris, des sensations et des émotions (qui rappellent celles ressenties lors des violences), revenir sur les lieux où ces violences se sont produites, être confronté avec les personnes qui ont commis les violences ou avec leurs complices, etc.
La mémoire traumatique sera souvent responsable non seulement de sentiments de terreur, de détresse, de mort imminente, de douleurs, de sensations inexplicables, mais également de sentiments de honte et de culpabilité, et d'une estime de soi catastrophique qui seront alimentés par la mémoire traumatique des paroles de l'agresseur, de ses gestes et ses mises en scène, de sa haine et de son mépris, et de son excitation perverse. Tout y est mélangé, sans identification, ni tri, ni contrôle possible. Au moment des violences cette indifférenciation empêchera la victime de faire une séparation entre ce qui vient d’elle et de l’agresseur, elle pourra à la fois ressentir une terreur qui est la sienne, associée à une excitation et une jouissance perverses qui sont celles de l’agresseur. De même il lui sera impossible de se défendre des phrases mensongères et assassines de l’agresseur : « tu aimes ça », « c’est ce que tu veux », « c’est ce que tu mérites », elles s’installeront telles quelles dans l’amygdale cérébrale. Après les violences, cette mémoire traumatique y restera piégée.
A titre d’exemple, un enfant qui a subi des violences avant d’apprendre à parler, pourra dix ans après, au moment où sa mémoire traumatique se manifestera, se retrouver dans l’incapacité de parler, il ne pourra que pleurer ; de même un enfant ayant subi des violences sexuelles dans le noir, au moment où sa mémoire traumatique se manifestera, ne verra plus rien ; un enfant attaché, ne pourra pas bouger, un enfant qu’on aura étranglé ou suffoqué par une pénétration orale, ne pourra plus respirer. De surcroît, comme la mémoire traumatique porte non seulement sur les violences subies, mais aussi sur l’agresseur et ses paroles, l’enfant pourra entendre, plusieurs années plus tard, des phrases prononcées par l’agresseur telles que « tu ne vaux rien », « tu es nul », « tu ne mérites pas de vivre », etc. Ce mécanisme explique pourquoi les enfants se sentent aussi coupables et ont de telles atteintes à leur estime de soi, ils sont en permanence colonisés par les agresseurs.
Cela explique également que quand les enfants sont tout petits (avant 6-7 ans) et/ou quand ils sont très dissociés, privés de leurs émotions et qu’ils n’ont pas encore de représentations suffisantes de ce qui est interdit, ils peuvent lors d’un allumage de leur mémoire traumatique rejouer les scènes de violences sexuelles qui les envahissent du côté victimes comme du côté agresseur, et avoir des comportements sexuels inappropriés en public : se déshabiller, exposer leur sexe, se masturber, se mettre des objets dans le sexe, toucher le sexe d’adulte, se frotter, tenir des propos hypersexualisés, injurieux, voire agresser sexuellement d’autres enfants. Ces troubles du comportements doivent immédiatement alerter, ils signent un trauma sexuel.
Il faut rappeler qu’un foetus, un nouveau-né, un nourrisson traumatisé, un enfant non-conscient des faits de violences car endormi, drogué, trop petit ou trop handicapé intellectuellement pour comprendre peut développer une mémoire traumatique, même s'il ne lui est pas possible de se souvenir de façon autobiographique des violences (l'hippocampe n'étant fonctionnel pour la mémoire autobiographique qu'à partir de 2-3 ans).
Au final, la mémoire traumatique transforme la vie en un espace miné, c’est une véritable torture. On ne peut pas vivre avec une mémoire traumatique. Si sa mémoire traumatique n’est pas soignée, l’enfant est condamné à mettre en place des stratégies de survie nécessaires mais qui seront très handicapantes, et qui lui seront souvent reprochées.
Soit l’enfant est dissocié et ne ressent plus cette mémoire traumatique s’il subit continuellement des violences, ou s’il reste en contact avec l’agresseur et le contexte des violences. Soit l’enfant est sécurisé, par exemple à l’école ou bien plus tard quand il ne sera plus du tout en contact avec le système agresseur, et il est alors envahi par sa mémoire traumatique. Dans le contexte de l’école : celle-ci peut s’exprimer par des attaques de paniques, une grande détresse, mais également par une violence dans ses propos et dans ses actes (quand il est envahi par la violence de l’agresseur).
4- Les stratégies de survie mises en place par les enfants traumatisés.
Quand les victimes sont abandonnées sans protection, ni solidarité, ni soutien, ni (ce qui est le cas pour 83% des victimes, enquête IVSEA, 2015), elles sont condamnées à mettre en place des stratégies de survie handicapantes et épuisantes.
1 Pendant les violences et tant que l’enfant est exposé à l’agresseur, trois mécanismes principaux sont mis en place pour y survivre :
- la fuite, quand elle est possible et c’est rare, elle représente souvent un grand danger pour l’enfant. Une fugue chez un enfant ou un départ précoce du milieu familial chez un adolescent doivent toujours faire rechercher des violences qui pourraient en être à l’origine.
