lundi 10 février 2020

Le psychotraumatisme du viol : Texte reprenant la conférence introductive de la Dre Muriel SALMONA de la 2 ème journée du 1er Congrès de la chaire internationale Mukwege




Le psychotraumatisme du viol  
des conséquences majeures à long terme sur la vie et la santé des enfants victimes s’il n’est pas traité

Dre Muriel Salmona, le 20 janvier 2020
Texte reprenant ma conférence introductive de la 2 ème journée du 1er Congrès de la chaire internationale Mukwege , de lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes et aux filles, 14 novembre 2019

Article à télécharger en PDF 
sur le site de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie ICI
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-psychotraumatisme-du-viol-chaire-Mukwege.pdf


Les violences sexuelles subies par les enfants sont d'une ampleur considérable dans le monde entier, elles représentent des atteinte très graves aux droits, à la sécurité, à la dignité et à l’intégrité mentale et physique des enfants qui en sont victimes. Très traumatisantes, elles ont de graves conséquences à long terme sur leur vie et leur santé, ce qui en fait un problème majeur de droits humains, de société et de santé publique qu’il est urgent de traiter.
Le viol, une torture sans fin

Les viols n’ont rien à voir avec la sexualité, ce sont des armes massives de domination, de destruction, de soumission et de contrôle social, que ce soit en temps de paix ou de guerre. Ce sont avant tout des violences masculines, sexistes, haineuses et discriminatoires qui s’exercent dans un contexte de rapport de force, d’inégalités et de discriminations. Les enfants en sont les premières victimes et parmi eux les filles sont les plus touchées (83% de filles pour 17% de garçons) ainsi que les enfants les plus vulnérables et plus discriminés : enfants handicapés (4 à 6 fois plus victimes de violences sexuelles), enfants en grande précarité, orphelins, placés en institutions, enfants racisés (VIRAGE, 2017 ; ONDRP, 2017 ; MTV/Ipsos, 2019, Danmeyer, 2016)
Des chiffres effarants

Les chiffres sont effarants : les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles ; selon l’OMS (2014) dans le Monde 1 fille sur cinq et un garçon sur 13 ont subit des violences sexuelles dans leur enfance, en France 81% des violences sexuelles ont débuté avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21% avant 6 ans, et plus de 60% des viols sont commis sur des mineur.e.s (IVSEA, 2015, CSF, 2008). On estime que chaque année près de 130 000 filles et 35 000 garçons subissent des viols et des tentatives de viols, bien plus que les 94000 femmes et les 16 000 hommes ( CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017 ; VIRAGE 2017). L’âge moyen des victimes est de 10 ans (MTV/IPSOS, 2019). Les agresseurs sont des hommes dans 9 cas sur 10, qui sont mineurs dans 25 à 30% des cas. Dans la très grande majorité des cas ils sont connus de la victime et dans la moitié des cas ils sont membres de la famille (IVSEA, 2015 ; VIRAGE, 2017 ; MTV/IPSOS, 2019).
Le viol, un crime impuni

Or, depuis plus de vingt ans, les viols ont beau être considérés en droit international et européen, que ce soit en temps de paix ou de guerre comme des crimes de premier ordre et comme des traitements cruels, inhumains et dégradants, voire de plus en plus comme une forme de torture que les États ont la responsabilité et l’obligation de prévenir et de punir, quel quen soit l’auteur. Ce sont les crimes qui bénéficient de la plus grande impunité, dont les victimes sont les moins reconnues, protégées et prises en charge, et sont les plus maltraitées lors des procédures judiciaires (REDRESS, 2013).
Cette impunité est alimentée par le déni sociétal, la tolérance face à ces violences masculines et la loi du silence imposée aux victimes. Les stéréotypes sexistes, la culpabilisation et le rejet des victimes (culture du viol), l’absence de dépistage et de protection des victimes ainsi que la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques jouent un très grand rôle dans ce déni. La justice échoue à traiter le très faible nombre de plaintes : alors qu’en France seuls 4% des viols et des tentatives de viols sur mineurs font l’objet de plainte, 74% de ces plaintes vont être classées sans suite, la moitié de celles instruites vont être déqualifiées et au total seules 10% des plaintes vont être jugées en cour d’assises. Les statistiques de la justice montrent que depuis 10 ans il y a 40% de condamnations pour viols en moins (infostat justice, 2018), ce qui est également observé dans de nombreux autres pays (Royaume Uni, Suède, Finlande…).
Des enfants victimes traumatisés et abandonnés

La plupart des victimes sont abandonnées. Elles ne sont pas crues, et 83% d’entre elles témoignent qu’elles n’ont jamais été reconnues ni protégées (IVSEA, 2015). Elles doivent survivre seules aux violences sexuelles ainsi qu’à leurs conséquences psychotraumatiques, et plus particulièrement à leur mémoire traumatique qui leur fait revivre ces violences à l’identique, comme une torture sans fin. Ce déni et cette absence de protection, conjuguées à une carence de soins spécifiques et à une faillite quasi-totale de la justice à punir leurs agresseurs, sont une grave perte de chance pour les victimes et les exposent à de lourdes conséquences sur leur vie, et leur santé mentale et physique, ainsi qu’à de nouvelles violences sexuelles, de nombreuses maltraitances institutionnelles et des injustices en cascade. Cette perte de chance est d’autant plus scandaleuse que des soins sont efficaces, et permettent, en traitant la mémoire traumatique, d’éviter la majeure partie des conséquences (Hillis, 2016). D’autre part, l’impunité fait courir à la société le risque majeur que tous ces agresseurs qui n’ont pas été inquiétés fassent de nombreuses autres victimes au cours de leur vie. Et c’est enfin, une machine à fabriquer de nouvelles victimes et de nouveaux agresseurs de proches en proches et de génération en génération, le facteur de risque principal de commettre des violences étant d’en avoir déjà subi sans avoir été protégé, ni soigné (OMS, 2010 et 2014 ; Felitti et Anda, 2010). Nous savons qu’avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par 16 le risque de subir des violences conjugales et/ou sexuelle à l’âge adulte pour une femme, et multiplie par 14 le risque de commettre des violences conjugales et/ou sexuelle à l’âge adulte pour un homme (Fulu, 2017)..

