COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE L’ASSOCIATION MÉMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE
LES VIOLENCES CONJUGALES ET INTRA-FAMILIALES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Une atteinte scandaleuse aux droits, à l’intégrité et à la dignité des femmes et des filles, et un problème majeur de société et de santé publique
Crédit photo : Kanaglia
Texte de la Dre Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue, présidente de l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie, drmsalmona@gmail.com ; site : http://memoiretraumatique.org ; Bourg la Reine le 4 septembre 2017
Des chiffres d’homicides au sein du couple accablants pour 2016
Nous venons d’apprendre les derniers chiffres concernant les homicides commis au sein du couple pendant l’année 2016 (Rapport de la Délégation aux Victimes consultable ICI), ils sont accablants. Pour la 12ème années consécutive depuis qu’ils sont comptabilisés officiellement, ils restent toujours aussi scandaleusement élevés : 123 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire, le plus souvent dans un contexte de séparation - 1 femme tous les 3 jours - 25 enfants ont été également tués dans un contexte de violence conjugale, 33 hommes ont également été tués par leur compagne et un par son compagnon (17 des femmes auteures de ces homicides étaient victimes de violences conjugales). Pour 2017, le chiffre des femmes tuées par leur partenaire, recensé dans la presse, est déjà de 89 à la fin du mois d’aout !
D’années en années, ces chiffres concernant les homicides ne diminuent pas, mais ils ne sont pas les seuls :
- les chiffres concernant les violences conjugales et les viols ne diminuent pas également, et ils sont tout aussi accablants : En France, au cours de sa vie une femme sur quatre a subi des violences physiques par un partenaire depuis l’âge de 15 ans, une femme sur cinq a subi des agressions sexuelles et une femme sur six des viols et des tentatives de viols, en majorité avant 18 ans et par des partenaires et des membres de la famille (CSF 2008).
- chaque année plus de 220 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences conjugales dans leurs formes les plus graves, 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (CVS INSEE-ONDRP 2012-2015), et plus de 300 enfants sont tués (environ 100 homicides d’enfants de moins de 15 ans sont rapportés chaque année par la police et la gendarmerie et au moins 200 décès inexpliqués d’enfants de moins de 1 an seraient en réalité des homicides, Turz, 2010) ;
- chaque année plus de 80 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont subi des viols et des tentatives de viols dont plus de 50 000 par des partenaires (CVS INSEE-ONDRP 2012-2015). Et encore bien plus de filles ont subi des viols et des tentatives de viols : plus de 120 000 dont au moins 60 000 dans la famille, auxquels il faut rajouter 14 000 hommes violés et 30000 garçons, et 83% des victimes de violences sexuelles rapportent n’avoir jamais été reconnues, ni protégées (IVSEA, 2015);
- de même les chiffres des plaintes des victimes de ces violences restent plafonnées à 14% pour les violences conjugales, à 10% pour les viols (et à 2% seulement pour les viols conjugaux) (CVS INSEE-ONDRP 2012-2015)
- et les condamnations pour violences conjugales n’excèdent pas 7%, tandis que celles pour viols continuent à être extrêmement rares avec 1% de condamnation aux assises (CVS INSEE-ONDRP 2012-2015). On sait que 70% des plaintes pour viols chez les adultes et 60% plaintes pour viols chez les mineurs sont classées sans suite (Le Goaziou, 2016) !
Comment peut-on tolérer une telle hécatombe, une telle impunité ? Comment peut-on tolérer que le couple, la famille soit une telle zone de danger criminel pour les femmes et les enfants ?
