LE CONFINEMENT ET LA PANDEMIE DE COVID-19 :
Un risque accru de violences et de psychotraumatismes pour les femmes, les enfants et les personnes les plus vulnérables
Dre Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Le confinement à l’échelle de toute la population que nous subissons avec la pandémie de COVID-19, par son caractère inédit et contraignant, nous a fait brusquement basculer dans une autre réalité : notre vie quotidienne, tous nos projets, nos liens, rencontres, nos rituels et nos repères habituels ont été profondément bouleversés. S’il nous a fait prendre la mesure de la gravité de la pandémie et du danger que nous courions, sans échappatoire ni déni possible, en s’abattant sur nous, il a généré un choc et une effraction psychique. Après nous avoir sidéré, il nous a laissé sonné, anesthésié avec un sentiment d’étrangeté et d’irréalité. Dans un premier temps, la plupart d’entre nous ont été démunis pour le penser et en envisager toutes les conséquences et toutes les ressources et la solidarité nécessaires qu’il faudrait pour que toutes les personnes, particulièrement les plus vulnérables et discriminées, puissent le vivre et affronter, dans le respect de leurs droits les plus fondamentaux, la maladie, la peur, le stress, l’isolement, l’enfermement, l’incertitude et l’insécurité, la perte de contacts sociaux importants voire vitaux pour certains, les pertes financières et le danger d’être piégé dans un univers violent et maltraitant.
Le coût psychologique de ce confinement prolongé risque de s’avérer important et sur le long terme, avec un impact sur la vie et la santé de la population qui devra être reconnu par les autorités comme un problème de santé publique nécessitant des mesures d’informations, de soutien, d’aides, de protection et de soins spécifiques, en tenant compte des situations de vulnérabilité et le respect des droits fondamentaux des personnes.
Une étude sur le confinement en Chine publiée début mars dans la revue General Psychiatry montre que près de 35% des répondants ont souffert d'une forme de détresse psychologique. Dans plusieurs études rapportées par la revue The Lancet ans un article publié le 14 mars, les personnes confinées présentaient des symptômes d’état de stress post traumatiques et étaient nombreux à signaler des troubles anxieux et dépressif, un état de stress aîgu, des sentiments de peur et de culpabilité, une irritabilité et des sentiments de colère, un épuisement émotionnel pouvant être associé à un détachement et un état d’anesthésie émotionnels, une insomnie.
Ces symptômes, s’ils ne sont pas pris en charge, ont tendance à se chroniciser après la fin du confinement dans le cadre de troubles psychotraumatiques qui s’accompagnent de risques de dépression, d’idées suicidaires, de conduites d’évitement phobo-obsesssionnels, de conduites à risque avec des mises en danger et des addictions, de troubles alimentaires, de nombreux troubles somatiques et de conséquences importantes sur la qualité de vie, l’insertion sociale et professionnelle. Tous ces symptômes sont des conséquences psychotraumatiques habituelles et universelles liées à des mécanismes de sauvegarde mise en place par le cerveau face à un stress extrême, responsable d’une dissociation traumatique qui anesthésie émotionnellement, et d’une mémoire traumatique qui fait revivre à l’identique, de façon incontrôlée le trauma, son stress et les souffrances endurées aussitôt qu’un lien le rappelle, comme une machine à remonter le temps. Si les personnes traumatisées n’ont pas accès à des soins spécifiques pour traiter leur mémoire traumatique, elles mettent en place des stratégies de survie pour y échapper : hypervigilance, conduites d’évitement et de contrôle qui son épuisantes, ou bien des conduites dissociantes, à risque, anesthésiantes comme des mises en danger, des conduites addictives et des conduites violentes contre soi ou autrui.
Le confinement, s’il est en lui-même une épreuve et un événement potentiellement traumatisant pour toutes les personnes, et d’autant plus pour les les plus vulnérables et précaires, il l’est également par les réactivations traumatiques (reviviscences, flash-backs de la mémoire traumatique) qu’il peut engendrer chez des personnes ayant déjà subi des traumatismes dans leur passé, par l’aggravation de pathologies psychiatriques et de troubles neuro-développementaux (tels que les troubles du spectre de l’autisme) préexistants et par le risque accru de subir des violences ou bien d’en être témoin au sein du huis-clos familial ou insititutionnel, et d’en être gravement traumatisé.
Les crises, qu’elles soient sanitaires ou liées à des catastrophes naturelles ou à des conflits armés, sont un facteur de risque connu et démontré par de nombreuses études de troubles psychotraumatiques pour la population, et de recrudescence de violences, pendant et après la crise, particulièrement de violences sexuelles, conjugales, de maltraitances intra familiales et institutionnelles. Dans le cadre de la pandémie du Covid-19, une étude en Chine de février 2020 montre que 90% des violences domestiques sont en lien avec l’épidémie et d’autres études montrent que les violences conjugales auraient doublé voire triplé pendant cette période.