- un mécanisme d’adaptation pour éviter la survenue de violences et le risque de rejet et d’abandon, les enfants s’hyperadaptent à leurs agresseurs et pour cela ils s’identifient à eux, ils apprennent à percevoir et à anticiper leurs moindres changements d’humeur. Ils deviennent de véritables scanners, capables de décrypter et d’anticiper les besoins de leurs bourreaux. Il est essentiel que ceux-ci ne soient jamais contrariés, énervés ni frustrés, il faut donc les connaître parfaitement, être en permanence attentifs à ce qu’ils font, à ce qu’ils pensent. Ce phénomène peut donner l’impression aux enfants d’être très attachés à leurs bourreaux puisque ces derniers prennent toute la place dans leur tête (syndrome de Stockholm). Les enfants peuvent croire que leurs agresseurs comptent plus que tout pour eux (c’est ce que leur rappelle sans cesse l’agresseur : « je suis tout pour toi, sans moi tu n’es rien…»), et penser que ce qu’ils ressentent est un sentiment amoureux alors que c’est une réaction d’adaptation à une situation de mise sous terreur.
- un mécanisme neuro-biologique de protection mis en place par le cerveau face au stress extrême et à des situations intolérables, qui s’enclenche automatiquement : la dissociation traumatique. Tant qu’il y a danger (tant que les violences perdurent), tant que le risque qu’il se reproduise persiste (tant que la victime est en contact avec l’agresseur ou avec le contexte des violences), tant que le danger n’a pas été identifié (tant que la victime n’a pas réalisé ce qui s’est passé parce qu’elle était très petite, non consciente au moment des violences : droguée, alcoolisée, endormie, manipulée) l’amygdale cérébrale reste allumée au maximum en permanence, ce qui fait disjoncter en permanence le circuit émotionnel pour protéger les organes vitaux que sont le cerveau et le coeur, et entraîne en permanence une dissociation traumatique chez les victimes. Les enfants sont alors déconnectés de leurs émotions, avec une anesthésie émotionnelle et un seuil de douleur très augmenté. Ils se retrouvent à fonctionner sur un mode automatique, comme robotisés, détachés d’eux-mêmes, comme s’ils étaient spectateurs. Cela entraîne une pseudo-tolérance à l’intolérable : « même pas mal !». Tant que dure cette dissociation, la situation paraît irréelle et il est très difficile pour les enfants d’arriver à identifier la gravité des violences qu’ils subissent. De plus cette dissociation traumatique fera que face aux agresseurs ou à toute autre personne, les enfants paraîtront indifférents à leur sort, inertes, puisqu’ils seront coupés de leurs émotions. Grâce à cette dissociation les agresseurs ne sont pas gênés par des signaux de détresse trop importants de leurs victimes, c’est très dangereux pour les enfants car les actes violents pourront devenir de plus en plus extrêmes, sans qu’ils puissent y réagir (en revanche l’anesthésie émotionnelle ne les empêchera pas d’être encore plus traumatisés). De même les proches ne détecteront pas facilement la détresse et la souffrance des enfants, et passeront d’autant plus à côté. Enfin, cette dissociation est, comme nous l’avons vu, un facteur de risque important d’être maltraité, de devenir le souffre-douleur de tout le monde.
2 Après les violences, quand les enfants ne sont plus confrontés à l’agresseur, et qu’ils sont en mesure de comprendre, les enfants sortent de leur état dissociatif permanent, mais nous l’avons vu la mémoire traumatique prend le relais et ils continuent d’être colonisés par les violences et l’agresseur aussitôt qu’un lien les rappelle (lieu, situation, sensation, émotion,…). Et c’est soudain insupportable et cela peut donner l’impression de sombrer dans la folie, c’est souvent vécu par les victimes comme pire que l’état de dissociation antérieur et si elles n’ont pas d’explications sur les mécanismes qui en sont la cause elles peuvent être tentées de retourner voir l’agresseur ou de reprendre contact avec le contexte violent (comme la famille incestueuse, la prostitution ou les fréquentations dangereuses). Les victimes traumatisées doivent alors essayer d’éviter à tout prix cette mémoire traumatique hyper anxiogène et douloureuse, pour cela deux stratégies sont possibles :
- L'enfant pour éviter les déclenchements effrayants de sa mémoire traumatique, va mettre en place des conduites de contrôle et d'évitement vis-à-vis de tout ce qui est susceptible de la faire « exploser » (avec des angoisses de séparation, des comportements régressifs, un retrait intellectuel, des phobies et des troubles obsessionnels compulsifs comme des lavages répétés ou des vérifications incessantes, une intolérance au stress), il va fréquemment se créer un petit monde sécurisé parallèle où il se sentira en sécurité qui peut être un monde physique (comme sa chambre, entouré d’objets, de peluches ou d’animaux qui le rassure) ou mental (un monde parallèle où il se réfugie continuellement).Tout changement sera perçu comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place et il adoptera des conduites d'hypervigilance (avec une sensation de peur et de danger permanent, un état d'alerte, une hyperactivité, une irritabilité et des troubles de l'attention). Ces conduites d’évitement et d’hypervigilance sont épuisantes et envahissantes, elles entraînent des troubles cognitifs (troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire) qui ont souvent un impact négatif sur la scolarité et les apprentissages.
