lundi 7 novembre 2022

2ème congrès de la Chaire internationale Mukwege à Bukavu sur la Réparation en faveur des victimes de violences sexuelles et basées sur le genre : Intervention de la Dre Muriel Salmona le 2 novembre 2022

 2ème congrès de la Chaire internationale Mukwege à l’université  évangélique de Bukavu

du 1er au 3 novembre 2022


Réparation en faveur des victimes de violences sexuelles et basées sur le genre

https://chaire-mukwege.uea.ac.cd


Texte de l'intervention de la Dre Muriel Salmona dans le cadre du panel pilier psychologique 

le 2 novembre 2022


Bonjour à toutes et à tous. 

Je remercie les organisatrices et les organisateurs de ce 2ème congrès de la chaire internationale Mukwege de m’avoir invitée à parler :

Du rôle transversal et essentiel de la prise en compte du psychotraumatisme dans la prise en charge holistique des victimes de violences sexuelles. 

Cette prise en compte associée à une bonne connaissances des symptômes, des mécanismes et des conséquences du psychotraumatisme vient au secours des victimes pour mieux les protéger les soigner et les accompagner, et vient en renfort de leurs témoignages pour mieux leur rendre justice et améliorer leurs réparations. 

Si on souhaite que le monde soit enfin plus protecteur, plus solidaire et plus juste pour les victimes de ces graves violations des droits humains que sont les viols et que la vérité sur ces crimes ne soit plus niée, pour que leurs auteurs ne bénéficient plus d’une quasi-totale impunité, pour que leurs conséquences sur les victimes soient prises en charge, la prise en compte des psychotraumatismes est un préalable nécessaire

Reconnaître les psychotraumatismes comme des conséquences normales et universelles des violences, informer les victimes, leurs proches, le grand public et former tous les professionnels sur leurs mécanismes (la sidération, la dissociation et la mémoire traumatique), sur leurs lourdes conséquences sur la santé et la vie des victimes, ainsi que sur les soins efficaces à leur donner, permettront aux victimes d'être mieux comprises, mieux accompagnées et de leur éviter des pertes de chance considérables, des injustices en cascade et de subir de nouvelles violences : que ce soit au niveau de leur reconnaissance, du dépistage, de leur protection, de leur santé physique et mentale et de leur prise en charge qu’elle soit médicale, psychologique, judiciaire et sociale. 

Cela permet également de démonter les mythes et les stéréotypes sexistes construits sur des symptômes psychotraumatiques détournés de leur cause, les violences subies, et utilisés pour culpabiliser les victimes et décrédibiliser leur parole, leurs témoignages, leurs souffrances et ainsi de restaurer leurs droits, leur dignité, et de leur rendre justice. 

En effet, dans nos sociétés patriarcales et inégalitaires, avec une incroyable cruauté, les rares femmes et filles qui dénoncent les viols qu’elles ont subis, en sont le plus souvent tenues pour responsables, voir même coupables. Leurs traumas leurs sont reprochés, au lieu d’être reconnus comme des conséquences normales et universelles des viols et comme des preuves de ce qu’elles ont vécu. Dans un retournement particulièrement injuste, leurs symptômes psychotraumatiques (sidération, dissociation et mémoire traumatique) et leurs conduites de survie (conduites de contrôle et d’évitement, et conduites dissociantes à risque telles que des addictions, des auto-mutilations des mises en danger) sont utilisés pour les discréditer, disqualifier leur témoignage, les psychiatriser, et pour les accuser d’être à l’origine de leur propre malheur. Et ce d’autant plus, que les stéréotypes sexistes les plus répandus intègrent ces mêmes symptômes psychotraumatiques et leurs conséquences sur la santé et la vie des femmes pour essentialiser ce qu’est une femme, sa personnalité, ses capacités et sa sexualité, dans un processus mystificateur haineux qui alimente sans fin les stéréotypes sexistes, les fausses représentations et la culture du viol qui les rendent coupables des violences qu’elles subissent, voire pire les considèrent comme sans dignité, aimant être violentée et dégradée. À l’inverse, les hommes qui les ont agressées sont dans leur très grande majorité protégés, disculpés, innocentés, leur sexualité violente normalisée et tolérée comme un besoin, ils peuvent même être considérés comme les « vraies victimes » de ces filles et de ces femmes qui les auraient provoqués, manipulés ou accusés à tort.

Nous allons voir que l’analyse et le décryptage clinique des troubles psychotraumatiques que présentent les victimes, est un outil scientifique médico-légal performant en plus d’être un outil thérapeutique essentiel et d’une grande efficacité permettant la réparation de l’intégrité et de la dignité des victimes. 

Cet outil permet d’évaluer de façon détaillée les répercussions des violences sur la santé et la vie des victimes, d’aider à mieux évaluer le danger qu’elles courent en prenant compte les symptômes dissociatifs, d’expliquer les comportements des victimes qui sont souvent considérés comme paradoxaux et leur sont reprochés (comme le fait de ne pas réagir, de ne pas fuir, d’obéir, de sembler indifférente et pas traumatisée, ce qui est dû à des états de sidération et de dissociation traumatiques). Il permet d’éviter que des symptômes psychotraumatiques soient, comme cela arrive fréquemment, rapportés à des maladies mentales avec des traitements lourds et inadaptés, ou à des handicaps mentaux, et utilisés pour décrédibiliser le témoignage de la victime (les réminiscences de la mémoire traumatiques ou des états dissociatifs pouvant être considérés comme des hallucinations, des troubles du cours de la pensées et donc des états psychotiques, des déficiences intellectuelles, des troubles démentiels, des troubles autistiques). Ce décryptage permet également de participer à la recherche de la vérité, en corroborant, voire même en complétant le récit des victimes et en fournissant de nombreux indices dans le cadre d’enquêtes judiciaires pénales ou civiles qui, même en l’absence de témoins, d’atteintes corporelles et de preuves ADN, permettent de collecter des faisceaux d’indices graves et concordants dans le cadre de procédures pénales, et en évaluant de façon précise les conséquences des violences et les préjudices subis par les victime dans le cadre de procédures civiles en vue de l’obtention d’une reconnaissance et d’ouverture à des droits en terme de prises en charge médico-sociales et de réparations. 

