jeudi 19 décembre 2013

Dernier article de Muriel Salmona sélectionné et publié sur le plus du nouvel obs sur l'amnésie traumatique du 19 décembre 2013 : Violée à 5 ans, elle s'en souvient à 37 : avec la terreur, le cerveau peut disjoncter







LE PLUS. La Cour de cassation s'est prononcée mercredi sur le cas d'une femme qui, après une amnésie traumatique, a déposé plainte en 2011 pour des viols qu'elle dit avoir subis en 1977. L'allongement du délai de prescription lui a été refusé. Qu'est-ce qu'une amnésie traumatique ? Pourquoi peut-elle durer si longtemps ? Explications de Muriel Salmona, psychiatre spécialiste des violences sexuelles.


Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

édité par   Hélène Decommer


 Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le  19 décembre 2013

La cour de cassation vient de rejeter le pourvoi de Cécile B. pour repousser le délai de prescription des violences sexuelles qu’elle a subies dans l’enfance. 


Cécile B. avait déposé ce pourvoi pour contester la validité du délai de prescription en ce qui la concernait, puisqu’une amnésie traumatique de 32 ans l’avait empêchée d’avoir connaissance des faits de viols subis à l’âge de 5 ans et qui ont duré pendant 10 ans, et que par conséquent elle n’avait jamais été en mesure de les dénoncer avant leur remémoration.

Elle a vécu la prescription comme une "profonde injustice"

Quand en 2009, lors d’une première séance d’hypnothérapie, après avoir revécu très brutalement et de façon précise - comme un film - une scène de violences sexuelles commise par un proche de sa famille alors qu’elle avait 5 ans, Cécile B. a voulu porter plainte, elle a appris que les faits étaient prescrits. Elle avait alors 37 ans.

Si la loi Peben II du 9 mars 2004 avait repoussé de 10 à 20 ans après la majorité la prescription des crimes sexuels et des délits sexuels avec circonstances aggravantes commis sur des mineurs (jusqu’aux 38 ans de la victime), cette nouvelle loi ne pouvait pas s’appliquer à cette jeune femme en raison du principe de non-rétroactivité, puisqu’au moment où la loi est passée le 9 mars 2004 les faits étaient déjà prescrits pour elle [1].

Cette prescription de son agression, alors que son agresseur avait confirmé de nombreux détails qu’elle avait revécu lors de la remémoration, Cécile B. l’a vécu alors comme une "profonde injustice".

Malgré le rejet de son pourvoi Cécile B. ne veut pas arrêter son combat, elle voudrait avoir un procès pour que la justice fasse son travail, et elle souhaite porter son dossier auprès de la cour européenne.

Beaucoup de mes patientes sont dans le même cas 

En tant que spécialiste en psychotraumatologie prenant en charge des victimes de violences sexuelles, je ne peux que parfaitement la comprendre et la soutenir.

Beaucoup de mes patientes et patients sont dans le même cas qu’elle, ils ont eu de longues périodes d’amnésie traumatique et ont été dans l’impossibilité de dénoncer à temps les crimes sexuels subis dans leur enfance en raison de délais de prescription dépassés (parfois de seulement quelques jours), d’autres ont été empêchés pendant de longues années de les dénoncer du fait de conduites d’évitement, ou de l’emprise et des menaces de l’entourage, et lorsqu’ils sont enfin prêts, ils ne peuvent plus porter plainte.

Une enquête de l’Association Internationale de victimes d’Inceste (AIVI) faite par l’IPSOS en 2010 a montré qu’en moyenne les victimes attendent 16 ans avant de pouvoir révéler pour la première fois les violences sexuelles et que 22% d’entre elles le font plus de 25 ans après les faits. C’est pour cela que nous sommes de nombreuses associations à militer pour une imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des mineurs, comme elle existe déjà dans de nombreux pays. 

Les violences sexuelles, sources majeures d'amnésies traumatiques

L’amnésie traumatique complète ou parcellaire est un phénomène fréquent chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance, elle fait partie des conséquences psychotraumatiques de ces violences dont le législateur devrait mieux tenir compte. De très nombreuses études cliniques ont décrit ce phénomène qui est connu depuis le début du XXe siècle et qui avait été décrit chez des soldats traumatisés qui étaient amnésiques des combats.

Mais c’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques. Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies. 59,3% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont des périodes d’amnésie totale ou parcellaire (Brière, 1993).

Des études prospectives aux États-Unis (Williams, 1995, Widom, 1996) ont montré que 17 ans et 20 ans après avoir été reçues en consultation dans un service d’urgence pédiatrique, pour des violences sexuelles qui avaient été répertoriés dans un dossier, 38% des jeunes femmes interrogées pour la première étude et 40% pour l’autre ne se rappelaient plus du tout les agressions sexuelles qu’elles avaient subies enfant [2]. Ces amnésies étaient fortement corrélées au fait que l’agresseur était un proche parent que la victime côtoyait au jour le jour, et que les violences avaient été particulièrement brutales.

Toutes ces études montraient également que les souvenirs retrouvés étaient fiables et en tout point comparables avec des souvenirs traumatiques qui avaient été toujours présents chez d’autres victimes, et qu’ils réapparaissaient le plus souvent brutalement et de façon non contrôlée "comme une bombe atomique", avec de multiples détails très précis et accompagné "d’une détresse, d’un sentiment d’effroi de sidération et de sensations strictement abominables", comme nous le décrit Cécile B.

Une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire 

Le mécanisme en cause de ces amnésies traumatiques est avant tout un mécanisme dissociatif de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, ce mécanisme qui fait disjoncter les circuits émotionnels et de la mémoire, et entraîne des troubles de la mémoire va faire co-exister chez la victime des phases d’amnésie dissociative et des phases d’hypermnésie traumatique.


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mercredi 18 décembre 2013

Colloque à Charleroi le 20 décembre 2013 : Les femmes face aux violences sexuelles, des réalités pluri'elles avec l'intervention de la Dre Muriel Salmona




Rue des Français, 147, 6020 Dampremy





Chaque jour, près de 100 femmes sont victimes de viols en Belgique
Toutes les femmes sont ainsi exposées, toutes.
Au travers de cette journée, la coordination Provinciale invite les intervenant-e-s à poser leur regard sur une problématique qui constitue une des violences subies par les femmes de la part des hommes.
Une journée pour mieux comprendre l’impact traumatique des violences sexuelles et pour donner la parole à des groupes de femmes de tout horizon.


