dimanche 28 mars 2021

COMMUNIQUÉ #PPLBillon sur la protection des mineurs victimes de violences sexuelles : nous déplorons un texte insuffisant et décevant #metooinceste

 COMMUNIQUÉ DE L'ASSOCIATION MÉMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE

#PPLBillon sur la protection des mineurs victimes de violences sexuelles : nous déplorons un texte insuffisant et décevant

#metooinceste 



Dre Muriel SALMONA, 

présidente de l’association Mémoire Traumatique 

et Victimologie, 27 mars 2021


Article à télécharger sur le site en PDF ICI

https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20210329communique-PPLBillon-vote-Senat.pdf 


Le séisme provoqué par la parution du livre de Camille Kouchner, La familia grande, suivi par le mouvement historique #metooinceste et sa vague déferlante de révélations ont fait en un week-end voler en éclat la culture du déni, la propagande anti-victimaire et la loi du silence qui régnaient en France. Et c’est toute notre société qui a ouvert les yeux sur l’ampleur exceptionnelle de la pédocriminalité en France et sur sa scandaleuse impunitéLe Président lui-même a reconnu qu’il fallait d’urgence agir et il s’est engagé à changer les lois. Nous avons eu alors, grâce au courage de toutes les innombrables victimes d’inceste qui s’étaient exprimées sur les réseaux sociaux et dans les médias, l’opportunité inédite d’obtenir enfin toutes les réformes législatives indispensables que nous (victimes, militant·e·s et associations) réclamions depuis si longtemps et que nous n’avions pas obtenue lors de la loi Schiappa de 2018 malgré les promesses du Président et du gouvernement le 25 novembre 2017. 


En tout premier lieu, nous attendions des seuils d’âge du non-consentement avec des infractions spécifiques de viols et d’agressions sexuelles, permettant de combler une faille majeure de la définition du viol et des agressions sexuelles commis sur des mineur·e·s en France. La loi, pour qualifier ces crimes et ces délits,  obligeait jusque là de prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, ce qui impliquait d’interroger le consentement de l’enfant. Pour de jeunes enfants et adolescent·e·s c'était absurde, cruel et pourvoyeur lors des procédures judiciaires de maltraitances ainsi que de nombreux classements sans suite, non-lieux et déqualification en atteinte sexuelle : cf les décisions judiciaires iniques du parquet de Pontoise avec Sarah (11 ans avec un hommes de 27 ans), de la cour d’assise de Meaux avec Justine (11 ans avec un homme de 22 ans) et de la cour d’appel de Versailles avec Julie (13 à 15 ans avec 20 pompiers) pour ne citer qu’elles. L’article 2 de la loi Schiappa censée y remédier, n’y avait rien changé. 


L’enjeu était d’offrir une protection renforcée avec des infractions spécifiques de viols et d’agressions sexuelles à tous les enfants de moins de 15 ans ainsi qu’à tous les enfants de moins de 18 ans s'ils étaient victimes d’inceste, victimes d’actes sexuels commis par des adultes ayant autorité, ou victimes de prostitution, et enfin à toutes les personnes ayant un handicap mental avec retard mental et grande immaturité· 


Nous espérions ne pas être à nouveau décu·e·s comme avec la loi Schiappa en 2018, et que nous obtiendrions toutes les mesures législatives que nous sommes nombreux à réclamer depuis des années pour mieux lutter contre la pédocriminalité et son impunité (cf notre Manifeste contre l'impunité et sa pétition co-signée par 20 associations et plus de 106 400 personnes). 


