lundi 30 mars 2020

CONFINEMENT ET RISQUE D’EXPLOSION DES VIOLENCES SEXUELLES, ET DE LA PÉDOCRIMINALITÉ SUR LE NET, IL EST URGENT D’AGIR 30 mars 2020


CONFINEMENT ET RISQUE D’EXPLOSION DES VIOLENCES SEXUELLES, ET DE LA PÉDOCRIMINALITÉ SUR LE NET, IL EST URGENT D’AGIR 




Dre Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie https://www.memoiretraumatique.org
Le 30 mars 2020

Les crises, sanitaires comme celle que nous vivons avec la pandémie de COVID-19, ou bien liées à des catastrophes naturelles ou à des conflits armés, sont un facteur de risque connu et démontré de troubles psychotraumatiques pour la population, et de recrudescence de violences, pendant et après la crise, particulièrement de violences sexuelles. Le confinement à grande échelle aggrave encore ces violences du fait du huis-clos familial et institutionnel, cadre dans lequel ont lieu la majorité des violences sexuelles que subissent les principales victimes que sont les enfants (et parmi eux, principalement les filles), les femmes, ainsi que les personnes les plus vulnérables et les plus discriminées, les personnes handicapées, malades, âgées, dépendantes et en grande précarité, personnes en foyer d'accueil, SDF, personnes prostituées…

Or si, depuis le mouvement #MeToo, la loi du silence ne règne plus autant sur ces violences sexuelles, le déni et l’impunité n’ont perdu aucun terrain. Les violences sexuelles ont beau être plus révélées, les victimes sont tout autant abandonnées et les agresseurs tout aussi libres de continuer à commettre leurs crimes sans en être nullement inquiétés. La pédocriminalité explose dans le monde, chaque année le nombre de photos et de vidéos pédocriminelles répertoriées comme étant disponibles sur le net double, nous en sommes à 70 millions, la France en nombres de sites et de consommateurs d’images pédocriminelles est le 4ème pays, après les USA, le Canada et les Pays-Bas. On apprend que pendant le confinement le plus grand site pornographique du monde PornHub dont on sait qu’il héberge des vidéos de pédocriminalité et de revenge-porn faciles à télécharger et que l’un des 10 termes  es plus recherchés sur ce site est « Teen porn », a offert un accès Premium gratuit aux personnes isolées en Italie, en Espagne et dernièrement en France, ce qui lui a permis de faire bondir le taux de visite. The Guardian rapporte que beaucoup s’inquiètent de la prolifération de ces contenus illicites, une pétition initiée par Laila Mackelwait pour fermer le site a collecté plus de 500000 signature, su Royaume-Uni, des militants et des parlementaires appellent à davantage de contrôle des contenus visibles sur la plateforme pour protéger les enfants, les autorités françaises ne doivent pas rester en reste. Les enfants confinés avec ces utilisateurs de contenus illicites sont en grand danger !

Avec cette crise, il est d’autant plus urgent de lutter contre le déni, la loi du silence et l’impunité dont bénéficient ces crimes sexistes haineux envers les femmes et les enfants. Pour que le monde soit enfin plus solidaire et plus juste pour les victimes de ces crimes sexuels, pour que la vérité sur ces crimes ne soit plus niée, la reconnaissance, l’information, la prise en compte et le traitement des psychotraumatismes est un préalable nécessaire, de même que la formation de tous les professionnels susceptibles de dépister (le dépistage systématique est essentiel), de secourir et protéger, de prendre en charge, d’accompagner, de soigner les victimes, aux conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles et à leurs mécanismes : à la sidération, la dissociation et la mémoire traumatiques. C’est ce qui permettra de démonter les mythes et les stéréotypes sexistes à l’origine de la mise en cause quasi-systématique de la parole des victimes et de leur culpabilisation et de restaurer ainsi leurs droits ainsi que leur dignité.