Les femmes et les filles victimes de viols devraient être considérées comme des blessées psychiques, gravement traumatisées par des crimes sexuels haineux qu’il faut prendre en charge spécifiquement ; au contraire elles sont mises en cause et considérées comme étant à l’origine de leurs propres malheurs, leurs symptômes psychotraumatiques sont catégorisés comme des troubles de la personnalité, du comportement ou comme des maladies psychiatriques endogènes. Elles sont injustement considérées comme des personnes faibles, incapables, sans volonté, ou bien comme des personnes déficientes mentales. Elles sont traitées comme des personnes hystériques, autistes, psychotiques, paranoïaques ou démentes, ce qu’elles ne sont pas. Le corps médical encore trop peu formé aux psychotraumatismes et colonisé par des représentations sexistes, fait rarement le lien entre des symptômes pourtant pathognomoniques de traumatismes que présentent les filles et les femmes et les violences qu’elles ont subies : 79% des professionnels de la santé ne font pas le lien entre les violences subies dans l’enfance de leurs patients et leur état de santé,  seules 23% des victimes de viol bénéficient d’une prise en charge médico-psychologique spécialisée, en moyenne au bout de 10 ans (IVSEA, 2015 et MTV/Ipsos 2019). 

Des soins au secours des droits des enfants victimes

Or les symptômes psychotraumatiques, qui sont universels et pathognomoniques, sont une preuve du traumatisme subi et de sa gravité : ils permettent de faire une « autopsie psychique détaillée de la scène de crime » en livrant de nombreux indices sur son déroulement, et de corroborer les récits des victimes. L’analyse et l’identification des manifestations de la mémoire traumatique de la victime et des stratégies qu’elle met en place pour y échapper ou pour l’anesthésier, permet une mise en lien et en sens, et d’identifier d’innombrables détails et éléments de compréhension concernant le crime et son contexte, la stratégie et la mise en scène de l’agresseur, ce qu’il a dit et fait, et ce que la victime a subi et ressenti. 

Nous allons voir qu’en plus d’être un outil thérapeutique essentiel permettant la restauration de l’intégrité et de la dignité des victimes, cette analyse psychotraumatologique est un outil scientifique médico-légal permettant de participer à la recherche de la vérité, en corroborant, voire même en complétant le récit des victimes, et en fournissant de nombreux indices concordants dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Même en l’absence de témoins, d’atteintes corporelles et de preuves ADN, cette analyse permet de collecter des faisceaux d’indices graves et concordants dans le cadre de procédures pénales et de procédures civiles, en vue de l’obtention d’une reconnaissance et d’ouverture à des droits en terme de prise en charge et de réparations.


Le viol, un traumatisme majeur

L’atteinte à la dignité et à l’intégrité corporelle et sexuelle, la déshumanisation, la dégradation et la chosification de leur corps que subissent les victimes de violences sexuelles est extrêmement traumatisante, d’autant plus que l’agresseur met en scène qu’il jouit avec cruauté de cette destruction et du vécu d’annihilation de sa victime, ainsi que de sa terreur et de sa détresse. Avec les violences sexuelles, le monde bascule dans un chaos transgressif inhumain
Les violences sexuelles font partie avec les tortures des pires traumas, et la quasi-totalité des enfants victimes de viols, de 80 à 100%, vont développer de graves troubles psychotraumatiques à court moyen et long termes quelle que soit leur âge, leur sexe, leur personnalité, leur histoire, leurs antécédents (Rodriguez, 1997). 
Des conséquences psychotraumatiques universelles

Ces psychotraumatismes sont une réponse universelle et normale liée à l’impact sur le cerveau des violences. Le cerveau des enfants est très vulnérable aux violences. Ces traumas ne sont pas seulement psychologiques mais aussi neuro-biologiques avec des atteintes du cortex et de certaines structures cérébrales telles que l’hippocampe visibles en neuro-imagerie, ainsi que des circuits de la mémoire et de la réponse émotionnelle, avec la mise en place de mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde exceptionnels très coûteux pour échapper au risque vital généré par un stress extrême lors des violences, à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique qui sont au coeur de toutes conséquences psychotraumatiques sur la santé mentale et physique des victimes  (Campbell, 2008, MacFarlane, 2010 ; Nemeroff, 2009, 2016). Et ces conséquences seront d’autant plus graves que la victime est très jeune, qu’il s’agit d’un viol (donc de violences sexuelles avec pénétration), commis par un proche, que les violences sexuelles sont répétées pendant une longue période, et qu’elles sont accompagnées de menaces de mort et d’autres actes de barbarie et de tortures (IVSEA, 2015). Ces atteintes sont réversibles grâce à une neurogénèse et à la plasticité du cerveau si une protection et un traitement psychothérapique spécialisé sont mis en place (McFarlane, 2010, Nemeroff, 2016).
Quand les conséquences psychotraumatiques ne sont pas diagnostiquées, ni traitées spécifiquement - ce qui est malheureusement souvent le cas - elles sont à l’origine de très graves conséquences à long terme sur la santé mentale et physique des victimes ainsi que sur leur vie personnelle, affective et sexuelle, leur scolarité et leur insertion sociale et professionnelle. Les troubles psychotraumatiques sont également un facteur de risque très important de subir de nouvelles violences (pour 70% des victimes), d’avoir des périodes de précarité et de marginalisation (pour 50% d’entre elles : risques d’être placé à l’Aide Sociale à l’Enfance, de fugues, d’échecs scolaire, d’absence de diplôme, de chomâge, d’invalidité, d’être interné en hôpital psychiatrique, en institution, risques de grande pauvreté, d’être à la rue (SDF), en hébergement d’accueil, en situation prostitutionnelle, en détention,…) et de voir s’aggraver dans un processus sans fin les situations d’inégalités, de discrimination et de handicap déjà présentes au moment des viols (Campbell, 2008 ; Hillis, 2016 ; IVSEA, 2015 ; MTV/Ipsos, 2019). 
De lourdes conséquences sur la santé à long terme