Alors que la #PPL de la députée Isabelle Santiago, représentant une grande avancée avec des seuils d’âge clairs à 15 et 18 ans, a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale le 18 février 2021, le gouvernement a choisi de privilégier dans une course contre la montre la #PPL de la sénatrice Annick Billon du Sénat, en la ré-écrivant (elle proposait un seuil d'âge à 13 ans) pour la calquer sur celle d’Isabelle Santiago, mais en en réduisant la portée et en la fragilisant avec des conditions et des exclusions. Cette #PPLBillon a été votée en première lecture le 15 mars 2021 à l'Assemblée Nationale, et elle vient d'être adoptée le 25 mars au Sénat en deuxième lecture. Comme à l'Assemblée Nationale tous les amendements qui auraient pu améliorer cette loi ont été rejetés (un grand merci aux député·e·s et au sénateur·trices qui ont si bien défendu·e·s ces amendements). vous pouvez consulter le texte  ici 


Notre déception est grande ! Après le mouvement #metooinceste et les promesses du Président et du gouvernement, nous estimons que cette #PPLBillon est insuffisante car elle exclut de nombreux enfants d'une protection renforcée. Elle risque cependant d’être votée en l’état en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 15 avril 2021. Cela nous donne le sentiment d’un rendez-vous raté avec l’histoire, et c'est la marque d’un manque de volonté politique face à l’importance majeure de l’enjeu. 


À lire notre tribune dans le JDD du 27 mars adressée à Monsieur le Président Emmanuel Macron  « Les enfants doivent être enfin protégés. Que reste-t-il de nos paroles ? » parue le 27 mars et signée par 51 personnalité pour lui demander d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant : https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-violences-sexuelles-les-enfants-doivent-etre-enfin-proteges-4034354. Et à signer et partager notre pétition « un·e enfant n'est jamais consentant·e » ICI : http://chng.it/hvySvmHBpx


Il est indéniable que la #PPLBillon comporte des avancées importantes, comme la loi Schiappa en 2018 : 


  • l’inscription dans le Code pénal d’infractions spécifiques : viol sur mineur de 15 ans et viol incestueux avec l’ajout dans la définition du viol en plus de la pénétration d’actes buccogénitaux), agression sexuelle sur mineur, agression sexuelle incestueuse. 
  • prescription glissante en cas de crimes et délits sexuels en série, 
  • infraction nouvelle pour sextorsion, 


Mais l’introduction par le gouvernement de conditions et de restrictions par rapport aux seuils d’âge de 15 et 18 ans en cas d’inceste affaiblit grandement sa portée et exclut de nombreux enfants entre 13 et 18 ans de cette protection renforcée avec


  • un écart d’âge de plus de 5 ans pour le seuil d’âge à 15 ans, 
  • un inceste défini par des membres de la famille ayant une autorité de droit et de fait, 
  • une absence de protection renforcée pour les enfants victimes de mineur·e·s, ainsi que pour les mineur·e·s de 15 à 18 ans victimes d’adultes ne faisant pas partie de la famille et ayant autorité, les mineur·e·s de 15 à 18 ans en situation prostitutionnelle, et les personnes en situation de handicap mental de plus de 15 ans avec retard mental et grande immaturité (âge mental de moins de 15 ans)


Les conditions et les restrictions du gouvernements sur les seuils d’âge réduisent fortement la portée de cette loi et la rende complexe et peu lisible créant avec un triple seuil d’âge à 13, 15 et 18 ans avec des régimes d’exclusion pour certains enfants sous couvert de préserver les « amours adolescentes » et « l'inceste consenti » (pour citer le garde des Seaux Eric Dupont-Moretti) ce qui représente une perte de chance pour ces derniers (cf communiqué de l’association Face à l’inceste : https://facealinceste.fr/blog/actualites/inceste-consenti-le-gouvernement-s-obstine)


De plus des mesures importantes ont été rejetées :

  • la suppression des délais de prescription (imprescriptibilité) et la reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable permettant de lever la prescription (seule la prescription glissante, levée de prescription en cas de crimes ou délits sexuels en série, a été adoptée)
  • la mise en place d’un principe de précaution lors d’allégations de violences sexuelles sur enfant mettant en cause un parent (presque toujours le père), demandée dans le but de protéger l’enfant ainsi que le parent protecteur (dans la grande majorité la mère) d’une citation directe pour non-présentation d’enfant (laquelle est responsable de nombreuses condamnations malgré des plaintes déposées pour viol ou agressions sexuelles sur l’enfant, aboutissant trop souvent à des placements de l’enfant, voire à une remise de l’enfant à la garde exclusive du parent désigné comme auteur des violences incestueuses).