De part leur ampleur considérable et leurs conséquences psychotraumatiques dévastatrices sur la santé et la vie des victimes, les violences sexuelles sont reconnues comme un problème majeur de société, de droits des personnes et de santé publique. Elles sont également une grave atteinte aux droits fondamentaux des personnes (à leur dignité, intégrité mentale et physique ainsi qu’égalité entre les femmes et les hommes), et sont réprimées par la loi comme des crimes et délits. Pourtant, bien que que les viols soient considérées en droit international et européen comme des crimes de premier ordre et des traitements cruels, inhumains et dégradants, voire comme une forme de torture que les États ont la responsabilité et l’obligation de prévenir et de punir, ces crimes sont ceux qui bénéficient de la plus grande impunité ; leurs victimes sont les moins reconnues et réparées par la justice, et les moins protégées et prises en charge. Perte de chance en matière de santé, aggravation des inégalités, injustices et maltraitances sont la règle pour ces victimes. La faillite de la justice est telle qu’elle offre un permis de violer à grande échelle les filles et les femmes qui en sont les principales victimes, ainsi que les personnes les plus vulnérables, handicapées et discriminées.

En France seuls 10% des viols et des tentatives de viols sur adultes et 4% sur mineurs font l’objet de plainte, et 74% de ces plaintes sont classées sans suite, la moitié de celles instruites sont correctionnalisées en agressions ou atteintes sexuelles ; au total 10% des plaintes seulement sont jugées en cour d’assises (soit 1% des viols sur majeurs et 0,4% sur mineurs). Pire encore, depuis 10 ans les condamnations pour viols ont diminué de 40% (Infostat Justice, 2018). 

Cette impunité quasi totale est alimentée par le déni, les inégalités, les stéréotypes sexistes, la culture du viol, l’absence de protection et de soins des victimes, ainsi que par la méconnaissance des psychotraumatismes dont les symptômes universels sont reprochés aux victimes et utilisés pour les décrédibiliser (sidération, dissociation, mémoire traumatique, amnésie traumatique). L’impunité met en danger les femmes, les enfants, et surtout les filles qui risquent d’autant plus de subir ces violences tout au long de leur vie : une fille sur cinq et un garçon sur treize subissent des violences sexuelles, et chaque année 94000 femmes, 16000 hommes, 130000 filles et 35000 garçons subissent des viols et des tentatives de viols par des hommes et des proches dans 90% des cas. 

Pour briser ce huis-clos, sécuriser et protéger les victimes, soulager leurs souffrances une solidarité, une information sur les traumas, les ressources et les droits des personnes, et des interventions extérieures sous la forme de secours, d’aide, de soutien et de soins sont essentielles. Ce ne sont pas aux seules victimes de violences et aux personnes les plus précaires, vulnérables et dépendantes de se protéger, d’alerter et de fuir, c’est pour elles, le plus souvent mission impossible. Il est indispensable de ne pas les abandonner, de se préoccuper des plus vulnérables, discriminées et précaires, d’aller vers elles, d’identifier les situations à risque et de traiter et de de sécuriser ces situations quand c’est possible, de dépister les situations de violences et de secourir les victimes, de les protéger et de les aider efficacement. Sortir du déni, informer et former sans relâche, offrir des ressources, faire un dépistage systématique en posant des questions, évaluer le danger couru du fait des violences et la gravité du traumatisme (risque suicidaire, de mise en danger), signaler les violences, secourir, protéger efficacement, ne laisser aucune violence impunie et mettre en place des soins spécialisés doivent être des impératifs. Nous sommes encore loin du compte, il faut des moyens, des réformes et une réelle volonté politique à hauteur de l’enjeu en terme de santé publique et des droits fondamentaux des personnes. Mais les victimes en danger ne peuvent attendre, parallèlement à la lutte contre la pandémie, les professionnels les plus concernés doivent s’engager dans ce combat, que ce soient les professionnels de santé (identifiés comme premier recours par les victimes), du secours, de l‘éducation, du social, de la protection de l’enfance, mais nous pouvons toutes et tous y participer, et la Justice doit être au rendez-vous.

