mercredi 11 novembre 2015

Nouvel article de la Dre Muriel Salmona dans le Plus de l'Obs : VIDÉO. "Est-ce un viol?" sur la BBC : la télé explique le consentement. Risqué mais utile







VIDÉO. "Est-ce un viol?" sur la BBC : la télé explique le consentement. Risqué mais utile





LE PLUS. Ce lundi, la BBC diffuse son émission "Is This Rape? Sex On Trial". Le concept ? 12 adolescents et 12 adolescentes visionnent une scène fictive de sexe avant de décider s'il s'agit d'un viol ou d'un rapport consenti. Les téléspectateurs sont aussi invités à répondre à la question : "Est-ce un viol ?". Un programme utile ou dangereux ? Réponse de la psychiatre Muriel Salmona.




Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par   Barbara Krief   Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Publié le 02 novembre 2015





La nouvelle émission de la BBC "Is this Rape?" ("Est-ce un viol?") diffusée ce lundi 2 novembre est, à priori, une émission à but pédagogique, qui aborde la problématique du consentement à des actes sexuels.

Faire comprendre la notion de consentement  

La chaîne destine ce programme à un jeune public, et le fait réfléchir à ce qui est ou non un viol, ce qui ne peut être que très utile. Surtout quand on sait à quel point ces notions sont méconnues, et combien sont alarmants les chiffres de viols et de tentatives de viols commis chaque année, principalement sur des mineurs (1).
  
Rappelons qu’en France près de 25% des viols sur mineurs sont commis par des adolescents, que les victimes de viol sont le plus souvent condamnées au silence, ne sont ni protégées, ni reconnues et que rares sont celles qui portent plainte (2). En cause sont le déni et la loi du silence, la culpabilisation et le sentiment d’humiliation des victimes, leur peur de ne pas être crues et la difficulté qu’elles ont de parler en raison de leurs troubles psychotraumatiques (3).

Si des adolescentes et des adolescents pouvaient à la suite de cette émission répondre clairement à des questions telles que :

"Est-ce qu’on a le droit de m’imposer un acte sexuel que je ne souhaite pas ?", "est-ce que ce que j’ai subi est un viol ?", "est-ce que j’ai le droit de faire pression pour obtenir un acte sexuel et de ne pas tenir compte du non-consentement d’une personne, fut-elle ma partenaire ?", ou bien "est-ce que ce que je m’apprête à faire est un viol ?", ce serait un pari gagné.

Le risque d'entretenir la culture du viol

Encore faut-il que cette émission soit clairement informative, avec des analyses éclairées des viols, non seulement juridiques (ce que la BBC semble avoir prévu avec la présence d’un expert juridique), mais également systémiques prenant en compte les contextes sexistes et d’inégalité hommes-femmes, et la tendance à la mise en cause des victimes (ce que la BBC ne semble pas avoir prévu).

Il est nécessaire aussi d’expliquer l’impact médical et psychotraumatique d’un viol, dont il faut avoir conscience pour comprendre et bien interpréter les réactions des victimes, (la BBC n’a prévu que le témoignage d’une victime pour informer sur la gravité du traumatisme que représente un viol).

Sans cela, le risque est grand que les votes des 24 adolescents (12 filles et 12 garçons) et des auditeurs reflètent avant tout les idées fausses qui imprègnent nos sociétés sur la sexualité et sur le viol, minimisent les comportements sexuels violents des hommes, banalisent la soumission sexuelle des femmes et l’instrumentalisation de leurs corps, et véhiculent des stéréotypes culpabilisants, sous-entendant que la victime a provoqué la situation ou en est responsable, ce qui fait partie de la culture du viol (4).

Attention aux victimes

L’émission prend la forme d’un vote : après avoir visualisé la reconstitution d’une situation jouée par des acteurs, les adolescents participants sont invités à répondre à trois questions.

Cette formule fait penser à la mise en scène d’un procès d’assises avec 24 "jurés" mais sans toutes les longues procédures d’enquêtes, d’expertises, de témoignages et de plaidoiries d’un véritable procès.

Cela fait craindre une simplification des analyses et des réponses qui pourront être caricaturales, voire traumatisantes et dangereuses pour des victimes qui après avoir regardé l’émission pourront être incitées à se refermer encore plus, comme le redoutent les associations anglaises d’aide aux victimes de viol.