Un constat d'échec des pouvoirs publics et un scandale humain
C’est un constat d’échec total qui doit susciter un énorme sursaut des pouvoirs publics avec un engagement et une volonté politique à hauteur de l’enjeu humain que représentent ces vies fracassées. Car il n’y a pas de fatalité, il est possible de lutter contre ces violences, de protéger les victimes et d’éviter ces meurtres, mais cela nécessite une prise en compte de l’urgence absolue d’agir et de s’en donner vraiment les moyens, avec une mobilisation et un investissement de tout le gouvernement et de tous les parlementaires. Et si le gouvernement nous assure sa « totale détermination pour combattre ces violences insupportables » comment le croire ? Que pourra-t-il faire avec la disparition du ministère des droits des femmes et de celui de l’enfance et des familles ? Avec un secrétariat d’état doté du plus petit budget de l’Etat et récemment amputé de 27% ? Le premier ministre et la secrétaire d’Etat à l’Égalité entre les femmes et les hommes nous propose une meilleure collaboration avec le ministère de l’Intérieur et des « initiatives prochaines » pour « mieux protéger les enfants pour qu’ils ne soient pas témoins et ne reproduisent pas plus tard ce qu’ils ont vécu ».
Nous attendons donc, mais il est à craindre que l’engagement de l’Etat ne soit clairement pas à la mesure de la gravité, de l’ampleur et de l’urgence du problème. C’est un véritable plan Marshall dont nous avons besoin, un plan très ambitieux, accompagné de grandes réformes concernant la police, la justice, la santé, l’aide sociale, l’éducation et la protection de l’enfance, avec une amélioration des lois, la mise en place de protocoles pour enfin protéger efficacement les victimes, de juridictions spécialisées, un investissement important dans la recherche, de grandes campagnes d’information, d’éducation et de formation, la mise à disposition en urgence de centres d’accompagnement, d’aide et de soins en psychotraumatologie pour les victimes, accessibles et sans frais, la création en nombre suffisant de postes de professionnels formés pour faire de la prévention, dépister les victimes de violences, les protéger efficacement et les prendre en charge, soigner leurs traumatismes, lutter contre l’impunité et leur rendre enfin justice et réparer tous leurs préjudices. Le tout doté d’un réel effort financier avec d’un budget important pour financer et appliquer toutes ces mesures. On est très loin, vraiment très loin du compte…
Ce n’est pourtant pas faute de disposer de connaissances de plus en plus précises en ce qui concerne la réalité des violences faites aux femmes et aux enfants, les conséquences catastrophiques sur la vie et la santé de celles-ci, et les moyens pour y remédier. Depuis une quinzaine d’années des enquêtes de victimation et des recherches scientifiques nous ont révélé :
- l’ampleur et la gravité de ces violences allant jusqu’à des crimes : viols et homicides ;
- le fait qu’elles touchent toutes les catégories sociales, tous les âges, qu’elles s’exercent dans un contexte d’inégalité et de domination sur les personnes les plus jeunes, les plus vulnérables et les plus discriminées ;
- le manque cruel de protection et de prise en charge des victimes ;
- le déni, la loi du silence, les stéréotypes concernant ces violences avec une culture du viol et des violences qui organise la mise en cause des victimes et l’impunité quasi totale dont bénéficient les agresseurs.
- l’impact psychotraumatique majeur des violences sur les victimes et l’importance des conséquences de ces violences sur leur vie affective, sociale, professionnelle, leur santé physique et mentale à court, moyen et long terme ;
- les mécanismes neuro-biologiques psychotraumatiques en cause (sidération, dissociation, mémoire traumatique, conduite d’ évitement et conduites à risque dissociantes) qui expliquent les souffrances et les comportements souvent perçus comme paradoxaux des victimes, et les moyen de traiter les traumatismes et d’éviter leurs conséquences ;
- la nécessité de ne pas attendre que les victimes portent plainte pour les protéger le plus précocement possible en posant systématiquement la question sur des violences subies lors de toute consultation ou entretien avec des professionnels de la santé, du social, de l’éducation, car dans l’immense majorité des cas il est impossible pour les victimes de dénoncer les violences en raison de leur trop jeune âge, de la peur, de la honte, de pressions, de menaces, de chantages, de troubles psychotraumatiques entraînant des symptômes dissociatifs, une anesthésie émotionnelle, des amnésies, des phénomènes d’emprise, de la peur de ne pas être crues, d’être culpabilisées, ou de perdre la garde de leurs enfants.