Les dernières mesures législatives (loi Schiappa de 2018) restent insuffisantes pour lutter contre ces violences sexuelles et protéger toutes celles et ceux qui en sont les victimes, particulièrement les enfants et les personnes les plus vulnérables (cf mon article Loi Schiappa, bilan, un an après ). La lutte contre les violences sexuelles et la protection, la prise en charge et le soin des victimes doit être une priorité absolue. Il est indispensable d’agir et de tout faire pour que l’impunité recule : il faut que la protection de l’enfance et justice soit réformées pour être plus efficaces, que des tribunaux spécialisés voient le jour avec des magistrats formés et qu’elle bénéficie de plus de moyens, et il est urgent que soient votées des mesures fortes (cf notre Manifeste) telles que :
  • un seuil d’âge du non-consentement avec définition d’un crime sexuel spécifique pour les mineurs de 15 ans (18 ans en cas d’inceste) ; il est aberrant et cruel de chercher pour un enfant à prouver la violence, menace, contrainte ou surprise, et c’est essentiel pour lutter efficacement contre le fléau inhumain du traffic des enfants à des fins sexuelles : prostitution des mineurs, pédocriminalité sur le net ;
  • une imprescriptibilité des crimes sexuels et une interruption de la prescription pour les crimes en série (en cas de commission d’un même crime sur une autre victime par un même auteur) et lors d’amnésie traumatique (40% des victimes en présentent) en tant qu'obstacle insurmontable ;
  • Une abrogation de la possibilité de correctionnaliser les crimes.
  • La création de centres de crises et de prise en charge des Violences Sexuelles accessibles 24h/24 et 7jours/7 dans les services d’urgence des hôpitaux pour adultes et pour enfants et les Unités Médico-Judiciaires où les victimes pourront bénéficier de soins et d'un recueil de preuves médico-légales, et où elles pourront porter plainte si elles le souhaitent, sur le modèle des 3 centres CPVS (et bientôt 6) existants en Belgique depuis 2017 ;
  • La mise en place de mission pluridisciplinaires indépendantes pour évaluer la prise en charge et les décisions judiciaires concernant les plaintes pour violences sexuelles 

Avec le mouvement #MeToo, le temps de la loi du silence et de la tolérance pour les agresseurs sexuels semble révolu, mais le temps dune réelle protection, dune prise en charge spécialisée et de la justice pour les victimes commence à peine.

Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
30 mars 2020

Vous trouverez ci-dessous une documentation et une courte biblio, les manifestes et pétitions à signer, des brochures à télécharger et les numéros d’urgence et d’aide aux victimes :

Pour en savoir plus : site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, ressources, rapports et vidéos de formation à consulter et télécharger https://www.memoiretraumatique.org

Les enquêtes de l’association sur les violences sexuelles : 
Enquête IVSEA 2015, « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », conduite par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, 2015, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites http://www.memoiretraumatique.org.
Enquête AMTV/Ipsos 2019 : « Violences sexuelles dans l’enfance » Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org.

Biblio sur les enquêtes OMS et nationales de victimologie :
Infostats Justice, « Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n° 160, 2018.
Infostats Justice, « Les condamnations pour violences sexuelles », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n°164, 2018.
REDRESS, « Réparation pour viol, Utiliser la jurisprudence internationale relative au viol comme une forme de torture ou d'autres mauvais traitements », 2013., disponible à l’adresse suivante : www.redress.org
Les lettres numéro 8 de l’Observatoire National des violences faites aux femmes téléchargeable sur le site http://stop-violences-femmes.gouv.fr
Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France – 2017
Enquête CSF Contexte de la sexualité en France de 2006, Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés (Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques), 445, mai 2008
Enquête VIRAGE INED et premiers résultats sur les violences sexuelles : Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al. Documents de travail n° 229, 2017, 67 pages
World Health Organization, « Global Status Report on Violence Prevention », Genève, WHO, 2014, 2016.
OMS. INSPIRE : Sept stratégies pour mettre fin à la violence à l’encontre des en- fants : résumé d’orientation. Genève, Suisse : OMS 2016

Manifeste et pétitions de l’association à signer :

Pétition pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels (plus de 41 800 signataires et 27 Assos co-signataires) à signer ICI https://www.mesopinions.com/petition/justice/imprescriptibilite-crimes-sexuels/25896
Manifeste pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels  : https://manifesteimprescriptibilite.blogspot.com

