Dre Muriel Salmona,
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie,
le 3 juillet 2019
C'est une victoire ! Le long combat que nous sommes nombreux.ses à avoir mené menons depuis plusieurs années contre ces violences faites aux enfants sous couvert d’éducation et exercées dans le cadre de l’autorité parentale pour qu’elles soient enfin reconnues et interdites explicitement comme des violations des droits de l’enfants et des atteintes à leur dignité et à leur intégrité physique et mentale a enfin abouti au vote définitif d’une interdiction des violences éducatives ordinaires ce mardi 2 juillet 2019 .
Cette loi était très attendue après la déception causée par la déclaration d’anticonstitutionnalité à la suite d’une QPC pour une raison de forme en 2017 d’une première loi présentée par Laurence Rossignol alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes et votée en 2016.
Le Sénat a adopté à l’unanimité sans modification, en première lecture le 2 juillet 2019, la proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 29 novembre 2018, dont la teneur suit :
Article premier Après le deuxième alinéa de l’article 371‑1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Article 1 bis insertion dans l’article L 421-14 du code de l’action sociale et des familles de la prévention des violences éducatives ordinaires.
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er septembre 2019, un rapport présentant un état des lieux des violences éducatives en France et évaluant les besoins et moyens nécessaires au renforcement de la politique de sensibilisation, d’accompagnement et de soutien à la parentalité à destination des parents ainsi que de formation des professionnels concernés.(cf lien http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2018-2019/602.html)
Cette proposition de loi qui ne comporte aucune mesure de sanction pose clairement le principe d’une éducation sans violence pour les enfants, et a pour principal objectif d’inscrire dans le code civil ce principe selon lequel l’autorité parentale s’exerce sans violence physiques ou psychologiques.
L’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Son deuxième alinéa indique qu’elle « appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». L’article 1er de la proposition de loi ajoute un alinéa à cet article 371-1, qui affirme que «l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». La référence aux violences physiques ou psychologiques permet de couvrir les châtiments corporels et les humiliations, ainsi que toute autre forme de violence pouvant être exercée à l’encontre des enfants.
« Le code civil est l’un des piliers de notre « contrat social » et il a donc vocation à poser les principes généraux qui régissent la vie en société. À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux par l’officier d’état civil lors de la cérémonie de mariage. Le principe posé par la proposition de loi bénéficiera donc d’une grande publicité et sera un outil de sensibilisation à l’exercice sans violence de l’autorité parentale. » cf rapport de Mme la sénatrice Marie-Pierre de la GONTRIE
La proposition de loi prévoit aussi de former les assistantes maternelles à la prévention des violences éducatives ordinaires et contient une demande de rapport, destiné à dresser un état des lieux de ces violences éducatives et à examiner comment les politiques publiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l’enfance pourraient être renforcées. »
Ce texte permettra à la France de se conformer à ses engagements internationaux et de rejoindre la quasi-totalité de ses partenaires européens qui ont affirmé un principe analogue. Il répond à la recommandation en 2016 du Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, à l’occasion de l’audition de la France, le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies d’« interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris dans la famille, à l’école, dans les structures de garde d’enfants et dans le cadre de la protection de remplacement » (CRC/C/FRA/CO/4 et Corr.1, par. 58). Le comité a rappelé qu’«aucune violence à l’égard des enfants n’est justifiable et que les châtiments corporels constituent une forme de violence, toujours dégradante et évitable » et a demandé à la France de « promouvoir des formes positives, non violentes et participatives d’éducation et de discipline, notamment par des campagnes d’éducation du public ».
Il conduira également à l’évolution de la jurisprudence pénale admettant le « droit de correction » des parents. Cette loi est un levier nécessaire pour une évolution de la jurisprudence cf le rapport de Mme la sénatrice Marie-Pierre de la GONTRIE http://www.senat.fr/rap/l18-601/l18-6011.pdf
L’inscription au sein du code civil, dans les dispositions relatives à l’autorité parentale, de l’interdiction explicite de toute violence, ne permettrait plus à la jurisprudence de se retrancher derrière un attribut implicite de l’autorité parentale pour justifier l’invocation d’un « droit de correction ».
