ILS N’ONT PAS PEUR !…
Où comment les victimes non seulement ne sont pas protégées mais sont mises en danger
Dre Muriel Salmona, 4 mars 2017
Le monde à l’envers ! En l’espace de deux jours, une succession de traitements judiciaires particulièrement inhumains concernant des victimes de violences nous a laissé sous le choc. Nous avons découvert avec horreur les graves dysfonctionnements, l’absence de protection et les mises en danger inconcevables qui ont abouti à des viols et une grossesse pour une enfant de 12 ans, à la mort par homicide d’un enfant de quatre ans, et à la libération par erreur d’un homme accusé d’avoir violé quatre jeunes femmes, qui en a profité pour frapper et violer une ex-compagne.
Ces trois situations étaient parfaitement évitables puisque la justice avait déjà eu connaissance de violences qui avaient fait l’objet de plaintes, mais pour les deux premières les agresseurs étaient restés impunis et les victimes n’avaient non seulement pas été protégées, mais avaient été remises à leurs bourreaux, et pour la troisième une femme a été exposée à un homme accusé de plusieurs viol, libéré par erreur.
Trois situations hallucinantes rapportées par la presse en deux jours
La première situation est celle d’une fille de 12 ans chez qui on découvre une grossesse. lors d’un examen échographique pour douleurs abdominales. Elle refuse de dire précisément qui est le géniteur et parle de copains lors d’une soirée… C’est la recherche d’ADN sur le fœtus qui va désigner celui qui l’a violée : son beau-père. Elle dénonce alors les viols qu’il lui a fait subir. Et si elle n’a pas parlé dans un premier temps, c’est parce qu’elle l’avait déjà fait en vain 5 ans auparavant : à l’âge de 7 ans elle avait eu la force de dénoncer les agressions sexuelles que lui faisait subir son beau-père. Mais celui-ci avait nié et avait été relaxé à deux reprises par le tribunal correctionnel. Et c’est ainsi que cette enfant dont la parole n’a pas été crue s’est retrouvée exposée à nouveau à son agresseur. Ce dernier bénéficiant de son impunité a pu à nouveau l’agresser et la violer.Et malgré l’ADN il continue à nier…
La deuxième situation est celle d’un père divorcé qui constate sur son fils 2 ans des hématomes après l’avoir récupéré chez son ex-femme et son nouveau conjoint, il fait constater les lésions à l’hôpital et il porte plainte contre le beau-père. Il récupère dans un premier temps la garde de son fils, mais une enquête sociale lui est défavorable, le suspectant même d’être l’auteur des hématomes constatés. Le père demande une nouvelle enquête qu’il n’obtient pas. Sur la foi de cette enquête sociale, le juge aux Affaires familiales confie alors la garde à la mère. Le père s’y oppose, il est mis en garde à vue à deux reprises et les gendarmes récupèrent l’enfant qui est alors confié à sa mère. L’enfant a 4 ans, 3 mois plus tard il décède, l’autopsie révèle une fracture du crâne, le beau-père est mis en examen et placé en détention provisoire. La plainte pénale de départ a été classée sans suite, après, comme seule investigation, une audition du beau-père qui a nié et a été soutenu par la mère. Pourtant le beau-père de 22 ans avait déjà été condamné plusieurs fois pour violences…
La troisième situation est celle d’un homme accusé par quatre jeunes femmes de viols, en détention provisoire qui a été libéré par erreur par l’administration judiciaire. ll a été arrêté 10 jours après chez une ex-compagne qui l’accuse de l’avoir frappée avec une ceinture et de l’avoir violée. Il est mis en examen pour agression sexuelle sur personne vulnérable, comme cela arrive fréquemment l’infraction de viol a été déqualifiée en agression sexuelle,(au moins 40% des agressions sexuelles jugées en correctionnel sont en fait des viols déqualifiés, étude du TGI de Bobigny et de l’Observatoire des violences envers les femmes du 93, 2015).
Chronique d’injustices inconcevables
Il s’agit d’une chronique malheureusement ordinaire qui égrène des mises en danger et des injustices inconcevables, et nous plonge dans un monde inhumain et incohérent, où les victimes de violences - fussent-elles les plus vulnérables - sont abandonnées le plus souvent sans aucune protection, voire même livrées à leurs bourreaux par un appareil socio-judiciaire totalement sourd à leurs témoignages, à leurs détresses et à leurs souffrances.