Pétition stop impunité des crimes sexuels (plus de 103 000 signataires et ses 29 Assos co-signataires) à signer ICI : https://www.mesopinions.com/petition/justice/stop-mpunite-crimes-sexuels/35266
Manifeste contre l’impunité et ses 8 mesures : https://manifestecontrelimpunite.blogspot.com

Manifeste Stop aux violences faites aux enfants (avec de nombreuses pages d’information sur les conséquences des violences sur la santé des enfants) : https://manifestestopvfe.blogspot.com
Pétition Stop aux violences faites aux enfants (plus de 50 500 signataires et ses 26 Assos signataires) à signer ICI : https://www.mesopinions.com/petition/politique/manifeste-stop-aux-violences-aux-enfants/28367



En cas d’urgence et de danger imminent

  • n'hésitez pas à appeler la police ou la gendarmerie en cas de scène de violences (17 ou 112 pour les mobiles), le 114 pour les personnes malentendantes,
  • Pour des mineurs ou des personnes vulnérables (personnes handicapées, malades, âgées, femmes enceintes) si vous pensez qu’ils sont en danger et qu’ils ont subi des violences avérées il faut signaler les faits directement au procureur de la République du Tribunal de Grande Instance
  • Il est possible de signaler des faits de violences sexistes et sexuelles et d’être conseiller sur la  la plateforme de signalement en ligne des violences sexuelles et sexistes : https://www.service-public.fr/cm
Il est possible de porter plainte dans n’importe quel commissariat ou n’importe quelle gendarmerie ou d’écrire au procureur de la République pour porter plainte 
pour avoir des conseils et des informations n'hésitez pas à appeler les permanences téléphoniques : 
    • 119 (enfance maltraitée), 
    • 39-19 (violences faites aux femmes), 
    • 39-77 (maltraitance envers les personnes âgées et les personnes handicapées),
    • 0 800 05 95 95 (viols femmes information du collectif féministe contre le viol), 
    • 116 006 numéro d’aide aux victimes, 
    • l'AVFT (association contre les violences faites aux femmes au travail) 01 45 84 24 24. 
    • Vous pouvez aussi appeler les cellules de recueil des informations préoccupantes CRIP qui ont été mises en place dans chaque département.

Pour plus d’informations sur les violences vous pouvez télécharger sur le site les plaquettes et brochures d’information :











vendredi 27 mars 2020

LE CONFINEMENT ET LA PANDEMIE DE COVID-19 : Un risque accru de violences et de psychotraumatismes pour les femmes, les enfants et les personnes les plus vulnérables


LE CONFINEMENT ET LA PANDEMIE DE COVID-19 : 
Un risque accru de violences et de psychotraumatismes pour les femmes, les enfants et les personnes les plus vulnérables 



Dre Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie 

Le confinement à l’échelle de toute la population que nous subissons avec la pandémie de COVID-19, par son caractère inédit et contraignant, nous a fait brusquement basculer dans une autre réalité : notre vie quotidienne, tous nos projets, nos liens, rencontres, nos rituels et nos repères habituels ont été profondément bouleversés. S’il nous a fait prendre la mesure de la gravité de la pandémie et du danger que nous courions, sans échappatoire ni déni possible, en s’abattant sur nous, il a généré un choc et une effraction psychique. Après nous avoir sidéré, il nous a laissé sonné, anesthésié avec un sentiment d’étrangeté et d’irréalité. Dans un premier temps, la plupart d’entre nous ont été démunis pour le penser et en envisager toutes les conséquences et toutes les ressources et la solidarité nécessaires qu’il faudrait pour que toutes les personnes, particulièrement les plus vulnérables et discriminées, puissent le vivre et affronter, dans le respect de leurs droits les plus fondamentaux, la maladie, la peur, le stress, l’isolement, l’enfermement, l’incertitude et l’insécurité, la perte de contacts sociaux importants voire vitaux pour certains, les pertes financières et le danger d’être piégé dans un univers violent et maltraitant.

