samedi 12 mars 2016

Article de la Dre Muriel Salmona publié par Le Plus de l'Obs : Culture du viol : 3 solutions pour changer les mentalités et lutter contre ces violences






Violences sexuelles : Comment soigner et protéger ces victimes

Dre Muriel Salmona


LE PLUS. Pour 27% des Français interrogés, dans le cadre d'une enquête sur le viol et les violences sexuelles, la responsabilité du violeur est atténuée si la victime portait une tenue sexy. Cette étude, menée par l'association Mémoire traumatique et victimologie révèle des résultats effrayants. Mais alors que faire pour que les mentalités changent ? La réponse de Muriel Salmona, présidente de l'association.
Édité par Barbara Krief  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux le 08-03-2016



Les résultats de l’enquête "Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles" conduite par IPSOS à la demande de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie et rendus publics le 2 mars 2016, ont choqué les médias et l’opinion publique, en révélant à quel point les fausses idées sur les viols, les stéréotypes sexistes et la culture du viol qui met en cause la victime ont la vie dure !

Il paraît incroyable, qu’en 2016 les Français-e-s soient :

- 40% à penser qu’une attitude provocante de la victime en public, atténue la responsabilité du violeur, et que si elle se défend vraiment elle peut le faire fuir ;

- 30%, qu’une tenue sexy excuse en partie le violeur ;

- plus des 2/3 à adhérer au mythe d’une sexualité masculine pulsionnelle et difficile à contrôler, et d’une sexualité féminine passive ;

- et plus de 20% à considérer que des femmes aiment être forcées et ne savent pas ce qu’elles veulent, etc.

Pourquoi, si les résultats de cette enquête suscitent autant d’indignation en sommes-nous encore là ? Comment changer ces mentalités qui paraissent d’un autre âge et que faut-il faire pour lutter enfin de façon efficace contre ces violences ?

10% seulement des victimes de viols portent plainte

Pour nous, qui sommes depuis plus de 25 ans sur le terrain à accompagner et prendre en charge des victimes de violences sexuelles, ces résultats n’ont rien d’étonnant. Ils sont le reflet fidèle de ce à quoi sont confrontées les victimes tout au long de leur parcours, quand elles prennent le risque de parler à des proches ou à des professionnels. Nous savons, et c’est tout aussi incroyable, que :

- 83% des victimes de violences sexuelles témoignent qu’elles n’ont jamais été ni protégées, ni reconnues [1] ;

- 10% seulement des victimes de viols portent plainte (et 2% pour les viols conjugaux) avec 1% de condamnation [2] ;

- 78% des victimes de viol n’ont pas reçu les soins indispensables en urgence, et seules 2 victimes sur 3 trouvent un psychothérapeute formé, en moyenne au bout de 13 ans [1].

Les victimes de viols, si elles parlent, vivent dans la peur : peur de représailles, peur d’être blâmées ou de ne pas être crues, peur que l’extrême violence qu’elles ont subie ne soit pas reconnue ou soit minimisée, peur d’être prises pour des menteuses, des folles, des idiotes incapables de se protéger, des méchantes, peur d’être culpabilisées, humiliées, accusées, rejetées…

La France manque de solidarité et d’empathie pour les victimes

Pourquoi cette impunité pour les agresseurs, et ce manque si choquant de solidarité et d’empathie pour les victimes, alors que les Français-e-s sont 95% à reconnaître que subir des violences sexuelles est très grave, et entraîne de lourdes conséquences sur la santé ?

Justement, parce que la culture du viol colonise les esprits et édicte qu’il y a de "bonnes" et de "mauvaises" victimes, aux "bons" ou "mauvais" comportements, et qui correspondent à de "vrais" ou de "faux" viols. Et que cela nuit gravement à la très grande majorité des victimes et les renvoient au silence et à la solitude. Mais ce qui alimente beaucoup plus insidieusement le déni, c’est une profonde méconnaissance :

- de la définition du viol (les pénétrations digitales et les fellations forcés n’étant pas identifiées comme tel), des chiffres qui sont sous-estimés (50.000 viols par an au lieu de 250.000), de qui sont les victimes (principalement des enfants (3) et de qui sont les agresseurs (des personnes connues de la victime dans 90% des cas, pour moitié des membres de la famille et des conjoints, qui se recrutent dans tous les milieux) (2) ;

- de la stratégie des agresseurs, de leur volonté de destruction qui n’a rien d’un désir sexuel, et de l’impunité inconcevable dont ils bénéficient, qui leur donne un sentiment de toute-puissance et permet à bon nombre d’entre eux de mener une longue carrière d’agresseur avec des victimes sur plusieurs générations (4) ;

des conséquences de l’impact traumatique des violences sexuelles sur les victimes, de la sidération qui paralyse leurs fonctions supérieures et les empêche de se débattre, de crier et de fuir ; de la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement et physiquement tant qu’elles restent en contact avec les agresseurs, et les met sous mode automatique, donnant l’impression qu’elles tolèrent des niveaux très élevés de violences. Mais aussi de la mémoire traumatique qui leur font revivre à l’identique, avec des flashbacks incontrôlables, les pires moments des violences comme une machine à remonter le temps.

La non-prise en compte de ces mécanismes participe grandement à la mise en cause des victimes et à leur décrédibilisation, particulièrement lors des procédures judiciaires. Et l’absence de soins les maintient dans des processus de dissociation et d’emprise qui sont un facteur de risque important de re-victimisation.

