dimanche 19 janvier 2020

Tribune du Collectif signée par 130 personnalités et associations dont notre association : L"affaire Matzneff est-elle si loin de nous ?





L'affaire Matzneff est-elle si loin de nous ?

Tribune du Collectif signée par 130 personnalités et associations dont notre association Mémoire Traumatique et Victimologie et sa présidente la Dre Muriel Salmona

L'auteur, aujourd'hui dénoncé par Vanessa Springora dans son livre Le consentement et pour lequel la justice a ouvert une enquête préliminaire pour "viols sur mineur" n'a jamais caché ses pratiques pédocriminelles qu'il vantait dans ses écrits. Il a même reçu en 2013 le prix Renaudot. A cette période pourtant, nombre de professionnels de la protection de l'enfance et d'associations s'étaient insurgés. Aujourd'hui, ceux qui l'avaient alors soutenu sans faille se justifient en invoquant "l'époque". Mais 2013, c'est hier, ce n'est pas il y a quarante ans et ces années 1970 qui servent maintenant d'alibi pour rendre compte de certaines conduites.

Invoquer "l'époque" est une façon de nier le fait que ces problèmes sont toujours les mêmes aujourd'hui, c'est une manière de détourner le vrai débat qui doit se poser avec autant de gravité aujourd'hui qu'hier. Certes il n'a jamais été autant question de protection de l'enfance en France dans les paroles, mais dans les faits et la réalité, les choses sont bien plus complexes qu'elles n'apparaissent. Nos institutions qui s'insurgent ça et là contre les violences sexuelles sur les mineurs, font des lois qui ne résolvent rien.

Ainsi, la parole de l’enfant n’est que trop rarement prise en compte : 95 % des faits enregistrés par la gendarmerie pour des viols sur mineurs n’aboutissent pas à une condamnation de l’auteur. La plupart des signalements et des plaintes pour agressions sexuelles sur mineurs et en particulier incestueuses sont classées sans suite. Des enfants sont renvoyés de force chez leur père, parfois séparés de leur mère protectrice accusée à tort de fausses allégations (syndrome d’aliénation parentale). Ces mères sont alors condamnées au pénal pour non-représentation d’enfant, même dans certaines situations où il est rationnellement impossible de mettre en cause les révélations du mineur.

Cette quasi-impunité des violences sexuelles sur mineurs est dénoncée par les professionnels de l’enfance, mais rien n’est fait pour en traiter les causes.

Pourquoi, par la loi du 3 août 2018 (dite "loi Schiappa"), avoir refusé de fixer un âge légal de non consentement qui permettrait de mieux protéger les mineurs ? On continue quotidiennement devant les tribunaux français à examiner, au cas par cas, si un enfant avait les capacités de discernement pour consentir à l'acte sexuel ou non, pour que la contrainte nécessaire à caractériser le viol, soit retenue. On continue de disserter pour savoir si l'adulte a bien "abusé de sa vulnérabilité", selon les termes de la nouvelle loi, comme s'il pouvait en être autrement.

En effet, et malgré beaucoup d’idées-reçues, la prétendue « majorité sexuelle » n’existe pas dans notre Code Pénal puisqu’il faut toujours établir la contrainte pour caractériser un viol, même pour un enfant de 7 ans.

Mais parlons un peu des victimes, qui un jour se rendent compte qu'elles ont été utilisées à des fins de jouissance par des adultes et qui se mettent à comprendre à quel point elles ont été abusées par des adultes à qui elles faisaient confiance : l'auteur lui-même, mais aussi tous ceux qui, par leur silence complaisant, ont laissé faire. Elles vont alors être aux prises avec tous les phénomènes traumatiques dont les effets destructeurs peuvent durer des dizaines d'années, avec des souffrances qui ne s'estompent pas.

Les adolescents sont vulnérables, manipulables et se faisant abuser par des adultes auxquels ils se livrent en objet sexuel pour satisfaire leur besoin de reconnaissance et d’amour. A l’adolescence, il est indispensable que les relations soient équilibrées, reposant sur une symétrie et une réciprocité, et que ces jeunes soient protégés des relations d’emprise et de domination inhérentes aux rapports asymétriques avec tout adulte et sources de psychotraumatismes sexuels. Les agressions sexuelles sur mineurs, ce n’est pas un problème d’époque, c’est un problème de société, de politique et d’institutions chargées de protéger les mineurs de ces violences et de condamner les auteurs.

Le cas de Vanessa Springora est emblématique. C'est plus de 30 ans plus tard que beaucoup de victimes osent briser le silence et révéler les choses. Il est pour tous plus facile de fermer les yeux sur les violences sexuelles. Le déni est la voie la plus simple qu'il est tentant de choisir face à ces terribles problématiques. Les victimes aussi se protègent souvent longtemps par des mécanismes de défense qui sont essentiels à leur survie psychique. Jusqu'à ce qu'elles aient la force de parler…

Le CPLE (Collectif pour l'enfance), qui rassemble une trentaine d'associations de protection faisant toutes la même analyse de la situation, propose qu'un âge de non-consentement soit fixé à 15 ans. Par ailleurs, en cas d'inceste, le CPLE souhaite qu'un âge de non-consentement soit fixé à 18 ans. Car, oui, aujourd'hui en France, on questionne encore et toujours le consentement d'un enfant victime d'actes sexuels, même dans les cas d'inceste !

Cette solution permettrait d'abord de faire en sorte que les enfants ayant subi des actes sexuels par des majeurs soient reconnus par la société comme des victimes, et non comme des personnes complètement responsables de leur sexualité. Elle permettrait aussi de ne plus questionner le prétendu accord des mineurs victimes de viols, dont les violeurs expliquent parfois qu'ils avaient eu des "comportements séducteurs", et d'écarter tous les débats malsains à ce sujet. Enfin, un âge de non-consentement permettrait de mettre fin à l'aberration selon laquelle un enfant de moins de 15 ans serait en mesure de consentir à se prostituer et d'être sur un pied d'égalité avec un client majeur pour réaliser une transaction économico-sexuelle. 
Notre société n’a pas su se doter d’une protection des enfants digne de ce nom, alors que de nombreux pays ont adopté, pour certains depuis longtemps, un principe de non-consentement des enfants à un acte sexuel avec un adulte. 

Pourquoi la France ne serait-elle pas capable de protéger ses enfants comme le font nos voisins anglais, allemands ou belges ?

On le voit, les débats consécutifs au livre de Vanessa Springora et nos valeurs contemporaines plaident indéniablement en faveur de l'instauration de cet âge de non-consentement. On ne peut que constater aujourd'hui, qu'un enfant victime d'un Matzneff en 2020 ne serait pas mieux protégé juridiquement que Vanessa Springora quand les faits qu'elle dénonce se sont déroulés. 

Il est urgent de sortir de cette inertie politique et judiciaire en adoptant une loi protégeant spécifiquement les mineurs des actes sexuels avec les adultes et en prenant véritablement en compte la parole des mineurs victimes comme des professionnels qui les signalent afin de les protéger de manière effective.

Le collectif pour L’Enfance s’est crée en avril 2019 pour obtenir la reconnaissance légale de l’incapacité de l’enfant à consentir à une relation sexuelle avec un adulte, par l’instauration d’un seuil d’âge à 15 ans et 18 ans en cas d’inceste.

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