Le coût psychologique de ce confinement prolongé risque de s’avérer important et sur le long terme, avec un impact sur la vie et la santé de la population qui devra être reconnu par les autorités comme un problème de santé publique nécessitant des mesures d’informations, de soutien, d’aides, de protection et de soins spécifiques, en tenant compte des situations de vulnérabilité et le respect des droits fondamentaux des personnes. 

Une étude sur le confinement en Chine publiée début mars dans la revue General Psychiatry montre que près de 35% des répondants ont souffert d'une forme de détresse psychologique. Dans plusieurs études rapportées par la revue The Lancet ans un article publié le 14 mars, les personnes confinées présentaient des symptômes d’état de stress post traumatiques et étaient nombreux à signaler des troubles anxieux et dépressif, un état de stress aîgu, des sentiments de peur et de culpabilité, une irritabilité et des sentiments de colère, un épuisement émotionnel pouvant être associé à un détachement et un état d’anesthésie émotionnels, une insomnie. 

Ces symptômes, s’ils ne sont pas pris en charge, ont tendance à se chroniciser après la fin du confinement dans le cadre de troubles psychotraumatiques qui s’accompagnent de risques de dépression, d’idées suicidaires, de conduites d’évitement phobo-obsesssionnels, de conduites à risque avec  des mises en danger et des addictions, de troubles alimentaires, de nombreux troubles somatiques et de conséquences importantes sur la qualité de vie, l’insertion sociale et professionnelle. Tous ces symptômes sont des conséquences psychotraumatiques habituelles et universelles liées à des mécanismes de sauvegarde mise en place par le cerveau face à un stress extrême, responsable dune dissociation traumatique qui anesthésie émotionnellement, et dune mémoire traumatique qui fait revivre à l’identique, de façon incontrôlée le trauma, son stress et les souffrances endurées aussitôt qu’un lien le rappelle, comme une machine à remonter le temps. Si les personnes traumatisées n’ont pas accès à des soins spécifiques pour traiter leur mémoire traumatique, elles mettent en place des stratégies de survie pour y échapper : hypervigilance, conduites d’évitement et de contrôle qui son épuisantes, ou bien des conduites dissociantes, à risque, anesthésiantes comme des mises en danger, des conduites addictives et des conduites violentes contre soi ou autrui.

Le confinement, s’il est en lui-même une épreuve et un événement potentiellement traumatisant pour toutes les personnes, et d’autant plus pour les les plus vulnérables et précaires, il l’est également par les réactivations traumatiques (reviviscences, flash-backs de la mémoire traumatique) qu’il peut engendrer chez des personnes ayant déjà subi des traumatismes dans leur passé, par l’aggravation de pathologies psychiatriques et de troubles neuro-développementaux (tels que les troubles du spectre de l’autisme) préexistants et par le risque accru de subir des violences ou bien d’en être témoin au sein du huis-clos familial ou insititutionnel, et d’en être gravement traumatisé.

Les crises, qu’elles soient sanitaires ou liées à des catastrophes naturelles ou à des conflits armés, sont un facteur de risque connu et démontré par de nombreuses études de troubles psychotraumatiques pour la population, et de recrudescence de violences, pendant et après la crise, particulièrement de violences sexuelles, conjugales, de maltraitances intra familiales et institutionnelles. Dans le cadre de la pandémie du Covid-19, une étude en Chine de février 2020 montre que 90% des violences domestiques sont en lien avec l’épidémie et d’autres études montrent que les violences conjugales auraient doublé voire triplé pendant cette période.

Il est évident que les coûts psychologiques les plus lourds du confinement vont concerner les personnes les plus discriminées, vulnérables et dépendantes qui vont cumuler tous les facteurs de risque : les femmes et les filles, les enfants, les personnes handicapées et dépendantes, les personnes âgées et malades, les personnes précaires et marginalisées, SDF, immigrées demandeuses d’asile. Ce sont celles qui sont les plus à risque d’avoir subi des violences dès l’enfance : violences sexuelles, maltraitances physiques et psychologiques, négligences, ce sont celles qui sont le plus à risque de subir des violences intra-familiales et institutionnelles lors du confinement, et ce sont celles qui présentent le plus de troubles psychotraumatiques dans la population et qui sont le plus confrontées à la précarité et aux discriminations.

