En réponse aux mesures proposées par le Comité Interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes du 30 novembre 2012
Communiqué de presse de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie
Dre Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, présidente de l'association
le 2 décembre 2012
Vous avez dit droits des femmes ?
Et que faites-vous du droit à la santé et à l'accès à des soins spécialisés des femmes victimes de violence ?
Et de leurs droits à une justice digne de ce nom, à une véritable protection et à des réparations ?
Rien comme toujours !
Le Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes du 30 novembre 2012 a présenté une série de 6 mesures dont une pour "Protéger les femmes contre les violences". Comme à l’accoutumée la question des soins spécialisés à offrir aux victimes de violences est passée à la trappe.
Pourtant ce n'est pas faute d'avoir transmis tous les informations, documents, études, recherches sur ce thème depuis juin 2012 et demandé un rendez-vous, mais je n'ai eu droit à aucune réponse à mes nombreux mails de la part du ministère des Droits des femmes et à l'égalité : mon expertise, mes travaux, les études internationales, toutes les actions et la campagne Violences et soins de l'association avec de nombreux témoignages de victimes de violences ne semblent pas avoir de valeur, ni même mériter la moindre attention, pas même une réponse !
Le Comité Interministériel n'aborde pas la nécessité impérative de proposer des soins spécialisés gratuits par des professionnels formés à la psychotraumatologie et la victimologie pour toutes les victimes de violences, sans oublier les enfants témoins de ces violences, il n’aborde pas la nécessité de former en urgence des médecins à la psychotraumatologie et de mettre en place sur tout le territoire des centres de soins spécifiques. Pire, il prévoit une mesure pour "placer la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes au cœur de la démocratie sanitaire", dans laquelle il déplore en toute incohérence, sans faire aucun lien avec les violences qui en sont presque toujours à l'origine, la fréquence des conduites à risque des plus jeunes (mise en danger, conduites addictives), les problèmes de surpoids et les troubles alimentaires, les pathologies cardio-vasculaires et les dépressions (qui sont une fois et demi à deux fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes). Il prône pour lutter contre ces problème de santé la mise en place de stratégies de prévention, de sensibilisation et d’information dès le plus jeune âge, avant l’exposition aux risques. Se demander pourquoi les femmes sont plus exposées à ces risques, ce serait trop leur demander ? Peut-être pensent-ils que les femmes sont plus sujettes à ces problèmes par nature ? De qui se moque-t-on ?
Nous rappelons que de nombreuses études scientifiques internationales, publiées depuis plusieurs années dans de grandes revue à comité de lecture, telles que celles de Felitti et Adda en 2010 (relayées par l'Organisation Mondiale de la Santé en 2010) démontrent qu'avoir subi des violences est un des déterminants principaux de l'état de santé d'une personne, et représente un des principaux facteurs de risque de présenter de nombreuses pathologies psychiatriques (troubles anxieux, dépressions, suicides, addictions, conduites à risque, troubles du sommeil, troubles alimentaires, troubles cognitifs…), cardio-vasculaires (article dans Circulation, journal de l'American Heart Association !) , pulmonaires, endocriniennes (diabète), neurologiques, maladies auto-immunes ... et de subir à nouveau des violences ou d'en commettre.
L’absence de soin aux victimes de violences est donc un véritable scandale de santé publique et représente pour elles une perte de chance de vivre en bonne santé et en sécurité. Il s'agit donc d'une grave atteinte à leurs droits. Et cette absence de protection et de soins associée à l'absence de justice et de réparation rendues aux victimes (les crimes que sont les viols font l'objet de moins de 8% de plaintes, plus de 50% sont correctionnalisés c'est à dire transformés en agressions sexuelles, et seuls 1,5 % des viols feront l'objet d'une condamnation) démontrent le peu de cas qu'on fait des violences sexuelles et des maltraitances en général.
C'est donc une désastreuse manie que d'abandonner sans soin et sans protection les victimes de violences et de les obliger à survivre, seules, en mettant en place des stratégies d'auto-traitement de leurs troubles posttraumatiques très coûteuses et handicapantes (conduites d'évitement, de contrôle, d'hypervigilance, et conduites à risque dissociantes) que l'on ne manquera pas ensuite de déplorer (ce que fait le comité interministériel !), voire de leur reprocher en leur faisant la leçon !