Les violences subies dans l’enfance, particulièrement quand il s’agit de violences sexuelles telles que le viol, sont le premier facteur de risque de morts précoces, de suicide, de dépressions à répétition, de troubles anxieux, de conduites addictives, de conduites à risque et de mises en danger, de risque de subir à nouveau des violences tout au long de leur vie et/ou d’en commettre, d’obésité, elles sont également un facteur de risque majeur pour de nombreuses pathologies somatiques : diabète, troubles cardio-vasculaires, immunitaires, endocriniens, digestifs (colopathies, anisme), neurologiques, gynéco-obstétricaux, cancers, douleurs et fatigue chroniques, sans compter le risque d’infection sexuellement transmissible et de grossesse sur viol (Felitti et Anda, 2010). Elles peuvent faire perdre jusqu'à 20 ans d'espérance de vie (Brown, 2009 ). La communauté scientifique internationale et l’OMS les reconnaissent comme un problème de santé publique majeur (OMS, 2016 ; Hillis, 2016). Selon les enquêtes récentes de 70 à 96% des enfants victimes déclarent à l’âge adulte un impact important sur leur santé mentale, et de 50 à 70% sur leur santé physique, 50% font des tentatives de suicides, 50% des dépressions à répétition, 30 à 50% présentent des conduites addictives (IVSEA, 2015 ; MTV/IPSOS 2019).
S’il est inévitable que les enfants victimes de viols soient contraints de survivre à des violences qui font basculer leur vie et leur rapport au monde, en revanche avec une protection et des soins précoces et efficaces, il est possible de leur éviter les conséquences psychotraumatiques de ces violences (Ehring, 2014 ; Hillis, 2016). Même s’il est souhaitable qu’elle soit la plus précoce possible, il n’est jamais trop tard pour mettre en place cette prise en charge ; même des décennies après les violences les soins psychothérapiques sont toujours très utiles et la neurogénèse encore possible. Ne pas leur offrir cette prise en charge est une perte de chance intolérable et une une atteinte à leurs droits fondamentaux. 
Il est donc essentiel de former des professionnels de santé pour identifier, protéger et prendre en charge les enfants et les adultes victimes de violences sexuelles que ce soit au niveau des soins spécifiques et d’une expertise médico-légale, et de proposer une offre de soins médico-psychologiques spécifiques accessibles et gratuits dans un cadre holistique associant également une prise en charge socio-économique et juridique comme l’a mise en place le Dr Mukwege en RDC.
Les troubles psychotraumatiques

Les violences aboutissent à la constitution d’une mémoire traumatique de l’événement, symptôme central du psychotraumatisme. cette mémoire est différente de la mémoire autobiographique normale, il s’agit d’une mémoire non intégrée et piégée dans une structure du cerveau. Les mécanismes à l’origine de cette mémoire traumatique sont assimilables à des mécanismes exceptionnels de sauvegarde qui sont déclenchés par le cerveau pour échapper au risque vital que fait courir une réponse émotionnelle extrême face à un trauma. 
La sidération psychique

Les viols sont particulièrement terrorisants et incompréhensibles, d’autant plus pour des enfants, elles créent une effraction psychique qui provoque un état de sidération. Les enfants se retrouvent paralysés psychiquement et physiquement, pétrifiés, dans l’incapacité de réagir, de crier, de se défendre ou de fuir. Cette sidération de l’appareil psychique bloque toute représentation mentale et empêche toute possibilité de contrôler la réponse émotionnelle extrême qui a été déclenchée par une structure cérébrale sous-corticale archaïque de survie : l'amygdale cérébrale. La sidération est d’autant plus importante que l’enfant est jeune et dans l’incapacité de comprendre ce qui se passe.

L'amygdale cérébrale s'apparente à une alarme qui s'allume automatiquement lors de toute situation de menace avant même que celle-ci soit identifiée et comprise par les fonctions supérieures, cette alarme a pour fonction d’alerter et de préparer l’organisme à répondre au danger, pour lui faire face ou le fuir. Elle peut s’activer chez le foetus dès le 3ème trimestre de la grossesse, chez le nouveau-né dès la naissance, elle s’active même si la victime n’a pas les capacités de comprendre intellectuellement ce qui lui arrive (enfants très jeunes, avec de lourds handicaps mentaux, ou n’étant pas conscients : endormis, drogués). Cela signifie que c’est le danger d’une situation, l’intentionnalité de nuire d’un agresseur qui allume l’amygdale cérébrale. 

L’amygdale cérébrale en s’activant alerte les fonctions supérieurs, déclenche un état d’hypervigilance et une réponse émotionnelle, et elle commande la production d'hormones de stress par les surrénales : adrénaline et cortisol qui fournissent l'organisme en « carburant » (oxygène et glucose). Comme toute alarme, par sécurité, elle ne s'éteint pas spontanément, seul le cortex cérébral et l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et du repérage temporo-spatial) peuvent la moduler ou l'éteindre grâce à des représentations mentales, une analyse, une compréhension suivies d’une prise de décision. 

Disjonction du circuit émotionnel

Lors de violences, le cortex paralysé par la sidération est dans l'incapacité de moduler l'alarme qui continue donc à « hurler » et à produire une grande quantité d'hormones de stress. L'organisme se retrouve en état de stress extrême, avec rapidement des taux toxiques d'hormones de stress qui représentent un risque vital cardiovasculaire (adrénaline) et neurologique (le cortisol est neurotoxique). Pour échapper à ce risque vital, comme dans un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour protéger les appareils électriques, le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel à l'aide de neurotransmetteurs qui sont des « drogues dures » anesthésiantes et dissociantes : morphine-like et kétamine-like, des endorphines et des antagonistes des récepteurs de la NDMA (Nemeroff, 2008). 

Cette disjonction en isolant l'amygdale cérébrale éteint la réponse émotionnelle et fait disparaître le risque vital en créant un état d'anesthésie émotionnelle et physique. L’amygdale reste allumée tant que le danger persiste mais elle est isolée du reste du cerveau. Cette disjonction est à l'origine d'une dissociation traumatique, trouble de la conscience lié à la déconnection avec le cortex, qui entraîne une sensation d'irréalité, d'étrangeté, d’absence, d'être spectateur des événements. Mais cette disjonction isole également l'amygdale cérébrale de l’hippocampe qui ne peut pas faire son travail d’intégration, d’encodage, de contextualisation et de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences, celle-ci reste piégée dans l'amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Elle va rester hors du temps, non-consciente, à l'identique, susceptible d'envahir le champ de la conscience et de refaire revivre la scène violente de façon hallucinatoire, comme une machine à remonter le temps, avec les mêmes sensations, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et de terreur, les mêmes douleurs, les mêmes détails, les mêmes phrases entendues (ce sont les flashbacks, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de panique…). C'est cette mémoire piégée dans l’amygdale qui n’est pas devenue autobiographique qu'on appelle la mémoire traumatique. 