En effet la mémoire traumatique, symptôme principal des troubles psychotraumatiques qui fait revivre à l’identique sous forme de réminiscences visuelles, auditives, sensorielles, cenesthésiques, proprioceptives, kinesthésiques, émotionnelles, les violences et leur contexte comme une machine à remonter le temps est une véritable boîte noire, permet d’accéder à ce que la victime a subi, même pour les parties ou les détails auxquels cette dernière n’arrive pas à avoir accès (nous savons qu’un des impact du trauma c’est de générer un état dissociatif responsable de grandes difficultés de remémoration, de confusions temporo-satiales, de doutes, voire d’amnésies partielles ou totales fréquentes dans respectivement 60% et 40% des cas). Cette mémoire traumatique s’analyse et se décrypte au travers d’une véritable enquête menée à partir de ses manifestations qu’elles soient émotionnelles, sensorielles, somatiques, ainsi que du contexte où elle se déclenche ou pas, de tous les autres symptômes associés (tels que sidération, dissociation, états de stress et phénomènes d’hyper-réactivité neuro-végétative) et des stratégies de survie mise en place pour y échapper ou pour l’anesthésier. La mémoire traumatique contient également tout ce que d’autres victimes ont subi et ressenti et tout ce que l’agresseur (ou les agresseurs) a (ont) fait, dit et exprimé comme états émotionnels (haine, cruauté, mépris, propos injurieux, culpabilisants, excitation, jouissance…). Décrypter cette mémoire traumatique des agresseurs qui colonisent les victimes  permet d’accéder à de nombreux éléments qui seront utiles pour les procédures judiciaires et d’une importance primordiale pour la victime qui pourra s’en libérer et retrouver une estime de soi qui sinon est mise à mal par la croyance désespérante que ces réminiscences appartenant au système agresseur provienne de son propre psychisme (la victime envahie par les propos culpabilisants, la haine, le mépris et la volonté de la tuer de l’agresseur peut penser qu’elle est coupable, qu’elle se hait, se méprise et a honte d’elle-même et qu’elle doit se tuer ; elle peut également avoir peur d’être violence, d’être un monstre et développer des phobies d’impulsion).

Au final il s’agit de montrer que l’analyse de la mémoire traumatique et des autres symptômes psychotraumatiques est une une technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol pour obtenir soins, justice et réparations.


Avant de rentrer dans les détail des conséquences psychotraumatiques et de leurs mécanismes, je voulais vous dire que j’interviens sur ce sujet à plusieurs titres, ils sont au nombre de 4  :

  • Au titre de médecin psychiatre spécialisée en psychotraumatologie prenant en charge et soignant des victimes de violences sexuelles en France depuis bientôt 30 ans ; 
  • Au titre de mes travaux et recherches experte ayant fait depuis 15 ans de nombreux travaux cliniques, des enquêtes de victimation, des publications et des ouvrages (comme délivre noir des violences sexuelles) pour mieux comprendre les conséquences psychotraumatiques des violences et leurs principaux symptômes cliniques (sidération, dissociation traumatique, mémoire traumatique et les stratégies de survie mises en place par les victimes), mieux en comprendre les mécanismes neuro-biologiques exceptionnels de sauvegarde mis place par le cerveau lors des traumas, ainsi que les conséquences catastrophiques de ces psychotraumatismes à long terme sur la santé mentale et physique des victimes, et sur leur vie si ils ne sont pas traités spécifiquement ;
  • Au titre mon action militante et de plaidoyer comme fondatrice et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, une association d’information, de formation sur les psychotraumatismes, et de plaidoyer auprès des pouvoirs publics et des instances nationales et internationales pour améliorer leurs prise en charge et pour lutter pour les droits des victimes, contre toutes les formes de violences, de discrimination et contre leur impunité ;
  • Mais aussi, en tant que femme ayant subi à l’âge de 6 ans des viols collectifs, trahie par celle qui aurait dû me protéger, et réduite à néant par des hommes cruels et inhumains. Comme toutes les victimes de violences sexuelles j’ai été fracassée, j’ai dû survivre dans une solitude glacée, j’ai grandi dans l’incompréhension, la douleur, la culpabilité et la haine de soi. Mes nuits ont été peuplées de pleurs et de cauchemars, et mes journées se sont résumées à une marche forcée pour masquer une souffrance et des symptômes omniprésents, et tenter d’être comme les autres. J’ai toujours pensé qu’il était risqué d’en parler et que je ne pouvais attendre aucune aide, bien au contraire. On m’avait persuadée que je n’avais pas de droit, aucune légitimité, que la justice n’était pas pour moi, l’idée même qu’on puisse me rendre justice m’était inconcevable. Comme presque toutes les victimes j’ai été abandonnée, laissée pour compte exposée à de tels dangers et stress que mon cerveau n’a pas eu d’autre solution pour me protéger que de me dissocier et de m’anesthésier émotionnellement pendant de très longues années. Et c’est ainsi que j’ai été privée de ma mémoire, privée de moi-même, et exposée à un continuum de violences sans fin. A 13 ans, après un nouveau viol et après la découverte de la shoah, je me suis révoltée contre le monde violent des adultes, c’était trop d’injustices, je ne voulais pas vivre dans un monde qui permettait de telles horreurs et qui réduisait les femmes et les filles à des objets sexuels :  soit je le quittais, soit je faisais tout pour essayer de le changer et de le remettre à l’endroit. J’ai choisi alors de me mettre en mode combattante et militante contre toutes les dominations et les discriminations. Je suis devenue féministe et je me suis engagée à défendre le droit et la dignité des personnes opprimées et des victimes des pires violences pour qu’elles accès à une une justice digne de ce nom et à des réparations.Toute seule, au prix d’efforts immenses, je me suis réparée comme j’ai pu, malgré le milieu défavorisé et précaire d’où j’étais issue, j’ai fait médecine puis je me suis spécialisée en psychiatrie. J’y ai découvert que la plupart de mes patientes et patients avait les mêmes symptômes et la même souffrance que moi. Et j’ai constaté qu'à condition qu'on s’intéresse à leur histoire et qu'on leur pose des questions, elles témoignaient de terribles violences, le plus souvent de nature sexuelles subies depuis leur enfance dont personne ne s’était préoccupé jusque là. J’ai été effaré de la cascade de maltraitances et d’injustices sans fin qu’on leur faisait subir. Pendant ma formation médicale les violences et leurs conséquences psychotraumatiques sur la santé mentale et physique n’étaient jamais abordées, les médecins dans leur ensemble ne les prenaient pas en compte, ce qui malheureusement reste toujours le cas. Aucune grille de lecture n’était proposée pour penser les liens entre les symptômes et les violences subies, tout était mis sur le compte de maladies mentales, de troubles graves de la personnalité ou du comportement des victimes. Rien dans tout ce qui nous entourait, dans tout ce qui nous était transmis et enseigné ne pouvait nous éclairer sur les souffrances des victimes, au contraire tout était fait pour les considérer comme les artisans de leur propre malheur. Et leurs troubles psychotraumatiques au lieu d’être considérés comme des conséquences logiques des violences à prendre en charge en tant que telles, leur étaient retournés pour les mettre en cause, les discriminer, les juger et les culpabiliser.