Mais les enfants traumatisés sont souvent contrecarrés dans leurs conduites d'évitement et de contrôle par un monde adulte qui ne comprend rien à ce qu'ils ressentent. Ils doivent s'autonomiser et s'exposer à ce qui leur fait le plus peur, comme être séparé d'un parent ou d'un adulte protecteur, dormir seul dans le noir, être confronté à son agresseur ou à quelqu'un qui lui ressemble, à des situations nouvelles et inconnues, etc. Quand un enfant n'est pas sécurisé et n'a pas la possibilité de mettre en place des conduites d'évitement efficaces, sa mémoire traumatique va exploser fréquemment ce qui le plonge à chaque fois dans une grande détresse jusqu'à ce qu'il se dissocie par disjonction, mais du fait d'une accoutumance aux drogues dissociantes sécrétées par le cerveau, le circuit émotionnel va de moins en moins pouvoir disjoncter, ce qui engendre une détresse encore plus intolérable qui ne pourra être calmée ou prévenue que par des conduites à risque dissociantes.
-Ces conduites à risque dissociantes dont l'enfant et l'adolescent expérimentent rapidement l'efficacité servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant et calmer ainsi l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue. Cette disjonction provoquée peut se faire de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé qui augmentera la quantité de drogues dissociantes sécrétées par l'organisme, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, stupéfiants).
Ces conduites à risques dissociantes sont des conduites auto-agressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), des mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations dangereuses), des conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, troubles alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et violentes contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter et s'anesthésier).
Les conduites à risques sont donc des mises en danger délibérées. Elles consistent en une recherche active voire compulsive de situations, de comportements ou d'usages de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen terme. Le risque est recherché pour son pouvoir dissociant direct (alcool, drogues) ou par le stress extrême qu'il entraîne (jeux dangereux, scarifications,…), et sa capacité à déclencher la disjonction de sauvegarde qui va déconnecter les réponses émotionnelles et donc créer une anesthésie émotionnelle et un état dissociatif. Mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive, et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses proches, aux professionnels). Elles sont chez les victimes à l'origine de sentiments de culpabilité et d'une grande solitude, qui les rendent encore plus vulnérables. Elles peuvent entraîner un état dissociatif permanent comme lors des violences avec la mise en place d’un détachement et d’une indifférence apparente qui les mettent en danger d’être encore moins secourues et d’être ignorées et maltraitées.
Ces conduites à risque dissociantes servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant. Il faut comprendre qu’un enfant traumatisé trouvera préférable de se scarifier ou de se mettre en danger pour s’anesthésier, plutôt que de revivre les violences extrêmes qu’il a subies. Ce comportement paraît incompréhensible, mais il est au contraire très logique. Il est d’ailleurs très important que les enfants puissent accéder à cette logique, puissent comprendre les mécanismes en jeu, car dans le cas contraire ils ont l’impression qu’ils sont bizarres, différents des autres, incapables d’être comme les autres. Les enfants doivent être informés des conséquences psychotraumatiques afin qu’ils puissent comprendre ce qu’ils ressentent et donc mieux gérer et désamorcer leur mémoire traumatique, et se rassurer quant à leur « normalité ».
Du fait de ces stratégies de survie une victime de violences sexuelle dans l’enfance peut à l’adolescence et à l’âge adulte osciller entre :
- une impossibilité ou une très grande difficulté d’avoir une vie sexuelle avec une personne qu’elle aime, la plupart des gestes et les sensorielles (tactiles, olfactives) d’un acte sexuel entraînant des réminiscences traumatiques les rendant insupportables ou très angoissants, générant des sensations de rejet et de dégoût impossibles à surmonter, des douleurs intolérable (douleurs pelviennes, dyspareunies, vaginismes, cystites, douleurs lombaires, mais également en cas de violences sexuelles concernant la sphère buccale, des contractures très douloureuses de la mâchoire, des nausées incoerctives, des vomissements), à tel point qu’un rapport sexuel ne sera possible qu’en étant dissocié (drogué, alcoolisé ou après s’être stressé par des images mentales violentes), elle peut également éviter tout examen gynécolgique, anal, stomatologique ou dentaire.
- et lors de situations de grand mal-être, des conduites à risques sexuelles, avec des rencontres avec des inconnus sans protection, avec des actes sexuels violents (auto-agressifs ou dans le cadre de pratiques « sado-masochistes »), des mises en danger sur internet ou avec des personnes manifestement perverses, des auto-agressions avec des masturbations compulsives violentes, des blessures sexuelles infligées, des scarifications, voire même des pratiques prostitutionnelles, pour se dissocier.