 Programme :

matinée

9h10 à 9h20 Violences sexuelles en Belgique Présentation de la campagne du CFFB «Paroles contre viols» par Viviane Teitelbaum présidente du CFFB national

9h35 à 12h Les femmes face aux violences sexuelles par Muriel Salmona

après-midi

12h35 Table ronde : nous sommes TOUTES des héroïnes 

Les adolescentes face à l’hypersexualisation et aux violences sexuelles : Bernard Devos délégué général aux droits de l’enfant

Les violences sexuelles dans le couple : Josiane Cerruzzi directrice  du refuge  solidarité femmes 

Les femmes handicapées citoyennes face aux violences sexuelles : Maudy Piot, FDFA

Les violences sexuelles à l’égard des femmes âgées : Irène Zeiliger sociologue





14h Les violences sexuelles à l’égard des femmes itinérantes : Séverine Mayal Docteure en sociologie, université Paris-Descartes

Les violences sexuelles à l’égard des femmes migrantes : Annalisa D’Aguanno, psychologue GAMS Belgique

Les violences sexuelles à l’égard des femmes lesbiennes

Les violences sexuelles à l’égard des femmes prostituées : Muriel Salmona




Nouvel article de Muriel Salmona sélectionné par Le Plu du Nouvl Obs du 17 décembre 2013 : Prostitution : pénaliser les clients, c'est bien. Lutter contre la précarité, c'est mieux







LE PLUS. La pénalisation des client-es de prostitué-es vient d'être votée à l'Assemblée nationale. Après de vives polémiques et des débats qui ont opposé les abolitionnistes et les défenseur des prostituées, Muriel Salmona, psychiatre estime que le texte définitif omet la prévention et la prise en charge des personnes vulnérables, avant leur prostitution. 


Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

édité par   Henri Rouillier


 Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le  17 décembre 2013



Le texte de loi pour renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, adopté mercredi 6 décembre 2013 par un vote solennel à l’Assemblée nationale, représente une avancée majeure.

Ce texte, en plus de ré-affirmer la position abolitionniste de la France qui reconnait la prostitution comme une violence faite aux femmes (1) et une violation de la dignité humaine et de l'égalité entre les sexes.

La prostitution, un risque pour la santé mentale

Il renverse la charge pénale de la personne prostituée sur ceux qui exploitent sa situation de vulnérabilité en abrogeant le délit de racolage et en sanctionnant le recours à la prostitution.

Il vise aussi une amélioration de l’accompagnement, de la protection et de l’accès aux soins des personnes prostituées – la prostitution étant envisagée comme une activité à haut risque pour la santé physique et mentale pour de nombreux rapports (2) – et leur réinsertion avec la mise en place d’un "parcours de sortie de la prostitution", la création d’un fond pour la prévention et l’accompagnement social et professionnel, et de nombreuses dispositions en matière de logement, de revenu de substitution, d’obtention de titres de séjour renouvelables, et de mesures destinées à assurer leur protection.

En tant que professionnelle de santé prenant en charge des personnes prostituées, je ne peux que saluer ce texte, mais il reste un grand chantier à peine abordé par ce texte : la prévention en amont afin d’éviter l’entrée en prostitution.

Déceler les traumas, et lutter contre la précarité

Prévenir c’est non seulement lutter sans relâche contre les réseaux de traite et les proxénètes, lutter contre les inégalités hommes femmes, le sexisme et la marchandisation des corps en éduquant les jeunes pendant leur scolarité, mais également – et c’est trop souvent oublié – lutter contre tout ce qui précarise les jeunes, avec en première ligne les violences qu’ils subissent.

Le système prostitutionnel exploite avant tout la grande vulnérabilité de jeunes isolés, sans ressource et gravement traumatisés qui sont repérés par des réseaux et des proxénètes, ou qui font le choix désespéré d’entrer en situation prostitutionnelle comme solution de secours et stratégie de survie pour se procurer de l’argent, et pour se déconnecter de leur souffrance.

Dans l’enfance des personnes prostituées on retrouve jusqu’à 59% de maltraitances physiques, et de 55% à 90% d’agressions sexuelles. Et quand des jeunes ont subi des violences dans l’enfance et plus particulièrement des violences sexuelles incestueuses (3) trois grands facteurs de risque peuvent précipiter leur entrée en situation prostitutionnelle :

1. Le départ précoce du foyer familial : nombreux sont les adolescents ou très jeunes adultes qui vont fuir le milieu familial maltraitant, avec des fugues à répétition, des départs précoces, des expatriations, qui se retrouveront mis à la porte du domicile familial, placés de foyers en foyers, avec le risque de se retrouver à la rue, sans revenu.

2. L’arrêt de la scolarité : les violences ont souvent un impact négatif sur leurs études (absentéisme, décrochages et échecs scolaires) et beaucoup de ces jeunes se retrouvent sans qualification ou formation professionnelle.

3. Les conséquences psychotraumatiques des violences avec l’installation d’une dissociation et d’une mémoire traumatique source de grandes souffrances et de conduites addictives et à risque.

Ces jeunes maltraités le plus souvent par leurs parents, condamnés à la loi du silence et au déni, rejetés par leur famille et les institutions qui ne veulent rien savoir des violences qu’ils ont subies, ni des souffrances qu’ils endurent, abandonnés par tous, survivent comme ils peuvent souvent dans les pires conditions en supportant les violences et en "auto-traitant" leur troubles psychotraumatiques. Pour cela ils ont recours à des stratégies pour se dissocier (se déconnecter de ses émotions) et s’anesthésier.

L'enjeu de la mémoire traumatique

Les violences ont un pouvoir dissociant direct par leur impact traumatique qui déclenche dans le cerveau un mécanisme de sauvegarde pour échapper à un stress extrême : une disjonction du circuit émotionnel qui produit une dissociation et une anesthésie émotionnelle à l’aide d’un cocktail de drogues endogènes semblables à de la morphine et de la kétamine secrétées par le cerveau.

Mais cette disjonction crée une mémoire traumatique, mémoire non traitée et piégée des violences qui, telle une machine à remonter le temps, leur fait revivre sans fin les violences à l’identique avec les mêmes sentiments de détresse et de désespoir, et les mêmes sensations intolérables à chaque fois qu’un lien les rappelle.

Et pour y échapper les victimes essaient de reproduire le mécanisme de disjonction, soit en recréant son effet avec de l’alcool et de la drogue, soit en le re-déclenchant avec des conduites à risque et des mises en danger génératrices de stress extrême. Les conduites dissociantes à risque sont d’autant plus efficaces pour s’anesthésier qu’elles reproduisent au plus près les violences subies. Pour les violences sexuelles, ce sera le cas avec des conduites à risque dont fait partie la prostitution.