Face à cette situation de déni généralisé, de cruauté et d’injustice que subissaient les victimes de violences sexuelles, j’ai voulu leur rendre justice et dignité et faire reconnaitre leurs traumatismes et leurs droits à accéder à des soins appropriés, respectueux de leurs droits et prenant en compte la réalité des crimes qu’elles avaient subis et dont elles, leurs souffrances et leur symptômes témoignaient. 

C’est ainsi que je me suis acharnée à essayer de comprendre et décrypter leurs symptômes, à faire des liens, à identifier derrière chaque situation de souffrance, chaque symptôme, les violences subies et les stratégies mises en place par les victimes pour y survivre, à identifier derrière chaque incohérence apparente dans le vécu et le comportent des victimes, le système agresseur qui en était la cause. J’ai travaillé à identifier les mécanismes neurobiologiques et psychologiques à l’œuvre dans les psychotraumatismes qui permettaient d’expliquer les symptômes des victimes et à en démontrer le caractère universel à remettre du sens en revisitant l’histoire de mes patients et en identifiant la volonté de les exploiter et de les détruire de leurs bourreaux. j’ai fait des recherches sur les travaux psychotraumatiques qui nous avaient jamais été enseignés, découvert des enquêtes épidémiologiques fondamentales sur les conséquences des violences sur la santé à long terme comme celles de Felitti et Anda dont on ne nous avait jamais parlé et je n’ai eu de cesse de vouloir informer et rendre justice aux victimes, et de me battre pour qu’elles soient reconnues, protégées, aidées, accompagnées, et soignées.

Pour cela, il a fallu faire prendre conscience de l’ampleur, de l’horreur et de la gravité de ces violences sexuelles. Il a fallu faire comprendre qu’il s’agit de violences sexo-spécifiques, systémiques, haineuses et discriminatoires, faisant partie d’un continuum de violences que les femmes et les filles subissent dès leur plus jeune âge et dont elles sont les principales victimes (80%), et les hommes, les principaux auteurs (90%) ; pouvant être utilisées comme armes de destruction massive dans le cadre de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ; s’exerçant dans un cadre d’inégalité de rapports de force et de domination savant tout sur les personnes les plus vulnérables et les plus discriminés (filles et femmes, enfants, personnes handicapées, marginalisées, racisées...) et ont pour conséquences une aggravation des inégalités et une précarisation des victimes (VIRAGE, 2017 ; ONDRP, 2017 ; MTV/Ipsos, 2019).

Et il a fallu répéter sans fin que ces violences sexuelles font partie, avec les tortures, des traumatismes les plus sévères avec de lourdes conséquences psychotraumatiques à court, moyen et long termes et sont associées à des effets catastrophiques à long terme sur la santé mentale et physique des victimes et sur leur parcours de vie, ce qui en fait un problème majeur de droits humains, de société et de santé publique. Et que ces conséquences psychotraumatiques :

  • sont normales et universelles lors de viols et d’agressions sexuelles, quelle que soit la victime, son âge, son sexe, sa personnalité, son histoire, ses antécédents,, 
  • sont liées à des atteintes neurologiques et de l’architecture du cerveau (visibles sur des IRM fonctionnelles) et à des mécanismes exceptionnels de sauvegarde neuro biologiques à l’origine d’une mémoire traumatique, véritable torture faisant revivre à l’identique l’horreur des violences (Campbell, 2008, MacFarlane, 2010 ; Nemeroff, 2009, 2016). 
  • sont d’autant plus graves que la victime est très jeune, en situation de handicap et/ou d’autres vulnérabilités, qu’il s’agit d’un viol (et donc de violences sexuelles avec pénétration), commis par un proche, que les violences sexuelles sont répétées pendant une longue période, et qu’elles sont accompagnées de menaces de mort et d’autres actes de barbarie et de tortures (IVSEA, 2015).
  • sont à l’origine de très graves conséquences à long terme sur la santé mentale et physique des victimes ainsi que sur leur vie personnelle, affective et sexuelle, leur scolarité et leur insertion sociale et professionnelle quand ces conséquences psychotraumatiques ne sont pas diagnostiquées, ni traitées spécifiquement, ce qui est malheureusement encore presque toujours le cas. 
  • sont également un facteur de risque très important de subir de nouvelles violences ou d’en commettre, d’avoir des périodes de précarité et de marginalisation (risques d’être placé à l’Aide Sociale à l’Enfance, de fugues, d’échecs scolaire, d’absence de diplôme, de chomâge, d’invalidité, d’être internée en hôpital psychiatrique, en institution, risques de grande pauvreté, d’être à la rue (SDF), en hébergement d’accueil, en situation prostitutionnelle, en détention,...) et de voir s’aggraver les situations de discrimination et de handicap déjà présentes au moment des viols (Campbell, 2008 ; Hillis, 2016 ; IVSEA, 2015 ; MTV/Ipsos, 2019).

Les victimes de violences sexuelles à l’âge adulte sont 70%, à dire qu’elles ont des conséquences sur leur santé mentale et 96% lors de violences sexuelles dans l’enfance, 59% sur leur santé physique, 81% sur leur sexualité, et 74% vie familiale et sociale, 54% sur les études et sur leur vie professionnelle. Plus de la moitié des victimes ont souffert d’épisodes dépressifs et de troubles anxieux (55%), près de 50% des victimes de viols dans l’enfance ont fait des tentatives de suicides, plus de 50% ont présenté des troubles alimentaires, plus d’un tiers des conduites addictives, 50% ont eu des périodes de grandes précarité (ONDRP ; IVSEA, 2015 ; Enquête MTV, Ipsos, 2019).