Ces violences envers les femmes et les filles sont maintenant reconnues internationalement comme un problème majeur de société et de santé publique (OMS 2010, 2014, 2016), et il a été démontré qu’avoir subi des violences est un des déterminants principaux de la santé tout au long de la vie, avec un risque spécifique sur leur santé génésique, et qu’avoir subi plusieurs formes de violences dans l’enfance peut faire perdre jusqu'à 20 ans d’espérance de vie et est la première cause de mortalité précoce, de suicide, de dépression et de conduites addictives (Felitti, Anda, 2010 ; Brown, 2009). Les victimes de violences intra-familiales et conjugales ont une consommation de soins bien plus importante que le reste de la population. Mais le lien entre les violences et leurs conséquences sur la santé mentale et physique est rarement identifié et encore moins pris en charge, faute de formation suffisante des professionnels de la santé à cette problématique.
Plusieurs conventions internationales et européennes, signées et ratifiées par la France obligent les états à prévenir ces violences, à en protéger les filles, les femmes et leurs enfants, et à leur assurer soins, justice et réparations (telle la Convention européenne dite d’Istanbul qui est applicable et contraignante depuis aout 2014). La France s’est dotée au fil des années d’un arsenal législatif pour punir ces violences en tant que circonstances aggravantes, et pour mieux protéger les victimes. Et le gouvernement a lancé début 2017, le 5ème plan triennal de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes, et en mars 2017, le premier plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (enfin !). Pour la première fois dans ces plans l’impact psychotraumatiques des violences est pris en compte ainsi que la nécessité d’organiser une offre de soins, des médecins référents violences faites aux femmes et violences faites aux enfants ont été désignés et formés dans chaque structure hospitalière, et c’est un grand pas. Un groupe de travail inter-ministériel auquel je participe a conçu un cahier des charges pour des centres soins en psychotraumatologie gratuits pour les victimes qui devraient - si le financement suit - être bientôt déployés, 10 centres sont prévus dans un premier temps, et à terme 100 répartis dans toute la France métropolitaine et l’Outre-Mer. Avec la Mission Inter-ministérielle de Protection des femmes victimes de violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), un réel effort a été fait pour former tous les professionnels qui prennent en charge les victimes et leur proposer des outils de formation, de la documentation et des ressources, un focus a été mis sur les femmes enceintes victimes de violences et sur les enfants victimes de violences conjugales. Des téléphones grand danger (TDG) ont été déployés sur tout le territoire (600 peuvent être mis à disposition des femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles), ces téléphones peuvent rassurer des femmes menacées et sauver des vies, mais ils sont un constat d’échec en soi puisque c’est encore aux femmes d’organiser leur protection avec l’aide de ces téléphones face à des agresseurs qui ont les moyens de continuer à les terroriser en toute impunité, la force publique et la justice se révélant incapables de les empêcher de nuire et de passer à l’acte.
Mais les victimes restent dans leur grande majorité isolées, à devoir faire face aux violences sans protection, ni justice et aux conséquences psychotraumatiques, sans soin. Elles ne sont pas entendues, ni crues. Le danger qu’elles courent ainsi que leurs enfants est rarement reconnu, les menaces de mort ne sont pas prises en compte dans leur grande majorité, elles sont en situation uniquement de survie, terrorisées, dissociées, anesthésiées écrasées par leur trauma, la loi du silence, le déni et les stéréotypes qui les mettent en cause et les culpabilisent.