De plus l’état dissociatif quasi permanent dans lequel se retrouvent les victimes leur donne la douloureuse impression de n’être pas elles-mêmes, d’avoir un faux-self, comme dans une mise en scène permanente. L’anesthésie émotionnelle les oblige à «jouer» des émotions dans les relations avec les autres, avec le risque de n’être pas tout en fait en phase, de sur ou sous-jouer.
Des risques d’auto-agressions, de suicides, et de subir à nouveau des violences ou d’en reproduire
La mémoire traumatique et les conduites dissociantes peuvent être à l’origine de risques vitaux, avec un risque décuplé de mourir précocement d’accident (avec les mises en danger) ou de suicide. Dans l’enquête d’AIVI (l’Association internationale des victimes d’inceste) et dans le questionnaire de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie (rapport Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015), près de 50% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont fait des tentatives de suicide.
Si certaines tentatives de suicide peuvent être liées à une volonté réfléchie d’en finir avec une vie de souffrance, la plupart sont dues à la mémoire traumatique de la volonté destructrice et criminelle de l’agresseur qui, en envahissant le psychisme de la personne victime, peut la faire brutalement basculer dans un passage à l’acte suicidaire. Celui-ci reproduit soit une tentative de meurtre subie par le passé, soit le « tu ne vaux rien, tu n’es rien, tu ne mérites pas de vivre, tu es indigne, tu n’es qu’un déchet à jeter, etc. » mis en scène par l’agresseur. La victime est colonisée par le désir meurtrier de l’agresseur qui s’impose à elle, comme s’il émanait de ses propres pensées. C’est intolérable, et répondre à cette injonction en se supprimant, dans une compulsion dissociante, devient la seule solution pour échapper à cette scène et pour éteindre cette violence qui explose en elle.
Du fait de ces conduites dissociantes à risque, laisser des victimes de violences traumatisées sans soin est un facteur de risque de reproduction de violences de proche en proche et de génération en génération, les victimes présentant un risque important de subir à nouveau des violences, et aussi d’en commettre avant tout contre elles-mêmes, et pour un petit nombre d’entre elles contre autrui, ce qui suffit à alimenter sans fin un cycle des violences. L’OMS a reconnu en 2010 que le facteur principal pour subir ou commettre des violences est d’en avoir déjà subi.
Reproduire les violences qu’on a subies sur des enfants est terriblement efficace pour s’anesthésier émotionnellement et écraser la petite victime qu’on a été et que l’on méprise, on bascule alors dans une toute puissance qui permet d’échapper à sa mémoire traumatique et d’échapper à des états de terreur ou de peur permanente. Il s’agit d’une stratégie dissociante. Mais si, quand on est traumatisé et laissé à l’abandon sans soin ni protection, on ne peut être tenu responsable d’être envahi par une mémoire traumatique qui fait revivre les violences, et de mettre en place des stratégies de survie telles que des conduites d’évitement, de contrôle et/ou des conduites dissociantes, en revanche on est responsable du choix qu’on opère de les utiliser contre autrui en l’instrumentalisant comme un fusible pour disjoncter.
Quand la mémoire traumatique de l’agresseur revient hanter la victime avec sa haine, son mépris, son excitation perverse, soit la victime peut courageusement se battre pour contrôler sans relâche ce qu’elle pense être ses propres démons (alors qu’il ne s’agit pas d’elle, de ce qu’elle est, mais d’une remémoration traumatique intrusive qui s’impose à elle sans qu’elle puisse l’identifier comme telle, et qui se présente comme des phobies d’impulsion, avec la peur de passer à l’acte) en s’auto-censurant et en évitant toutes les situations qui peuvent déclencher des images ou des sensations intrusives (comme des situations sexualisées, comme être avec des enfants, les toucher), soit elle peut retourner ces intrusions contre elle et se haïr, se mépriser et s’auto-agresser sexuellement pour disjoncter et s’anesthésier, soit elle peut faire corps avec ces intrusions, s’identifier à elles et passer à l’acte sur autrui en reproduisant les actes commis par son agresseur, ce qui va là aussi lui permettre de disjoncter et s’anesthésier avec en prime un sentiment de toute-puissance et le risque d’une véritable addiction à la violence sexuelle. Pour un enfant il est difficile de lutter contre ces envahissements incompréhensibles, mais pour un adulte le choix de ne pas passer à l’acte sur autrui, de ne pas gravement transgresser les lois, de ne pas mépriser les droits de la victime et sa souffrance, est toujours possible, impliquant cependant de mettre en place en soi tout un arsenal de contraintes (on ne peut être tenu pour responsable des violences qu’on a subies, ni des conséquences psychotraumatiques, en revanche on est responsable des stratégies de survie que l’on choisies quand elles portent atteintes à l’intégrité d’autrui).
Par ailleurs il est évident que c’est bien parce que les enfants n’ont pas été protégés, ont été abandonnés sans soins appropriés qu’ils doivent composer avec une mémoire traumatique redoutable qui les oblige à s’auto-censurer sans cesse, à vivre dans une guerre permanente. Leur mémoire traumatique aurait dû être traitée et transformée en mémoire autobiographique, ce qui les aurait libérés de la torture que représentent des violences et des agresseurs continuellement présents en soi.
