samedi 10 mars 2018

L'impact des violences sexuelles et conjugales sur la grossesse 3ème chronique de la Dre Muriel Salmona du 6/03/2018 au Magazine de la santé de France 5



L'impact des violences sexuelles et conjugales sur la grossesse



3ème chronique de la Dre Muriel Salmona du 6/03/2018 au Magazine de la santé de France 5



Les antécédents de violences sexuelles et les violences conjugales pendant la grossesse représentent un risque majeur pour la santé des femmes enceintes et de leurs enfants.

On sait que ces violences sont d’une grande ampleur et touchent majoritairement les filles et les femmes les plus jeunes en âge de procréer : 1 femme sur 4 a subi des violences par un partenaire à partir de l’âge de 15 ans, une fille sur 5 a subi des violences sexuelles avant 18 ans, 1 femmes sur 6 des viols et des tentatives de viols. Et une des conséquences de ces viols, très majoritairement commis par un membre de la famille ou un partenaire, c’est une grossesse.

Les viols peuvent être à l’origine de grossesse

Dans notre grande enquête de 2015, Impact des Violences Sexuelles de l’Enfance à l’Age adulte, près d’une victime sur 10 s’est retrouvée enceinte après un viol, et 20% d’entre elles étaient mineures. Si la plupart on fait des interruptions volontaires ou médicales de grossesse, 25% ont mené leur grossesse à terme avec toutes les conséquences et la détresse que l’on peut imaginer pour la mère et l’enfant.

Dans plus des deux tiers des cas, les victimes n’ont pas pu parler du viol lorsqu’elles ont effectué une demande de contraception d’urgence ou d’IVG. Or ce sont des crimes sur personnes vulnérables et ce sont des situations médico-légales qui nécessitent un signalement auprès du procureur de la République pour les protéger, d’où l’importance de poser systématiquement aux femmes et aux filles enceintes des questions sur les violences (les grossesses précoces sont presque toujours en lien avec des violences sexuelles), ainsi qu’à celles demandant une IVG ou une contraception d’urgence.

La grossesse peut être une période à risque de réactivations traumatiques de violences sexuelles antérieures

Les violences sexuelles ont des conséquences psychotraumatiques à long terme centrées sur une mémoire traumatique qui leur fait revivre les pires moments des violences, à l’identique, aussitôt qu’un lien rappelle les violences subies, et sur une dissociation traumatique de survie enclenchée par leur cerveau qui les déconnecte de leurs émotions et de leurs sensations pour échapper au risque vital d’un stress dépassé. 

Pendant la grossesse et l’accouchement, toutes les modifications corporelles, les douleurs, les examens gynéco-obstétricaux sont autant de risques de réactivation traumatique majeure de toutes les violences sexuelles déjà subies (sans oublier l’excision), à tel point que les victimes mettent en place des stratégies de survie pour échapper à l’enfer de cette mémoire traumatique : conduites d’évitement (un tiers des victimes de violences sexuelles renonce à avoir des enfants) ou des conduites dissociantes pour l’anesthésier et ne pas la ressentir, comme des prises de drogue et d’alcool, ou des conduites à risque et des mises en danger. qui, en générant un stress intense, déclenchent les mécanismes de sauvegarde du cerveau, les dissocient et les anesthésient.


Les conséquences de ces réactivations traumatiques sur la grossesse

En l’absence d’accompagnement et de prise en charge spécialisée, ces réactivations traumatiques entraînent chez les victimes des états de grande détresse, des sensations et des douleurs intolérables suivies de très fréquentes expériences de dissociation, les examens gynécologiques et l’accouchement les effraient tant que certaines vont éviter les consultations, une césarienne peut être ncessaire. La dissociation les déconnecte de leur corps, elles risquent alors de ne pas ressentir les situations d’alerte, ni les douleurs des contractions avec des risques d’accouchement prématuré à domicile. Il y a également  des risques d’hypertension artérielle et de diabète liés au stress, de fausses couches, de dépressions ante et post-partum, d’attaques de panique, d’idées suicidaires, de conduites addictives, etc.

Après l’accouchement, la relation mère-enfant peut être perturbée par les réactivations de mémoire traumatique qui se présentent comme des préoccupations anxieuses majeures, des phobies d’impulsions très culpabilisantes avec des images intrusives des actes des agresseurs, un manque d’estime de soi et de confiance, l’allaitement peut s’avérer impossible. La dissociation traumatique est très perturbante avec un vécu d’irréalité, d’absence qui ne permet pas à la mère d’être congruente avec les émotions de son bébé.