Ces trois situations rapportées par la presse ne sont malheureusement pas l’exception, elles reflètent l’injustice et l’absence de protection effarantes que subissent les victimes de violences, particulièrement les femmes et les enfants, pas seulement par la justice mais par toute la société. Personne ou presque n’a peur pour les victimes et pour les futures victimes, malgré l’ampleur et la gravité connues des violences. Et les exemples foisonnent de victimes en grand danger, menacées de mort ayant alerté en vain les pouvoirs publics.
Ces injustices et ce manque inconcevable de protection, c’est ce que j’observe quotidiennement dans mon activité de psychiatre spécialisée en psychotraumatologie, et je l’ai à plusieurs reprises dénoncé, plusieurs de mes articles comme La nausée…, et La victime c’est la coupable reprenaient de nombreuses situations choquantes puisées dans ma consultation, de nombreux témoignages dans mes blogs, sites et livres en faisait état (1). Et j’ai lancé également un appel à soutien et une pétition pour qu’une victime de viol en réunion à 14 ans, puis à nouveau à 16 ans pour la punir d’avoir porté plainte, soit enfin protégée des menace de viols et de mort qu’à 21 ans elle et sa famille continuaient toujours à subir sans que rien ne soit mis en place pour les protéger.
La situation tout aussi inhumaine d’une jeune patiente
Je peux donner, en plus de ces exemples, celui d’une jeune patiente qui a actuellement 25 ans. Elle a dû interrompre ses études en première, elle vit seule avec sa mère, elle ne peut pas sortir, elle est dans l’incapacité de travailler et est reconnue adulte handicapée. Elle présente de très graves troubles psychotraumatiques consécutifs à des violences physiques et sexuelles commises par son père. Pour elle aussi la justice est restée sourde à ses appels et l’a exposée à son bourreau qui a fini par la violer à l’âge de 7 ans, alors qu’elle avait dénoncé et même écrit au juge des enfants les agissements de son père.
Père, qu’elle était obligée de voir, malgré les nombreuses démarches et signalements de sa mère qui s’était séparée de lui après de graves violences conjugales alors que sa fille avait 3 ans, et malgré des menaces et un harcèlement permanents après la séparation. Toutes les semaines elle devait rester une journée qui lui paraissait une éternité dans un studio sordide sans rien pour s’occuper, la peur au ventre, avec un père alcoolisé, violent qui s’amusait à la terroriser en permanence. C’était une torture. Il lui faisait croire qu’il avait une bombe dans sa poche et qu’elle allait exploser (il comptait 10, 9, 8, 7, 6…), il lui interdisait de s’enfermer dans les toilettes et ouvrait brutalement la porte la menaçant avec une fourchette à la main en hurlant, urinait devant elle, se mettait nu pour qu’elle apprenne ce qu’était un homme, passait sa main sous son pull pour toucher sa poitrine, ne lui donnait pas à manger de la journée, etc. Tout cela elle l’avait écrit au juge sans que rien ne change, les psychiatres qui suivaient son père (il faisait régulièrement des séjours en hôpital psychiatrique) avaient fait des certificats pour dire à quel point il était essentiel pour lui et pour son équilibre de voir sa fille régulièrement. L’enquête sociale et les expertises psy ont été plutôt à charge pour la mère qui était considérée comme trop angoissée, fusionnelle avec sa fille, la protégeant trop.
Jusqu’à ce qu’il la viole, ce jour là, il n’a pas pu la ramener à l’heure, elle se trouvait, se rappelle-t-elle, dans un tel état de choc physique et psychique, qu’elle était incapable de marcher. Sa mère paniquée est allée à la police, une fois de plus. La petite, une fois rentrée n’a pas pu parler du viol à sa mère, celle-ci a pu constater qu’elle n’était plus la même. Cet important retard a été pris en considération par la juge, et elle n’a plus vu son père seule mais chez son oncle, ce qui, rapidement, n’a plus intéressé son père. Il a arrêté les visites, mais il a continué à les harceler à distance.
Ce n’est que bien des années plus tard, en psychothérapie, parce qu’elle est enfin sortie de son état dissociatif post-traumatique qui la maintenait en état d’anesthésie émotionnelle et d’amnésie de survie qu’elle a revécu le viol dans d’atroces souffrances et qu’elle pu en parler. Son père continue encore de la terroriser, il sait où elle habite, sa mère traumatisée est en arrêt longue durée, elle n’a pas obtenu d’appartement social dans une autre commune ce qui les protégerait. Elles ont un immense besoin de justice et vont à nouveau tenter de faire valoir leurs droits en étant cette fois-ci accompagnées et défendues.
