Avec cette grande enquête nationale : « Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles» conduite par IPSOS à la demande de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie, il s’agit, pour la première fois en France, d’établir une photographie précise des représentations que les français-e-s peuvent avoir sur le viol et les violences sexuelles. Notre but était de comprendre pourquoi la loi du silence, le déni, l’impunité, l’absence de reconnaissance, de protection et l’abandon des victimes de violences sexuelles règnent encore en maître, et d’analyser sur quels axes prioritaires les efforts doivent être développés pour mieux lutter contre ces violences, et pour mieux protéger, soigner et rendre justice aux victimes.
Car, malgré les nombreux efforts du milieu associatif féministe et de la protection de l’enfance, malgré les deux plans triennaux gouvernementaux de lutte contre les violences sexuelles depuis 2011, et les actions de formation de la MIPROF (Mission Interministérielle de lutte contre les violences faites aux femmes et de lutte contre la traite des êtres humains) depuis 2013, malgré tout un ensemble de recherches et d’enquêtes qui ont permis de mieux évaluer la fréquence, la réalité et la gravité des conséquences sur la santé des violences sexuelles (1). Force est de reconnaître que sur le terrain tout se passe malheureusement très différemment.
Les chiffres des viols, évalués chaque année par les enquêtes de victimation ne diminuent pas : 84 000 femmes et 16 000 hommes âgé-e-s de 18 à 75 ans sont victimes de viols ou tentatives de viol, auxquels il faut rajouter les chiffres concernant les mineurs, encore plus importants estimés à 124 000 filles et 30 000 garçons. 83% des victimes de violences sexuelles rapportent n’avoir jamais été ni reconnues, ni protégées. Et alors que l’impact sur leur santé mentale et physique est majeur, le viol et les violences sexuelles faisant partie, avec la torture des pires traumatismes : 78% n’ont pas reçu de soins d’urgence et 1 victime sur 3 n’a pas pu trouver de psychothérapeutes formés. Et les rares victimes qui osent parler courent le risque d'être mises en cause et maltraitées, d’ailleurs seules 10% des victimes osent porter plainte suite à un viol ou une tentative de viol, de nombreuses plaintes seront classées ou aboutiront à un non-lieu, de nombreux viols seront déqualifiés en agressions sexuelles, et au final, seuls 1% des viols feront l’objet d’une condamnation.
Pourquoi les droits des victimes de violences sexuelles sont-ils à ce point bafoués ? Pourquoi cette absence de protection, de soins, et ce manque de solidarité perdurent-ils ?
Notre enquête nous donne des éléments de réponse, en montrant à quel point des stéréotypes, des idées fausses et une méconnaissance de la réalité des viols et des violences sexuelles et de leurs conséquences sont omniprésents, et alimentent un déni et ce qu’on appelle la culture du viol.
La « culture du viol » par un habile retournement met en cause la victime et non l’agresseur. La victime c’est la coupable : «elle a menti…, les violences n’existent que dans son imagination ; elle les a bien cherchées en étant provocante, en ne faisant pas assez attention, en ne résistant pas assez à son agresseur… ; elle les a voulu, elle aime être contrainte, etc.»
La méconnaissance des chiffres des viols qui sont sous-estimés, de la loi qui fait que nombre de viols ne sont pas identifiés comme tels, du pourcentage de victimes qui portent plainte qui est sur-estimé, participe à rendre invisible beaucoup de viols.
Les mythes et les idées fausses font que pour la plupart des personnes les viols sont commis essentiellement dans l’espace public, par des personnes inconnues usant de violences, sur une jeune femme «attractive sexuellement», le plus souvent une adolescente (pour plus de la moitié des personnes interrogées) ayant eu une attitude provocatrice ou irresponsable (mythe de la lolita). Ils sont trop souvent considérés comme un acte sexuel, avec une confusion entre sexualité et violence, et une adhésion au mythe sexiste d’une sexualité masculine qui serait naturellement violente, pulsionnelle et prédatrice, et d’une sexualité féminine passive, justifiant la réduction du corps des femmes et des enfants à celui d’objet sexuel.
Non, les viols n’ont pas principalement lieu dans l’espace public par un inconnu comme le pensent plus de 40% des personnes interrogées : ils se produisent le plus souvent dans la famille ou dans le couple, au domicile de la victime, à son travail, dans les institutions, par une personne connue dans plus de 90% des cas, un conjoint ou ex-conjoint pour près de 50% des viols sur des femmes adultes, par un membre de la famille pour plus de 50% des viols sur mineur-e-s.