La disjonction se produit d’autant plus rapidement que la sidération est importante ou que les fonctions supérieures sont désactivées ou immatures (enfants très jeunes, endormis, drogués, avec des handicaps mentaux ou sensoriels). Le traumatisme sera alors d’autant plus massif.

Dissociation traumatique, des enfants devenus étrangers à eux-mêmes

La dissociation traumatique perdure chez l’enfant tant qu’il est confronté aux violences, aux agresseurs, au contexte. Elle peut durer des heures, des semaines, des mois, des années…

Pendant la dissociation, l’amygdale et la mémoire traumatique qu’elle contient est déconnectée, et la victime n’aura pas accès émotionnellement, ni sensoriellement aux événements traumatiques. Cet état dissociatif anesthésie et empêche la victime de prendre la mesure des violences qu’elle subit ou qu’elle a subies. Les faits les plus graves lui semblent irréels. Suivant l’intensité de la dissociation, les violences pourront sembler perdues dans un brouillard épais, la victime pourra être alors amnésique de tout ou partie des événements traumatisants, seules pourront rester quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails isolés (Salmona, 2018). Cette amnésie traumatique est fréquente chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance (près de 60% des enfants victimes de violences sexuelles présentent des amnésies partielles des faits et 40% des amnésies totales (Brière, 1993, Williams, 1995, IVSEA, 2015, AMTV/IPSOS, 2019). Ce phénomène d’amnésie traumatique peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies..

La victime dissociée reste donc comme indifférente aux violences qu’elle continue à subir, à sa souffrance, à la douleur, et également à la mémoire traumatique de celles qu’elle a déjà subies. Les évènements sont là, mais à distance, ils ne s’imposent pas émotionnellement. Les violences et les réminiscences ne sont pas ressenties émotionnellement mais elles n’en sont pas moins stressantes et traumatisantes, bien au contraire puisqu’il n’y a pas de réflexe de défense (de même, lorsqu’on pose sa main anesthésiée sur une plaque électrique, ce n’est pas parce qu’on ne ressent pas la douleur, qu’elle ne sera pas gravement brûlée).
La dissociation traumatique est une véritable hémorragie psychique qui annihile la volonté de la victime. Elle se sent perdue avec un sentiment d’étrangeté, et ne se reconnaît plus. Elle est privée de ses émotions et dans l’incapacité de penser ce qu’elle subit et d’y réagir de façon adaptée. Elle est sur mode automatique, avec un sentiment d’absence au monde, d’être coupée d’elle-même et de son corps.
Cette dissociation rend très difficile voire impossible toute opposition ou toute défense mentale et physique vis à vis de toutes les violences qui sont exercées contre elle : les paroles assassines, les coups, les humiliations ne rencontrent aucune résistance mentale ou physique. Cela rend la victime très vulnérable à l’agresseur, qui peut exercer une emprise totale sur elle, et coloniser son psychisme en la formatant pour qu’elle se ressente comme coupable, nulle, sans valeur, sans droit, comme un objet à sa disposition. L’agresseur peut lui faire subir tous les sévices qu’il veut exercer comme si elle était un pantin, parfois pendant de longues années. 
De plus, la dissociation fait que la victime apparait souvent comme limitée intellectuellement, inadaptée incapable de comprendre ce qui se passe et d’y réagir. Elle sera d’autant plus exposée au mépris, moqueries, humiliations et maltraitances des personnes qui l’entourent et même de celles qui sont censées la protéger. Les personnes dissociées sont fréquemment perçues comme bizarres ou comme ayant une pathologie mentale (psychose, troubles autistiques…)
Les victimes dissociées sont des proies de choix pour d’autres agresseurs ; être dissociée est un facteur de risque majeur de re-victimisation et de mise sous emprise. La confusion, la désorientation liées aux symptômes dissociatifs rendent la victime vulnérable, et la mettent en grande difficulté pour défendre ses convictions et ses volontés. Elles sont facilement influençables et il leur est très difficile de s’opposer. Elles n'ont aucune confiance en elles, et elles se retrouvent bien malgré elles à céder aux désirs d'autrui quand on fait pression sur elles. Pour les prédateurs une victime déjà dissocié par des violences précédentes leur garantit à la fois une impunité et la possibilité d’exercer quasiment sans limite les pires sévices..
Les victimes dissociées sont également très recherchées par les proxénètes, les groupes sectaires et les bandes armées. Elles vont pouvoir tolérer des conditions extrêmes, des situations à risque très dangereuses, des douleurs intenses, des pratiques sexuelles dégradantes humiliantes, et de graves atteintes à leur intégrité physique et psychique, et à leur dignité sans avoir la capacité de s’y opposer  ni de se révolter, elles peuvent même les subir en gardant le sourire. Le lien entre violences sexuelles subies pendant l'enfance et situation prostitutionnelle est très significatif (Farley, 2003).
Une victime dissociée, court un grand risque de ne pas être repérée, ni protégée. Alors que chacun a la capacité de percevoir de façon innée les émotions d’autrui, grâce à des neurones miroirs, il n’y aura pas de ressenti émotionnel en face d’une personne dissociée ; ce n’est qu’intellectuellement que la souffrance de cette personne ou le danger qu’elle coure pourront être identifiés. Les proches et les professionnels, ne comprenant pas cette dissociation, y réagiront par une absence d’empathie, une minimisation des violences subies par l’enfant et un déni de sa souffrance, une incrédulité, une remise en question de sa parole et de la réalité des violences, voire par des maltraitances. 

Une victime dissociée, court également un grand risque de ne pas être crue ni reconnue par la justice, par méconnaissance de ce symptôme psychotraumatique, alors qu’il est une preuve de la gravité du traumatisme subi. Les victimes dissociées n’auront pas le comportement qu’on attend d’elles. Elles seront dans un état de déconnection tel qu’elles ne pourront pas parler, ni porter plainte, et ce parfois pendant des années si elles restent en contact avec l’agresseur ou dans le contexte où ont eu lieu les violences. On leur reprochera d’avoir attendu trop longtemps, et cela alimentera des doutes sur leur bonne foi. La dissociation traumatique va rendre le récit des victimes décousu, elles auront continuellement des doutes sur ce qui s’est passé avec un sentiment d’irréalité, de nombreux épisodes seront frappés d’amnésie, et du fait de la déconnection avec l’hippocampe, elles auront beaucoup de mal à préciser les dates et les lieux où se sont produits violences. Plus leur interlocuteur sera incrédule, agacé, voire maltraitant, plus elles seront dissociées et perdues. 