Les victimes ne seront pas identifiées comme telles

Ces méconnaissances vont escamoter la plupart des viols et des agressions sexuelles, et les victimes ne seront pas identifiées comme telles.

Leurs comportements et leurs symptômes ne seront pas reliés aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques, ni considérés comme normaux, ils seront mis sur le compte de leur âge, de leur sexe, de leur origine ou de leur handicap, d’une limitation intellectuelle, de troubles de la personnalité ou de pathologies psychiatriques avec parfois des diagnostics erronés de psychoses (la mémoire traumatique étant prise pour des hallucinations et un délire) (4) .

Certains pourront penser que les femmes et les adolescentes sont assez débiles pour supporter d’être dégradées, humiliées, que les personnes qui s’alcoolisent, se droguent, sont boulimiques, se mettent en danger ou tentent de se suicider, le font par manque de volonté et par nature, sans se préoccuper de la souffrance que cela traduit, ni de ce qui en est à l’origine.

Des soins efficaces existent 

Beaucoup pourront même penser que si une fille semble indifférente à un viol collectif, si une femme est incapable de dire non à des propositions déplacées et dégradantes, ou reste avec un mari qui la violente et la viole depuis 30 ans, supporte des tortures sexuelles dans le cadre de "jeux" dit sado-masochistes, si une personne prostituée semble tolérer sa condition, c’est comme ça : "il y a des personnes qui n’ont pas de dignité… particulièrement parmi les femmes…"(4).

Sans se rendre compte que toutes ces personnes dissociées et maltraitées, sont celles qui sont les plus lourdement traumatisées par les violences sexuelles qu’elles ont subies, souvent depuis l’enfance.

Alors que les soins sont efficaces et permettent de guérir les traumatismes (contrairement à ce que pensent près de 70% des Français-e-s), trop de victimes n’en bénéficient pas et développent des symptômes traumatiques qui les poursuivent tout au long de leur vie. L’absence de prise en charge est une perte de chance considérable pour leur santé, et un facteur de risque de subir à nouveau des violences (4).

3 axes prioritaires et 8 recommandations

Pour changer cette situation intolérable, il est nécessaire de mettre en place de toute urgence une politique ambitieuse, et nous proposons trois axes prioritaires et huit recommandations (1).

I - Lutter contre le déni, la loi du silence et les idées fausses avec :
  1. une information du grand public par de nombreuses campagnes nationales pour déconstruire les mythes et sortir du déni, sans oublier des focus sur la loi et les droits des victimes, sur les psychotraumatismes et leurs mécanismes, sur les ressources à la disposition des victimes et de leurs proches et les conduites à tenir (plainte, signalement au procureur même si les faits sont prescrits, comment garder des preuves, prise en charge) ;
  2. une sensibilisation et une formation de tous les professionnels qui sont susceptibles de repérer, d’orienter ou d’accompagner les victimes tout au long de leurs parcours ;
  3. une prévention des violences sexistes et sexuelles, dès le plus jeune âge, et un enseignement sur le respect des droits des personnes et de leur consentement, sur la loi, ainsi qu’une une éducation à la sexualité, à l’égalité filles-garçons et à la non-violence ;
  4. une charte en concertation avec les publicitaires et les différents médias d’information et de production de contenu afin qu’ils ne participent plus à la diffusion de représentations sexistes, et d’idées fausses concernant les violences sexuelles.
II - Lutter contre l’impunité des agresseurs et faciliter la dénonciation avec :
  1. une amélioration de la loi, en  vérifiant son application (imprescribilité, arrêt des déqualifications, meilleure prise en compte et définition des éléments constitutifs des agressions sexuelles et des viols, instauration dans la loi d’un âge au-dessous duquel le consentement des mineur-e-s est invalide, etc.) ;
  2. une véritable culture de la protection des victimes et du respect de leurs droits à être accompagnées et à obtenir justice et réparation des préjudices qu’elles ont subis sans être maltraitées, ni subir de nouveaux traumatismes, en améliorant les procédures judiciaires et en prenant en  compte les psychotraumatismes, avec un effort particulier centré sur la protection de l’enfance.
III - Lutter pour que les victimes ne soient plus abandonnées sans soins, pour que leurs droits à la santé soient respectés avec :
  1.  une réelle reconnaissance des conséquences psychotraumatiques sur la santé des victimes (5), en améliorant l’offre de soins spécialisés actuellement très insuffisante, avec une formation de tous les professionnels de la santé à la psychotraumatologie, et la création en urgence de centres de soins pluridisciplinaires accessibles à toutes et tous  sur tout le territoire français (métropole et DOM-COM) proposant des soins sans frais prodigués par des professionnels spécialisés
  2. et enfin, un observatoire national spécifique de recherche pour améliorer la connaissance des conséquences des violences sexuelles sur la santé, et le traitement des psychotraumatismes.
Lutter contre ces violences sexuelles, sortir du déni, protéger et soigner les victimes est un devoir politique et une urgence de santé publique.



Traumatique et Victimologie, 2015 soutenue par l’UNICEF


3- 81% des violences sexuelles ont lieu avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21 % avant 6 ans cf 1)

4- cf de Muriel Salmona Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses, Dunod, 2015

5- 95% des victimes ont un impact sur leur santé mentale et 70% sur leur santé physique cf 1)







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