Les jeunes qui ont été victimes de violences sexuelles sont colonisés également par la mémoire traumatique des mises en scène des agresseurs et de leurs phrases assassines, qui leur renvoie en permanence que l’on peut utiliser sexuellement leur corps, que c’est normal, qu’ils n’ont aucune valeur,  qu’ils n’ont aucun droit et surtout pas le droit de dire non, qu’ils sont méprisables et qu’ils ne sont bons qu’à ça, ce qui aboutit à un véritable formatage et une emprise qui les piège encore plus.

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jeudi 5 décembre 2013

Nouvel article de Muriel Salmona sélectionné dans le Plus du Nouvel Obs ;Petite fille noyée à Berck : la maltraitance des enfants reste trop sovent sous-estimée, 5 décembre 2013









LE PLUS. Infanticide à Berk-sur-Mer, meurtre de Fiona... Les violences sur enfants font ces temps-ci tristement l'actualité. Faits-divers exceptionnels ou représentatifs d'un vrai problème de société ? La lutte contre la maltraitance des enfants doit-elle être déclarée grande cause nationale 2014, comme le défend le sénateur PS André Vallini ? Pour la psychiatre Muriel Salmona, c'est indéniablement une priorité.


Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

édité par   Mélissa Bounoua

 Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le 5 décembre 2013


Alors que le sénateur PS André Vallini a rendu public les premiers signataires d’un appel qu'il a lancé au Premier ministre pour que la lutte contre la maltraitance des enfants (c’est-à-dire les violences que subissent les enfants pendant qu'ils sont sous la garde de leurs parents ou de leurs représentants légaux ou de toute personne à qui ils sont confié) soit déclarée Grande cause nationale en 2014, une actualité récente nous confronte avec des maltraitances et des meurtres d’enfants commis par leur parent particulièrement impensables : la petite Fiona, le bébé trouvé dans un coffre de voiture, le petit garçon de 4 ans tué par son père à Toulouse, et ces derniers jours Adélaïde la petite fille de 15 mois noyée par sa mère à Berck.

S’agit-il de faits exceptionnels ou bien de l’infime partie visible d’un problème majeur de notre société ?

De toutes les violences, les violences faites aux enfants qui ont majoritairement lieu dans la famille restent encore les plus cachées, les plus sous-estimées et les moins dénoncées.

Des enfants seuls face aux violences

Chaque année, souvent dès leurs premiers jours, des centaines de milliers d’enfants subissent dans un silence assourdissant les pires violences psychologiques, physiques et sexuelles, ainsi que de graves négligences au sein même des lieux où ils devraient être les plus protégés : jusqu’à 16% des enfants subissent des violences physiques et 10% des négligences graves, de 15 à 20% des enfants ont subi des violences sexuelles, et près de 60% des viols sont commis sur des mineurs (avec pour les violences sexuelles 3 fois plus de filles que de garçons).

Chaque année, des enfants meurent des suites de ces violences (au moins 80 homicides répertoriés par le ministère de l’Intérieur). Bien plus certainement, nous dit la chercheuse Anne Tursz [1], qui constate que la mortalité en France avant l’âge de un an diminue régulièrement, mais reste toutefois importante (3393 cas en 2000) et plus élevée qu’à tous les autres âges de l’enfance. Et qui considère, après enquête, qu’environ 1/4 des morts de "causes inconnues ou non précisées" et 1/3 des morts "accidentelles" répertoriées par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm, sont des morts suspectes ou violentes. Les trois quarts de ces décès suspects ou violents relèvent de deux causes : le "syndrome du bébé secoué" et la mort à la naissance par asphyxie, noyade ou abandon sans soins.

Chaque année des enfants vont devoir survivre seuls face aux violences au jour le jour, sans protection, et avec des traumatismes psychiques graves qui vont générer une très grand souffrance et impacter lourdement leur santé, leur scolarité et leur vie sociale, sans soin.

Pourtant, la Convention internationale des droits de l'enfant, dont nous avons fêté le 20 novembre 2013 le 24e anniversaire, a été ratifiée par la France en 2001, et son article 19 oblige les États à prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de maltraitance.

Mais le système de protection de l’enfance en France peine à remplir sa mission.

La France n’a toujours pas légiféré pour prohiber totalement les châtiments corporels et la violence psychologique sur les enfants par la famille, alors que 33 pays dont 22 européens l’ont fait, à la suite de la Suède depuis 1979.

Les protéger doit être une priorité

Briser cette loi du silence, ce déni et cette tolérance qui pèsent sur ces violences et informer sans relâche sur leur réalité pour mieux repérer et protéger ces enfants en danger est une première raison majeure pour que la lutte contre la maltraitance des enfants soit déclarée grande cause nationale 2014.

En voilà quatre autres  : … LIRE LA SUITE ICI




mercredi 4 décembre 2013

Colloque sur les violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants à Aurillac le 3 décembre 2013 et colloque Regards croisés sur les violences envers les femmes à Verdun le 6 décembre 2013



Intervention de la Dre Muriel Salmona sur les impacts psychotraumatiques sur les victimes 
aux colloques 

 Les violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants 
à Aurillac le 3 décembre 2013 (170 participants) intervention de 9h à 16h30

et

Regards croisés sur les violences envers les femmes 
à Verdun le 6 décembre 2013 (170 participants) 











Adoption par l'Assemblée Nationale de la de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel le 4 décembre 2013







Proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, adoptée en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2013 !

268 voix contre 138





Article 1er 
Obligation pour les fournisseurs d'accès à internet d'empêcher l'accès aux sites hébergés à l'étranger qui contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Article 2
Création au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, d'une instance chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains.

Article 3
Droit pour toute personne victime de la prostitution à bénéficier d'un système de protection et d'assistance. Mise en place d'un parcours de sortie de la prostitution.

Article 4
Création, au sein du budget de l'Etat d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées.

Article 6
Délivrance d'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois pour les personnes étrangères engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.

Article 13
Abrogation du délit de racolage.

Article 15
Intégration de la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets traités durant la scolarité.

Article 16
Création d'une contravention de cinquième classe sanctionnant le recours à la prostitution.

Article 17
Création d'une peine complémentaire de suivi d'un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution.

Article 19
Entrée en vigueur de l'abrogation du délit de racolage six mois après la promulgation de la loi.




Principales modifications apportées par la commission spéciale le 27 novembre 2013 :

Article additionnel après l'article premier
Possibilité, pour les victimes de la traite des être humains ou de la prostitution, de déclarer comme domicile l'adresse d'un commissariat ou d'une brigade de gendarmerie, de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure, de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité ou de faire usage d'une identité d'emprunt (Disposition introduite à l'initiative de la rapporteure).