Pourquoi malgré des chiffes accablants, si peu de personnes se mobilisent
Comment est-il possible qu’on tolère dans un silence assourdissant et dans la plus grande indifférence, que chaque année, au moins 400 enfants soient tués dans leur famille, et que 120 à 140 femmes le soient tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. Depuis le début de cette année, ce sont au moins 21 femmes qui ont déjà été tués par leur partenaire ou ex-partenaire (nous venons d’apprendre ce jour l’assassinat de la 21ème, une femme de 37 ans, mère de 3 jeunes enfants de 2, 4 et 5 ans, qui a été abattue froidement par son ex-conjoint).
En 2015 ce sont 122 femmes et 22 hommes qui ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire, les femmes ont été tuées le plus souvent lors d’une séparation, et 36 enfants ont été tués dans le cadre de violences au sein du couple. 223 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont été victimes de violences conjugales dans leurs formes les plus graves. 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont subi des viols et des tentatives de viols dont 54 000 par des personnes vivant avec la victime, et 14000 hommes. Les enfants sont encore plus touchés, ils sont les principales victimes de violences sexuelles, les filles en premier lieu qui sont chaque année 124 000 à avoir subi des viols et des tentatives de viols, et 30 000 garçons, les viols sont commis par un membre de la famille pour la moitiés d’entre elles et eux (2).
Malgré ces chiffres intolérables, le manque de protection des femmes et des enfants victimes de violences reste structurel. Dans notre enquête de 2015, Impact des Violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte, les victimes de violences sexuelles étaient 83% à témoigner n'avoir jamais été protégées, ni reconnues (3). Même si les plans de lutte contre ces violences (5ème plan national pour lutter contre les violences faites aux femmes, et depuis mars 2017 1er plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites les enfants) mis en place par le gouvernement permettent des avancées, elles sont encore très insuffisantes, et les faibles budgets qui y sont consacrés, montrent bien qu'il n'y a pas de réelle volonté politique pour que cessent ces violences. Mobilisation et solidarité pour les victimes manquent à l'appel. Il faut bien se rendre à l'évidence les crimes intra-familiaux, conjugaux, et sexuels ne font pas suffisamment horreur. On se heurte d’une part à un déni tenace du côté de ceux qui veulent maintenir le privilège d’exercer des violences pour maintenir leur domination, d’autre part à une sorte d’indifférence et d’aveuglement de ceux qui ne sont pas attachés à la violence comme instrument de pouvoir et qui pourraient dénoncer clairement les violences et protéger et secourir les victimes. Que se passe-t-il pour ces derniers ?
La violence a un formidable pouvoir de dissociation et de soumission
La violence sidère, paralyse et impacte les cerveaux des victimes et de ceux qui en sont témoins, des mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques se mettent alors en place, qui s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire. Cette disjonction anesthésie et déconnecte émotionnellement les victimes, c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique, elle perdure tant que la victime reste exposée à l’agresseur et au danger. Les victimes dissociées « tolèrent », du fait de cette anesthésie, des niveaux très élevés de violence et sont privées de tout moyen de défense, ce qui facilite grandement leur mise sous emprise, et les rend très vulnérables à d’autres violences. Elles donnent l’impression qu’elles sont indifférentes, leurs interlocuteurs ne vont rien ressentir (leurs neurones miroirs ne vont pas s’activer), ils n’auront pas peur pour elles, considéreront qu’elles ne sont pas vraiment traumatisées (alors qu'elles ont de très importants troubles psychotraumatiques) et qu’il n’est pas nécessaire de les protéger, quand bien même ils sont au courant de graves violences.
Cette dissociation traumatique explique donc l’indifférence généralisée qui entourent beaucoup de victimes. Il suffirait que les victimes et les proches connaissent ces mécanismes psychotraumatiques et que les professionnels y soient formés pourpour ne plus être piégés par cette anesthésie émotionnelle, et pour mieux analyser le danger couru et y réagir de façon adaptée et efficace. En sachant qu'aussitôt qu’elle est protégée, la victime sort de son état de dissociation et est dans la capacité d’exprimer ses émotions.