Des enfants abandonnés sans protection, ni soins, avec des vies fracassées par les violences.
L'ensemble de ces troubles psychotraumatiques (mémoire traumatique, conduites d'évitement et de contrôle, hypervigilance et conduites dissociantes) vont être chez l'enfant à l'origine de troubles très importants, nous les rappelons : troubles du développement psycho-moteur et de la personnalité, troubles cognitifs avec des difficultés scolaires et troubles de l'apprentissage, troubles de la mémoire avec parfois des amnésies importantes, troubles relationnels (avec un isolement, une grande timidité et une mauvaise estime de soi), troubles anxio-dépressifs, troubles du comportement alimentaire et sexuel, troubles du sommeil, conduites à risque avec des conduites délinquantes ou violentes envers soi-même ou autrui, risque de subir de nouvelles violences. Ils représentent un risque pour la santé physique et psychique, dont un risque vital : risque de mourir par accident (liés aux conduites à risque, première cause de mortalité chez les adolescents) et par suicide (deuxième cause de mortalité chez les adolescents).
Les symptômes psychotraumatiques qui traduisent une grande souffrance chez les enfants et les adolescents victimes de violence, sont le plus souvent interprétés comme provenant de l'enfant, de sa nature, de son sexe, de sa personnalité, de sa mauvaise volonté, de ses provocations… Et plutôt que de relier ces troubles à des violences, de nombreuses rationalisations vont chercher à les expliquer par la crise d'adolescence, les mauvaises fréquentations, l'influence de la télévision, d'internet…, ou par la malchance et la fatalité, voire même par l'influence délétère d'une surprotection : " on l'a trop pourri, gâté, c'est un enfant roi !! ". L'hérédité peut être également appelée à la rescousse : " il est comme… son père, son oncle, sa grand mère, etc. ", ainsi que la maladie mentale. C'est avec ces rationalisations que les suicides des enfants et des adolescents, ou les jeux dangereux seront mis sur le compte d'une contagion ou de dépressions, les violences subies n'étant presque jamais évoquées comme cause principale.
Très fréquemment, devant un enfant en grande souffrance avec des troubles du comportement et des conduites à risque, les adultes censés le prendre en charge auront recours à des discours moralisateurs et culpabilisants : " tu ne dois pas te conduire comme cela…, regarde la peine que tu fais à tes parents…, avec tout ce que l'on fait pour toi… ", au lieu de se demander ce que cet enfant a bien pu subir, et de lui poser la question qui devrait être systématique : "est-ce que tu as subi des violences ? "
Ces enfants gravement traumatisés par des violences ont dû vivre continuellement menacés, sans aucun droit, avec la peur au ventre, peur de parler, peur de provoquer une colère, peur d'être tués, peur de se réveiller le matin, peur de rentrer à la maison après l'école, peur des repas, des week-end, des vacances… Ils ont dû développer des stratégies hors norme pour survivre, en s'auto-censurant pour éviter toutes les situations à risque de dégénérer en violences, en se soumettant à tous les diktats et les mises en scène des bourreaux, en gardant le silence, en se dissociant pour supporter l'insupportable, en développant très souvent un monde imaginaire pour s'y réfugier, monde devenant parfois envahissant avec un compagnon imaginaire (poupée, peluche, animal, ami). Mais ces stratégies ont leurs limites, et les enfants pourront traverser des périodes de désespoirs intenses avec des risques de passage à l'acte suicidaire.
Avec cette mémoire traumatique, les victimes contre leur gré se retrouvent à revivre sans cesse les pires instants de terreur, de douleur, de désespoir, comme une torture sans fin, avec des sensations soudaines d'être en grand danger, d'être projetées par terre, d'être écrasées, frappées violemment, de perdre connaissance, de mourir, d'avoir la tête ou le corps qui explose, avec des suffocations, des douleurs intenses. Avec elles, l'agresseur reste éternellement présent à leur imposer les mêmes actes atroces, les mêmes phrases assassines, la même souffrance délibérément induite, la même jouissance perverse à les détruire, leurs mêmes mises en scène mystificatrices avec une haine, un mépris, des injures, et des propos qui ne les concernent en rien. Et plus les violences ont eu lieu tôt dans la vie des victimes, plus elles ont été obligées de se construire avec ces émotions et ces sensations de terreur, avec ces actes et ces propos pervers, à devoir lutter contre eux sans les comprendre et sans ne plus savoir où se trouve la ligne de démarcation entre elles et cette mémoire traumatique. La mémoire traumatique les hante, les exproprie et les empêche d'être elles-mêmes, pire elle leur fait croire qu'elles sont doubles, voire triples : une personne normale (ce qu'elles sont), une moins que rien qui a peur de tout, et une coupable dont elles ont honte et qui mérite la mort (ce que l'agresseur a mis en scène et qu'elles finissent par intégrer puisque cela tourne en boucle dans leur tête), une personne qui pourrait devenir violente et perverse et qu'il faut sans cesse contrôler, censurer (ce même agresseur tellement présent et envahissant à l'intérieur d'elles-mêmes qu'elles finissent par se faire peur en le confondant avec elles-mêmes).