De même, les confrontations avec l’agresseur aggraveront leur dissociation et les re-traumatiseront massivement, elles perdront encore plus leur capacité, seront envahies par un sentiment d’irréalité, se retrouveront facilement sous l’emprise de l’agresseur et pourront remettre en cause ce qu’elles ont dit précédemment, voire même se rétracter. 
Mémoire traumatique, une machine infernale à remonter le temps

La mémoire traumatique est donc une mémoire émotionnelle enkystée qui n’a pas pu être intégrée ni transformée par l’hippocampe en mémoire autobiographique en raison de la disjonction de sauvegarde. Non consciente et indifférenciée, c’est une mémoire « fantôme » hypersensible, prête à « exploser » en faisant revivre à l'identique, avec le même effroi et la même détresse les événements violents, les émotions et les sensations qui y sont rattachées, comme une machine à remonter le temps (Ledoux, 2008). Elle « explose » aussitôt qu'une situation, un affect ou une sensation rappelle les violences ou fait craindre qu'elles ne se reproduisent. Elle sera comme une « bombe à retardement » susceptible d'exploser souvent des mois, voire de nombreuses années après les violences. Quand elle « explose » elle envahit tout l'espace psychique de façon incontrôlable. Elle transforme la vie psychique en un terrain miné. Telle une « boîte noire », elle contient de façon indifférenciée non seulement le vécu émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime, mais également tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte et à celui (ou ceux) qui l’a agressée (ses mimiques, ses mises en scène, sa violence, sa haine, son excitation, ses cris, ses paroles, son odeur, etc) ainsi qu’aux autres victimes ou témoins s’il y en a.

Tant que les enfants victimes restent dissociés car toujours exposés aux violences ou aux bourreaux, cette explosion de la mémoire traumatique se produira avec des émotions et des douleurs qui seront anesthésiées, l’enfant victime semblera les tolérer, en réalité elles aggraveront l’impact traumatique, et rechargeront plus encore la mémoire traumatique.

Quand les victimes sortiront de leur état dissociatif, la mémoire traumatique sera alors ressentie par les victimes sans le filtre de la dissociation, et ce sera intolérable. C’est ce qui arrive quand la victime est enfin sécurisée, qu’elle n’est plus en contact avec l’agresseur ou le contexte de l’agression, ou bien qu’elle est sortie de son état d’incompréhension et de confusion en grandissant, et en accédant à des informations. Alors, la mémoire traumatique s’impose avec un tel cortège émotionnel que la gravité des violences et de leurs conséquences apparaît soudain à la victime dans toute son horreur. La victime peut être confrontée à un véritable tsunami d’émotions et d’images qui vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et d’une totale détresse. Cela peut entraîner un état de peur panique avec sentiment de mort imminente, d’agitation, d’angoisse intolérable, de douleurs atroces, ainsi qu’un état confusionnel. Ces symptômes sont si impressionnants qu’il arrive que la victime se retrouve aux urgences médicales ou chirurgicales (elle peut même être opérée en urgence ou bien être hospitalisée en psychiatrie avec souvent un diagnostic erroné de bouffée délirante ou d’entrée dans une schizophrénie), et cet état est fréquemment accompagné d’un risque suicidaire très important, d’autant plus si la victime a été confrontée à une intentionnalité meurtrière au moment des violences, elle revit cette intentionnalité comme si elle émanait d’elle, dans une compulsion à se tuer.

C’est à ce moment là, que les victimes sortent de leur état de « pseudo-indifférence » et de leur amnésie traumatique dissociative, et vont enfin avoir la capacité de dénoncer les violences. Cette sortie d’état dissociatif peut se produire plusieurs années après les violences, voire des dizaines d’années après, et les faits peuvent être alors prescrits.
Nous l’avons vu de nombreux liens rappelant les violences et de nombreuses situations sont donc susceptibles de déclencher cette mémoire traumatique. La mémoire traumatique sera souvent responsable  également de sentiments de honte et de culpabilité qui seront alimentés par la partie de la mémoire traumatique contenant les paroles et les comportements de l'agresseur. Tout y est mélangé, sans identification, ni tri, ni contrôle possible. Au moment des violences cette indifférenciation empêchera la victime de faire une séparation entre ce qui vient d’elle et de l’agresseur, elle pourra à la fois ressentir une terreur qui est la sienne, associée à une haine, une violence, une excitation et une jouissance perverses qui sont celles de l’agresseur. De même il lui sera impossible de se défendre des phrases mensongères et assassines de l’agresseur : « tu aimes ça », « c’est ce que tu veux », « c’est de ta faute, c’est ce que tu mérites », ces phrases s’installeront telles quelles dans son amygdale cérébrale.

La mémoire traumatique les hante, les exproprie et les empêche d'être elles-mêmes, pire elle leur fait croire qu'elles sont doubles, voire triples : une personne normale (ce qu'elles sont), une moins que rien qui a peur de tout, et une coupable dont elles ont honte et qui mérite la mort (ce que l'agresseur a mis en scène et qu'elles finissent par intégrer puisque cela tourne en boucle dans leur tête), une personne qui pourrait devenir violente et perverse et qu'il faut sans cesse contrôler, censurer (ce même agresseur tellement présent et envahissant à l'intérieur d'elles-mêmes qu'elles finissent par se faire peur en le confondant avec elles-mêmes). 
A titre d’exemple, un enfant qui a subi des violences avant d’apprendre à parler, pourra dix ans après, au moment où sa mémoire traumatique se manifestera, se retrouver dans l’incapacité de parler, il ne pourra que pleurer ; un enfant qui aura été attaché ou immobilisé lors des violences, ne pourra pas bouger ; un enfant qu’on aura étranglé ou chez qui on aura provoqué une suffocation par une pénétration sexuelle orale, ne pourra plus respirer. De surcroît, comme la mémoire traumatique contient non seulement les violences subies, mais aussi tout ce qui concerne l’agresseur ce qu’il a dit et mis en scène, l’enfant pourra se dire qu’il est mauvais, qu’il ne vaut rien, qu’il ne mérite pas de vivre. Ce mécanisme explique pourquoi les enfants se sentent aussi coupables et ont de telles atteintes à leur estime de soi, ils sont en permanence colonisés par les agresseurs.  