La violence a un formidable pouvoir de colonisation, elle impose sa loi et ses rationnalisations mystificatrices
Le mécanisme psychotraumatique de disjonction entraîne également chez la victime et chez les témoins une interruption du circuit de la mémoire, qui va rester bloquée sans être analysée, ni intégrée, ni contrôlée par les fonction supérieures. Cette mémoire traumatique des violences contient le vécu et les ressentis de la victime, mais également de façon indifférenciée la mise en scène, la haine, le mépris et les discours de l’agresseur. Elle va envahir la victime ou les témoins dès qu’un lien rappelle les violences, leur faisant revivre à l’identique les violences comme une machine à remonter le temps. Elle va coloniser leur psychisme, non seulement avec les sensations, les émotions et les douleurs ressenties lors des violences, mais aussi les phrases de l’agresseur justifiant les violences, culpabilsant les victimes qui seront perçues par les victimes et les témoins comme provenant de leurs propres pensées : « c’est normal, c’est de ta faute, tu l’as bien cherché, tu l’as mérité, ce n’est pas si grave, c’est pour ton bien, etc. ».
C’est ainsi que le discours mystificateur des agresseurs colonise de proche en proche les enfants dès leur plus jeune âge et toute la société, et s’installe et s’impose comme une pseudo-vérité normalisant les violences, dédouanant les agresseurs et mettant en cause les victimes.
Avec ce mécanisme la violence est considérée comme une fatalité, et les victimes comme coupables de l’avoir provoquée par leur comportement. Face à ce discours agresseur colonisateur, la loi et les droits universels des victimes ne sont pas suffisamment reconnus pour faire le poids et être des remparts efficaces contre une liberté toute-puissante revendiquée pour justifier les violences ; « c’est ma famille, mes enfants, ma femme je fais ce que je veux, personne n’a à s’en mêler ». Il est essentiel de comprendre ce mécanisme psychotraumatique, et de rappeler que les victimes avaient le droit de désobéir, de s’opposer, de dire non, d’être « contrariantes », «frustrantes », de s’habiller ou sortir comme elles le voulaient, de décider de se séparer, les agresseurs en revanche n’avaient en aucun cas le droit de les frapper de les violer, ou de les tuer pour cela. Les enfants, les femmes dans notre univers inégalitaires sont encore trop souvent considérés comme ayant moins de droit, comme appartenant à leur parent, à leur conjoint. Ils sont chosifiés, instrumentalisés, et ce pouvoir de possession peut aller jusqu’à la volonté de les détruire, de les tuer.
Le droit du plus fort : les violences comme privilège
Dans ce monde à l’envers, le droit du plus fort s’impose. La violence est un privilège de dominants qui, comme nous l’avons vu, revendiquent la liberté de faire ce que bon leur semble dans leur famille, leur couple, et dans le cadre de leur sexualité, sans référence aux droits de leurs victimes.
La mémoire traumatique du discours agresseur, non repérée et déconnectée qu’elle est des fonctions supérieures peut imposer des incohérences qui ne seront pas dénoncées ou si peu. Elle peut faire croire qu’aimer est compatible avec soumettre, frapper, détruire, violer… qu’éduquer est compatible avec frapper, injurier, humilier, terroriser… Et c’est ainsi que sous couvert d’amour et d’éducation, une véritable culture de la violence transmise de génération en génération règne au sein de beaucoup de couples et de familles.
Ces lieux censés être les plus protecteurs sont en réalité ceux où s’exercent le plus de violences, les filles et les femmes y étant de loin les principales victimes des violences sexuelles et conjugales qui s’y exercent (de 3 à 7 fois plus que les garçons et les hommes). Ces violences essentiellement masculines, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, sexuelles ou économiques, et qu’elles se présentent sous la forme de maltraitances, de violences conjugales ou de violences éducatives, se retrouvent dans toutes les couches de la société. Elles transforment l’univers familial en une zone de non-droit, et en vivier de production de violences à venir.