Article 6
Caractère renouvelable de l'autorisation de séjour provisoire pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution (Disposition introduite à l'initiative de la rapporteure).

Article 9

amendement vise donc à aggraver les sanctions à l’encontre des auteurs de violences, d’agression sexuelle ou de viol à l’égard des personnes prostituées en faisant expressément figurer celles-ci dans la liste des personnes vulnérables

Article 18
Remise au Parlement par le Gouvernement d'un rapport sur l'application de la présente loi deux ans après sa promulgation (Disposition introduite à l'initiative de la rapporteure).


Article 19
Suppression de l'entrée en vigueur différée de l'abrogation du délit de racolage (Disposition introduite à l'initiative de la rapporteure).


vendredi 29 novembre 2013

Discours de Mme Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes Porte-parole du gouvernement pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel le 29 novembre 2013


Examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel 
Assemblée nationale 
29 novembre 2013 
Najat Vallaud-Belkacem 
Ministre des droits des femmes 
Porte-parole du gouvernement


pour voir la vidéo : ICI 


Monsieur le Président, 
Monsieur le Président de la Commission spéciale, 
Madame la Rapporteure, 
Mesdames et messieurs les Députés, 

Avant qu’un qu’un client puisse acheter une prestation sexuelle, quelque part dans l’une de nos rues ou à la lisière de nos bois, il y a des femmes et parfois des hommes qui sont vendues et achetés, échangés, séquestrés, violés et torturés, trompés, rackettés, spoliés, soumises aux pires aux chantages ainsi que leurs familles et leurs enfants, exportées et importées comme n’importe quelle marchandise, animal ou denrée périssable. 

Ensuite, seulement, leur vie de prostitué€s peut commencer : n’oublions pas, n’oubliez pas avant de les considérer comme des prostituées, qui sont ces êtres humains. 

Et si vous manquiez de force pour les imaginer, pensez seulement à ces jeunes femmes africaines dont le réseau de proxénétisme nigérian a été démantelé hier soir en Espagne, de jeunes femmes dont les enfants de 3 ans avaient été séquestrés attachés aux pieds d’un lit depuis plus de 2 ans, pour obliger leurs mères à se prostituer, vendue au Maroc pour être exploitées en Europe. 

Pourquoi tant de violence ? Précisément parce que si la prostitution pouvait être exercée sans répugnance et sans souffrance, il serait moins nécessaire d’utiliser de tels moyens. 

Que les visages, les corps, et les destins de ces victimes à jamais abîmées ne nous quittent pas : elles sont l’essentiel de la prostitution, elles sont tout l’enjeu du système prostitutionnel. 

Un système qui brasse 40 milliards de dollars chaque année dans le monde et enrichit d’abord ceux qui vivent de la traite, du crime, du trafic de drogue. 

Un système qui n’existerait pas, si à l’autre bout de la chaine, il n’y avait pas quelqu’un pour accepter et payer. 

Pourquoi payer le corps d’une femme ? J’entends les arguments qui s’expriment depuis plusieurs jours de la façon la plus décomplexée. C’est un moment de révélation pour notre société. Un moment de débat, avec au coeur, les travaux du Parlement. Un moment de démocratie aussi. 

Pourquoi payer le corps d’une femme ? Parce que cela a toujours été comme ça, disent certains. Les femmes s’achètent, ce serait une loi cachée du monde. Il y aurait dans notre planète une loi de gravité qui ramènerait systématiquement les femmes en dessous des hommes. Quelle chose curieuse et quelle paresse que de s’arrêter là. Je n’ose croire que, parmi vous, vous qui faites les lois et qui en suivez jour après jour, mois après mois, les effets, vous puissiez être atteints par cette idée. 

« La doctrine de fatalité qu’on nous oppose ». disait Jaurès « Je crois pouvoir dire qu’elle est contraire à ce que l’humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et a rêvé de plus noble » « De quel droit une société qui, par égoïsme, par inertie, par complaisance pour les jouissances faciles de quelques-uns, n’a tari aucune des sources du crime qu’il dépendait d’elle de tarir, ni l’alcoolisme, ni le vagabondage, ni le chômage, ni la prostitution, de quel droit cette société vient-elle frapper ensuite, en la personne de quelques individus misérables, le crime même dont elle n’a pas surveillé les origines ? » 

Ce n’est pas la fatalité qui fait les lois. C’est vous les parlementaires. C’est à vous Mesdames et Messieurs les députés qu’il revient d’éviter que la liberté opprime, et de veiller à affranchir le faible. C’est vous qui avez décidé à l’époque du général De Gaulle de la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. D’abord en ratifiant la convention de 1949 sur l’exploitation de la prostitution –Faut-il en rappeler les termes ici « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir l’exploitation de la personne humaine en vue de la prostitution, est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. » ? -. Ensuite en renouvelant cet engagement avec la résolution que vous avez adoptée à l’unanimité en décembre 2011. Ce sont les députés qui ont adopté en 1946 la loi Marthe Richard et fermé les maisons closes. C’est votre Parlement qui a réformé le code pénal pour en faire sortir la notion de débauche et renforcer encore la lutte contre le proxénétisme. Mesdames et Messieurs les députés, le mot fatalité n’a pas droit de cité dans votre hémicycle

Pourquoi admettre que l’on paie le corps d’une femme ? Combien de fois ai-je entendu parler des « besoins irrépressibles » des hommes. « Besoins irrépressibles » cette expression est terrible, insupportable, scandaleuse. Elle revient comme l’ultime justification de la demande de certains hommes d’une perpétuation du droit de cuissage. Comment y répondre autrement qu’avec des mots simples ? Nous ne sommes pas des bêtes. Nous valons mieux que l’état de nature. Nous devons faire confiance à l’humanité qui est dans tout homme et toute femme. C’est la noblesse même de votre fonction, Mesdames et Messieurs les députés, que de faire ce pari. 

Les besoins irrépressibles. Cela me rappelle le rapport d’Alexandre Parent-Duchâtelet, l’un des médecins qui fut parmi les premiers à soutenir des positions réglementaristes et qui assimilait les personnes prostituées à un «réseau d’égouts » ou une «vidange organique». L’un d’entre vous les a récemment comparées au « sel, au sucre et au gras ». A l’orée de nos travaux sur ce texte, je voudrais vous exhorter au débat le plus digne, le plus respectueux. 

Pourquoi admettre que l’on paie le corps d’une femme ? Parce que le client est parfois en souffrance, souffrance sexuelle, sentimentale, affective. On me le dit souvent. Je ne le nie pas. Je constate chaque jour la grande détresse dans laquelle sont certains de nos concitoyens. Les violences faites aux femmes ont presque toujours pour origine cette détresse. Mais la détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions une souffrance à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait on aux dépens d’une autre personne ? 