Depuis deux siècles, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît aux parents et aux éducateurs un tel « droit de correction ». Cette jurisprudence permet au juge pénal de renoncer à sanctionner les auteurs de violences dès lors que celles-ci :
– n’ont pas causé de dommages à l’enfant,
– restent proportionnées au manquement commis, – et ne présentent pas un caractère humiliant1.
Ce « droit de correction » est contestable au regard du principe de légalité des délits et des peines, faute de tout fondement textuel. Le fondement de ce droit de correction n’est pas clairement explicité par la Cour de cassation et semble reposer sur la coutume ou sur l’autorisation de la loi, ce droit étant considéré comme un attribut inhérent à l’autorité parentale.
Implicitement, la jurisprudence relative au « droit de correction » semble signifier aux parents qu’il existerait une violence « nécessaire », voire « acceptable », pour l’éducation des enfants. Pour la rapporteure Mme la sénatrice Marie-Pierre de la GONTRIE, l’adoption de la proposition de loi, en prohibant clairement toute violence des parents sur leurs enfants, devrait conduire la Cour de cassation à renoncer à sa jurisprudence sur ce point.
Les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives : de quoi s’agit-il ?
Les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences (verbales, psychologiques, économiques, sexuelles) sous couvert d’éducation sont commises sur les enfants par leurs parents ou par toute personne en ayant la garde pour les faire obéir, les corriger et les punir. Il s’agit de leur faire peur, de leur faire mal physiquement et moralement, de les contraindre par des privations et de pressions, de leur faire honte et de les humilier, afin de les rendre obéissants, performants, satisfaisants par rapport à une image idéale parentale, respectueux des règles et soumis à l’autorité des adultes en créant un formatage par des réflexes aversifs.
Ces violences envers les enfants qui seraient déclarées comme intolérables si elles s’exerçaient envers un adulte et seraient qualifiées d’agressions ou de harcèlements, sont banalisées et justifiées par une majorité de personnes quand elles s’exercent dans le cadre familial sur des enfants qui sont des personnes vulnérables, fragiles et dépendantes, par ceux là-même qui devraient les aimer, les protéger et assurer leur sécurité physique et psychologique.
Non seulement ces violences sont tolérées mais elles sont souvent présentées comme nécessaires pour bien éduquer les enfants en raison de leurs comportements, et considérées comme utiles et inoffensives. Et c’est une très grande majorité des parents en France (de 60 à plus de 80%) qui reconnait avoir recours aux punitions corporelles quels que soient leur niveau socio-culturel et leurs origines. Les facteurs les plus prédictifs pour les parents de recourir à ces violences étant le fait d’en avoir eux-mêmes subi dans leur enfance, leurs niveaux de stress dans la vie quotidienne, et leurs croyances dans les effets bénéfiques des punitions corporelles et la mauvaise nature des enfants.