Chez les personnes ayant des addictions à l’alcool et à la drogue, et les personnes en situation prostitutionnelle on peut retrouver jusqu’à 90% d’antécédents de violences sexuelles et de négligences graves dans l’enfance (Farley, 2003 ; Felitti et Anda, 2010). Avoir subi des crimes sexuels dans l’enfance ou plusieurs formes de violences dont des violences sexuelles (quatre Adverse Childhood Experiences) est un des déterminants principaux de la santé 50 ans après, c’est le premier facteur de risque de mort précoce, de suicide, de dépression à répétition, de conduites addictives, de nouvelles violences, d’obésité, de diabète, de troubles cardio-vasculaires, respitratoires, immunitaires, digestifs, gynécologiques et obstétricaux, endocriniens, etc. (Felitti et Anda, 2010).

Et il a fallu expliquer et ré-expliquer les mécanismes psychotraumatiques pour que les victimes soient mieux comprises et que leur souffrance et leurs symptômes ne soient plus retournés contre elles.

Nous allons voir quels sont ces mécanismes psychotraumatiques qui expliquent les symptômes pathognomoniques présentés par les victimes ?

La violence a un effet de sidération traumatique du psychisme qui paralyse la victime. C’est un effet universel qui l’empêche de réagir de façon adaptée, et qui malheureusement est souvent reproché aux victimes : « Pourquoi tu n’as pas dis non ? Tu n’as pas crié ? Tu n’as pas fui ? Tu ne t’es pas débattue ?... ».

La sidération empêche le cortex cérébral de la personne de contrôler l’intensité de la réaction de stress, sa production d’adrénaline et de cortisol. Un stress extrême, véritable tempête émotionnelle, envahit alors l’organisme de la victime et – parce qu’il représente un risque vital (pour le cœur et le cerveau, en raison de l’excès d’adrénaline et de cortisol) – déclenche des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont pour effet de « faire disjoncter » le circuit émotionnel et d’entraîner une anesthésie émotionnelle et physique, en produisant des drogues dures ayant le même effet qu’un cocktail morphine-kétamine (comme dans un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour protéger les appareils qui y sont reliés).

La disjonction de sauvegarde génère un état dissociatif traumatique accompagné d’un sentiment d’étrangeté, de déconnexion et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation qu’elle perçoit sans éprouver d’émotion (anesthésie émotionnelle entraînant une pseudo-indifférence). Mais cette disjonction isole la structure responsable des réponses sensorielles et émotionnelles (l’amygdale cérébrale) de celle qui encode et gère la mémoire et le repérage temporo-spatial (l’hippocampe). L’hippocampe ne peut pas faire son travail de repérage temporo-spatial, d’encodage, de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences. Celle-ci reste alors piégée dans l’amygdale cérébrale, sans être traitée ni transformée en mémoire autobiographique.

C’est cette mémoire piégée que nous appelons la mémoire traumatique. Elle va demeurer hors temps, non consciente, susceptible d’envahir le champ de la conscience ou la sphère émotionnelle si un lien rappelle les violences et de les refaire revivre de façon identique, comme une machine à remonter le temps, avec la même détresse et les mêmes perceptions : ce sont les flash-back, les réminiscences qui peuvent prendre la forme de mal-être, de sentiment de grand danger, de crises d’angoisse ou de panique, de phobies, de douleurs, de sensation d’étouffement ou de mort imminente, des nausées soudaines, un état de grand stress, d’agitation, des colères, des cauchemars... parfois la victime ré-entend des cris, revoit des scènes et paraît hallucinée, elle peut avoir des comportements automatiques de peur et de défense, des sursauts.

Elle a comme caractéristiques principales : d’être immuable : elle n'est pas reconstruite comme la mémoire explicite, le temps écoulé n'a pas d'action sur elle et l'intensité des affects reste inchangée par rapport au trau- matisme initial et ce, de nombreuses années après (Modell, 1990 ; Spiegel, 1993 ; Van der Hart et Steele, 1997) ; d’être déclenchée de façon automatique par des stimuli rappelant le traumatisme (cir- cuit de peur conditionnée) ; d’être intrusive : elle envahit totalement la conscience et donne l'impression de revivre au présent et à l'identique, tout ou partie du traumatisme, sans que celui-ci soit contextualisé dans le temps ou l’espace (Blank, 1985) ; d’être indifférenciée : elle est comme un magma, où tout est mélangé et non identifiable.

La mémoire traumatique entre dans le cadre des symptômes de réminiscences de l'état de stress post-traumatique, il s'agit de réexpérimentations partielles ou complètes du traumatisme qui sont intrusives, déclenchées par des stimuli qui rappellent l'événement traumatique initial et qui peuvent être sensoriels : visuels, auditifs, olfactifs, gustatifs, cénesthésiques ; moteurs ; psychologiques ; émotionnels ; somatiques ; physiologiques ; contextuels : temporels, spatiaux, liés à des événements de la vie quotidienne, ou à de nouveaux traumatismes (Courtois, 1988 ; Gélinas, 1983 ; Steele et Colrain, 1990 ; Solomon, 1987 ; Van, der Hart et Friedman, 1992 ; Van der Kolk, 1994). N'importe quelle dimension du traumatisme ou du contexte, n’importe quel détail ou émotion concernant la victime, l’agresseur ou les témoins, peuvent être réactivés et revécus en colonisant le psychisme de la personne traumatisée. La mémoire traumatique s'exprime sous la forme de flash-back soudains, de rêves et de cauchemars, d'expériences sensorielles pouvant prendre l'apparence d'illusions, d'hallucinations, d'expériences algiques, psychologiques, émotionnelles, somatiques, motrices (Steele et Colrain, 1990).