De nombreuses autres mesures, pourtant essentielles, n’ont même pas été examinées, comme l’abrogation des déqualifications, la refonte et le contrôle des expertises, la mise en place d’une commission pluridisciplinaire et indépendante pour ré-évaluer les dossiers de plaintes classées sans suite, faisant l’objet de déqualifications ou de non-lieux, la prise en compte des psychotraumatismes comme preuves médico-légales, l’obligation de formation de tous les professionnels, l’obligation de signaler pour tous les professionnels y compris les professionnels de santé, la protection renforcée de tous les professionnels qui font des signalements, la création de centres pluridisciplinaires de proximité de prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles accessibles 24h/24 : au moins un par territoire de santé mentale en France métropolitaine et en Outremer (100 centres comme le demande la convention d’Istanbul), la mise en place de procédures facilitant les changements de prénom ou de nom pour des victimes d’inceste ou les autres victimes menacées par les agresseurs) ainsi que la suppression des obligations des enfants envers le parent incestueux, la prise en compte comme circonstance aggravante d’une grossesse lors d’un viol et la reconnaissance d’un statut de victime pour l’enfant issu d’un viol avec des réparations et une protections spécifiques pour lui et sa mère (pour que l’enfant ne soit pas reconnu par l’auteur du viol, ne porte pas son nom, et n’ait pas d’obligations envers lui)


Décryptage de la loi qui nous est proposée :


Le texte de la PPL Billon adopté en deuxième lecture par le Sénat  propose donc deux seuils d’âge en deçà desquels des actes sexuels commis par un adulte sur un mineur seront qualifiés de viols (tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit ou tout acte buco-génital) ou d’agression sexuelle sans avoir à prouver qu’ils ont été imposés par la violence, la contrainte la menace ou la surprise ainsi qu’une modification de la prescription, à savoir  :

  • Un seuil d’âge de 15 ans avec comme restriction une différence d’âge entre le majeur et le mineur d’au moins cinq ans.
  • Et un autre à 18 ans pour les viols incestueux et les agressions sexuelles incestueuses lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222‑31‑1 (c’est à dire en plus des ascendants, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; leur conjoint, leur concubin ou leur partenaire lié par un pacte civil de solidarité) exerçant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.
  • Une prescription dite glissante en cas de viols ou d’agression sexuelle ou d’abus sexuel (ex délit d’atteinte sexuelle) en série par un même auteur sur plusieurs victimes : lorsque, avant l’expiration du délai de prescription prévu, l’auteur d’un viol commis sur un mineur commet un nouveau viol sur un autre mineur, le délai de prescription du premier crime est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription du nouveau crime » ; ou bien « lorsque, avant l’expiration des délais prévus aux mêmes deuxième et troisième alinéas, l’auteur d’une agression sexuelle ou d’un abus sexuel commis sur un mineur commet sur un autre mineur un viol, une agression sexuelle ou un abus sexuel, le délai de prescription de la première infraction est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. » Il est à noter que ce dispositif ne permet pas de rouvrir des prescriptions déjà acquises.
  • Un délit de « sextorsion : « Art. 227-22-2. – Hors les cas de viol ou d’agression sexuelle, le fait pour un majeur d’inciter un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle, soit sur lui-même, soit sur ou avec un tiers, y compris si cette incitation n’est pas suivie d’effet, est puni de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Elles sont portées à dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 euros d’amende si les faits ont été commis en bande organisée

Plusieurs problèmes importants sont à relever qui réduisent la portée protectrice de cette loi. Ces restrictions concernent à la fois l’écart d’âge pour le seuil d’âge, la nouvelle définition du viol, la prescription et l’absence d’abrogation des déqualifications, la mise en place d’un principe de précaution (suspension des droits de garde et de visite) en cas d’allégation de violences commises par le père, nous espérons que le 15 mars des amendements seront adoptés pour que cette loi réponde enfin à l’ensemble de nos attentes. 