Pour rappel 1 femme sur 3 a subi des violences physiques et ou sexuelles, le plus souvent dans le cadre intra familial et conjugal, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur treize a subi des violences sexuelles dans plus de la moitié des cas par un membre de la famille, 1 enfant sur 4 des violences physiques, 1 enfant sur 3 des violences psychologiques, les femmes handicapées subissent 4 fois plus de violences, jusqu’à 90% des femmes présentant des TSA ont subi des violences sexuelles, 78% de l’ensemble tout sexe confondu, et en France chaque année plus de 220000 femmes subissent des violences conjugales, 94000 des viols et des tentatives de viols, les hommes sont 16000 a en subir, et les enfants principales victimes de violences sexuelles sont 165 000 : 130 000 filles et 35 000 garçons. Ces violences sont particulièrement traumatisantes et portent atteintes aux droits, à la dignité et à l’intégrité mentale et physiques des victimes avec de lourdes conséquences sur leur vie et leur santé, elles aggravent les inégalités, sont un facteur de risque important de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie et renforcent les discriminations et les situations de vulnérabilité dans un cycle sans fin, si rien n’est fait pour protéger, accompagner, soigner ces victimes, et leur rendre justice.

Avec le confinement, nombreuses sont les personnes ayant subi des violences, le plus souvent dès l’enfance et qui présentent des troubles psychotraumatiques avec lesquels elles tentent de survivre seules, le plus souvent sans les soins et l’accompagnement spécifiques nécessaires et qui gèrent tant bien que mal, avec des stratégies de survie, leur mémoire traumatique, qui vont être confrontées à une forte réactivation de celle-ci, le stress, la peur d’être contaminée ou de contaminer, la culpabilisation, le bouleversement de tous les repères habituels, l’enfermement qui rappelle des situations de séquestration, l’isolement et l’éloignement des personnes sécurisantes, les situations de dépendances pouvant faire liens avec le contexte des violences du passé et mettre à mal les stratégies habituelles de survie. Cette réactivation est source d’angoisse, de souffrance et d’aggravation des troubles psychotraumatiques si elle n’est pas prise en charge. Chez les enfants, cette réactivation est à l’origine de troubles anxieux ou de troubles dissociatifs avec des angoisses de séparation, des pleurs, une agitation importante, des troubles de l’alimentation et du sommeil, une déconnexion et une pseudo-indifférence qui représentent un risque de maltraitances de la part des parents ou des personnes qui en ont la garde. Il est important de fournir des informations claires et cohérentes à la fois sur le confinement et la pandémie, sur les ressources à disposition et sur les mécanismes psychotraumatiques, plus les personnes traumatisées et leurs proches protecteurs et les personnes qui les accompagnent comprennent les symptômes psychotraumatiques, mieux ils pourront être gérés et plus l’accès à des soins spécialisés sera possible. Il est à noter qu’à l’inverse, des personnes traumatisées peuvent en étant confinées chez elles, se sentir bien plus sécurisées, en étant à l’abri de situations de maltraitances subies à leur travail, chez des membres de leur famille avec lesquelles elles ne vivent pas mais qu’elles sont obligées de voir, ou dans le cadre de leurs déplacements ou de leurs activités, à l’abri également d’interactions sociales qui, par leur nombre sont sources pour elles d’hypervigilance, de contraintes, de risques de réactivation de leurs traumas, et d’efforts constants pour contrôler des sentiments de danger, de menaces et de déstabilisations émotionnelles épuisants, ainsi que d’une obligation de jouer un rôle et de masquer sa souffrance ou son état de dissociation traumatique.