Au fond, le coeur de ma conviction est là : on ne peut vendre son corps à un autre, pour le soin d’un autre, sans en être soi-même affecté. La dissociation entre le corps et la personne est une chimère. Quand elle se répète, elle crée un sentiment d’irréalité, d’étrangeté à soi-même, d’indifférence et d’insensibilité. Savez-vous que la prévalence des troubles psycho-traumatiques sévères est équivalente chez les prostituées à celle que l’on trouve parmi les personnes victimes de tortures ou les prisonniers politiques ? « De nos maladies, la plus sauvage est de mépriser notre être » disait Montaigne. Notre loi ne doit jamais dissocier les droits sur le corps et les droits de la personne. Ne plus permettre cette dissociation. Voilà la vraie clé pour améliorer durablement la santé des personnes prostituées. 

Les femmes ont chèrement conquis le droit à la libre disposition de leur corps. Ce droit est essentiel et c’est bien sûr un droit sexuel. Un droit que je soutiens, vous le savez, et c’est précisément parce que je le soutiens sans faille que je ne reconnais pas le droit à disposer du corps d’autrui, que je réfute de toutes mes force cette vision archaïque selon laquelle le corps des femmes serait un corps disponible. Je ne veux pas d’une société dans laquelle le sexe serait un service fourni à des voitures défilantes comme des hamburgers à partir d’un menu détaillant avec des noms de fleurs des prestations dans lequel il faudrait piocher. Je ne veux pas d’une société où les femmes ont un prix. Je ne veux pas d’une société où les femmes font l’objet d’une ristourne pour les clients séniors, d’une autre pour les titulaires de minima sociaux, d’une autre enfin, pour ceux qui viennent à vélo. 

Pouvez-vous l’admettre, vous, cette assemblée qui avez décidé à l’unanimité de faire un principe intangible de la règle du selon laquelle « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.» Voici ce qui est écrit à l’article 16 du code civil et qui fait désormais parti de notre Constitution. 

Pourquoi payer le corps d’une femme ? Parce qu’elles y consentiraient... Voici l’argument le plus récurrent, le plus facile, le plus choquant, le plus paresseux, en somme, le plus inopérant qui puisse être avancé pour justifier l’achat de service sexuel. Jamais votre Parlement n’a considéré qu’on pouvait consentir à mettre son corps dans le commerce. 

Le sujet avec la prostitution, ce n’est pas la sexualité. Qu’elle se déroule d’une façon ou d’une autre, qu’elle soit libérée ou pudibonde. Nous ne sommes pas là pour faire la police des moeurs. Mais nous sommes là pour donner corps à nos principes les plus essentiels. 

Le sujet c’est l’argent. C’est l’argent qui détermine la volonté des parties et c’est ce même argent qui nourrit le proxénétisme. Dans la prostitution, le consentement à l’acte sexuel est un consentement dans lequel ceux qui ont de quoi payer ont droit à la soumission de ceux qui n’ont d’autre choix. « Chaire à canon » pour les hommes. « Chaire à prostitution » pour les femmes, comme le disait le journal Le Populaire au début du siècle.... Quand la domination de l’argent s’ajoute à la domination masculine, l’emprise devient insupportable. 

Autrefois on parlait pour évoquer les personnes prostituées, de « filles de noce », de « filles de joie », de « filles publiques » ou encore « d’enjôleuses », par pudeur pour une réalité qui avait envahi tout le corps social. Aujourd’hui on parle des nigérianes, des chinoises ou des jeunes femmes roumaines, bulgares, ou moldaves. On désigne les prostituées selon leur nationalité. La prostitution a changé de visage et, avec elle, les mots ont décrit une réalité toujours plus crue : on parle de pute, pourquoi ne pas dire le mot, puisqu’il a envahi notre vocabulaire ! 

Pute, vous m’excuserez de l’introduire dans votre hémicycle, mais c’est le mot d’une réalité. Il nous rappelle qu’au commencement des violences faites aux femmes, il y a souvent l’insulte, avec sa charge haineuse. Pute, ce mot est devenu un mot valise dans lequel se déverse l’oppression ordinaire des femmes. Une insulte que les enfants s’envoient à la figure dans la cour de récréation, sans même en connaître le sens. Une simple insulte qui peut être lancée, comme par « réflexe », au détour d’une phrase, et que l’on entend au coin d’une rue, à la fenêtre d’une voiture. Une insulte que les hommes violents utilisent toujours comme une arme pour humilier leur victime. Curieux paradoxe que le mot « pute » soit partout alors que la prostitution, elle, se cache. 

A cette tribune, je pense à ces femmes et ces hommes que l’on réduit à leur condition de pute alors qu’ils sont d’abord des femmes et des hommes. Je veux leur dire qu’elles et ils ont une place dans notre société, une place qui est celle de toute citoyenne et de tout citoyen, une place égale à celle de tous les autres. Je veux leur reconnaître le droit à être autre chose que des marchandises. 

Oui il est légitime de prendre quelques heures de votre agenda, qui leur a été si rarement consacré, pour ces êtres qui souffrent et qui se trouvent emprisonnés dans des vies de misère et de violences. Une prostituée m’a dit un jour «vous savez ce n’est pas un métier que l’on quitte un soir en claquant la porte ». Une autre est venue me voir un jour, accompagnée de militants qui ne partageaient pas mon point de vue. Nous avons discuté et elle m’a parlé de sa fille, une fille pour qui elle voulait le mieux, une fille pour qui elle donnait sa vie et son corps. Lorsque je lui ai demandé si elle envisageait que sa fille se prostitue elle-aussi, sa réponse fut immédiate. « Non, je fais justement ça pour qu’elle n’ait pas à se prostituer elle aussi. » Et c’est tout le sens de cette proposition de loi : offrir des alternatives et préparer l’avenir. 

A ces femmes et ces hommes, nous devons un discours clair et digne. A ces femmes que l’on relègue loin de nos centres villes, loin de notre vue, nous devons délivrer la protection, nous devons des alternatives crédibles. A ces femmes nous devons la cohérence entre notre discours et nos actes. A ces femmes, nous nous devons d’être à la hauteur de la position abolitionniste de la France, plus simplement dans le discours, mais aussi dans les actes. 

Pour ces femmes, nous devons faire bloc.

C’est dans un esprit de rassemblement qu’a été préparé ce texte et ce rassemblement en fait tout le prix. Je voudrais saluer le travail remarquable et opiniâtre qu’a accompli Guy GEOFFROY avec Danièle BOUSQUET sur ce texte depuis 2011. Ce travail a permis de libérer la parole. Il avait permis d’auditionner plus de 200 personnes et de donner la parole aux prostituées elles-mêmes. Ce travail était la clé de tout. Il a montré le visage de la prostitution. Ses nouveaux défis. 