En effet  :


  • la restriction de la différence d’âge d’au moins 5 ans (sous couvert de protéger les « amours adolescentes », clause Roméo et Juliette) entraîne une protection moindre des mineurs de 13 et 14 ans instituant de facto un seuil d’âge de 13 ans pour les majeurs de 18 ans et de 14 ans pour ceux et 19 ans ce qui nous paraît inacceptable, il est tout a fait possible de trouver une autre façon de ne pas incriminer des relations consenties entre un mineur qui deviendrait majeur et un mineur qui n’aurait pas encore atteint l’âge de 15 ans..

 

  • Par ailleurs pour les mineurs qui commettent des actes sexuels sur d’autre mineurs aucun seuil d’âge n’est prévu, il faudra donc toujours prouver la violence la contrainte, la menace ou la surprise, ce qui implique d’interroger le consentement de l’enfant pour qualifier des viols et des agressions sexuelles, quel que soit son âge même s’il a 11, 10 ou 9 ans face à un mineur de 16 ou 17 ans ! Or 25% des violences sexuelles sur les enfants sont commises par des mineurs (dont 70% sont des pénétrations). Si l’enfant est considéré comme ayant consenti (la violence, la contrainte la menace ou la surprise n'ayant pu être prouvée) alors il n’y a aucune infraction, ces actes ne sont pas interdits : le délit d’atteinte sexuelle sans violence contrainte menace ou surprise n’existe donc qu’entre un mineur et un majeur, dans le cadre de cette proposition de loi, il est alors renommé abus sexuel et n’existerait que lorsque que s’il y a une différence de moins de 5 ans entre le majeur et le mineur de 15 ans, et pour les mineurs de plus de 15 ans que si l’adulte a une autorité de ou de fait (en dehors de l’inceste). Nous souhaiterions qu’il y ait, sur le modèle de la loi canadienne un seuil d’âge qui serait plus bas de 13 ans par exemple assorti d’un écart d’âge.


  • D’autre part le seuil d’âge de 15 ans ne prend pas en compte la situation de handicap mental, il ne devrait pas se limiter à l’âge réel sans prendre en compte l’âge mental ou psychique d’une personne ayant un handicap mental avec un retard mental ou une immaturité. Cette protection spécifique est d’autant plus nécessaire que les enfants ayant un handicap mental ont 5 fois plus de risque de subir des violences sexuelles que les autres enfants (l’ensemble des enfants en situation de handicap ayant 3 fois plus de risque). Nous demandons donc avec l’AFFA (Association Francophone des Femmes Autistes) qu’une personne « dont il est reconnu qu’elle a un retard mental ou une immaturité équivalent à un enfant de moins de 15 ans bénéficie d'une protection identique à celle accordée aux enfants âgés de moins de 15 ans (nombre d’années vécues) en cas de violences sexuelles (automaticité du crime de viol sans avoir à démontrer les critères de la définition). Ces personnes sont en effet celles qui rencontrent le plus de difficulté à démontrer l’absence de « consentement » valable, et elles resteront confrontées à la quasi-impossibilité de pouvoir rapporter la preuve d’une absence de « consentement », qui résulte de la rédaction de la définition du viol (voir infra). A défaut, il en résulterait ainsi une grave rupture d’égalité par rapport à l’accès aux droits notamment de la défense et nous resterions dans une situation injuste » (cf l’article de l’AFFA à lire ICI).


  • En ce qui concerne la prescription, nous déplorons les rejets d’une imprescriptibilité des crimes sexuels et de la reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription pour permettre à la victime d’exercer ses droits à déclencher une action publique : Art. 9-3. « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, suspend la prescription » (la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale,) alors qu’elle concerne près de 50% des victimes d’inceste et 40% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance. 


