mercredi 18 décembre 2013

Nouvel article de Muriel Salmona sélectionné par Le Plu du Nouvl Obs du 17 décembre 2013 : Prostitution : pénaliser les clients, c'est bien. Lutter contre la précarité, c'est mieux







LE PLUS. La pénalisation des client-es de prostitué-es vient d'être votée à l'Assemblée nationale. Après de vives polémiques et des débats qui ont opposé les abolitionnistes et les défenseur des prostituées, Muriel Salmona, psychiatre estime que le texte définitif omet la prévention et la prise en charge des personnes vulnérables, avant leur prostitution. 


Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

édité par   Henri Rouillier


 Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le  17 décembre 2013



Le texte de loi pour renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, adopté mercredi 6 décembre 2013 par un vote solennel à l’Assemblée nationale, représente une avancée majeure.

Ce texte, en plus de ré-affirmer la position abolitionniste de la France qui reconnait la prostitution comme une violence faite aux femmes (1) et une violation de la dignité humaine et de l'égalité entre les sexes.

La prostitution, un risque pour la santé mentale

Il renverse la charge pénale de la personne prostituée sur ceux qui exploitent sa situation de vulnérabilité en abrogeant le délit de racolage et en sanctionnant le recours à la prostitution.

Il vise aussi une amélioration de l’accompagnement, de la protection et de l’accès aux soins des personnes prostituées – la prostitution étant envisagée comme une activité à haut risque pour la santé physique et mentale pour de nombreux rapports (2) – et leur réinsertion avec la mise en place d’un "parcours de sortie de la prostitution", la création d’un fond pour la prévention et l’accompagnement social et professionnel, et de nombreuses dispositions en matière de logement, de revenu de substitution, d’obtention de titres de séjour renouvelables, et de mesures destinées à assurer leur protection.

En tant que professionnelle de santé prenant en charge des personnes prostituées, je ne peux que saluer ce texte, mais il reste un grand chantier à peine abordé par ce texte : la prévention en amont afin d’éviter l’entrée en prostitution.

Déceler les traumas, et lutter contre la précarité

Prévenir c’est non seulement lutter sans relâche contre les réseaux de traite et les proxénètes, lutter contre les inégalités hommes femmes, le sexisme et la marchandisation des corps en éduquant les jeunes pendant leur scolarité, mais également – et c’est trop souvent oublié – lutter contre tout ce qui précarise les jeunes, avec en première ligne les violences qu’ils subissent.

Le système prostitutionnel exploite avant tout la grande vulnérabilité de jeunes isolés, sans ressource et gravement traumatisés qui sont repérés par des réseaux et des proxénètes, ou qui font le choix désespéré d’entrer en situation prostitutionnelle comme solution de secours et stratégie de survie pour se procurer de l’argent, et pour se déconnecter de leur souffrance.

Dans l’enfance des personnes prostituées on retrouve jusqu’à 59% de maltraitances physiques, et de 55% à 90% d’agressions sexuelles. Et quand des jeunes ont subi des violences dans l’enfance et plus particulièrement des violences sexuelles incestueuses (3) trois grands facteurs de risque peuvent précipiter leur entrée en situation prostitutionnelle :

1. Le départ précoce du foyer familial : nombreux sont les adolescents ou très jeunes adultes qui vont fuir le milieu familial maltraitant, avec des fugues à répétition, des départs précoces, des expatriations, qui se retrouveront mis à la porte du domicile familial, placés de foyers en foyers, avec le risque de se retrouver à la rue, sans revenu.

2. L’arrêt de la scolarité : les violences ont souvent un impact négatif sur leurs études (absentéisme, décrochages et échecs scolaires) et beaucoup de ces jeunes se retrouvent sans qualification ou formation professionnelle.

3. Les conséquences psychotraumatiques des violences avec l’installation d’une dissociation et d’une mémoire traumatique source de grandes souffrances et de conduites addictives et à risque.

Ces jeunes maltraités le plus souvent par leurs parents, condamnés à la loi du silence et au déni, rejetés par leur famille et les institutions qui ne veulent rien savoir des violences qu’ils ont subies, ni des souffrances qu’ils endurent, abandonnés par tous, survivent comme ils peuvent souvent dans les pires conditions en supportant les violences et en "auto-traitant" leur troubles psychotraumatiques. Pour cela ils ont recours à des stratégies pour se dissocier (se déconnecter de ses émotions) et s’anesthésier.

L'enjeu de la mémoire traumatique

Les violences ont un pouvoir dissociant direct par leur impact traumatique qui déclenche dans le cerveau un mécanisme de sauvegarde pour échapper à un stress extrême : une disjonction du circuit émotionnel qui produit une dissociation et une anesthésie émotionnelle à l’aide d’un cocktail de drogues endogènes semblables à de la morphine et de la kétamine secrétées par le cerveau.

Mais cette disjonction crée une mémoire traumatique, mémoire non traitée et piégée des violences qui, telle une machine à remonter le temps, leur fait revivre sans fin les violences à l’identique avec les mêmes sentiments de détresse et de désespoir, et les mêmes sensations intolérables à chaque fois qu’un lien les rappelle.

Et pour y échapper les victimes essaient de reproduire le mécanisme de disjonction, soit en recréant son effet avec de l’alcool et de la drogue, soit en le re-déclenchant avec des conduites à risque et des mises en danger génératrices de stress extrême. Les conduites dissociantes à risque sont d’autant plus efficaces pour s’anesthésier qu’elles reproduisent au plus près les violences subies. Pour les violences sexuelles, ce sera le cas avec des conduites à risque dont fait partie la prostitution.

Les jeunes qui ont été victimes de violences sexuelles sont colonisés également par la mémoire traumatique des mises en scène des agresseurs et de leurs phrases assassines, qui leur renvoie en permanence que l’on peut utiliser sexuellement leur corps, que c’est normal, qu’ils n’ont aucune valeur,  qu’ils n’ont aucun droit et surtout pas le droit de dire non, qu’ils sont méprisables et qu’ils ne sont bons qu’à ça, ce qui aboutit à un véritable formatage et une emprise qui les piège encore plus.

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