Les rares qui arrivent à dénoncer les violences et à porter plainte sont loin d’être toujours protégées efficacement, le parcours judiciaire s’avère souvent maltraitant et aboutit rarement comme on l’a vu à une condamnation des agresseurs. Les victimes sont souvent traitées avec suspicion, elles ne sont pas entendues, le danger qu’elles courent n’est le plus souvent pas pris en compte, elles sont fréquemment culpabilisées et mises en cause sur des réactions, des troubles ou des comportements qui sont en fait dus aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques (sidération qui les empêche de réagir, dissociation qui les anesthésie, les met sous emprise et entraîne des amnésie, mémoire traumatique qui est prise pour des troubles psychiatriques psychotiques), la justice peut même se retourner contre elles quand elles essaient de protéger leur enfant d’un conjoint violent lors d’une séparation, on les accuse au nom d’un syndrome d’aliénation parentale qui n’a aucune validité scientifique et elles peuvent perdre la garde de leur enfant qui se retrouve confié au père violent, voire elles peuvent être condamnée pour non-présentation d’enfant.
Le couple et la famille sont des zones de non-droit et des viviers de production de violences
Les violences intra-familiales et conjugales faites aux filles, aux femmes et à leurs enfants par les hommes sont des violences spécifiques permises par les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes, dans un contexte historique de domination masculine.
Les lieux censés être les plus protecteurs comme la famille et le couple sont en réalité ceux où s’exercent le plus de violences, les filles et les femmes étant de loin les principales victimes des violences sexuelles et conjugales qui s’y exercent (de 3 à 7 fois plus que les garçons et les hommes).
Ces violences masculines, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, sexuelles ou économiques, et qu’elles se présentent sous la forme de maltraitances, de violences conjugales ou éducatives, se retrouvent dans toutes les couches de la société. Elles transforment l’univers familial en une zone de non-droit, et en un des plus grands viviers de production de violences à venir. Il a été démontré par de grandes enquêtes qu’avoir subi des violences dans l’enfance quelqu’en soit la forme, y compris les châtiments corporels, est le principal risque pour une fille d’en subir à nouveau tout au long de sa vie, et pour un garçon le principal risque d’en commettre tout au long de sa vie, l’association violence physique et violences sexuelles subies dans l’enfance représentant le plus fort risque de reproduction de violences subies et âgies à l’âge adulte avec des odes ratios élévés (OMS, 2010, Fulu, 2017).
Sous couvert d’amour et d’éducation, une véritable culture de la violence transmise de génération en génération règne au sein de beaucoup de couples et de familles. Cette culture de la violence banalise et minimise les violences, met en cause les femmes et les enfants qui en sont victimes, et organise le déni de leurs conséquences. Elle est alimentée par un système inégalitaire, de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance du traumatisme de celles et ceux qui en sont victimes .
Le recours à la violence est intentionnel, il a pour objectif le contrôle, la mise sous terreur et sous emprise des victimes, ainsi que leur instrumentalisation pour s’anesthésier émotionnellement et échapper à des réminiscences traumatiques de violences subies dans son passé. Les violences ont un impact neurologique et elles entraînent des troubles psychotraumatiques avec la mise en place d’une dissociation et d’une mémoire traumatique qui seront au cœur de la reproduction de violences de proche en proche et de génération en génération. Nous l’avons vu le facteur principal de subir des violences ou d’en commettre est d’en avoir déjà subi.
Lutter contre les violences passe donc avant tout par la lutte acharnée contre toutes les formes de violences faites en enfants, par la protection effective de toutes les victimes, le respect de leurs droits et la prise en charge de leurs traumatismes.
Les violences s’exercent dans le cadre d’un rapport de domination et d’inégalités, plus les personnes sont vulnérables, jeunes et en situation de discrimination, plus elles risquent de subir des violences : les femmes handicapées ont quatre fois plus de risque de subir des violences intra-familiales. En miroir la violence a de lourdes répercussions sociales, elle aggrave les inégalités et renforce les discriminations et les injustices. Elle augmente la vulnérabilité, la précarité, les situations de marginalisation et la pauvreté. Elle met les victimes en danger de subir de nouvelles violences si elles ne sont pas protégées et soignées. Le coût humain et financier pour la société est majeur, il est estimé à 2,472 milliards d’euros en ce qui concerne les violences conjugales (Daphnée, 2004).
La violence est un privilège de dominants qui revendiquent la liberté de faire ce que bon leur semble dans leur famille, leur couple, et dans le cadre de leur sexualité, sans référence aux droits fondamentaux de leurs victimes.