  • l’abrogation de la possibilité de déqualifier les viols en agressions sexuelles, pour rappel 50% des dossiers de viols instruits sont déqualifiés (Infostat justice 2018)


  • la mise en place d’un principe de précaution (suspension des droits de garde et de visite) en cas d’allégation de violences commises par le père pour ne pas imposer aux mères protectrices de confier l’enfant à leur père dans le cadre d’une garde partagée, sous peine de condamnation pour non présentation d’enfant avec l’arrêt des citations directes en cas de non présentation d’enfant si des violences sont alléguées, et l’interdiction de l’utilisation du syndrome d’aliénation parentale (SAP) théorie sexiste et anti-victimaire non reconnue par la communauté scientifique internationale pour déqualifier et accuser les mères protectrices. 


  • la nécessité d’imposer que les experts aient tous une formation aux psychotraumatismes et à la deconstruction des stéréotypes sexistes. 


  • La protection renforcée des médecins et professionnels de santé soumis au secret médical qui signalent des violences sur enfant.



  • Ainsi que la mise en place d’une commission justice pluridisciplinaire et indépendante pour ré-évaluer les dossiers de plaintes classées sans suite, faisant l’objet de déqualifications ou de non-lieux.


Et bien sûr une formation des professionnel·le·s et l'accès à des soins spécialisés gratuits (y compris par des psychologues quel que soit l'âge de la victime qui a subi des violences sexuelles dans l'enfance) et des centres pluridisciplinaires de prise en charge du psychotraumatismes accessibles 24h/24 et de proximité : au moins un par territoire de santé mentale en France métropolitaine et en Outremer (100 centres). Et enfin des mesures de prévention et de dépistage systématique.


En attendant nous continuer de porter haut et fort nos revendications. 


Il est particulièrement inconcevable que pour un enjeu aussi important que la protection des enfants contre les violences sexuelles, des mesures législatives pour lesquelles nous avons présenté des argumentaires très étayés soient balayées d’un revers de la main et méprisées sous couvert d’arguments indigents et d’avis qui sont ni sourcés, ni développés, ni soutenus par des travaux spécifiques. On nous oppose l’avis d’une majorité d’associations sans nous les citer (pour l’imprescriptibilité), une prétendue absence de consensus scientifique sans aucune précision ni référence, alors que nous apportons en face de nombreuses expertises de responsables d’association, de chercheurs, de médecins et de juristes de terrain expérimentés, des enquêtes auprès des victimes, des validations de la communauté scientifique internationale, des rapports de commissions, et de nombreuses études internationales. Il est également à noter que les nombreux témoignages de victimes sur Twitter  lors de #metooinceste (plus de 80000 tweets en 48h), puis de #metooamnesie ne sont pas pris en en compte. 


Comme je l'écrivais dans ma lettre au Président de la République en janvier 2021 (https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20210206-a_Mr_le_President_de_la_Republique_MeTooInceste.pdf) 


« Il n’est pas question de nous décevoir, nous avons tant attendu. Les droits des victimes de ces crimes qui ont été tant piétinés, doivent enfin être intégralement respectés. 

Il s’agit d’une urgence, des milliers d’enfants sont à l’heure actuelle en train de subir ces crimes. Tout doit être fait pour protéger les enfants de ces actes cruels dégradants et inhumains comme les qualifie la Cour européenne. Secourir les enfants qui en sont victimes, les prendre en charge, leur offrir les soins nécessaires, leur rendre justice est un impératif humain absolu. Lutter contre l’impunité de ces crimes, poursuivre et punir les pédocriminels et de les empêcher de réitérer ces crimes est une obligation. 

Pour cela, il est indispensable de faire de la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants une priorité politique, comme le recommande le Conseil de l’Europe dans sa résolution 2330 du 26 juin 2020. 

Il est temps de remettre le monde à l’endroit pour nos enfants, de le rendre plus juste et moins inégalitaire : l'ampleur de ces violences sexuelles faites aux enfants, leur gravité, leurs conséquences catastrophiques sur la vie et la santé à long terme des victimes aggravent les inégalités, augmentent les situations de précarité, représentent un problème de santé publique majeur, ce sont des crimes qui ont des répercussions très graves sur les victimes, sur leurs proches, de génération en génération. 