Il est évident que les coûts psychologiques les plus lourds du confinement vont concerner les personnes les plus discriminées, vulnérables et dépendantes qui vont cumuler tous les facteurs de risque : les femmes et les filles, les enfants, les personnes handicapées et dépendantes, les personnes âgées et malades, les personnes précaires et marginalisées, SDF, immigrées demandeuses d’asile. Ce sont celles qui sont les plus à risque d’avoir subi des violences dès l’enfance : violences sexuelles, maltraitances physiques et psychologiques, négligences, ce sont celles qui sont le plus à risque de subir des violences intra-familiales et institutionnelles lors du confinement, et ce sont celles qui présentent le plus de troubles psychotraumatiques dans la population et qui sont le plus confrontées à la précarité et aux discriminations.
Pour rappel 1 femme sur 3 a subi des violences physiques et ou sexuelles, le plus souvent dans le cadre intra familial et conjugal, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur treize a subi des violences sexuelles dans plus de la moitié des cas par un membre de la famille, 1 enfant sur 4 des violences physiques, 1 enfant sur 3 des violences psychologiques, les femmes handicapées subissent 4 fois plus de violences, jusqu’à 90% des femmes présentant des TSA ont subi des violences sexuelles, 78% de l’ensemble tout sexe confondu, et en France chaque année plus de 220000 femmes subissent des violences conjugales, 94000 des viols et des tentatives de viols, les hommes sont 16000 a en subir, et les enfants principales victimes de violences sexuelles sont 165 000 : 130 000 filles et 35 000 garçons. Ces violences sont particulièrement traumatisantes et portent atteintes aux droits, à la dignité et à l’intégrité mentale et physiques des victimes avec de lourdes conséquences sur leur vie et leur santé, elles aggravent les inégalités, sont un facteur de risque important de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie et renforcent les discriminations et les situations de vulnérabilité dans un cycle sans fin, si rien n’est fait pour protéger, accompagner, soigner ces victimes, et leur rendre justice.
Avec le confinement, nombreuses sont les personnes ayant subi des violences, le plus souvent dès l’enfance et qui présentent des troubles psychotraumatiques avec lesquels elles tentent de survivre seules, le plus souvent sans les soins et l’accompagnement spécifiques nécessaires et qui gèrent tant bien que mal, avec des stratégies de survie, leur mémoire traumatique, qui vont être confrontées à une forte réactivation de celle-ci, le stress, la peur d’être contaminée ou de contaminer, la culpabilisation, le bouleversement de tous les repères habituels, l’enfermement qui rappelle des situations de séquestration, l’isolement et l’éloignement des personnes sécurisantes, les situations de dépendances pouvant faire liens avec le contexte des violences du passé et mettre à mal les stratégies habituelles de survie. Cette réactivation est source d’angoisse, de souffrance et d’aggravation des troubles psychotraumatiques si elle n’est pas prise en charge. Chez les enfants, cette réactivation est à l’origine de troubles anxieux ou de troubles dissociatifs avec des angoisses de séparation, des pleurs, une agitation importante, des troubles de l’alimentation et du sommeil, une déconnexion et une pseudo-indifférence qui représentent un risque de maltraitances de la part des parents ou des personnes qui en ont la garde. Il est important de fournir des informations claires et cohérentes à la fois sur le confinement et la pandémie, sur les ressources à disposition et sur les mécanismes psychotraumatiques, plus les personnes traumatisées et leurs proches protecteurs et les personnes qui les accompagnent comprennent les symptômes psychotraumatiques, mieux ils pourront être gérés et plus l’accès à des soins spécialisés sera possible. Il est à noter qu’à l’inverse, des personnes traumatisées peuvent en étant confinées chez elles, se sentir bien plus sécurisées, en étant à l’abri de situations de maltraitances subies à leur travail, chez des membres de leur famille avec lesquelles elles ne vivent pas mais qu’elles sont obligées de voir, ou dans le cadre de leurs déplacements ou de leurs activités, à l’abri également d’interactions sociales qui, par leur nombre sont sources pour elles d’hypervigilance, de contraintes, de risques de réactivation de leurs traumas, et d’efforts constants pour contrôler des sentiments de danger, de menaces et de déstabilisations émotionnelles épuisants, ainsi que d’une obligation de jouer un rôle et de masquer sa souffrance ou son état de dissociation traumatique.