Monsieur le député Guy GEOFFROY, je dois vous le dire de la façon la plus simple à cette assemblée, j’ai une grande admiration pour le travail que vous avez accompli. 

Ce travail a montré clairement le chemin qu’il nous reste à parcourir. La proposition de loi que nous examinons ce jour en découle naturellement. Elle se situe dans notre tradition humaniste, un humanisme assumé et responsable. Un humanisme qui ne se contente pas, pour reprendre les mots de Gambetta, de constater les égaux, mais s’échine à les faire égaux.

Le groupe socialiste a préparé cette proposition de loi autour de Maud OLIVIER et de Catherine COUTELLE avec la même force de conviction, le même esprit d’écoute et le même souci du rassemblement que celui qui avait présidé à la mission d’information de 2011. Je veux saluer et remercier Bruno LEROUX, premier signataire, pour son implication exemplaire à leurs côtés. 

Souvent, les voix qui s’expriment sont éloignées des réalités du terrain, loins des victimes. Parfois, malgré tout, les personnes prostituées et celles qui l’ont été ont l’occasion de s’exprimer. Ce sont ces témoignages qui me paraissent les plus importants, qu’ils soient apportés par des partisans de l’abolition ou par des personnes qu’il faut convaincre. Ensemble, vous avez construit cette proposition de loi à partir de ces témoignages, de ces expériences, de ces contacts. Je crois que c’est un élément essentiel. 

Monsieur le président de la commission spéciale, Madame la rapporteure, Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, votre trio a montré que toutes les forces de la République étaient capables de se retrouver autour de cet humanisme assumé. Je salue à cet égard le travail de l’ensemble des membres de la commission et la contribution de tous les groupes parlementaires qui ont décidé de surmonter les clivages partisans. Ils font honneur à notre vie politique et démocratique. Je fais le voeu que nos débats en témoignent et soient à la hauteur de ce travail qui nous a précédé. 

A cette tribune, souvenons-nous aussi que le combat pour l’abolition de la prostitution est jalonné de promesses non tenues et de rendez-vous manqués. Un premier rendez-vous manqué fut la commission d’enquête parlementaire organisée par Victor Schoelcher en 1879. Après l’abolition de l’esclavage, à la fin de sa vie, Victor Schoelcher et Victor Hugo avaient lancé le combat pour l’abolition de la prostitution. C’est pour cela que nous tenons tellement à ce mot : abolition. La Préfecture de police empêcha que son travail n’aboutisse et il fallut attendre 70 ans pour que le combat reprenne. 

Un autre se présenta sous le Front Populaire. En 1936. Henri Seillier, le Ministre de la Santé, avait reçu le soutien actif de Léon Blum pour déposer un projet de loi abolitionniste. Ce texte mettait fin aux maisons closes et prévoyait la création d’un délit de contamination pour les clients atteints de maladies vénériennes. Mais certains députés, que l’amicale des maîtres et maîtresses d’hôtel meublés de France avait mobilisés, s’y opposèrent sans autre motif que les maisons de tolérance « subsisteront autant que l’humanité ». Ce n’est pas la fatalité qui emporta ce texte, mais plutôt l’Histoire, qui ne permit pas au front populaire d’achever son programme pour notre pays. 

En 1976, ce fut Simone Veil et Françoise Giroud qui tentèrent en vain de reprendre le fil abolitionniste de la République. Le 2 juin 1975, une centaine de prostituées lyonnaises avaient occupé l’Eglise Saint Nizier. Ces femmes demandaient déjà l’abrogation du délit de racolage. Simone Veil avait demandé au magistrat Guy Pinot, celui que les médias appelaient « Monsieur Prostitution », de préparer un rapport, qui confirma la nécessité de cette abrogation. Quelques mois plus tard, le conseil des ministres décida qu’aucune suite ne serait donnée aux propositions de Monsieur prostitution. 

Nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau rendez-vous manqué. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre encore un demi-siècle que le débat revienne. Il y a au moins 20 000 femmes et hommes sur notre territoire qui ne veulent plus être des coupables, qui ont besoin des soutiens prévus par ce texte, du parcours de sortie de la prostitution, des moyens du fonds d’insertion et qui souhaitent avoir l’assurance que leurs enfants vivront dans une société à l’abri de la prostitution. 

Rien ne nous autorise à attendre plus longtemps. Le rapport que l’Inspection Générale des Affaires Sociales m’a remis en décembre dernier met en évidence un accroissement rapide des risques sanitaires, risques infectieux, mais aussi des traumatismes subis par les prostitués. D’après le rapport du Conseil national du sida, entre 10% et 50% des clients demanderaient des rapports non protégés. Une étude canadienne a établi que les personnes prostituées ont entre 60 et 120 fois plus de risques d'être battues ou assassinées que le reste de la population. D’après une étude américaine, le taux de mortalité est deux fois plus élevé chez les femmes se prostituant dans la rue que chez les femmes d’âge comparable. La prostitution est un drame sanitaire. 

Nombre d’associations le savent bien. Si la loi est adoptée, les personnes en situation de prostitution pourront bien plus que par le passé poser leurs conditions, dénoncer les agressions et être libres. 

Et puis la santé, ça ne se regarde pas seulement à l’extrême court terme. Ça se regarde aussi à l’échelle de la vie et hélas parfois de la mort de ces femmes et ces hommes. La santé, c’est le sujet dont tout découle, la justification même de toute action et la raison de l’urgence à agir. 

Les pouvoirs publics ont longtemps été piégés dans leurs hésitations et dans leurs contradictions. Aujourd’hui nous n’avons pas d’hésitation. Nous sommes portés par une conviction. 

La conviction qu’aider les victimes de la traite, c’est les protéger, leur offrir des moyens véritables d’en sortir et faire la chasse aux réseaux en responsabilisant tous les acteurs du système prostitutionnel. C’est le coeur même de la proposition de loi. 

Les autres politiques ne marchent pas. Les pays qui font encore le choix des maisons closes font aussi le choix de la traite. Ils reconnaissent leurs difficultés. 