Ces croyances s’inscrivent dans une méconnaissance :
- des droits des enfants,
- de leurs besoins fondamentaux de sécurité émotionnelle pour se développer, apprendre et avoir une estime suffisante de soi ,
- de leurs capacités psycho-motrices et de contrôle émotionnel en fonction de leur âge ce qui entraînent des exigences irréalistes et des interprétations erronées,
- de l’impact des violences sur leur cerveau et sur leur santé physique et mentale à long terme,
- du risque réel d’escalade et de graves maltraitances, les violences ayant un effet addictif et anesthésiant émotionnellement pour celui qui les exerce, elles sont utilisées avant tout pour soulager un état de tension ou de frustration,
- du risque de reproduction des violences tout au long de la vie (avoir subi des violences est le facteur de risque principal d’en subir à nouveau ou d'en commettre)
- des mécanismes psychotraumatiques qui font que les signes de souffrance sont rarement identifiés et rapportés aux violences et mis sur le compte du caractère de l’enfant,
- de la mémoire traumatique des violences qui fait revivre les mêmes stress, douleur et peur ressentis au moment des violences, et les mêmes mises en scènes et paroles du parent violent, véritable machine à remonter le temps qui fait que l’enfant puis l’adulte qu’il sera pourra être colonisé par ce stress, cette souffrance mais également par la colère, la haine, les cris, les paroles violentes et culpabilisantes qui l’envahiront et qu’il pourra intégrer comme venant de lui pour s’attaquer lui-même ou attaquer autrui si cette mémoire es activée par des situations rappelant les violences (par exemple à l’école ou face à ses propres enfants),
- de la dissociation traumatique de survie pour échapper au stress produite par le cerveau lors des violences ou ensuite par des conduites dissociantes lors de l’activation de la mémoire traumatique (conduites addictives, mise en danger, violences contre soi ou contre autrui) entraînant une anesthésie émotionnelle avec une pseudo tolérance ou indifférence aux violences et à la douleur qui participe au déni ou à la minimisation des traumatismes.
Cette méconnaissance des besoins et des droits fondamentaux des enfants et des conséquences traumatiques des violences éducatives donne aux parents un permis en toute «innocence» de taper, menacer et humilier leurs enfants, aussi petits soient-ils puisqu’un pourcentage important des violences éducatives commencent avant 2 ans, et plus de la majorité avant 7 ans.
Pourtant, depuis plus de 25 ans, droits et recherches universitaires en psychologie, en médecine et en sciences de l’éducation (plusieurs centaines de publications scientifiques) démontrent sans appel que les les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives sont injustifiables, qu’elles ne sont ni utiles, ni inoffensives, et nous donnent 10 raisons pour que les parents renoncent à ce droit de correction et de domination sur leurs enfants, et pour qu’une loi les interdise explicitement en tous lieux y compris dans la famille :
1 - ces pratiques portent atteinte aux droits garantis par la Convention Internationale des droits de l’enfant que la France a ratifié le 7 aout 1990 : droits à la dignité, à l’intégrité physique et psychologique des enfants, à leur santé, leur bien-être, leur développement et leurs apprentissages, ainsi qu’à la Charte sociale européenne La famille ne doit pas être une zone de non-droit, il n’est pas tolérable que les enfants restent les seules personnes en France qu’il soit possible de taper sous couvert d’éducation.
2 - 55 pays ont déjà interdit les châtiments corporels en tous lieux y compris la famille : la Suède a été le premier pays à le faire en 1979.
3 - aucune étude scientifique n’a pu démontrer un effet positif des punitions corporelles sur le comportement, le développement et les capacités d’apprentissage de l’enfant.
4 - bien au contraire elles sont corrélées fortement à des troubles cognitifs et de l’apprentissage chez les enfants, et à une augmentation de l’agressivité, des conduites à risque et des comportements anti-sociaux que l’on retrouve à l’âge adulte avec un risque de reproduire des violences intra-familiales et conjugales.
5 - elles représentent un facteur de risque de maltraitances puisque 75% de celles-ci sont commises dans un cadre de punitions corporelles de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie.
6 - il a été prouvé par de nombreuses recherches internationales qu’elles ont des conséquences traumatiques à long terme sur la santé mentale et physique des enfants. Ces recherches montrent le même risque que pour les autres violences de présenter dans l’enfance et à l’âge adulte des troubles mentaux post-traumatiques, et aussi une hyperactivité chez l’enfant. Deux grandes études publiées dans les revues internationales Pediatrics en 2013 et CMJA en 2014 ont permis d’attribuer aux punitions corporelles 2 à 5% des troubles psychiatriques de l’axe I dans la population générale (troubles de l’humeur, troubles anxieux, conduites addictives, risque suicidaire), et 4 à 7% des troubles psychiatriques de l’axe II (troubles de la personnalité comme les personnalités borderline, schizotypiques, a-sociales), et un risque plus grand de troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, de l’immunité, d’arthrites, de douleurs chroniques et d’obésité. Interdire les violences éducatives est une affaire non seulement de respect de droits fondamentaux, mais également de santé publique.