Revivre à l’identique, cela veut dire avoir les mêmes pensées, émotions, perceptions et sensations que celles qui ont été vécues moment des violences. Au moment de la réactivation, la victime sera transportée dans une autre scène qui est celle des violences qui se rejouera dans son champs psychique mais également dans son corps, dans son comportement et ses réactions. Pour citer plusieurs exemples : la victime peut ressentir précisément des sensations génitales qui se rapportent aux violences sexuelles qu’elle a subies, des douleurs, des paresthésies ou au contraire une sensation d’anesthésie, une intrusion vaginale, la sensation que quelque chose bouge sur son sexe, ses cuisses ou sur sa poitrine; si la mémoire traumatique de violences subies lors de la petite enfance envahit la personne adulte qu’elle est devenue, elle se comportera et parlera comme la petite enfant qu’elle était avec le même vocabulaire, les mêmes outils intellectuels que ceux qu’elle avait à cet âge là pendant le temps que durera la réactivation traumatique (cela peut être quelques secondes, minutes ou parfois plusieurs heures), si elle était bébé et ne savait pas encore parler ni marcher, elle ne s’exprimera que par des pleurs sans pouvoir prononcer de mots et se sentira incapable de marcher ou de tenir debout, si elle ne savait pas encore lire ou écrire, elle sera incapable de comprendre un texte ou d’écrire son nom ou de signer, elle aura une perception et des sensations déformées de son corps qui correspondront à celui qu’elle avait enfant. Autres exemples : une enfant qui a subi à l’âge de 7 ans des violences sexuelles dans son pays d’origine non francophone, si quelques années après avoir immigrée en France et avoir appris le français, sa mémoire traumatique des violence se réactive elle ne va plus être capable de comprendre et de parler le français ; s’il faisait très froid au moment des violences, lors de la réactivation de sa mémoire traumatique elle sera frigorifiée même si cela se produit en plein été et qu’il fait très chaud, si les violences ont eu lieu la nuit, dans le noir, elle ne verra plus rien ; si elle a été immobilisée pendant les violences, elle ne pourra pas bouger ; si elle a subi une strangulation pendant les violences sexuelles, elle suffoquera et aura une sensation de mort imminente ; si elle a subi des coups, elle ressentira des douleurs violentes et soudaines aux endroits où elle les a reçu ; si elle a perdu connaissance, elle peut s’évanouir ; si elle a été en état de choc, elle peut présenter un état alarmant et se retrouver et se retrouver aux urgences. L’état de terreur, de sidération, de stress extrême et de dissociation pourra être revécu à l’identique (paralysie psycho-motrice, troubles de la conscience, stupeur, déréalisation, dépersonnalisation, anesthésie émotionnelle, anesthésie corporelle, déformations perceptuelles, amnésie)…

Telle une « boîte noire », la mémoire traumatique contient non seulement le vécu émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime (sidération, état de choc, terreur et sensation de mort imminente, dégoût, désespoir, mais également tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte (bruits, odeurs, détails des lieux), et à l’agresseur (mimiques, mises en scène, haine, excitation, cris, paroles, injures, etc.). Cette mémoire traumatique des actes violents et de l’agresseur colonise la victime. Elle lui fera confondre ce qui vient d’elle avec ce qui vient des violences et de l’agresseur. La mémoire traumatique des paroles et de la mise en scène de l’agresseur (« Tu ne vaux rien, tout est de ta faute, tu as bien mérité ça, tu aimes ça », etc.) alimentera chez la victime des sentiments de honte, de culpabilité et d’estime de soi catastrophique. Celle de la violence, de la haine et de l’excitation perverse de l’agresseur pourront lui faire croire à tort que c’est elle qui le ressent, ce qui constituera une torture supplémentaire.

Les témoins de la réactivation traumatique pourront voir tour à tour sur le visage et sur le corps de la personne les différents états émotionnels correspondant à ceux de la victime et à ceux de l’agresseur, avec des mimiques de stupeur et de terreur suivi de regards de tueurs ou de sourires sardoniques.

Les situations, les contextes ou les sensations qui vont déclencher la mémoire traumatique sont toujours en lien avec les violences. Liens et et manifestations de mémoire traumatique fournissent des informations sur les violences. L’heure, le moment de la journée, la date, le lieu, le contexte météorologique des violences pourront être ainsi identifiées. Des caractéristiques physiques, la voix, le parfum, des détails ou des accessoires dans l’habillement de certaines personnes qui déclenchent une mémoire traumatique vont donner des éléments concernant l’agresseur. Par exemple

Ce phénomène de reviviscence du trauma permet de comprendre qu’il est impossible pour les victimes - comme on le leur demande trop souvent - de prendre sur elles, d’oublier, de passer à autre chose, de tourner la page... Elles vivent dans la peur permanente qu’elle explose. Cette mémoire traumatique se traite et, grâce au traitement, elle est transformée en une mémoire autobiographique avec laquelle il est bien plus aisé de composer.

Tant que la victime sera exposée à des violences, à la présence de l’agresseur ou de ses complices, au contexte des violences elle sera le plus souvent déconnectée de ses émotions, dissociée.

La dissociation, système de survie en milieu très hostile, peut alors s’installer de manière permanente, donnant l'impression à la victime de devenir un automate, d'être dévitalisée, confuse, comme un « mort-vivant ».

L’anesthésie émotionnelle et physique que produit la dissociation empêche la victime d’organiser sa défense et de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter, ce qui suscite souvent l’incompréhension de son entourage et des professionnel.e.s qui ne sont pas formé.e.s aux psychotraumatismes. Les faits les plus graves, vécus sans affect ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé. Cela entraine de fréquentes amnésies dissociatives post- traumatiques, qui peuvent durer des années.

Cette dissociation traumatique isole encore plus la victime, lui fait se sentir bizarre, pas comme les autres. Elle explique les phénomènes d’emprise et entraîne un risque important de subir de nouvelles violences. Voir l’article sur la dissociation traumatique : ICI

L’absence d’émotion apparente d’une victime dissociée désoriente les personnes qui sont en contact avec elle et peut leur faire croire qu’elle n’est pas traumatisée, qu’elle ne vit rien de grave (avec une mauvaise évaluation du danger qu’elle coure et de la protection qu’il faudrait lui procurer) ou que tout ce qu’elle raconte n’est pas vrai ou exagéré. Les symptômes dissociatifs des victimes donnent l’impression qu’elles sont absentes, indifférentes à leur sort, pas concernées par ce qui leur arrive ou qu’elles sont des personnes parfaitement lisses et suradaptées. Et comme ce sont des neurones miroirs qui permettent de ressentir les émotions d’autrui (c’est le processus de l’empathie qui est inné chez toute personne et présent dès la naissance), si la victime est dissociée, autrement dit anesthésiée émotionnellement, les neurones miroirs de son interlocuteur ne reflèteront rien. Ils ne seront pas activés et ne transmettront aucune émotion. L’interlocuteur ne ressent alors rien face à la victime. Cette absence de ressenti émotionnel peut rendre indifférentes ou incrédules les personnes qui reçoivent le témoignage des victimes. Elles risquent de ne pas être touchées par ce qu’elles ont subi, de ne pas avoir peur pour elles, de ne pas les croire. Elles seront d’autant plus rares à se mobiliser pour la victime et à la protéger, alors qu’elle est gravement traumatisé et en danger. Cela peut même les conduire à avoir des jugements négatifs, voire à rejeter la victime ou à la traiter injustement.