Quand les enfants sont tout petits (avant 6-7 ans) et très dissociés, privés de leurs émotions et qu’ils n’ont pas encore de représentations suffisantes de ce qui est interdit, ils peuvent lors d’un allumage de leur mémoire traumatique rejouer les scènes de violences sexuelles qui les envahissent du côté victimes comme du côté agresseur, et avoir des comportements sexuels inappropriés en public, proférer des injures et des propos obscènes, avoir des passages à l’acte violents, tout casser et agresser sexuellement d’autres enfants ou des adultes. Ces troubles du comportements doivent immédiatement alerter, ils signent un trauma sexuel.

Il faut rappeler que l’amygdale cérébrale est fonctionnelle dès le troisième trimestre de la grossesse (contrairement à l’hippocampe qui ne l’est que vers les 2-3 ans de l’enfant), un foetus, un nouveau-né, un nourrisson traumatisé, un enfant non-conscient des faits de violences car endormi, drogué, trop petit ou trop handicapé intellectuellement pour comprendre peut développer une mémoire traumatique, même s'il ne lui est pas possible de se souvenir de façon autobiographique des violences.

Quand la partie de la mémoire traumatique contenant leur agresseur revient hanter les victimes et les coloniser avec toute sa violence, ses actes cruels, sa haine, son mépris, son excitation perverse, la plupart des victimes se battent courageusement pour contrôler sans relâche ce qu’elles pensent être leurs propres démons. Elles ne savent pas que ces émotions et ces images violentes ne proviennent pas d’elle mais de remémorations traumatiques intrusives qui s’imposent à elle sans qu’elle puisse les identifier comme telles, et qui se présentent comme des phobies d’impulsion, avec la peur de passer à l’acte. Elles s’auto-censurent et évitent toutes les situations qui peuvent déclencher des images ou des sensations intrusives violentes (comme lors de situations sexualisées, ou lors de contact avec des enfants). Ou bien, elles peuvent retourner ces intrusions contre elles-mêmes et se haïr, se mépriser et s’auto-agresser sexuellement pour disjoncter et s’anesthésier. Mais certaines victimes vont faire corps avec ces intrusions, s’identifier à elles et passer à l’acte sur autrui en reproduisant les actes commis par leur agresseur, ce qui va là aussi lui permettre de disjoncter et s’anesthésier avec en prime un sentiment de toute-puissance et le risque d’une véritable addiction à la violence. Pour un enfant, tant qu’il est très jeune, il est difficile de lutter contre ces envahissements incompréhensibles, mais pour un adolescent et encore plus pour un adulte le choix de ne pas passer à l’acte sur autrui, de ne pas gravement transgresser les lois, de ne pas mépriser les droits de la victime et sa souffrance, est toujours possible, impliquant cependant de mettre en place en soi tout un arsenal de contraintes.

Il est évident que pour les victimes, il est essentiel qu’elles soient informées le plus tôt possible du fonctionnement de la mémoire traumatique et des autres mécanismes psychotraumatiques, ce qui éviterait bien des souffrances et leur permettraient de mieux se comprendre, de ne plus se sentir coupable et d’améliorer leur estime de soi

Les stratégies de survie des enfants traumatisés

Nous venons de le voir, quand la dissociation est levée, la mémoire traumatique transforme la vie en un espace miné, c’est une véritable torture. On ne peut pas vivre avec une mémoire traumatique. Si sa mémoire traumatique n’est pas soignée, l’enfant est condamné à mettre en place des stratégies de survie nécessaires mais qui seront très handicapantes et épuisantes, et qui lui seront souvent reprochées. Ces stratégies de survie sont de deux sortes : d’un côté des conduites d’évitement et de contrôle accompagnées d’une hyper vigilance constante pour éviter les allumages de la mémoire traumatique, de l’autre des conduites à risque dissociantes qui seront anesthésiantes.

L’hypervigilance et les conduites d’évitement et de contrôle

L'enfant pour éviter les déclenchements effrayants de sa mémoire traumatique, va mettre en place des conduites de contrôle et d'évitement vis-à-vis de tout ce qui est susceptible de la faire « exploser » (avec des angoisses de séparation, des comportements régressifs, un retrait intellectuel, des phobies et des troubles obsessionnels compulsifs comme des lavages répétés ou des vérifications incessantes, une intolérance au stress), il va fréquemment se créer un petit monde sécurisé parallèle où il se sentira en sécurité qui peut être un monde physique (comme sa chambre, entouré d’objets, de peluches ou d’animaux qui le rassure) ou mental (un monde parallèle où il se réfugie continuellement).Tout changement sera perçu comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place et il adoptera des conduites d'hypervigilance (avec une sensation de peur et de danger permanent, un état d'alerte, une hyperactivité, une irritabilité et des troubles de l'attention). Ces conduites d’évitement, de contrôle et d’hypervigilance sont épuisantes et envahissantes, elles entraînent des troubles cognitifs qui ont souvent un impact négatif sur la scolarité et les apprentissages.

Les conduites dissociantes anesthésiantes

Mais les conduites d’évitement et de contrôle sont rarement suffisantes pour empêcher tout lien et tout allumage de la mémoire traumatique, de plus les enfants doivent s'autonomiser et s'exposer à ce qui leur fait le plus peur, comme être séparé d'un parent ou d'un adulte protecteur, dormir seul dans le noir, être confronté à son agresseur ou à quelqu'un qui lui ressemble, à des situations nouvelles et inconnues, etc. Leur mémoire traumatique va alors exploser et c'est intolérable, les enfants vont alors avoir recours à des conduites à risque dissociantes. 

Ces conduites à risque dissociantes anesthésiantes, les enfants expérimentent assez vite leur efficacité en se faisant mal lors d’une crise, en découvrant l’alcool. Elles servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant et calmer ainsi l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue. Cette disjonction provoquée peut se faire de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé qui augmentera la quantité de drogues dissociantes sécrétées par l'organisme, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, stupéfiants, tabac à haute dose, médicaments). 