Cette culture de la violence qui banalise et minimise les violences, met en cause les victimes, et organise le déni de leurs conséquences, est alimentée par de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance des conséquences psychotraumatique des violences, et de leur impact en matière de santé publique. Le risque d’atteintes à l’intégrité physique et psychique avec des conséquences très lourdes sur la santé à long terme et sur la vie des victimes n’est pas pris en compte. On sait maintenant qu’avoir subi plusieurs sortes de violences dans l’enfance est le déterminant principal de la santé même 50 ans après, peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie, et est le facteur de risque principal de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie et d’en commettre (Felitti et Anda, 2010 ; McFarlane, 2010, Brown, 2009, Hillis, 2016) (4).
La culture du déni
Les professionnels censés protéger les victimes sont pour la plupart colonisés par une culture du déni et de la mise en cause des victimes provenant du discours colonisateur des agresseurs. Cette culture au service des dominants et de leurs privilèges, a le pouvoir de tout inverser et de décrédibiliser par tous les moyens, même les plus incohérents et scandaleux, en toute indécence. Alors que les victimes de violences face à cette culture du déni, de la culpabilisation et une loi du silence qui leur sont imposées portent rarement plainte (14% pour les victimes de violences conjugales, moins de 10% pour les victimes de violences sexuelles), on va leur reprocher de ne pas l’avoir fait, ou de l’avoir fait trop tard, et le peu qui le feront seront soupçonnées de mentir, de vouloir se venger, de chercher à obtenir de l’argent. Et le peu de personnes qui les soutiennent et essaient de les protéger seront fréquemment, elles aussi, mises en cause, accusées de diffamation, condamnées pour non-présentation d’enfants, et pour les professionnels et la santé de trahir le secret professionnel ou de faire des certificats de complaisance.
Des parents, des proches et des professionnels protecteurs mis en cause
Le cas des parents protecteurs (des mères le plus souvent) est pour cela un cas d’école, si elles se séparent de leur conjoint violent envers leur enfant, on va presque systématiquement les soupçonner d’être manipulatrices, et ne pas tenir compte de la parole de l’enfant victime considéré comme victime d’une aliénation parentale de la part de la mère, syndrome pourtant invalidé par la communauté scientifique internationale. Comme toujours, dans ces situations, il est imposée au parent protecteur un choix impossible destiné à le rendre coupable de toute façon, soit il reste, terrorisé par les menaces, ne dit rien, essaie de protéger comme il peut son enfant des violences, et pourra être accusé de complicité et de non-assistance à mineur en danger, soit il part et dénonce les violences et on l’accusera d’aliéner son enfant pour obtenir un divorce avantageux ou pour se venger, et risquera d’être condamné et de perdre la garde de son enfant qui pourra alors être livré au parent agresseur, soit il reste et dénonce les violences en courant de grand risques de subir des violences encore plus importantes dont il a tous les risques de ne pas être protégé par la police et la justice.
Impunité des agresseurs, non-protection et abandon des victimes sont la règle
Le principe de précaution est utilisé au seul bénéfice des agresseurs désignés, surtout s’ils jouissent d’une position sociale dominante face à des victimes appartenant à des catégories discriminées. Tant pis pour elles, elles n’avaient qu’à pas être aussi faibles, c’est une « faute » qui leur donne moins de valeur, moins de légitimité, moins de crédibilité.
L’impunité est la règle. Pour les violences conjugales, seuls 7% de l’ensemble des faits de violences ont été condamnés, pour les viols, seuls 1% font l’objet d’une condamnation, et alors que les viols touchent tous les milieux sans exceptions, ceux qui sont condamnés sont en grande majorité issus de milieux socio-culturels défavorisés (2). Pour les 10% de viols pour lesquels une plainte est déposée, 70% sont classées sans suite pour les viols sur adultes et 60% pour les viols sur mineurs. Les justifications données à ces classements sans suite sont avant tout des preuves insuffisantes (les fausses allégations ne sont que très rarement évoquées). Les expertises psychiatriques et psychologiques, faute de formation obligatoire des experts, ne recherchent et ne prennent en compte que très rarement les conséquences psychotraumatiques, et peuvent même nuire aux victimes en se référant à la place à des troubles psychiatriques lourds ou à des concepts psychanalytiques particulièrement inadaptés dans le cadre de violences.