Il est essentiel pour les victimes traumatisées et pour leur entourage (proches et professionnel·le·s) de connaître ces processus de dissociation pour reconstruire intellectuellement ce qu’il faut ressentir et savoir qu’il faut, au contraire, davantage s’inquiéter pour ces victimes qui semblent indifférentes à leur sort, puisque cela signifie qu’elles sont très traumatisées et qu’elles sont certainement encore en grand danger.

Devant une victime dissociée, il est important de la mettre en sécurité et de lui tenir un discours très cohérent, très rassurant. Elle a besoin que l’on comprenne ce qui lui arrive et qu’on lui explique cet état d’anesthésie émotionnelle et son mécanisme, en la rassurant sur le fait que c’est un phénomène normal, dû aux violences.

Dans ce climat de sécurité et de cohérence, la victime pourra alors petit à petit sortir de cette dissociation. En revanche, lui renvoyer qu’elle ne réagit pas normalement, lui demander pourquoi, la mettre en cause en lui disant vouloir la « secouer » parce qu’elle parait absente, amorphe et indifférente, ou pire se moquer d’elle, est catastrophique et cruel. Une telle d’attitude va aggraver ses sensations d’insécurité et d’angoisse et accentuer sa dissociation. Elle sera encore plus confuse, déconnectée et vulnérable face aux agresseurs.

Cette dissociation traumatique est également à l’origine d’importants troubles cognitifs de la mémoire et du repérage temporo-spatial, avec des amnésies traumatiques fréquentes totales ou partielles qui peuvent durer des années tant que les victimes restent exposés à l’agresseur ou à des dangers : 40% des enfants victimes de graves traumatismes (violences sexuelles, sévices physiques) présentent des amnésies traumatiques complètes, 50% en cas d’inceste et de violences sexuelles répétées dans la durée (MTV/Ipsos, 2019). Ces troubles de la mémoire et du repérage temporo-spatial, si on ne se préoccupe pas de protéger la victime et d’explorer sa mémoire traumatique, lors de procédures judiciaires vont rendre le témoignage incomplet, il pourra même être considéré comme incohérent et pas crédible. 

Mais quand la victime sort de son état dissocié (parce qu’elle est en sécurité, protégée de son agresseur), c’est à ce moment là que sa mémoire traumatique (qui n’est plus anesthésiée par la dissociation) risque de l’envahir violemment. La victime peut, au moindre lien qui rappelle les violences, être alors confrontée à un véritable tsunami d’émotions et d’images terrifiantes qui vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et détresse. Cela peut entraîner un état de peur panique, d’agitation, d’angoisse intolérable et un état confusionnel tel, que la victime peut se retrouver hospitalisée en psychiatrie en urgence (avec souvent un diagnostic de bouffée délirante ou de psychose infantile), très souvent accompagné d’un risque suicidaire important, ou, pour les jeunes enfants, de mises en danger sévères. De plus, si la victime ne bénéficie pas d’une prise en charge spécialisée avec des explications rassurantes sur ce qu’elle est en train de vivre, elle pourra considérer que depuis qu’elle a quitté ou est protégée de son agresseur, elle va très mal et que donc ce dernier avait raison, elle ne peut pas vivre sans lui, et retourner chez son agresseur (dans le cadre de violences sexuelles familiale et conjugale) ce qui la plongera à nouveau dans un état dissociatif qui l’anesthésiera. Elle pourra aussi avoir des conduites dissociantes anesthésiantes (cf plus bas) en se mettant en danger.

Il est important pour l’entourage et pour les professionnels de comprendre que, là aussi, c’est un processus psychotraumatique normal, que la victime ne devient pas folle, qu’elle ne fait pas du cinéma : elle est piégée dans une sorte de machine à remonter le temps qui lui fait revivre des scènes des violences qu’elle a subies à l’identique. Ces épisodes de mémoire traumatique se déclenchent lors de liens qui rappellent les violences, il faut aider la victime à les rechercher pour les identifier et pour qu’elle puisse ainsi mieux contrôler sa mémoire traumatique. Ce qui est important, c’est de ne pas paniquer, de parler à la victime pour la faire revenir dans le monde actuel, en la rassurant et en lui décrivant ce qui se passe, en l’appelant par son prénom et en lui demandant de rester en contact avec vous, ce qui permet de l’aider à la sortir du passé. Plus la victime et son entourage comprennent ce qui se passe, plus la mémoire traumatique peut être contrôlée et désamorcée (c’est le principe du traitement). Ces épisodes peuvent également survenir la nuit lors de cauchemars traumatiques. Ils sont particulièrement fréquents chez les enfants. Voir l’article sur la mémoire traumatique : ICI

Les stratégies de survie mises en place par les victimes

Pour les victimes, la mémoire traumatique des violences transforme leur  vie en un enfer pour les victimes, avec une sensation d’insécurité et de danger, de peur et de guerre permanente. Pour empêcher leur mémoire traumatique de se déclencher, ils deviennent hypervigilants et développent des conduites d’évitement, une angoisse de séparation et des conduites de contrôle (avec une peur de tout changement et parfois d’importants troubles phobiques et obsessionnels compulsifs) pour éviter d’allumer cette mémoire traumatique. Ces stratégies de survie sont épuisantes.

Mais ces conduites d’évitement et de contrôle sont rarement suffisantes, et les victimes découvrent très tôt la possibilité de s’anesthésier émotionnellement grâce à des conduites dissociantes pour éteindre à tout prix une mémoire traumatique incompréhensible et impossible à éviter.

Ils développent donc des conduites dissociantes et anesthésiantes qui sont des conduites à risque avec parfois une véritable addiction au stress extrême, et souvent des conduites addictives (alcool et drogues). Ces conduites dissociantes peuvent être à l’origine d’accidents graves et des mises en danger, elles s’expliquent par une recherche compulsive de situations ou de produits qui permettent de faire taire momentanément la mémoire traumatique en la déconnectant et en l’anesthésiant, cette recherche peut aller jusqu’à des passages à l’acte suicidaire : voir la page sur les conduites à risque sur le site ; ICI

Ces conduites à risque servent à calmer l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue, soit en provoquant un stress très élevé (par des conduites à risques, des mises en danger, des troubles alimentaires (boulimie ou anorexie qui provoquent des stress physiologiques), des conduites auto-agressives comme des scarifications, des auto-mutilations, des jeux dangereux, ou des conduites hétéro-agressives ou délinquantes) qui redéclenchent la disjonction du circuit émotionnel et la sécrétion de drogues dissociantes par le cerveau, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, drogues, tabac à haute dose) .