Pourtant les violences, et plus particulièrement les violences intra-familiales et les violences sexuelles, ont un coût humain et social très lourd. Elles entraînent, en plus des coups et blessures, de lourdes conséquences sur la santé psychique et physique par l'intermédiaire de conséquences psychotraumatiques, avec des atteintes neurologiques visibles sur des IRM. Ces conséquences psychotraumatiques sont très fréquentes, présentes dans plus de 60% des cas pour les violences conjugales, dans plus de 80% des cas pour les violences sexuelles. Elles s'installent pendant des années, des dizaines d'années voire toute la vie, avec la mise en place d'une mémoire traumatique qui transforme la vie des victimes en une torture permanente si des soins ne sont pas mis en place.
Sortir du déni, protéger et soigner les victimes de violences est donc une urgence de santé publique. Ces conséquences psychotraumatiques sont encore trop méconnues, alors que leur prise en charge est efficace. Elle doit être la plus précoce possible. En traitant la mémoire traumatique, c'est à dire en l'intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques, et de rendre inutiles les stratégies de survie. Il est donc essentiel de protéger les victimes de violences et d'intervenir le plus tôt possible pour leur donner des soins spécifiques, il s'agit de situations d'urgence pour éviter la mise en place de troubles psychotraumatiques sévères et chroniques qui auront de graves conséquences sur leur vie future, leur santé, leur scolarisation, leur vie professionnelle, leur socialisation, et sur le risque de perpétuation des violences. Il est nécessaire de sensibiliser et de former tous les professionnels de l'enfance, des secteurs médico-sociaux, associatifs et judiciaires sur les conséquences psychotraumatique des violences.
La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin des victimes.
Dre Muriel Salmona,
Lettre d'une victime de multiples violences à Mme la ministre Najat Vallaud Belkacem le 01 décembre 2012 :
Je suis une femme, victime de multiples violences à tous les âges, enfant et adulte,
non protégée par la société,
en errance thérapeutique pendant plus de trois décennies et donc, victime du système de santé français, entre autres et aussi.
Et pourtant, j'ai parlé et j'ai cherché de l'aide dès l'âge de 17 ans... je n'ai eu de cesse de chercher et j'ai fini par trouver les soins dont j'avais besoin... 36 années après !
Mon parcours de vie et mon parcours de soins sont une véritable catastrophe humaine !
Alors ce plan pourrait être bien MAIS...
rien sur les soins, et leurs spécificités,
dont les femmes et les enfants victimes de violences ont tant besoin.
Ainsi les femmes et les enfants victimes de violences sont condamnées:
- à l'errance thérapeutique, puisqu'on ne propose pas les soins spécialisés nécessaires,
Nous, les victimes, nous errons de psys en psy sans trouver ce dont nous avons vraiment besoin...
- à subir encore et toujours plus de violences par et dans le système de santé lui-même,
En ne proposant que des soins sur des symptômes et non sur les causes de ses symptômes.
Nous, les victimes, nous subissons des diagnostics erronés et sommes soignés pour ce que vous n'avez pas alors que les connaissances sont là, ce sont des violences faites aux victimes !
- à survivre et non pas à vivre,
Nous, les victimes, nous subissons des dommages considérables sur notre santé par manque de soins adaptés,
- à se sentir coupable d'être victime.
Nous, les victimes, on juge ce que nous sommes et comment nous sommes alors que nos comportements sont spécifiques aux victimes de violences et demandent des soins que le système de santé ne nous propose pas
- à se sentir sans droit et sans valeur.
Nous , les victimes, nous nous sentons sans droit et sans valeur puisqu'on ne nous propose pas les soins dont nous avons besoin.
Tout cela n’est pas normal !
Ce n’est pas cela une société humaine !
Ce n’est pas cela une politique qui défend les droits des femmes et des enfants victimes de violences !
Les soins sont vitaux pour nous, enfants et femmes, victimes de violences,
les conséquences psychotraumatiques des violences nous empêchent de vivre,
Pourquoi ne comprenez-vous pas cela ?
Qu'est-ce qui fait que vous ne comprenez pas?
Il faudrait tout de même s'intéresser sérieusement à ce que nous vivons, nous les victimes de violences, à nos souffrances au quotidien...
Les victimes de violences sont-elles donc condamnées à ne plus pouvoir que survivre?
Aidez-nous vraiment s'il vous plait...