Sortir du déni, protéger et soigner les enfants victimes de violences : une urgence de santé publique.
Par ailleurs il est évident que c’est bien parce que les enfants n’ont pas été protégés, ni reconnus (pour rappel, 83% d’entre eux selon notre enquête), ont été abandonnés sans soins appropriés qu’ils doivent composer avec une mémoire traumatique redoutable qui les oblige à s’auto-censurer sans cesse, à vivre dans une guerre permanente. Leur mémoire traumatique aurait dû être traitée et transformée en mémoire autobiographique, ce qui les aurait libérés de la torture que représentent des violences et des agresseurs continuellement présents en soi.
La grande majorité des enfants n’ont pas pu parler des violences subies avant des années, voire des dizaines d’années. À la question du questionnaire d’auto-évaluation de l’impact et de la prise en charge des victimes de violences sexuelles que notre association a mis en ligne "Pourquoi vous n’avez pas pu en parler", les réponses sont par ordre de fréquence (sur plus de 1200 réponses):
- la difficulté à mettre des mots sur ce qui s’est passé et à l’identifier,
- le sentiment de culpabilité («je pensais que c’était de ma faute»)
- la peur de ne pas être cru (ou crue)
- l’impossibilité d’en parler du fait de la souffrance que cela réactive
- la peur des menaces de l’agresseur
- l’amnésie traumatique et la dissociation
- la peur des réactions de l’interlocuteur.
Il faut aider les victimes à parler, pour cela il faut communiquer sur la réalité des violences sexuelles et sur leur conséquences, les informer sur la loi, les droits des personnes, il faut, et c’est essentiel, leur poser des questions. Et quand elles arrivent à parler, il faut les écouter, les croire, reconnaître les violences sexuelles subies et les traumas qu’elles présentent, les protéger, être solidaire et leur apporter protection, soutien et soin. Il est très important de leur donner des informations et d’expliquer les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques pour que les victimes comprennent ce qui leur arrive, pour qu’elles puissent se déculpabiliser et avoir une boîte à outils pour mieux se comprendre.
Tous ces symptômes psychotraumatiques qui traduisent une grande souffrance chez les victimes de violences sexuelles, sont encore très méconnus (les professionnels ne sont toujours pas formés pour la grande majorité d’entre eux) et ils sont le plus souvent interprétés comme provenant de la personne elle-même, de sa nature, de son sexe, de sa personnalité, de sa mauvaise volonté, de ses provocations, ou sont étiquetés comme des maladies mentales. La personne est alors considérée comme étant à l’origine de ses symptômes et de sa souffrance. C'est avec ces rationalisations que les suicides, les conduites à risque, les explosions de mémoire traumatique et les états dissociatifs traumatiques seront mis sur le compte de troubles de la personnalité (border-line), de dépressions, voir même de psychoses, les violences sexuelles subies n'étant presque jamais évoquées comme cause principale, et la question : "est-ce que tu as subi ou est-ce que vous avez subi des violences ? " jamais posée.
Ces conséquences sont normales et universelles, elles sont liées aux violences, et non à la personnalité de la victime. Elles peuvent être aggravées par des vulnérabilités spécifiques à la victime (tout comme une blessure par arme blanche peut-être aggravée par une hémophilie) : âge, handicap, antécédents de violences, etc. Elles ont beau être bien connues depuis des décennies, prouvées par des études scientifiques internationales, visibles sur des IRM, elles restent méconnues, et ne sont toujours pas enseignées en France, à l’heure actuelle, les médecins et les autres professionnels de la santé ne sont toujours pas formés ni en formation initiale - lors d’une enquête récente auprès des étudiants en médecine plus de 80 % ont déclaré ne pas avoir reçu de formation sur les violences et 95% ont demandé une formation pour mieux prendre en charge les victimes de violences - ni en formation continue, et l’offre de soins adaptés est très rare.
Il y a en France une tradition de sous-estimation des violences faites aux mineurs, de leur gravité et de leur fréquence. Une tradition de banalisation d'une grande partie de celles-ci à laquelle, nous l’avons vu, s'ajoute une méconnaissance de la gravité des conséquences des violences sur la santé. Il y a également une méconnaissance des conséquences sociales des violences sur l'apprentissage, sur les capacités cognitives, sur la socialisation, sur les risques de conduites asociales et de délinquance, sur les risques d'être à nouveau victime de violences ou d'en être auteur. On constate également une stigmatisation des troubles de la conduite et des troubles du comportement des enfants et des adolescents, troubles qui masquent une souffrance non reconnue, ainsi qu'une banalisation de signes de souffrance mis sur le compte de la crise d'adolescence, de la personnalité de la victime, de son sexe, ou à l'inverse une dramatisation de symptômes psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique) souvent étiquetés à tort uniquement comme des troubles névrotiques anxieux ou bien dépressifs, des troubles de la personnalité (border-line, sensitive, asociale), et parfois comme des troubles psychotiques (psychose maniaco-dépressive, schizophrénie, paranoïa, etc.) et traités abusivement comme tels, et non comme des conséquences traumatiques qu’il faut traiter. De même les conduites d’évitement et de contrôle sur la pensée associés aux troubles dissociatifs chez les enfants et les adolescents peuvent être tellement envahissants, et entraîner une telle inhibition du contact et de la parole, qu’ils peuvent être pris pour des déficits intellectuels ou des troubles d’allure autistique, ce qu’ils ne sont pas bien sûr. Tous ces troubles sont régressifs dès qu’une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire traumatique.