Savez-vous que les Pays-Bas font partie de la liste établie par l’Office des nations Unies contre les drogues et le crime pour identifier les lieux de destination privilégiés de la traite ? Un projet de loi-cadre sur la prostitution est en préparation dans ce pays prévoit la création d’une peine à destination des clients de la traite. Savez-vous que l’accord de coalition du gouvernement allemand signé ce mercredi prévoit une révision en profondeur de la législation allemande sur la prostitution ? Les pays qui font encore le choix des maisons closes font aussi le choix de la traite. Ils reconnaissent leur difficulté. Il y a en France entre 10 et 20 fois moins de prostituées qu’en Allemagne. Les Pays Bas accueillent autant de prostituées que la France pour une population qui est quatre fois inférieure. Notre pays est vu par les réseaux européens comme un pays qui refuse la prostitution. 

Les réseaux, ils nous regardent aujourd’hui. Ils suivent ce que nous faisons. Ils guettent les failles de notre législation. Ils ne comprennent qu’un message, celui de la fermeté. 

A cette tribune, je dis aujourd’hui les choses en toute clarté. La France n’est pas un pays d’accueil de la prostitution. Nos portes doivent rester fermées au vent mauvais des trafics et de la traite. 

Ils s’en sont nourris depuis quelques années avec des organisations criminelles transnationales étrangères se sont spécialisées dans la traite des êtres humains. Elles ont largement pris la place des « traditionnelles » comme elles les appellent elles-mêmes. Ces mafias recrutent les victimes dans leur pays d’origine, et les conduisent là où elles n’ont aucune attache, où elles ne parlent pas la langue du pays, où elles vivent le sans titre de séjour. Et elles doivent rembourser aux criminels le coût très élevé de leur migration. 

C’est tout le sens de votre proposition de loi que de s’adapter à cette nouvelle réalité. Remettre à l’endroit un système législatif qui fait aujourd’hui peser la responsabilité du crime organisé sur les victimes et se désintéresse de la responsabilité des clients, sans donner à la police et à la justice tous les moyens d’enquêter, d’arrêter, de condamner et de démanteler les réseaux criminels qui sont les vrais coupables. 

C’est la logique de votre proposition de loi à laquelle nous adhérons sans réserve : lier indissolublement l’efficacité et la fermeté pénale à la protection des victimes à travers la responsabilisation des clients et l’insertion sociale des personnes prostituées. 

Votre proposition de loi crée les conditions d’un démantèlement efficace des réseaux. Démanteler les réseaux c’est d’abord libérer les victimes de leur emprise. Reconnaître à titre provisoire un droit au séjour pour les prostituées qui s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution est à cet égard une disposition essentielle. Ce parcours permettra un soutien financier et l’annulation des dettes fiscales. Il créera un moment pour se reconstruire, un moment qui devra durer le temps qu’il faudra pour cela. 

Cette proposition de loi construit une véritable réponse sociale, sanitaire et professionnelle à la détresse dans laquelle sont les prostituées. Nous devons l’envisager comme le point de départ d’un large plan pour l’inclusion sociale et professionnelle des prostituées, qui puisse leur donner accès à des mesures de prévention efficaces et à des programmes d’insertion professionnelle adaptés. 

Rien ne remplace à cet égard le travail des acteurs de terrain notamment pour aller vers les prostituées et mettre en oeuvre des actions de prévention. Rien ne remplace les associations, du moment que l’Etat ne se désengage pas. Votre proposition réaffirme le rôle de l’Etat et l’organise, c’est essentiel. 

Réussir la sortie de la prostitution implique d’organiser une prise en charge complexe. L’Etat ne doit pas ajouter à cette complexité sa propre complexité. Il doit s’organiser pour assurer la coordination du soutien public aux initiatives locales pour accompagner, héberger et soigner les personnes prostituées. Il doit accompagner tous les professionnels, que leur action soit spécifiquement centrée sur la réduction des risques sanitaires, sur le logement ou qu’elle soit construite globalement autour des projets de la personne. 

La clé pour réussir les programmes qui sont prévus à l’article 3 de votre proposition de loi est de s’appuyer sur les besoins des personnes et de construire avec elles les solutions. C’est l’esprit du texte que vous proposez et nous vous proposerons d’apporter d’ailleurs des clarifications pour lever quelques malentendus qui ont pu exister. 

Je fais miennes les recommandations de l’IGAS sur la nécessité de consolider et simplifier le financement des acteurs qui participent à l’insertion des prostituées. Votre proposition de loi nous invite à organiser ce soutien de façon plus pérenne et plus ample à travers la création d’un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous l’indiquer, le gouvernement appuie cette proposition et s’y engage, y compris pour prévoir les crédits budgétaires qui permettront d’abonder ce fonds de façon satisfaisante à compter du vote de la loi. C’est un effort dédié de 20 millions d’euros par an sur le budget de l’Etat qui sera dégagé pour soutenir cet accompagnement spécialisé, un meilleur accès aux droits et des programmes de réduction des risques. Cet effort correspond à 10 fois les crédits actuellement consacrés par l’Etat au soutien aux associations. Cet engagement, nous le prenons et il ne peut pas être plus clair. 

Les pouvoirs publics, je le disais, ont longtemps été piégés dans leurs contradictions, craignant que l’accompagnement social des prostituées ne génère un appel d’air migratoire. Nous n’avons pas cette hésitation car nous renforçons notre politique de fermeté à l’égard des réseaux. Protéger les personnes prostituées, développer leur accompagnement sanitaire et social, faciliter la sortie de la prostitution, sont des missions qui doivent être exercées par l’Etat. Et pour que tout cela soit possible, nous ne devons plus laisser un millimètre de terrain aux réseaux. 

Les victimes de la prostitution, comme toutes les victimes de la traite, ce sont les prostituées. La création en 2003 du délit de racolage passif a conduit, là où il a donné lieu à des poursuites, à des situations inacceptables. Avec ce délit on marche sur la tête en punissant les victimes. 

Nous nous sommes engagés à abroger ce texte. C’est un engagement du Président de la République et cet engagement sera tenu. 

Une abrogation du délit de racolage s’impose, par ailleurs, pour mettre notre droit en conformité avec la directive 2011/36, dont l’article 8 dicte le principe d’une absence de poursuite des victimes. Je suis toutefois sensible au fait que cette abrogation ne doit pas induire le moindre affaiblissement de notre capacité à lutter contre les proxénètes : nous l’avons bien mesuré dans nos débats, et nous veillerons à ce qu’elle en sorte, au contraire, largement renforcée. 

Cette proposition de loi propose un véritable changement de perspective et offre une alternative au délit de racolage : pour lutter efficacement contre les réseaux, nous devons faire jouer la responsabilité tout au long de la chaine. Vous proposez ainsi la création d’une contravention de recours à la prostitution et d’une nouvelle peine de stages de responsabilisation à destination des clients pour leur faire prendre conscience de leur rôle dans le système prostitutionnel et pour prévenir la récidive. C’est une réponse qui, je le sais, a été très longuement murie jusqu’à trouver son équilibre. Elle correspond à un impératif d’efficacité dans l’action de terrain. Il s’agit de mettre ces clients face à la responsabilité de leurs actes et de prévoir des peines pédagogiques. Il s’agit aussi de ne pas laisser les maires assumer seuls les questions d’ordre public que pose la prostitution.