Ces violences sexuelles faites aux enfants sont particulièrement injustes elles sont sexistes et ciblent les plus vulnérables et discriminés : les enfants les plus jeunes, les filles majoritairement, les enfants handicapés (3 à 4 fois plus de risque de subir ces violences), les enfants racines, placés, orphelins, mineurs étrangers, etc.  


Elles détruisent le tissu social, aggravent les inégalités les discriminations et les handicaps, elles entraînent pour les victimes des risques importants de se retrouver en situation de grande précarité, de marginalisation, et de situation prostitutionnelle. Laisser ces crimes impunis, abandonner les victimes, fabrique de la souffrance et des injustices sans fin et ne fait qu’aggraver la délinquance et la criminalité. Nous ne voulons de ce monde !


Le moment est historique et le monde nous regarde. Toutes les victimes leurs proches et celles et ceux qui les défendent vous demandent M. Le Président d’entendre leurs voix et leurs revendications pour que la vérité soit enfin reconnue et que tous leurs droits soient respectés


La tolérance vis à vis de la pédocriminalité, son impunité, la propagande anti-victimaire dominante et sa culture du viol qui ont fait des victimes des coupables et des êtres humains ayant moins de valeur que leurs agresseurs, ont rendu notre société irrespirable, il est plus que temps de les dénoncer et de leur mener une guerre sans merci.


Les voix de toutes les victimes de pédocriminalité qu'elles aient subi des incestes ou d’autres violences sexuelles, sont devenues puissantes et elles ont balayés toutes les couches épaisses qui les recouvraient et leur imposaient le silence. Elles s'élèvent et réclament justice et la fin de l’impunité. 


L’État a l’obligation d’agir pour prévenir ces violences sexuelles faites aux enfants, protéger et prendre en charge les victimes et poursuivre et punir les auteurs. Ne pas remplir ces obligations expose l’Etat à en répondre face à une juridiction pénale internationale.


Nous espérons que votre réponse politique sera à la hauteur des espoirs de toutes les victimes de ces crimes et de toutes celles et ceux qui les soutiennent, qu’elle sera suffisamment courageuse et ambitieuse, qu’elle assurera une véritable protection à tous les enfants, qu’elle rendra justice, dignité et réparations à toutes les victimes et leur offrira la protection, les aides et les soins qui leur est indispensable. »


il est encore temps, avant la deuxième lecture et le vote définitif à l’Assemble Nationale, de respecter vos engagements et vos promesses, en améliorant et en complétant  le texte de la proposition de loi pour qu'elle offre une réelle protection renforcée à tous les enfants victimes de pédocriminalité, en fonction de leur vulnérabilité.


Dre Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue

Présidente et fondatrice de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

Membre du Comité scientifique de la Chaire Internationale Mukwege

Auteure du Livre noir des violences sexuelles paru chez Dunod, 2ème éd. 2018


Plusieurs articles sur #metooinceste


Pour mieux lutter contre l’impunité de la pédocriminalité sexuelle et mieux protéger les enfants  


#MetooInceste - lettre ouverte au Président de la République  


Crimes sexuels : face à la fréquence des amnésies traumatiques la prescription est injuste et discriminatoire


Lette au garde des Sceaux et au Secrétaire d'État chargé de l'Enfance et des Familles


Sur le vote au Sénat en deuxième lecture de la proposition de loi Billon  


Campagne et Manifeste #StopPrescription :




sur l’amnésie traumatique :






Pour en savoir plus sur les violences sexuelles :





Manifestes de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie






Enquêtes et rapports :



  • Enquête AMTV/Ipsos : « Violences sexuelles dans l’enfance » Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;
  • Enquête AMTV/Ipsos : Les Français.es et le projet de loi sur les violences sexuelles concernant les muneur.e.s Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2018, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;
  • Enquête AMTV/Ipsos : Les représentations des français.es sur le viol 1 et 2  Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2016 et 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http:// www.memoiretraumatique.org ;