La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissance de ce qu’elles ont subi, et à leur culpabilisation. Les victimes, condamnées à organiser seules leur protection et leur survie, sont considérées comme responsables de leur propres malheurs.
Des soins essentiels
Les soins sont essentiels, la mémoire traumatique doit être traitée. Il s’agit de faire des liens, de comprendre, de sortir de la sidération en démontant le système agresseur et en remettant le monde à l’endroit, de, petit à petit, désamorcer la mémoire traumatique, de l’intégrer en mémoire autobiographique, et de décoloniser ainsi la victime des violences et du système agresseur.
La prise en charge thérapeutique doit être la plus précoce possible. En traitant la mémoire traumatique, c'est-à-dire en l'intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques, et de rendre inutiles les stratégies de survie
Le but de la prise en charge psychothérapique, c’est de ne jamais renoncer à tout comprendre, à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséqué pour le relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de le mettre en perspective avec les violences subies. Par exemple une odeur qui donne un malaise et une envie de vomir se rapporte à une odeur de l’agresseur, une douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l’agression, un bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences comme un bruit de pluie s’il pleuvait, une heure de la journée peut être systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d’alcool, des conduites boulimiques, des raptus suicidaires, des auto-mutilations s’il s’agit de l’heure de l’agression, une sensation d’irritation, de chatouillement ou d’échauffement au niveau des organes génitaux survenant de façon totalement inadaptée dans certaines situations peut se rapporter aux attouchements subis, des “fantasmes sexuels” violents, très dérangeants dont on ne veut pas, mais qui s’imposent dans notre tête ne sont que des réminiscences traumatiques des viols ou des agressions sexuelles subis…
Le travail psychothérapique consiste à faire des liens, en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique (perfusion de sens), ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes et même d’obtenir une neurogénèse. Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Effraction responsable d’une panne psychique qui rend le cerveau incapable de contrôler la réponse émotionnelle, ce qui est à l’origine du stress dépassé, du survoltage, de la disjonction, puis de l’installation d’une dissociation et d’une mémoire traumatique. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Il s’agit de remettre le monde à l’endroit. Il faut démonter tout le système agresseur, et reconstituer avec l'enfant son histoire en restaurant sa personnalité et sa dignité, en les débarrassant de tout ce qui les avait colonisées et aliénées (mises en scènes, mensonges, déni, mémoire traumatique). Pour que la personne qu'il est fondamentalement puisse à nouveau s'exprimer librement et vivre tout simplement. Pour que l'enfant terrorisé ne soit enfin plus jamais seul. "Pour abattre le mur du silence et rejoindre l'enfant qui attend" (Alice Miller, 1985).
Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de re-fonctionner et de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. De plus il a été démontré qu’une prise en charge spécialisée permettait de récupérer des atteintes neuronales liées au stress extrême lors du traumatisme, avec une neurogenèse et une amélioration des liaisons dendritiques visibles sur des IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) (Ehling, T., & Nijenhuis, E.R.S., Krikke, A. 2003).
Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il s’agit pour le patient de devenir expert en « déminage » et de poursuivre le travail seul, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et petit à petit il devient possible de se décoloniser de la mémoire traumatique et de retrouver sa cohérence, et d’arrêter de survivre pour vivre enfin.
Il est donc essentiel de protéger les enfants des violences et d'intervenir le plus tôt possible pour leur donner des soins spécifiques, il s'agit de situations d'urgence pour éviter la mise en place de troubles psychotraumatiques sévères et chroniques qui auront de graves conséquences sur leur vie future, leur santé, leur scolarisation et socialisation, et sur le risque de perpétuation des violences. Et il est nécessaire de sensibiliser et de former tous les professionnels de l'enfance, des secteurs médico-sociaux, associatifs et judiciaires sur les conséquences psychotraumatiques des violences. La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin des victimes. Parce qu’elles ne seront plus condamnées au silence, ni abandonnées sans protection et sans soins, ces enfants victimes pourront sortir de cet enfer où les condamne la mémoire traumatique des violences sexuelles subies.