Au final, il y a des risques très importants de classement sans suite : si le mis en cause ne reconnaît pas les faits, s’il n’y a pas de traces physiques et de preuves ADN, si d’autres victimes ne sont pas connues (le plus souvent elles ne sont ps recherchées lors de l’enquête préliminaire), si la victime connaît l’agresseur, si elle est trop jeune, trop handicapée, trop traumatisée pour avoir un récit et des comportements « cohérents », si elle a des troubles psychiatriques, si elle était alcoolisée, droguée… (Rapport de recherche de Véronique Le Gaouziou, ORDCS, 2016)
Au final, il y a des risques très importants de classement sans suite : si le mis en cause ne reconnaît pas les faits, s’il n’y a pas de traces physiques et de preuves ADN, si d’autres victimes ne sont pas connues (le plus souvent elles ne sont ps recherchées lors de l’enquête préliminaire), si la victime connaît l’agresseur, si elle est trop jeune, trop handicapée, trop traumatisée pour avoir un récit et des comportements « cohérents », si elle a des troubles psychiatriques, si elle était alcoolisée, droguée… (Rapport de recherche de Véronique Le Gaouziou, ORDCS, 2016)
Des lois inadaptées faisant obstacle aux droits des victimes
Les lois actuelles permettent de condamner les agresseurs mais il faut avant tout qu’elles soient appliquées. Il reste des choses à améliorer qui peuvent faire obstacle aux droits des victimes d’obtenir justice et réparation, notamment les délais de prescription, c’est pour cela qu’avec de nombreuses autres associations nous réclamons une imprescriptibilité pour les crimes. De même, la loi Perben II de 2004 qui autorise la déqualification des infractions est une atteinte grave aux droits des victimes (avec cette loi un viol peut être déqualifié et jugé en tant qu‘agression sexuelle par exemple).
Le droit de correction pour les parents doit être abrogé, il est indispensable que les châtiments corporels et les violences éducatives soient à nouveau interdits explicitement, 75% des situations de maltraitances sont commises dans le cadre de punitions corporels, depuis le début de l’année, les six homicides d’enfants qui ont été rapportés par la presse ont tous été commis lors de punitions.
Les lois concernant les agressions sexuelles et les viols reposant sur la notion d’absence de consentement, il faut prouver le non-consentement à des actes sexuels de la victime, pour cela il faut prouver l’utilisation de la violence, menace, contrainte (physique ou morale) ou surprise par l’agresseur. Cela veut dire que toute personne, même un enfant est censé pour la loi être consentant à des actes sexuels même si ces actes sont interdits (mineurs de moins de 15 ans avec un adulte, de 15 à 18 ans avec un ascendant ou une personne ayant autorité). Un acte sexuel sur un enfant pourra ne pas être qualifié comme une agression sexuelle ou un viol si on n’a pas pu prouver la violence, menace, la contrainte ou la surprise mais comme une atteinte sexuelle si l’enfant a moins de 15 ans, ou si, entre 15 et 18 ans, il est commis par un ascendant ou une personne ayant autorité. La jurisprudence fait que pour un enfant de moins de 5 ans, le consentement peut être considéré comme invalide même si on ne peut pas prouver la violence, la menace, la contrainte et la surprise, et la contrainte morale a été mieux définie en 2010 et peut être reconnue lorsqu’il s’agit d’un ascendant, d’un adulte ayant autorité ou abusant de ses fonctions sur un enfant, ou quand il y a une différence d’âge importante, mais cela reste à l’appréciation des juges. Cette notion de consentement à des actes sexuels est particulièrement choquante et inappropriée, quand il s’agit d’enfants et de personnes handicapées mentales. Elle est un obstacle majeur pour qualifier les faits de violences et permettre des procédures judiciaires adaptées. C’est pour cela que nous demandons avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qu’il n’y ait au moins pas de notion de consentement avant l’âge de 13 ans.
Des procédures judiciaires maltraitantes
Les enquêtes policières et les procédures judiciaires restent en général maltraitantes, confrontant les victimes aux agresseurs au mépris des risques traumatiques et des préconisations de la convention d’Istanbul que la France a signée et ratifiée, et qu’on doit suivre depuis août 2014. Cette convention exige que les troubles psychotraumatiques que présentent les victimes soient pris en compte dans les procédures, car elles font partie d’un faisceau d’indices graves et concordants.
Des conséquences psychotraumatiques essentielles à pendre en compte et à traiter
Avec une grande cruauté, les conséquences psychotraumatiques des violences (sidération, dissociation, mémoire traumatique, conduites addictives, à risque, tentatives de suicide, dépression, troubles anxieux,…) sont à la fois niées en tant que telles, elles ne sont traitées spécifiquement par des professionnels formés, et sont utilisées comme une arme pour mettre en cause les victimes, leur donner moins de valeur, moins de légitimité, moins de crédibilité : elles sont considérées comme folles, comme racontant n’importe quoi, et cherchant à se rendre intéressantes, etc.
La méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences et de leurs mécanismes, fait que les victimes sont incomprises et d’autant plus abandonnées, que les troubles psychotraumatiques ne sont pris en compte en tant que preuves médicales, qu’ils ne sont pas diagnostiqués, ni soignés en tant que tels, et que cela représente une lourde perte de chance pour la santé des victimes, leur sécurité, leur insertion professionnelle et sociale, et leur vie affective.
Il est temps que les droits fondamentaux des personnes à ne subir aucune forme de violence soient enfin respectés, il est temps de ne laisser aucune victime de violence sans protection, ni soins.
Dans un monde juste, digne de ce nom, ces victimes auraient dû être protégées, défendues, informées et soutenues, au lieu de subir des injustices en série, elles auraient dû accéder à des soins et des prises en charge de qualité, on aurait dû respecter leurs droits à obtenir justice et des réparations, on aurait dû leur redonner de la valeur et de l’espoir.
Il est temps que tout le monde se mobilise pour ne plus tolérer aucune forme de violence aucune zone de non-droit et aucune impunité. Il est temps que tous les professionnels soient bien formés se sentent totalement impliqués dans la lutte contre les violences et se sentent responsables de la protection des victimes. Il est temps que les professionnels de la santé, soient formés à dépister toutes les personnes victimes de violences en posant sysématiquement des questions, à les protéger, à rechercher des troubles psychotraumatiques et à les prendre en charge. Il est temps que les pouvoirs publics s'engagent à respecter les droits des victimes à être protégées, à ce que justice et réparation leur soient rendues, à ce qu'elles aient accès dans la durée à des soins de qualité gratuits et accessibles par des professionnels formés, à leur assurer une entière protection sociale.
Il s’agit d’un impératif absolu et d'une urgence humaine, sociale et de santé publique.
Il s’agit d’un impératif absolu et d'une urgence humaine, sociale et de santé publique.
Et il y a les victimes qui ne pourront plus jamais parler…Celles qui ne sont plus là, qui ont été assassinées, qui se sont suicidées, qui sont mortes précocément, à qui nous rendons hommage et en la mémoire de qui nous voulons lutter, agir et ne plus nous taire.
Dre Muriel Salmona
psychiatre
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Pétitions à signer :
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 21 000 signatures : Droit d'être soignées et protégées pour toutes les victimes de violences sexuelles ! http://www.mesopinions.com/petition/sante/droit-etre-soignees-protegees-toutes-victimes/14001
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 21 000 signatures : Pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
Pour lire le Manifeste pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 21 000 signatures : Stop aux violences faites aux enfants
Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :
Livres ;Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2013 ; Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2015
Châtiments corporels et violences éducatives. Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses. de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2016
2- lettre de l’observatoire des violences faites aux femmes n°6 et 8 publiées sur le site gouvernemental stop-violences-femmes.gouv.fr pour les chiffres sur les violences sexuelles : http://stop-violences-femmes.gouv.fr/no8-Violences-faites-aux-femmes.html
Bajos N, Bozon M, équipe CSF. Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère. Population & Sociétés. 2008 Mai ;445,
3- Le rapport d’enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015 SALMONA Laure auteure et coordinatrice, SALMONA Muriel directrice Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France
(téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org)
4- Anda RF, Felitti VJ, Bremner JD. The enduring effects of abuse and related adverse experiences in childhood A convergence of evidence from neurobiology and epidemiology. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci. 2006 ;256:174-186. ; McFarlane AC. The long-term costs of traumatic stress: intertwined physical and psychological conséquences. World Psychiatry. 2010 Feb;9(1):3-10 ; Brown D. W. et al., Adverse Childhood Experience and Risk of Premature Mortality, Am. J. Prev. Med. 2009,n°37: pages 389-96 ; Enquête Susan Hillis Global Prevalence of Past-year Violence Against Children: A Systematic Review and Minimum Estimates Pediatrics, 2016, ;137(3):e20154079 Citée par l'Organisation Mondiale de la Santé : OMS World Health Organization INSPIRE, sept stratégies pour mettre fin à la violence à l'encontre des enfants, 2016
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