Non, les viols ne sont pas en partie provoqués par l’attitude séductrice de la victime et la difficulté à savoir ce qu’elle veut, les risques qu’elle prend ou la plus grande difficulté des hommes à maitriser leur désir sexuel comme le pensent plus d’un quart des français-e-s. Les viols ne sont pas de la sexualité, ce sont des actes d’instrumentalisation et de destruction, le comportement de la victime ne la rend en aucun cas responsable du crime qu’elle subit, celle-ci est avant tout une enfant (51% des violences sexuelles sont subies avant 11 ans). Les viols se produisent dans le cadre d’inégalité de pouvoir ce qui explique que les enfants en soient les principales victimes, puis les femmes, ce qui explique aussi que les personnes handicapées et discriminées en subissent beaucoup plus (4 fois plus pour les personnes handicapées). Le viol est froidement intentionnel et procède d’une volonté du violeur de soumettre, d'exercer un pouvoir en prenant possession du corps d'autrui pour l'instrumentaliser à sa guise.
Non, une femme n’aime pas être contrainte ou forcée, et en aucun cas dire non, voudrait dire oui, ou céder signifierait consentir comme le pensent encore 1 personne sur 5.
Cette culture du viol est alimentée également par la méconnaissance du formidable pouvoir de soumission, d’emprise et de colonisation des violences sexuelles. Si les français-e-s interrogé-e-es sont 95% à être conscients de la gravité des conséquences des violences sexuelles sur la santé des victimes et 72% sur leur grande difficulté à être prises en charge, ils ne connaissent pas les mécanismes psychotraumatiques de sidération qui paralyse la victime et de dissociation qui la déconnecte de ses émotions et l’anesthésie. De façon particulièrement injuste, on va reprocher à la victime des comportements qui sont directement dus à des effets du psychotraumatisme et à des mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde face à un stress extrême que la victime n’a aucun moyen de contrôler, Comment dans ces conditions une victime pourrait-elle se défendre, fuir, porter plainte rapidement, se relever et tourner la page ? Sans aide, ni protection, elle est condamnée à survivre en mettant en place des stratégies de survie hors norme, avec des conduites d’évitement, de contrôle, et des conduites dissociantes pour s’anesthésier : addictions, mises en danger, etc. (2)
Non, une femme qui n’a pas crié, qui ne s’est pas défendue et qui de ce fait n’a pas fait fuir son violeur, ne peut être mise en cause, contrairement à ce qu’estiment plus de 40% des personnes interrogées.
Ce qui est terrible c’est que ces mythes sont beaucoup présents chez les plus jeunes, et les femmes y adhérent un peu plus que les hommes.
La lutte contre ce système commence par la déconstruction des mythes et des fausses représentations sur les violences sexuelles, et cela passe par la sensibilisation et l’information du grand public et des victimes, et dans le cadre d’une prévention de ces violences sexuelles d’une éducation à la sexualité, et à l’égalité filles-garçons dès le plus jeune âge.
Et il est impératif de lutter contre l’impunité, contre l’absence de reconnaissance des violences sexuelles, de protéger les victimes et de respecter leurs droits à être accompagnées, soignées et à obtenir justice et réparation des préjudices qu’elles ont subis en améliorant les procédures judiciaires.
Car les victimes payent déjà un lourd tribut, avec des conséquences très lourdes sur leur vie et leur santé, la dernière chose dont elles ont besoin c’est bien d’êtres culpabilisées, mises en cause et maltraitées. Les victimes ont besoin d’être crues, reconnues comme victimes, qu’on leur dise qu’elles ne sont en aucun cas responsables de ce qu’elles ont subi et que rien ne justifie les violences sexuelles : il est essentiel de les informer sur leurs droits, de les soigner et de ne pas les abandonner.
Pourtant si les soins sont efficaces, et que, contrairement à ce que pensent près de 70% des Français-e-s, il n’est pas impossible de se remettre d’un viol et de guérir de ses traumatismes, la plupart des victimes n’en bénéficient pas et développent des symptômes traumatiques qui les poursuivent tout au long de leur vie. L’absence de prise en charge est une perte de chance considérable pour les victimes et un véritable scandale de santé publique. Il est urgent d’informer le public sur les conséquences des violences sexuelles et de former tous les professionnels impliqués dans la lutte contre les violences, l’accompagnement et la prise en charge des victimes, à ces conséquences et à leur repérage.
Sortir du déni, protéger et soigner les victimes de violences sexuelles est une urgence de santé publique et un devoir politique. Nous réclamons la mise en place en toute urgence d’un plan global de lutte contre les violences sexuelles. Cette lutte doit être prioritaire pour les pouvoirs publics et doit également concentrer ses efforts sur la prévention de ces violences auprès des plus jeunes, et sur la formation de tous les professionnels qui sont en contact avec les victimes pour améliorer leurs parcours et déconstruire tous tes les idées fausses qui nuisent gravement aux victimes et assurent aux agresseurs une impunité quasi totale (3).
Dre Muriel Salmona
présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
1- Enquête nationale de victimation Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, MémoireTraumatique et Victimologie, 2015 soutenue par l’UNICEF . et celle du CESE : VION, Pascale, Combattre toutes les violences faites aux femmes, des plus visibles aux plus insidieuses,
Conseil Economique Social et Environnemental, Les éditions des Journaux officiels, novembre 2014
2- cf de Muriel Salmona Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses, Dunod, 2015
3- cf les 8 recommandations de notre rapport d’enquête « Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles»
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