7 - elles sont également à l’origine d’atteintes neuro-biologiques et corticales du cerveau, et de modifications épigénétiques, ces atteintes étant liées au stress, au dysfonctionnement des systèmes de régulation de la réponse émotionnelle et à l’excès de production de cortisol qui est neurotoxique. Le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable à la violence (cf l’article complet).
8 - en revanche des méthodes éducatives non-violentes et bienveillantes ont fait leurs preuves pour bien éduquer un enfant sans châtiments corporels.
9 - il a été démontré que la réduction des punitions corporelles par les parents est suivi rapidement d’une diminution de l’agressivité, de l’anxiété et des comportements anti-sociaux chez leurs enfants.
10 - et qu’une interdiction par la loi des violences éducatives ainsi que des campagnes d’information et de soutien à la parentalité, permettent de diminuer leur nombre de façon très significative.
Nous avons donc à notre disposition tous les arguments pour interdire explicitement les punitions corporelles en tous lieux y compris la famille, et considérer que le droit de correction ne peut jamais s’appliquer puisque la santé, le bien-être et le développement de l’enfant sont mis en danger ; et il est démontré que l’abandon par les parents de ces violences éducatives permet aux enfants de ne plus être impactés par la plupart, voire la totalité de ces conséquences.
Rappelons que la première des sept stratégies pour réduire les violences à l’encontre des enfants du programme « INSPIRE » présenté par l’OMS en 2016 est la mise en œuvre et l’application de lois interdisant aux parents d’infliger aux enfants des châtiments corporels et autres punitions violentes.
En toute logique, légiférer sur leur interdiction ne devait susciter aucun retard, De même il serait urgent que les pouvoirs publics diffusent des campagnes de communication pour informer la population de la nocivité des violences éducatives, et pour promouvoir une éducation non-violente.
Dre Muriel Salmona, le 3 juillet 2019
Psychiatre-psychotraumatologue Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
drmsalmona@gmail.com
www.memoiretraumatique.org
pour en savoir plus et avoir toutes les références scientifiques
mon ouvrage sur le sujet publié en 2016 chez Dunod : « Châtiments corporels et violences éducatives. Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses.»
et sa présentation dans un article complet et détaillé : https://stopauxviolences.blogspot.com/2016/08/parution-le-14-septembre-de-mon-nouveau.html
mon article complet sur le sujet : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Article-Chatiments-corporels-et-violence-educative-du-1er-novembre-2014.pdf
2 articles publiés dans le plus de l’Obs les 19-11-2014 et 23-11-2014
- Fessée : 10 raisons de l'interdire, ainsi que toutes les autres punitions corporelles. La famille est une zone de non-droit.
- Fessées et gifles : les punitions corporelles entraînent phobies, Toc et… désobéissance. Vouloir traiter des troubles du comportements ou des difficultés d’apprentissage des enfants par de la violence ne fait que les aggraver.
ma contribution au livre publié par l'UNICEF en 2015 : Les enfants peuvent bien attendre : 25 regards d’experts : Le respect des droits des enfants à être protégés de toute forme de violence, et à recevoir tous les soins nécessaire quand ils en sont victimes devrait être un impératif absolu pour les pouvoirs publics`
livre téléchargeable : https://unicef.hosting.augure.com/Augure_UNICEF/r/ContenuEnLigne/ Download?id=24FFB60A-39E0-4459-8A6B-85B42A001312&filename=Les%20Enfants %20peuvent%20bien%20attendre.pdf
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu près de 47 500 signatures : Stop aux violences faites aux enfants
Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :
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