Dre Muriel Salmona
Pour en savoir plus :
les sites de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, ressources, rapport (IVSEA) et vidéos de formation à consulter et télécharger :
mes livres :
Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013
Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, Dunod, 2015
et mes articles référencés sur :
Grossesse et violences conjugales : impact sur l’enfant, in Enfants exposés à la violence conjugale, revue L’observatoire, 59, 2008
la mémoire traumatique et les conduites dissociantes in Traumas et résilience, Dunod, 2012 : http://www.stopauxviolences.blogspot.fr/2012/03/dernier-article-de-muriel-salmona-avec.html
L’impact psychotraumatique de la violence sur les enfants : la mémoire traumatique à l’œuvre in la protection de l’enfance, La revue de santé scolaire & universitaire, janvier-février 2013, n°19, pp 21-25
La dissociation traumatique et les troubles de la personnalité post-traumatiques : ou comment devient étranger à soi-même ? in Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie Dunod, 2013 http://www.stopauxviolences.blogspot.fr/2013/04/nouvel-article-la-dissociation.html
Salmona M., L’impact psychotraumatique de la violence sur les enfants : la mémoire traumatique à l’œuvre in la protection de l’enfance, La revue de santé scolaire & universitaire, janvier-février 2013, n°19, pp 21-25 téléchargeable : http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/07/impact-psycho_violences_Salmona.pdf
Salmona M. Le viol, crime absolu, dans le dossier Le traumatisme du viol, revue Santé Mentale, 176, mars 2013, pages 20-28. téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/doc_violences_sex/Le-viol-crime-absolu-Sant-mentale-Le-traumatisme-du-viol-mars2013.pdf
et avec le Dr Patrice Louville : Clinique du psychotraumatisme dans le dossier Le traumatisme du viol, revue Santé Mentale, 176, mars 2013
Salmona M. La prise en charge médicale des enfants victimes in Le parcours judiciaire de l’enfant victime sous la direction de Attias D. et de K l., Eres, 201
Salmona M. La reconnaissance de l’impact psychotraumatique sur les enfants victimes de violences sexuelles, 2015, article publié sur les blogs médiapart et stop aux violences familiales, conjugales et sexuelles et téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Articles-Dr-MSalmona/201508-reconnaissance-des-consequences-psychotraumatiques-sur-les-enfants-victimes.pdf
Salmona M. Le respect des droits des enfants à être protégés de toute forme de violence, et à recevoir tous les soins nécessaire quand ils en sont victimes devrait être un impératif absolu pour les pouvoirs publics in Les enfants peuvent bien attendre : 25 regards d’experts publié par l’UNICEF France, 2015, livre téléchargeable : https://unicef.hosting.augure.com/Augure_UNICEF/r/ContenuEnLigne/Download?id=24FFB60A-39E0-4459-8A6B-85B42A001312&filename=Les%20Enfants%20peuvent%20bien%20attendre.pdf
Salmona M. «En quoi connaître l’impact psychotraumatique des viols et des violences sexuelles est-il nécessaire pour mieux lutter contre le déni, la loi du silence et la culture du viol, pour mieux protéger les victimes et pour que leurs droits soient mieux respectés ?» 2016 téléchargeable sur le site http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/2016-Necessaire-connaissance-de-limpact-psychotraumatique-chez-les-victimes-de-viols.pdf
Salmona M. Impact des psychotraumatismes, sur la santé et la scolarité in Dossier : Les blessures de la vieLa revue de santé scolaire & universitaire Mai-Juin 2016, n° 39
les brochures d’information de l’association à destination des jeunes :
Information sur les violences et leurs conséquences sur la santé, à destination des jeunes éditées en 2013 avec l’association Sortir du Silence, texte de la Dre Muriel Salmona, distribuées gratuitement par l’association, à télécharger sur le site memoiretraumatique.org : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documents-pdf/brochure-jeunes-web.pdf
Information médicale sur les violences, à destination des adolescents réalisées en partenariat avec l’association Le Monde à Travers un Regard, texte de la Dre Muriel Salmona adaptation de Sokhna Fall, distribuées gratuitement par l’association, à télécharger sur le site memoiretraumatique.org : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documents-pdf/plaquette-d-informations-sur-les-violences-mineurs-web.pdf
Enquêtes récentes de victimation en population générale, et sur les victimes de violences sexuelles en France et dans le Monde
Enquête CSF Contexte de la sexualité en France de 2006, Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés (Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques), 445, mai 2008.
Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire National des réponses pénales 2010 à 2012.
Les lettres numéro 4 et numéro 8 de l’Observatoire National des violences faites aux femmes de la MIPROF qui recense toutes les études et rapports sur les violences faites aux femmes ainsi que les données issues de l’activité des associations spécialisées, téléchargeable sur le site http://stop-violences-femmes.gouv.fr
Enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015, conduite auprès de plus de 1200 victimes de violences sexuelles par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: SALMONA Laure auteure, SALMONA Muriel coordinatrice, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites : http://stopaudeni.com et http://www.memoiretraumatique.org
OMS World Health Organization, Global Status Report on Violence Prevention, Genève, WHO, 2014.
United Nations Children’s Fund, Hidden in plain sight: A statistical analysis of violence against children, New York, UNICEF, 2014.
Enquête Susan Hillis Global Prevalence of Past-year Violence Against Children: A Systematic Review and Minimum Estimates Pediatrics, 2016, ;137(3):e20154079
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-- Salmona M. (2013) Le livre noir des violences sexuelles, Paris, Dunod
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