  • Enquête CSF, « Contexte de la sexualité en France de 2006 », Bajos N., Bozon M. et l’é- quipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés, 445, mai 2008.
  • Enquête CVS Insee-ONDRP, Cadre de vie et sécurité de l’Observatoire national de la dé- linquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France 2012 – 2017.
  • Enquête IVSEA, « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », conduite par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, 2015, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites http://www.memoiretraumatique.org.
  • Enquête VIRAGE INED « Premiers résultats sur les violences sexuelles » : Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al., Documents de travail n° 229, 2017, 67 pages.
  • Infostats Justice, « Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n° 160, 2018.
  • Infostats Justice, « Les condamnations pour violences sexuelles », Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, n°164, 2018.
  • REDRESS, « Réparation pour viol, Utiliser la jurisprudence internationale relative au viol comme une forme de torture ou d'autres mauvais traitements », 2013., disponible à l’adresse suivante : www.redress.org
  • World Health Organization, « Global Status Report on Violence Prevention », Genève, WHO, 2014, 2016. OMS. INSPIRE : Sept stratégies pour mettre fin à la violence à l’encontre des enfants : résumé d’orientation. Genève, Suisse : OMS 2016.





TRIBUNE L'appel de 51 personnalités sur les violences sexuelles : "Les enfants doivent être enfin protégés" 27 mars 2021 paru dans le JDD

 

TRIBUNE L'appel de 51 personnalités sur les violences sexuelles : "Les enfants doivent être enfin protégés"


Paru le 27 mars dans le JDD

Monsieur le Président, avec #MeTooInceste et les dénonciations massives des violences faites aux enfants, nous avons été des milliers à prendre la parole pour révéler l'ampleur de ces crimes odieux qui gangrènent la société. Notre vécu, notre expérience nous dictent les mesures qui permettraient enfin de protéger les enfants : notamment la reconnaissance de l'inceste et de l'amnésie traumatique, l'imprescriptibilité de ces crimes et un seuil d'âge de non-consentement à 15 ans, ou 18 ans en cas d'inceste.


« C'est aujourd'hui à nous d’agir » : par cet engagement, vous avez donné l'espoir que nos prises de parole ne seraient pas vaines.


Mais si votre gouvernement avait voulu agir, il aurait mis en procédure accélérée l'examen de la proposition de loi d'Isabelle Santiago, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 18 février, et qui représente une véritable avancée : dès le mois de mars, nous aurions eu une loi claire avec des seuils d'âge bien définis. Au lieu de cela, vous avez choisi de jouer la montre en présentant la proposition de loi Billon, décriée par les victimes et les associations car elle prévoyait un seuil d'âge de non-consentement à 13 ans et rien sur l'inceste.


Si des avancées ont été obtenues dans les textes, à l'Assemblée et au Sénat, avec un seuil d'âge ramené à 15 ans (18 ans en cas d'inceste), ce ne sont que des aménagements de façade. Derrière son titre de 'loi pour renforcer la protection des mineurs', ce dispositif fragilise la protection des enfants.


Le garde des Sceaux a défendu la clause 'Roméo et Juliette' conditionnant l'application de la loi à un écart d'âge d'au moins cinq ans entre la victime mineure et l'agresseur majeur. Elle ramène le seuil de non-consentement à 13 ans quand les viols sont commis par des majeurs de 18 ans, alors même qu'aujourd'hui le Code pénal interdit toute relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, sous la qualification d''atteinte sexuelle'. C'est un recul.


Quant à l'inceste, il a été concentré autour des seuls liens du sang : 'l'autorité de droit ou de fait' devra être démontrée pour les conjoints, concubins ou partenaires de ces derniers. Et que dire des propos du garde des Sceaux défendant un inceste consenti ?


Enfin, l'imprescriptibilité que nous demandions n'est plus qu'une prescription glissante. Une avancée toute relative, qui ne reconnaît pas l'amnésie traumatique, dont plus de la moitié des victimes de violences sexuelles pendant l'enfance font état. Ce mécanisme neurologique est pourtant reconnu par l'OMS. Son introduction dans la loi donnerait aux victimes un droit d'accès à une enquête conformément au droit européen.