Souvent incompris et méconnus par les soignants, ces troubles psychotraumatiques sont une perte de chance pour les femmes, et cela peut génèrer des situations de maltraitances de la part des soignants.


Les violences conjugales pendant la grossesse

Les femmes seraient près de 10% (les chiffres varient entre 6 et 20%) à subir des violences conjugales physiques et sexuelles pendant la grossesse.

Si la grossesse chez certaines femmes subissant des violences conjugales est une période d’accalmie, au contraire, elle est un facteur déclenchant lors de la 1ère grossesse dans 40 % des cas, ou un facteur aggravant pour près des 2/3 des femmes qui signalent alors beaucoup plus de très mauvais traitements (étranglement, menaces avec armes, violences sexuelles).

Les coups, les blessures et les traumas provoquées par les violences peuvent aller jusqu’à la mort du fœtus ou de la mère, et entraînent une augmentation d’un grand nombre de pathologies obstétricales et mentales : fausses-couches, mort in utero par décollement placentaire, hémorragie, ruptures prématurées des membranes, diabète, hypertension artérielle, infections urinaires, vomissements incoercibles, dépressions, suicides. Les nouveau-nés de ces femmes ont un risque de prématurité et d’hypotrophie significativement augmenté (Silverman, 2006). 

Dès le 3ème trimestre de la grossesse les fœtus peuvent développer des troubles psychotraumatiques. Après la naissance, les violences continuent dans la presque totalité des cas, le nouveau-né va être doublement en danger, en tant que témoin et par la violence de son père qui dans 3/4 des cas va s’abattre aussi sur lui. L’impact psychotraumatique sera pour eux majeur et à long terme sur leur santé et leur développement, et il représentera un risque de maltraitance parentale (enfant anxieux très agité ne dormant pas ou enfant dissocié absent et ne mangeant pas) et de subir à nouveau des violences ou d’en commettre. 

Comment expliquer que des hommes puissent commettre une telle violence sur leurs femmes enceintes ?

Les femmes enceintes qui subissent ces violences de la part de leur partenaire décrivent toutes que ce dernier, au moment des violences, devient méconnaissable, qu’il n’est plus lui-même, toutes ont été sidérées, terrorisée par cette violence inexplicable qui s’abattait sur elles, souvent sur leur ventre, leurs seins, leurs organes génitaux, attaquant de façon précise leur maternité. 

Car c’est bien la mère et l’enfant à venir qui sont visés par cette rage destructrice. L’homme violent ne supporte pas que sa compagne soit enceinte, cette situation génère chez lui un état de tension qu’il va s’autoriser à calmer par une conduite dissociante, il va « disjoncter » et s’anesthésier en étant violent.

Ces hommes violents de façon compulsive sont très nombreux à avoir été exposés à des violences conjugales ou maltraités dans l’enfance (un homme a 14 fois plus de risque d’être violent avec sa partenaire s’il a subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance, Fulu, 2017). Ils ont développé une mémoire traumatique et c’est elle qui va « exploser », les envahir, et qu’ils vont mettre en scène lors de la grossesse de leur compagne. Cette grossesse qui annonce une famille et transforme leur femme en mère, fait basculer leur vie de couple sécurisante en vie de famille qui les stresse en réactivant des situations familiales violentes de leur enfance qu’ils vont revivre à l’identique dans un état de tension et de sensation de danger. Ils vont attribuer de façon injuste cet état à leur compagne enceinte et ils vont choisir de se « traiter » en exerçant des violences sur elle et sur l’enfant à venir, ce qui aura pour effet de les calmer. 


Il est donc primordial pour les professionnels de la santé de dépister systématiquement auprès des femmes enceintes les violences qu’elles ont subies ou qu’elles subissent afin de les protéger ainsi que leur bébé, de mieux les accompagner et de leur prodiguer les soins spécifiques nécessaires.

De même, le suivi obstétrical doit respecter les droits des femmes et leur intégrité psychologique et physique tout au long de leur grossesse et de leur accouchement, aucune violence sous couvert de soins ne doit être tolérer.



Pour en savoir plus :

La grossesse à l'épreuve des violences conjugales Dre Muriel Salmona paru dans Violences conjugales et famille, ouvrage supervisé par Coutanceau R et Salmona M.,Paris, Dunod, 2016.

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