Ces conduites à risques dissociantes peuvent être des conduites auto-agressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), des mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations dangereuses), des conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, troubles alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et violentes contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter et s'anesthésier). 
Les conduites à risques sont des mises en danger délibérées. Elles consistent en une recherche active voire compulsive de situations, de comportements ou d'usages de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen terme. Le risque est recherché pour son pouvoir dissociant direct (alcool, drogues) ou par le stress extrême qu'il entraîne (jeux dangereux, scarifications,…), et sa capacité à déclencher la disjonction de sauvegarde qui va déconnecter les réponses émotionnelles, et produire un cocktail de drogues dures (morphine et kétamine-like) et donc créer une anesthésie émotionnelle, un soulagement et un état dissociatif. Mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive, et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes sont à l'origine chez les victimes de sentiments de culpabilité et d'une grande solitude, qui les rendent encore plus vulnérables. Elles peuvent entraîner un état dissociatif permanent comme lors des violences avec la mise en place d’un détachement et d’une indifférence apparente qui les mettent en danger d’être encore moins secourues et d’être ignorées et maltraitées.
Du fait de ces conduites dissociantes à risque, laisser des victimes de violences traumatisées sans soin est un facteur de risque qu’elles subissent de nouvelles violences ou qu’elles en reproduisent de proche en proche et de génération en génération, alimentant sans fin un cycle des violences.

Reproduire les violences qu’on a subies sur des enfants est terriblement efficace pour s’anesthésier émotionnellement, l’enfant qui le fait s’identifie à l’agresseur et peut basculer dans une toute puissance qui permet d’échapper à sa mémoire traumatique et d’échapper à des états de terreur ou de peur permanente. Il s’agit d’une stratégie dissociante. Si aucune victime n’est responsable des violences qu’elle subit, ni des conséquences psychotraumatiques de ses violences, en revanche les victimes sont responsables des stratégies de survie qu’elles choisissent pour gérer leur mémoire traumatique de ces violences quand elles portent atteinte à l’intégrité d’autrui.

Par ailleurs il est évident que c’est bien parce que les enfants n’ont pas été protégés, et ont été abandonnés sans soins appropriés qu’ils doivent composer avec une mémoire traumatique redoutable qui les oblige à s’auto-censurer sans cesse, à vivre dans une guerre permanente. Leur mémoire traumatique aurait dû être traitée, intégrer et transformée en mémoire autobiographique, ce qui les aurait libérés de la torture que représentent des violences et des agresseurs continuellement présents en soi.

Des soins essentiels

Les soins sont essentiels, la mémoire traumatique doit être traitée. Il s’agit dans le cadre d’une psychothérapie intégrative et humaniste adaptée aux enfants en utilisant le jeux de faire de la psycho-éducation, de faire des liens, de comprendre, de sortir de la sidération en démontant le système agresseur et en remettant le monde à l’endroit, de, petit à petit, désamorcer la mémoire traumatique, de l’intégrer en mémoire autobiographique, et de décoloniser la victime des violences et du système agresseur. 

La prise en charge thérapeutique doit être la plus précoce possible, et elle doit associer les adultes protecteurs et responsables de l’enfant, en leur donnant tous les outils de compréhension et le soutien nécessaire pour qu’ils puissent participer aux soins, et acquérir la capacité de sécuriser et d’accompagner au mieux l’enfant. 

En protégeant et en mettant en sécurité l’enfant en priorité, en évaluant son état traumatique, puis en traitant le stress et la mémoire traumatique, c'est-à-dire en l'intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques, et de rendre inutiles les stratégies de survie

Le travail psychothérapique consiste à faire des liens, en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique (perfusion de sens), ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes et même d’obtenir une neurogénèse. Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Il s’agit de remettre le monde à l’endroit. Il faut démonter tout le système agresseur, et reconstituer avec l'enfant son histoire en restaurant sa personnalité et sa dignité, en les débarrassant de tout ce qui les avait colonisées et aliénées (mises en scènes, mensonges, déni, mémoire traumatique). Pour que la personne qu'il est fondamentalement puisse à nouveau s'exprimer librement et vivre tout simplement.

Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de re-fonctionner et de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. De plus il a été démontré qu’une prise en charge spécialisée permettait de récupérer des atteintes neuronales liées au stress extrême lors du traumatisme, avec une neurogenèse et une amélioration des liaisons dendritiques visibles sur des IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) (Ehling, 2003). 

Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il s’agit pour l’enfant victime de devenir expert en « déminage » et de poursuivre le travail seul, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et petit à petit il devient possible de se décoloniser de la mémoire traumatique et de retrouver sa cohérence, et d’arrêter de survivre pour vivre enfin. 

L’étude et l’analyse précise de la mémoire traumatique, de ses déclencheurs, de son contenu, de ses manifestations psychiques, verbales, comportementales, corporelles, émotionnelles, sensorielles ou kinesthésiques, de ses mises en scène lors de cauchemars ou de crises dissociatives, ainsi que l’étude et l’analyse des différents types de stratégies de survie, de leur survenue et de leurs manifestations, sont non seulement un outil thérapeutique performant mais ils vont également très utile dans un cadre médico-légal en permettant de reconstituer une cartographie souvent minutieuse et précise des évènements traumatisants et de leurs contextes même de nombreuses années après, et en palliant ainsi les défaillances d’un récit fréquemment parcellaire avec des pans entiers inaccessibles à la mémoire (amnésie traumatique), à la chronologie incertaine, envahi par des distorsions temporo-spatiales, des interrogations, des doutes et des sentiments de de honte et de culpabilité qui le bloquent, et souvent de nombreuses incohérences apparentes qui le décrédibilisent (Salmona 2012, 2018 ; Van der Kolk, 2018).

Conclusion

La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin des victimes. Parce qu’ils ne seront plus condamnées au silence, ni abandonnées sans protection et sans soins, ces enfants victimes pourront sortir de cet enfer auquel les condamne la mémoire traumatique des violences sexuelles subies. la compréhension des conséquences psychotraumatiques et de leurs mécanismes neuro-biologiques, l’analyse thérapeutique précise et détaillée, telle une autopsie dirigée, de leur symptôme central, la mémoire traumatique, sont des outils nécessaires et performants pour rendre justice aux victimes et réparer les atteintes à leur dignité et leur intégrité, et remettre le monde à l’endroit en rétablissant la vérité. 