LES VIOLENCES CONJUGALES ET INTRA-FAMILIALES SONT UN PROBLÈME MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE
Des violences traumatisantes qui impactent lourdement la santé des victimes
Des études internationales ont démontré qu’avoir subi des violences est un des déterminants principaux de la santé mentale (état de stress post-traumatique, troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, addictions, insomnies, phobies, troubles de la mémoire, troubles alimentaires, obésité, etc.), et physique (douleurs et fatigue chroniques, troubles cardiovasculaires, gynéco-obstétricaux, gastroentérologiques, endocrinologiques, rhumatologiques, maladies auto-immunes, cancers, hospitalisations répétées, multiplication des arrêts de travail, mise en invalidité…) (Garcia-Moreno, 2005 ; Mac Farlane, 2010 ; Felitti et Anda, 2010 ; Black, 2011).
Les enfants exposés aux violences conjugales sont également traumatisés, d’autant plus s’ils sont très jeunes. Ils peuvent l’être dès leur naissance, et même en tant que fœtus, dès le troisième trimestre de la grossesse, par la violence que subit leur mère. Ils vont présenter davantage de problèmes de santé, de troubles du développement et de troubles du comportement dont des conduites à risque, une hyperactivité et des comportements agressifs et asociaux, et ils sont plus souvent victimes d'accidents et de violences (Black, 2011).
Avoir subi des violences dans l’enfance est, comme nous l’avons vu, la principale cause de décès précoces à l’âge adulte, le déterminant principal de la santé 50 ans après, et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie, comme l’ont démontré de grandes études épidémiologiques internationales sur les ACE depuis 1998 (Adverse Childhood Experience, les expériences négatives de l’enfance : Felitti et Anda, 1998, 2010, Hillis, 2016, Brown, 2009), voir page OMS-ACE.Ces études révèlent que les principaux facteurs de risque pour la santé et les principales maladies mentales et physiques à l’âge adulte ont de très forts liens avec des violences subies dans l’enfance (Fulu, 2017). Ce risque est gradué en fonction de la gravité des violences et de leur nombre.
Le principal risque tout au long de sa vie : de se suicider ou de faire des tentatives de suicides, d’être alcoolique, toxicomane, tabagique, d’être obèse, d’avoir des comportements à risque, d’être déprimé, d’avoir une grossesse précoce, de se retrouver en situation de précarité, de marginalisation ou de situations prostitutionnelles, de subir de nouvelles violences, ou de commettre des violences, est d’avoir subi des violences dans l’enfance.
De très forts liens sont également retrouvés avec de nombreux troubles psychiatriques, cardio-vasculaires, endocriniens et gynécologiques, avec des maladies auto-immunes et neurologiques, des infections sexuellement transmissibles, des cancers, des ostéo-arthrites, des douleurs chroniques, etc.
Les mécanismes psychotraumatiques expliquent l’impact sur la santé et la reproduction de violences
Les violences intra-familiales qui sont souvent répétées sur de nombreuses années sont très destructrices. La violence, au-delà des atteintes physiques, traumatise psychologiquement à long terme toutes les personnes qui y sont exposées ou qui en sont témoins. Elle entraîne des atteintes de certaines structures cérébrales et des circuits émotionnels et de la mémoire visibles sur des IRM.
Les mécanismes neuro-biologiques en cause sont maintenant bien connus, ce sont des mécanismes de sauvegarde s’apparentant à une disjonction pour échapper à un stress dépassé. Ils sont à l’origine d’une dissociation traumatique avec une anesthésie émotionnelle, ainsi que d’un trouble de l’intégration de la mémoire avec une mémoire traumatique qui fait revivre les violences à l’identique comme une torture qui n’en finit pas.