D'autre part, comme nous l’avons vu, le confinement aggrave encore les violences physiques, sexuelles, psychologiques, économiques et les maltraitances faites aux femmes et aux personnes vulnérables du fait du huis-clos familial et institutionnel, cadre dans lequel ont lieu la majorité de ces violences. La situation de confinement associée aux conduites dissociantes violentes liées aux réactivations de mémoire traumatique des violences que les agresseurs ont subies et surtout déjà exercées (et qu’ils choisissent de gérer en l’anesthésiant par la violence qu’ils exercent contre des personnes sur lesquelles ils exercent des rapports de force) fait un cocktail encore plus explosif et dangereux pour les victimes de violences intra-familiales. Les rapports de domination, de dépendance et d’emprise qui peuvent y régner en font souvent des zones de non-droit où la violence peut s’exercer en toute impunité, à l’abri des regards, dans l’indifférence ou avec la complicité de nombreux acteurs qui les tolèrent sous couvert de stéréotypes sexistes, de discriminations et d’une adhésion inégalitaire à la loi du plus fort. C’est à juste raison que les associations féministes, de lutte contre les violences et d’aide aux victimes ont aussitôt alerté le gouvernement qui s’est emparé de cette alerte en communiquant sur les ressources disponibles (numéros d’urgence tel que le 17 ou le 112, numéros nationaux tels que le 119 et le 39-19, plateforme arrêtons les violences) et en les rassurant sur la continuité des mesures de protection et des prises en charge judiciaires de ces violences. Il faut saluer l’initiative d’impliquer les pharmaciens, en plus des médecins, dans le recueil de signalement de violences, et il faut l’espérer dans le dépistage des situations de violences et de danger.

Cependant, alors qu’en temps normal les victimes de ces violences intra-familiales et institutionnelles sont le plus souvent abandonnées à leur sort et à leurs traumatismes, condamnées au silence, jamais protégées ni soignées, ni crues et secourues lorsqu’elles parlent, la situation de confinement ne fait qu’empirer cet état de fait : l’isolement, les menaces, le contrôle coercitif et le risque de séquestration totale, les conséquences psychotraumatiques sont aggravés. Comment échapper à son bourreau, comment alerter ou signaler les violences, comment téléphoner aux numéros d’assistance ou naviguer sur le net si on est toute la journée confiné sous une surveillance qui peut être constante ? Comment, dans des institutions et des familles d’accueil où des maltraitances ont lieu, les enfants placés, les personnes handicapées, les personnes malades et âgées, privées de sorties, de visites et de contacts avec l’extérieur, pourraient-elles y échapper à ces violences, ou avoir la chance qu’elles soient remarquées. Dans ces situations le huis-clos peut devenir un piège redoutable qui se referme sur les victimes, les livrant totalement à leurs bourreaux.

Pour briser ce huis-clos, sécuriser et protéger les victimes, soulager leurs souffrances une solidarité, une information sur les traumas, les ressources et les droits des personnes, et des interventions extérieures sous la forme de secours, d’aide, de soutien et de soins sont essentielles. Ce ne sont pas aux seules victimes de violences et aux personnes les plus précaires, vulnérables et dépendantes de se protéger, d’alerter et de fuir, c’est pour elles, le plus souvent mission impossible. Il est indispensable de ne pas les abandonner, de se préoccuper des plus vulnérables, discriminées et précaires, d’aller vers elles, d’identifier les situations à risque et de traiter et de de sécuriser ces situations quand c’est possible, de dépister les situations de violences et de secourir les victimes, de les protéger et de les aider efficacement. Sortir du déni, informer et former sans relâche, offrir des ressources, faire un dépistage systématique en posant des questions, évaluer le danger couru du fait des violences et la gravité du traumatisme (risque suicidaire, de mise en danger), signaler les violences, secourir, protéger efficacement, ne laisser aucune violence impunie et mettre en place des soins spécialisés doivent être des impératifs. Nous sommes encore loin du compte, il faut des moyens, des réformes et une réelle volonté politique à hauteur de l’enjeu en terme de santé publique et des droits fondamentaux des personnes. Mais les victimes en danger ne peuvent attendre, parallèlement à la lutte contre la pandémie, les professionnels les plus concernés doivent s’engager dans ce combat, que ce soient les professionnels de santé (identifiés comme premier recours par les victimes), du secours, de l‘éducation, du social, de la protection de l’enfance, mais nous pouvons toutes et tous y participer, il est urgent de le faire !