Le déni, la loi du silence et l’impunité dont bénéficient ces crimes haineux sont intolérables. Pour que le monde soit enfin plus solidaire et plus juste pour les victimes de ces crimes sexuels, pour que la vérité sur ces crimes ne soit plus niée, la reconnaissance, l’information, la prise en compte et le traitement des psychotraumatismes est un préalable nécessaire, de même que la formation de tous les professionnels susceptibles de prendre en charge, d’accompagner, de soigner les victimes, aux conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles et à leurs mécanismes : à la sidération, la dissociation et la mémoire traumatiques. C’est ce qui permettra de démonter les mythes et les stéréotypes sexistes à l’origine de la mise en cause quasi-systématique de la parole des victimes et de leur culpabilisation et de restaurer ainsi leurs droits ainsi que leur dignité. 

Dre Muriel Salona
Psychiatre
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie


le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, ressources, rapport (IVSEA) et vidéos de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org

Enquêtes et rapports :

  • Enquête AMTV/Ipsos : « Violences sexuelles dans l’enfance » Association Mémoire Traumatique et Victimologie/Ipsos, 2019, Rapports téléchargeables sur les sites http://www.memoiretraumatique.org.
  • Enquête CSF, « Contexte de la sexualité en France de 2006 », Bajos N., Bozon M. et léquipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés, 445, mai 2008.
  • Enquête  CVS Insee-ONDRP, Cadre de vie et sécurité de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France – 2017.
  • Enquête IVSEA, « Impact des violences sexuelles de lenfance à lâge adulte », conduite par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de lUNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, 2015, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites http://www.memoiretraumatique.org.
  • Enquête VIRAGE INED « Premiers résultats sur les violences sexuelles » : Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al., Documents de travail n° 229, 2017, 67 pages.
  • Infostats Justice, « Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de linstruction », Bulletin dinformation statistique du ministère de la Justice, n° 160, 2018.
  • Infostats Justice, « Les condamnations pour violences sexuelles », Bulletin dinformation statistique du ministère de la Justice, n°164, 2018.
  • REDRESS, « Réparation pour viol, Utiliser la jurisprudence internationale relative au viol comme une forme de torture ou d'autres mauvais traitements », 2013., disponible à l’adresse suivante : www.redress.org
  • World Health Organization, « Global Status Report on Violence Prevention », Genève, WHO, 2014, 2016.
  • OMS. INSPIRE : Sept stratégies pour mettre fin à la violence à l’encontre des enfants : résumé d’orientation. Genève, Suisse : OMS 2016. 


Ouvrages et articles :


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  • Briere, J., Conte, J., « Self-reported amnesia for abuse in adults molested as children » in Journal of traumatic stress, Janvier 1993, Vol. 6, Issue 1, p. 21-31.
  • Brown D. W., Anda R. F., et al., « Adverse Childhood Experiences and the Risk of Premature Mortality » in American Journal of Preventive Medicine, Novembre 2009, Vol. 37, Issue 5, p. 389-396.
  • Campbell R., « The co-occurence of childhood sexual abuse, adult sexual abuse, intimate partner and sexual harassement », Journal of consulting and clinical psychology, vol.76, n°2, 2008, p. 194-207
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  • Ehling, T., & Nijenhuis, E.R.S., Krikke, A. (2003). Volume of discrete brain structures inflorid and recovorid DID, DESNOS,  and healthy controls. Proceedings of 20th International Society for the study of dissociation. Chicago, 2003, november 2-4.
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  • Salmona M.,Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, Paris, Dunod, 2015.
  • Salmona M., Le livre noir des violences sexuelles Paris, Dunod, 2ème édition 2018.
  • Salmona, Muriel, L’Amnésie traumatique : un mécanisme dissociait pour survivre. Dans Coutanceau Roland et Damiani Carole Victimologie. Évaluation, traitement, résilience (p. 71-85). 2018 Paris : Dunod. 
  • Salmona Muriel, Analyse des symptômes psychotraumatiques : technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol, 2020 disponible à l’adresse suivante http://www.memoiretraumatique.org
  • Van der Hart, Le soi hanté, Paris, De Bœck, 2010.
  • Van der Kolk, Le corps n’oublie rien, Paris, Albin Michel, 2018.
  • Williams L. M., « Recall of childhood trauma : a prospective study of women’s memory of child sexual abuse » in Journal of consulting and clinical psychology, 1994, Vol. 62, n°6, p. 1167-1176.
  • Yehuda, R. et Ledoux, J.. Response variation following trauma: A translational neuroscience approach to understanding PTSD. Neuron, 2007, 56(1), 19-32. 



1 commentaire:

Louis a dit…

C'est au cours de mes recherches sur le VIH / herpès que je suis tombé sur les informations sur le VIH / herpès; informations qui sont assez faciles à trouver lors d'une recherche de MST sur Google. J'étais dans le complot à l'époque et je pensais que le VIH / herpès guéri «être un complot était quelque chose d'ignorant cependant, j'ai trouvé cela assez intéressant à propos de la phytothérapie. J'ai posé des questions sur les remèdes à base de plantes sur les sites Web officiels du VIH / herpès et j'ai été banni pour ce faire par des modérateurs qui m'ont dit que je parrotais la propagande VIH / herpès. Cela a renforcé ma conviction qu'il existe un remède contre le VIH / herpès.Puis j'ai trouvé une dame allemande nommée Achima Abelard Dr Itua Cure her Hiv donc je lui ai envoyé un mail sur ma situation puis en parler plus et m'envoyer sa phytothérapie que j'ai bu pendant deux semaines.Et aujourd'hui, je suis guéri sans VIH / herpès dans ma vie, j'ai recherché des groupes VIH / herpès pour tenter d'entrer en contact avec des personnes afin d'en savoir plus sur la guérison à base de plantes VIH / herpès Je croyais à ce moment que vous avec la même maladie, cette information vous est utile et je voulais faire de mon mieux pour diffuser cette information dans l'espoir d'aider d'autres personnes.Que le Dr Itua guérisse le VIH, l'herpès, l'hépatite, le diabète, la copd, les fibroïdes, les als, et Cancer. C'est un phytothérapeute avec un cœur unique de Dieu, contactez Emal..drituaherbalcenter@gmail.com Téléphone ou WhatsApp .. + 2348149277967.