Ces conduites servent à calmer l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue :

- soit par des comportements à risque provoquant un stress très élevé : des mises en danger (jeux dangereux, qui recherchent de contenus problématiques sur internet, etc ...) ; des troubles alimentaires (boulimie précoce, auto-gavage, refus de s’alimenter qui provoquent des stress physiologiques...) ; des conduites auto-agressives comme des scarifications, des auto-mutilations ; pour les enfants des comportements sexualisés auprès des adultes (toucher les parties sexuelles ou les seins, embrasser avec la langue, se coller de façon inadaptée...) qui risque de les exposer à de nouveaux agresseurs, une anormale proximité physique avec des adultes inconnus, des comportements de provocation agressive avec les adultes ; des conduites hétéroagressives ou délinquantes (« bagarres » répétées avec les autres enfants, agressions, reproduction des violences sexuelles contre d’autres enfants...) ; qui redéclenchent la disjonction du circuit émotionnel et la sécrétion de drogues dissociantes par le cerveau,

- soit en consommant des drogues dissociantes (dans certains cas, de jeunes enfants peuvent chercher à s’étourdir avec l’alcool laissé sans surveillance par les adultes, ou avec des médicaments ou des produits toxiques comme des produits ménagers, des colles ou des feutres à l’alcool ...), et bien sûr, en recourant aux « addictions sans produits » dès qu’elles leur sont accessibles (réseaux sociaux, pornographie...). Les comportements de mise en danger sont le plus souvent des répliques des violences subies.

Ces conduites dissociantes sont des tentatives désespérées d’auto-traitement. Elles deviennent souvent compulsives et dangereuses, elles peuvent être à l’origine d’accidents graves, de mises en danger et de passages à l’acte suicidaire. Elles sont très préjudiciables pour la santé et la qualité de vie des victimes dont elles aggravent la vulnérabilité, les handicaps, ainsi que le risque de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à leur tour.

Les professionnels de la santé identifient rarement les conduites d’évitement et les conduites à risques comme des conséquences psychotraumatiques, et ne recherchent pas systématiquement les violences qui pourraient en être à l’origine. Tous les symptômes psychotraumatiques sont souvent banalisés, mis sur le compte du « manque de cadre » dans la famille, de troubles de l’attention ou de troubles de la personnalité. À l’inverse, parfois, ils sont étiquetés psychotiques et traités comme tels, ou alors attribués à des déficits cognitifs.

Devant tous ces comportements qui, de même que les signes de dissociation, peuvent être très déstabilisants, déconcertants et angoissants pour l’entourage, il est essentiel de ne pas paniquer et de ne pas s’en prendre à la victime. Il est tout à fait contre-productif de faire la morale à l’enfant. Il s’agit avant tout de comprendre et de rechercher ce qui provoque l’exacerbation des stratégies de survie et de faire des liens.

Et je voudrais tout particulièrement insister aujourd’hui sur l’importance de ce pilier psychologique et sur l’énorme perte de chance pour les victimes qu’ont représentées jusque là, la non prise en en considération des troubles psychotraumatiques et la méconnaissance des mécanismes en jeu et de leurs symptômes principaux (sidération, mémoire traumatique, dissociation traumatique et les stratégies de survie que sont les conduites d’évitement et contrôle ainsi que les conduites à risques et les mises en danger anesthésiantes et dissociantes). 

Perte de chance que ce soit au niveau de leur reconnaissance, du dépistage, de leur protection, de leur santé physique et mentale et de leur prise en charge qu’elle soit médicale, psychologique, judiciaire et socio-économique. 

Cette non prise en compte et cette méconnaissance porte gravement préjudice aux victimes de violences sexuelles, porte atteinte à leurs droits, alimente le déni, les stéréotypes sexistes, les mythes et la culture du viol que subissent les victimes, crée des injustices en cascade et participe à l’impunité quasi totale de ces violences.


Du fait de cette ignorance les symptômes psychotraumatiques que les victimes de violences sexuelles présentent - alors qu’ils sont pathognomoniques et des preuves médicolégales des violences sexuelles qu’elles ont subi - se retournent très fréquemment contre elles pour mettre en cause leurs témoignages, les décrédibiliser, les culpabiliser et sous-estimer grandement les aides et les réparations auxquelles elles pourraient avoir droit, tandis qu’elles permettent de dédouaner les aggresseurs et d’assurer leur impunité .


Malgré toutes les recherches, tous les travaux, toutes les connaissances accumulées depuis plusieurs décennies il a fallu un temps considérable, beaucoup de batailles pour que les traumas ne soient plus réduits à des réactions psychologiques en lien avec la personnalité, le sexe ou la fragilité mentale supposée de la victime ou confondues avec des maladie psychiatriques, mais à des conséquences universelles en lien avec des blessures neurologiques visibles en neuro-imagerie accompagnées de pertes de volume importante de structures corticales, d’atteintes des connexions dendritiques et des circuits émotionnels et de la mémoire, qui peuvent se réparer par neurogénèse et neuroplasticité grâce à une mise sous protection et à un traitement spécifique.

Il est temps de rendre enfin justice aux victimes, de reconnaître qu’il est normal qu’elles soient sidérée et paralysées lors de violences aussi cruelles, dégradantes et déshumanisantes que les viols et dans l’incapacité de crier de se défendre de fuir, normal que cette sidération traumatique produise un stress extrême toxique représentant un tel risque vital pour le cœur et le cerveau qu’un mécanisme de sauvegarde s’enclenche qui fait disjoncter circuit émotionnel et de la mémoire et crée un état de dissociation avec une anesthésie émotionnelle qui les empêche de réagir 

Il est temps d’être enfin solidaire des victimes, il est temps qu’elles soient entendues, protégées, accompagnées, soutenues et soignées, il est temps que leurs droits et leur dignité soient respectées et qu’elles accèdent à une justice et à des réparations, et qu’enfin la vérité l’emporte. Pour cela, il faut lutter avec acharnement contre tout ce qui participe à la négation de ces crimes et délits sexuels : le déni, la loi du silence, la culture du viol avec ses fausses représentations et ses stéréotypes sexistes qui culpabilisent les victimes et exonèrent les agresseurs, les inégalités, le sexisme et toutes les autres formes de discriminations, la domination masculine et ses privilèges indus.