Que reste-t-il de nos témoignages sur les violences sexuelles subies quand nous étions enfants? Rien : les enfants de 13 à 15 ans violés par un jeune majeur seront toujours soumis à des interrogatoires pour apporter les preuves de leur non-consentement. Et ce, alors même que, selon le ministère de l'Intérieur, 50% des auteurs de viols ont moins de 20 ans.


Que reste-t-il de la parole des enfants? Rien, on la disqualifie en invoquant notamment le fumeux 'syndrome d'aliénation parentale’.


Que reste-t-il de notre demande de criminalisation de la prostitution des mineurs? Un amendement proposait de sanctionner les adultes qui vendent le corps des enfants, dont tant de jeunes de l'aide sociale à l'enfance. A l'arrivée, rien.


Que reste-t-il de la nécessité de protéger les personnes qui effectuent des signalements? Rien.


Que reste-t-il pour les personnes en situation de handicap mental, quatre fois plus exposées aux violences sexuelles? Rien.


Que reste-t-il pour répondre à la souffrance répétée des enfants contraints à fréquenter un parent dont ils ont dénoncé les violences sexuelles? Toujours rien.


Nous qui avons pris la parole pour que les enfants soient enfin protégés, nous dénonçons une proposition de loi vidée de toute portée. Monsieur le Président, nous vous demandons d'agir, dans l'intérêt supérieur de l'enfant."


Les signataires :

Sarah Abitbol (patineuse), Vanessa Aiffe Ceccaldi (comédienne et ancienne victime de viol), Rose Ameziane (présidente de Mouv Territoire, chroniqueuse politique), Isabelle Aubry (présidente de Face à l’inceste), Eva Bayle, Anne Beauché (art thérapeute), Guy Beauché (réalisateur), Andréa Bescond (réalisatrice), Adelaïde Bon (comédienne), Sandrine Cohen (auteure et scénariste), Sandra Colombeau (comédienne et humoriste), Claudine Cordani (autrice et artiste écoféministe), Morgane Craye, Jean-Philippe Daguerre (auteur, acteur et metteur en scène), David Dickens (expert en communication), Fabienne El Khoury, (porte-parole de Osez le féminisme), Arnaud Gallais (cofondateur du collectif Prévenir et Protéger), Geneviève Garrigos (conseillère de Paris), Annie Gourgue (présidente fondatrice de l'association La Mouette - défense et protection de l'enfant), Mélanie Goyeau (porte-parole de Osez le Féminisme 37), Marie-Paule Grossetete (porte-parole de Osez le Féminisme 13), Mié Kohiyama (présidente de l’association MoiAussiAmnésie), Lyazid Khimoun (comédien), Elfie Kluk (comédienne), Marthe Lacheval, Amande Lambotte (peintre et artiste), Alexandra Lamy (comédienne), Morgane Latry (artiste), Corinne Leriche (maman de Julie), Marion Levigneux, Manon Loisvaine (comédienne), Lyes Louffok (activiste des droits de l’enfant), Nathalie Mann (comédienne), Charlotte Matzneff (actrice et metteur en scène), Eric Métayer (réalisateur), Estelle Meynet, Priscilla Meziani, Camille Pantano (porte-parole de Osez le Féminisme 69), Marion Pinatel (porte-parole de Osez le féminisme 17), Osez le féminisime 74, Muriel Salmona (psychiatre, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie), Homayra Sellier (présidente d’Innocence en danger), Caroline Sébille (chorégraphe et pédagogue de la danse), Gabrielle Siry-Houari (porte-parole du PS, maire adjointe du 18e arrondissement de Paris), Pierre-Emmanuel Germain-Thill (ex membre de La Parole libérée), Marina Tomé (comédienne), Fiona Verstichel, Fiona Vertischel, Marie-Elise Vidal, Shirley Wirden (élue Paris Centre, conseillère nationale PCF), Karl Zéro (réalisateur).