La dissociation traumatique anesthésie et déconnecte émotionnellement les victimes, elle perdure tant que la victime reste exposée à l’agresseur et au danger. Les victimes dissociées « tolèrent » des niveaux très élevés de violence et sont privées de tout moyen de défense, ce qui facilite grandement leur mise sous emprise, et les rend très vulnérables à d’autres violences. Elles donnent l’impression qu’elles sont indifférentes, leurs interlocuteurs ne vont rien ressentir, ils n’auront pas peur pour elles, considéreront qu’elles ne sont pas vraiment traumatisées et qu’il n’est pas nécessaire de les protéger.
La mémoire traumatique qui se déclenche au moindre lien qui rappelle les violences comme une machine à remonter le temps, est responsable d’une très grande souffrance mentale, d’un stress permanent et de stratégies de survie handicapantes, très coûteuses pour la santé, voire très dangereuses : conduites d’évitement et de contrôle pour que la mémoire traumatique ne se déclenche pas, et conduites dissociantes pour s’anesthésier et ne plus la ressentir, qui sont des conduites addictives (drogues, alcool, tabac) et des conduites à risque (mises en danger, violences contre soi, contre autrui). En fait, ces conduites dissociantes, en créant un état de stress extrême, re-déclenchent un mécanisme de sauvegarde et provoquent à nouveau une dissociation et une anesthésie émotionnelle. Cela permet de comprendre comment la violence est une usine à produire de nouvelles violences de plus en plus graves, les conduites dissociantes entraînant des phénomènes de tolérance et de dépendance.
Si personne ne peut être tenu responsable des violences qu’il a subies, ni des conséquences psychotraumatiques de celles-ci, en revanche il peut l’être pour le choix de ses stratégies de survie quand celles-ci portent atteinte aux droits, à l’intégrité et à la dignité d’autrui. Le choix de conduites dissociantes violences envers autrui dépend du degré d’adhésion à une position dominante et de rapport de force. Lutter contre les violence, c’est également lutter contre les inégalités, et promouvoir le respect des droits des personnes.
Les troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes sont encore trop méconnus, cela porte lourdement préjudice aux victimes et c’est une perte de chance pour elles. Les professionnels de la santé ne sont toujours pas formés au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences sur leur santé ni en formation initiale ni en formation continue, et l’offre de soins adaptés est bien trop rare. De nombreux diagnostics sont portés à tort et des traitements essentiellement dissociants et anesthésiants proposés, quand ils ne sont pas maltraitants (Salmona, 2013, 2015).
Or une prise en charge de qualité est efficace, elle permet de traiter la mémoire traumatique et de réparer les atteintes cérébrales, et d’éviter ainsi la majeure partie de toutes les conséquences des violences sur la santé, ainsi que de leurs conséquences sociales. La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent donc à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissance de ce qu’elles ont subi et à leur mise en cause, leurs symptômes psychotraumatiques leur étant injustement reprochés et utilisés pour disqualifier leur parole.
C’est une véritable révolution qu’il faut donc opérer, en passant d’une situation où presque aucune de ces personnes victimes de violences intra-familiales n’est repérée, et où les rares qui parlent ne sont pas entendues, ni crues, à une situation où la préoccupation majeure sera d’assurer leur protection en les questionnant toutes fréquemment, pour savoir ce qu’elles subissent et pour tenir compte du danger qu’elles et leurs enfants courent.
Mettre en place un plan global de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants est une urgence humanitaire et de santé publique.
Avec 12 associations féministes nous avons rédigé des revendications pour les présenter aux pouvoirs publics le 25 novembre 2015 : « Mettre fin aux violences faites aux femmes, ce que nous voulons ».
Dans le cadre de notre grande enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte de 2015 avec le soutien de l’UNICEF, nous avons préconisé 10 recommandation pour lutter contre les violences sexuelles et mieux protéger et soigner les victimes.
Enfin, dans le cadre de notre Manifeste Stop aux Violences faites aux Enfants, nous avons proposé 10 actions pour lesquelles s’engager et obtenu plus de 34000 signatures et 26 associations l’ont co-signé.
Nous tenons à la disposition des pouvoirs publics toutes ces revendications et recommandations.
Dre Muriel Salmona
psychiatre
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
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