D'autre part, comme nous l’avons vu, le confinement aggrave encore les violences physiques, sexuelles, psychologiques, économiques et les maltraitances faites aux femmes et aux personnes vulnérables du fait du huis-clos familial et institutionnel, cadre dans lequel ont lieu la majorité de ces violences. La situation de confinement associée aux conduites dissociantes violentes liées aux réactivations de mémoire traumatique des violences que les agresseurs ont subies et surtout déjà exercées (et qu’ils choisissent de gérer en l’anesthésiant par la violence qu’ils exercent contre des personnes sur lesquelles ils exercent des rapports de force) fait un cocktail encore plus explosif et dangereux pour les victimes de violences intra-familiales. Les rapports de domination, de dépendance et d’emprise qui peuvent y régner en font souvent des zones de non-droit où la violence peut s’exercer en toute impunité, à l’abri des regards, dans l’indifférence ou avec la complicité de nombreux acteurs qui les tolèrent sous couvert de stéréotypes sexistes, de discriminations et d’une adhésion inégalitaire à la loi du plus fort. C’est à juste raison que les associations féministes, de lutte contre les violences et d’aide aux victimes ont aussitôt alerté le gouvernement qui s’est emparé de cette alerte en communiquant sur les ressources disponibles (numéros d’urgence tel que le 17 ou le 112, numéros nationaux tels que le 119 et le 39-19, plateforme arrêtons les violences) et en les rassurant sur la continuité des mesures de protection et des prises en charge judiciaires de ces violences. Il faut saluer l’initiative d’impliquer les pharmaciens, en plus des médecins, dans le recueil de signalement de violences, et il faut l’espérer dans le dépistage des situations de violences et de danger.
Cependant, alors qu’en temps normal les victimes de ces violences intra-familiales et institutionnelles sont le plus souvent abandonnées à leur sort et à leurs traumatismes, condamnées au silence, jamais protégées ni soignées, ni crues et secourues lorsqu’elles parlent, la situation de confinement ne fait qu’empirer cet état de fait : l’isolement, les menaces, le contrôle coercitif et le risque de séquestration totale, les conséquences psychotraumatiques sont aggravés. Comment échapper à son bourreau, comment alerter ou signaler les violences, comment téléphoner aux numéros d’assistance ou naviguer sur le net si on est toute la journée confiné sous une surveillance qui peut être constante ? Comment, dans des institutions et des familles d’accueil où des maltraitances ont lieu, les enfants placés, les personnes handicapées, les personnes malades et âgées, privées de sorties, de visites et de contacts avec l’extérieur, pourraient-elles y échapper à ces violences, ou avoir la chance qu’elles soient remarquées. Dans ces situations le huis-clos peut devenir un piège redoutable qui se referme sur les victimes, les livrant totalement à leurs bourreaux.
Pour briser ce huis-clos, sécuriser et protéger les victimes, soulager leurs souffrances une solidarité, une information sur les traumas, les ressources et les droits des personnes, et des interventions extérieures sous la forme de secours, d’aide, de soutien et de soins sont essentielles. Ce ne sont pas aux seules victimes de violences et aux personnes les plus précaires, vulnérables et dépendantes de se protéger, d’alerter et de fuir, c’est pour elles, le plus souvent mission impossible. Il est indispensable de ne pas les abandonner, de se préoccuper des plus vulnérables, discriminées et précaires, d’aller vers elles, d’identifier les situations à risque et de traiter et de de sécuriser ces situations quand c’est possible, de dépister les situations de violences et de secourir les victimes, de les protéger et de les aider efficacement. Sortir du déni, informer et former sans relâche, offrir des ressources, faire un dépistage systématique en posant des questions, évaluer le danger couru du fait des violences et la gravité du traumatisme (risque suicidaire, de mise en danger), signaler les violences, secourir, protéger efficacement, ne laisser aucune violence impunie et mettre en place des soins spécialisés doivent être des impératifs. Nous sommes encore loin du compte, il faut des moyens, des réformes et une réelle volonté politique à hauteur de l’enjeu en terme de santé publique et des droits fondamentaux des personnes. Mais les victimes en danger ne peuvent attendre, parallèlement à la lutte contre la pandémie, les professionnels les plus concernés doivent s’engager dans ce combat, que ce soient les professionnels de santé (identifiés comme premier recours par les victimes), du secours, de l‘éducation, du social, de la protection de l’enfance, mais nous pouvons toutes et tous y participer, il est urgent de le faire !
1 commentaire:
Oui , j'entends tout de ce que vous nous dites et j'en fait mien . Merci beaucoup de ce "rappel " je suis ISP nouvellement en retraite professionnelle et me suis inscrite sur la liste sanitaire en psy . Pour l'instant pas réquisitionnée . Bon mardi à vous , kenavo
Enregistrer un commentaire