Adopter cette disposition, Mesdames et messieurs les députés, c’est aussi accélérer la transformation de notre société, pour l’égalité entre les sexes. A ce garçon qui veut savoir comment il pourra faire ses premières armes avec les filles, nous apprenons que l’achat du corps d’une autre contre quelques billets de banque, ne pourra plus être une option. A cette étudiante qui doit boucler ses fins de mois, nous proposerons des alternatives. Les pays qui ont fait le choix de l’abolition sont ceux où l’égalité entre les sexes n’est pas une utopie, mais une réalité. Est-ce une coïncidence ? je ne le crois pas. 

Adopter cette disposition c’est offrir de nouvelles solutions sur le terrain. Abroger le délit de racolage ne doit signifier en aucun cas laisser le champ libre aux réseaux. 

Le coeur de notre politique pénale en matière de prostitution continuera de reposer sur la sanction du proxénétisme, qui doit rester une infraction à large spectre. Avec le Ministre de l’Intérieur, nous donnons les consignes les plus claires aux forces de sécurité intérieure sur ce sujet. Je voudrais notamment rendre hommage au travail de l’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains (OCRETH) qui a intensifié son action contre les réseaux et a mobilisé un plus large de nombre de Groupes d’Intervention Régionaux sur ce sujet. 51 réseaux ont été démantelés en 2012 soit 30% de plus qu’il y a deux ans, pour un total de 572 proxénètes arrêtés. 

Ce sont de bons résultats que nous voulons encore amplifier notamment en renforçant la coopération internationale dans les zones transfrontalières. Je pense par exemple à cette zone de tension particulière à proximité de la Jonquera, haut lieu du proxénétisme et de la traite aux fins d’exploitation sexuelle et à propos duquel plusieurs d’entre vous – je salue ici Ségolène NEUVILLE – m’ont alerté. 

La faiblesse des réponses de l’Union européenne contre la traite n’est pas acceptable. J’ai réuni avec ma collègue belge Joëlle Milquet le 30 septembre dernier des représentants de 18 Etats membres signataires du protocole de Palerme pour réaffirmer l’actualité de ce texte et ses potentialités dans un cadre européen. J’ai participé il y a quelques jours à la réunion du conseil d’Interpol et ferai des propositions au nom de la France pour renforcer les capacités d’intervention de l’agence contre les réseaux de traite en favorisant les échanges d’information. C’est une dimension essentielle sur laquelle nous sommes pleinement mobilisés. 

Dans quelques semaines, enfin, je présenterai le premier plan gouvernemental contre la traite des êtres humains, qui a fait l’objet d’échanges intensifs ces dernières semaines avec toutes les associations concernées. Ce plan est conçu pour renforcer l’action contre le réseau, la coopération internationale, mais aussi pour faciliter l’identification des victimes et permettre leur accès aux droits. Votre commission spéciale a adopté des dispositions tout à fait importantes en la matière, notamment celles reconnaissant un statut aux mineurs victimes de la traite. C’est une initiative clé dont les effets concerneront toutes les formes de traite. 

Cette proposition de loi est une proposition de loi d’abolition. Ce n’est pas un hasard si elle dépasse les clivages traditionnels et peut rassembler aujourd’hui l’ensemble des familles politiques de notre pays. Chacune, chacun a su éviter les postures héroïques, les injonctions morales, les positions de principes, les arguments d’autorité et les anathèmes. 

La pression est forte, Mesdames et Messieurs les Députés, pour que notre débat aujourd’hui ne soit pas un débat sur le texte, un débat sur le fond, un débat de raison et de responsabilité sur ce qui nous rassemble, c’est-à-dire le combat républicain contre le crime organisé, mais un affrontement stérile de postures philosophiques, idéologiques, morales dont aucune n’a jamais constitué ne serait-ce qu’un début de réponse au défi qui nous est jeté au visage par les réseaux du proxénétisme international.

Beaucoup d’entre vous sont absents. Je ne peux que le constater, peut être aussi le regretter. De nombreux députés m’ont fait part de leur regret: merci à vous qui êtes présents, merci à toutes et à tous ceux qui ont permis à ce texte de venir à l’ordre du jour malgré les résistances, le jour de la semaine, un vendredi ne sera pas le plus difficile à surmonter ! La loi Marthe Richard était passée dans les mêmes conditions, et je ne doute pas que le sursaut viendra. Beaucoup de pays dans le monde nous regardent parce qu’ils attendent la France au plus haut niveau d’exigence dans la défense des droits des femmes et la lutte contre le crime organisé à l’échelle internationale, notamment nos voisins européens qui ont fait le choix de la réglementation, et qui s’interrogent sur ses dérives. Nous ne pouvons pas manquer ce rendez-vous. L’indifférence, le silence, c’est le lieu commun des prostituées. Mais je le dis clairement à tous ceux qui seraient tentés de ne pas voter ce texte alors qu’ils n’ont pas participé au débat. L’indifférence, lorsqu’elle conduit à un refus, porte un nom. Cela s’appelle le mépris. Et je ne l’imagine pas de votre Assemblée. 

Au moment de franchir une nouvelle étape, nous devons en effet garder à l’esprit que nous faisons une loi chaque demi-siècle sur la prostitution. Nous devons garder à l’esprit que les occasions manquées sont une insulte aux souffrances de ces victimes. Et vous devrez garder à l’esprit au moment de voter cette loi, que chacune de vos voix comptera dans le message qui leur sera envoyé et ce message doit être le suivant : nous passons de la parole aux actes, de la prise de conscience à la prise de responsabilité. 

C’est dans cet esprit de responsabilité que je veux inciter chacune et chacun à examiner le texte, et à se prononcer, dans la sérénité : préservons-nous des idées toutes faites, gardons-nous des affrontements de principe, et demandons-nous ce que le sort qui est fait aux dizaines de milliers des femmes et d’hommes asservis par la violence à l’exploitation sexuelle dans notre pays exige de nous. Le texte qui vous est présenté est un texte d’équilibre, que le gouvernement soutient dans toutes ses dimensions, forcément complexe et multiple, mais clair et sans ambiguïté. 

Je voudrais que nous pensions à la société dans laquelle grandiront et vivront demain nos filles et nous fils : si nous la voulons faite d’égalité, de liberté et fraternité, comment ne pas la vouloir sans prostitution ? 

Je vous remercie.