Dans le cadre de cette lutte, la compréhension des conséquences psychotraumatiques et de leurs mécanismes neuro-biologiques, l’analyse thérapeutique précise et détaillée, telle une autopsie dirigée, de leur symptôme central, la mémoire traumatique, sont des outils nécessaires et performants pour rendre justice aux victimes et réparer les atteintes à leur dignité et leur intégrité, et remettre le monde à l’endroit en rétablissant la vérité.


Dre Muriel SALMONA, 

psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, auteure de Le livre noir des violences sexuelles (Dunod 3ème éd. 2022) et de Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables (Dunod, 2ème éd. 2021); membre du comité scientifique de la chaire internationale sur « La violence faite aux femmes et aux filles dans les conflits » dite Chaire Mukwege et de la Commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants, CIIVISE

drmsalmona@gmail.com

Site : https://www.memoiretraumatique.org


Bibilographie

le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, ressources, enquêtes et rapport (IVSEA) plaquettes et brochures d’information, fiches pratiques, vidéos et modules de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org

L’article de la Dre Muriel Salmona de 2021 : Les violences sexuelles :  psychotraumatisme majeur qu’il est essentiel de prendre en compte pour rendre justice aux victimes, les secourir, les protéger et les soigner,  article publié dans Violences sexuelles : en finir avec l'impunité E. Ronai et E. Durand, Dunod, mars 2021 https:// www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/ 2021_violences_sexuelles_un_psychotraumatisme_majeur.pdf

Le dossier de 2020 sur : L’analyse de la mémoire traumatique et des autres symptômes psychotraumatiques : une technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol pour obtenir soins, justice et réparations, téléchargeable sur le site : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020_analyse_memoire_traumatique_au_secours_des_droits_viol_soins_justice_reparations.pdf

Le dossier référencé de 2021 sur le soin victimes de violences sexuelles : SOIGNER LES VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES Un impératif humain et de santé publique téléchargeable sur le site : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/202112-Les-soins-aux-victimes-de-violences-sexuelles.pdf

Et celui élaboré spécifiquement pour la CIIVISE (Commission Indépendante Inceste et Violences Sexuelles faites aux Enfants : Prise en charge des conséquences des violences sexuelles subies dans l’enfance sur la santé des victimes : un impératif humain et une urgence de santé publique 15 mesures à mettre en place en urgence https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2022Prise-en-charge-consequences-violences-sexuelles-urgence.pdf


Et d’autres articles utiles 

Salmona M, Viols et agressions sexuelles in Aide-mémoire psychotraumatologie en 51 notions M. Kédia, A Sabouraud-Seguin et al. édition Dunod, 2020 3ème ed pp 79-101.

Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post- traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie. Paris : Dunod, 2013

Salmona M,, L’Amnésie traumatique : un mécanisme dissociait pour survivre. In Coutanceau Roland et Damiani Carole Victimologie. Évaluation, traitement, résilience (p. 71-85). 2018a Paris : Dunod

Salmona M, La mémoire traumatique. in Kadia, M. Aide-mémoire de Psycho- traumatologie, Paris Dunod 3ème édition 2020

Pour la prise en charge des enfants les plus jeunes : notre livret de prévention et d’information des violences et de leurs conséquences « Quand on te fait du mal » illustré  par Claude Ponti.



Le livret est téléchargeable en PDF sur le site sur ce lien : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2022-quand-on-te-fait-du-mal_ponti-memoire-traumatique-hdweb.pdf

Et disponible et distribué gratuitement en livret imprimé : demande par mail à memoiretraumatique@gmail.com16

 



Autres ressources :

Vous avez pour accompagner ce guide de nombreuses informations, articles, vidéos, enquêtes, manifestes, lois, ressources sur le site memoiretraumatique.org avec plus spécifiquement :



  • un clip pédagogique « Paroles d’expertes » 

Sur les conséquences psychotraumatiques des violences et leurs mécanismes psychotraumatiques par la Dre Muriel Salmona sur le site gouvernemental « Arrêtons les violences» 


Les fiches de prévention des violences sexuelles :
1-Comment parler à un enfant
2-Accompagner un enfant victime




Des brochures et plaquettes de prévention et d’information sur les violences et leurs conséquences (pour adultes, jeunes, adolescents et enfants) téléchargeables gratuitement et que vous pouvez obtenir sur demande à memoiretraumatique@gmail.org : https://www.memoiretraumatique.org/publications-et-outils/brochures-d’information.html

2 commentaires:

Unknown a dit…

MERCI DE CET ARTICLE ET DE VOTRE COMBAT ! Nous connaissons des personnes détruites par ce qu'elles ont vécu aussi nous prévoyons au titre de mon association Les Saintexupériens de Haute Tarentaise, une visio à rayonnement savoyard sur les conséquences des psycho traumatismes telles que vous les avez présentées le 2 /11. Pourriez vous m'indiquer le nom d'un de vos collègues/collaborateurs-trices qui auraient compétences, légitimité et temps pour s'insérer à notre projet prévu à l'automne 2023 et insérer dans un projet global ( intervention des professionnels du Conseil départemental en table ronde présentiel / ciné-débat- intervention en milieu scolaire - travail partenarial avec Communautés de Communes du territoires de Tarentaise, Assistante sociale, Education nationale, UNAFAM) Marie Annick VERGUET 0603944467 saintexuperiens73@gmail.com Facebook SaintexuperiensTOUS

. a dit…

Je voudrais vous dire à tous que j'ai réussi à mettre fin au problème du divorce et à rétablir mon mariage. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mon mari qu'il a demandé le divorce, j'ai essayé de le convaincre de ne pas le faire, mais il n'a pas voulu écouter, je n'avais pas d'autre choix que de chercher de l'aide partout où je pouvais penser. Et je suis allé jusqu'à contacter DR DAWN et maintenant je suis content de lui avoir demandé de l'aide. Sans l'aide du Dr DAWN, je ne sais pas ce qui serait arrivé à mon mariage car j'aimais mon mari et je ne pouvais pas supporter de le perdre. Le sort a fonctionné comme par magie, mon mari a changé et a commencé à montrer de l'amour au lieu du divorce qu'il envisageait. Je suis trop heureux que tout soit en place pour moi maintenant. Je recommanderais volontiers le Dr DAWN à tous ceux qui ont des problèmes de mariage ou de fertilité. Si vous avez besoin de l'aide d'un véritable lanceur de sorts dans n'importe quelle situation, contactez le Dr DAWN sur WhatsApp : +2349046229159
Ou par e-mail : dawnacuna314@gmail.com