C’est pour cela que l’émission ne doit pas se perdre dans une mise en scène ludique de télé-réalité ou de forum, où toutes les opinions auront droit de cité, ni faire l’impasse sur des connaissances indispensables à transmettre pour identifier une situation de viol et analyser la notion de consentement.

Comment reconnaître un viol 

Quelles sont ces connaissances indispensables pour identifier une situation de viol et analyser la notion de consentement ?

En premier lieu il faut connaître la réalité du viol et sa définition légale. En Angleterre, le viol se définit par des pénétrations en l’absence de consentement de la victime (5).

Le choix des situations proposées par les téléfilms devront refléter la réalité des viols qui sont avant tout commis par des proches, dans 80 % des cas pour les adultes et 94 % des cas pour les enfants – les viols sur les mineurs sont les plus nombreux – ; près de 50 % des viols d’adultes sont le fait de partenaires, plus de 50% des viols d’enfant sont le fait de membres de la famille (2).

Les viols se produisent le plus souvent au domicile de la victime, à son travail, dans son école ou dans une institution. Du fait de la stratégie de contrainte de l’agresseur, nombre de viols se font sans violence physique autre que le viol lui-même sur des personnes qui ne sont pas en mesure de s’opposer, ni de se défendre.

En France, la moitié des viols seulement sont commis avec violence, et seulement 12 % sous la menace d’une arme (6).

Céder n’est pas consentir

Il est très important de rappeler que la loi ne définit pas le viol ou l’agression sexuelle par rapport aux actes et paroles de la victime mais uniquement par rapport aux agissements de l’agresseur. L’infraction de viol est constituée si l’agresseur a usé de violence, contrainte (qui peut être physique ou morale), menace ou surprise pour atteindre son but, pour mettre la victime dans l’impossibilité de manifester sa réelle volonté et lui imposer (c’est-à-dire l’obliger à faire ou à subir) des actes sexuels.

Céder n’est pas consentir. De nombreuses contraintes physiques, morales ou économiques peuvent permettre à une personne d’imposer des actes sexuels à une autre personne qui n’en veut pas, et qui les subira sans dire mot, ni s’opposer.

La loi reconnaît d’ailleurs une contrainte morale invalidant l’absence de manifestation de non-consentement de la part de la victime, ou le consentement lui-même, si celui-ci est vicié du fait de la vulnérabilité de la victime et de l’emprise qu’exerce l’agresseur sur celle-ci.

Seuls les actes de l'agresseur comptent

Le consentement doit être libre et éclairé, et la volonté de la personne ne doit pas être abolie, entravée ou forcée. C’est-à-dire qu’il doit être exprimé clairement et provenir de la volonté d’une personne ayant toutes ses compétences intellectuelles, affectives et émotionnelles pour le donner, et toutes les connaissances pour en connaître les implications. Une relation sexuelle ne s’extorque pas.

Avoir une relation sexuelle avec une personne qui a trop bu, qui est droguée ou inconsciente, et donc dans l’incapacité de donner son consentement, de s’opposer et de réaliser ce qui se passe, c’est un viol.

Les stratégies de "séduction" qui utilisent la pression et qui acculent une personne à céder à des demandes de nature sexuelle par un chantage affectif, ou par une mise en scène de dette, en contrepartie d’une aide, d’un service, d’un travail, d’un logement, d’une protection, sont des violences sexuelles.

De même, les stratégies utilisant la surprise, la tromperie, avec des mises en scène éducatives, de jeux, ou de soins, et qui profitent de la méconnaissance de la victime et de sa confiance.

Peu importe le passé de la victime, l’infraction est constituée exclusivement en fonction des stratégies mises en œuvre par l’agresseur pour atteindre son objectif "quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage" (loi pénale). Celui-ci ne peut donc plus se défendre en disant qu’il a légitimement pu croire au consentement de la victime du fait de ces relations.

Les impacts psychotraumatiques 

Il faut connaître les impacts psychotraumatiques sur la victime qui sont des phénomènes universels en cas de violences. Le phénomène de sidération qui paralyse la victime et l’empêche de réagir, de crier, de fuir, et celui de dissociation et de mémoire traumatique.

Ils sont tous les deux produits par des mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde déclenchés par le cerveau qui font disjoncter les circuits émotionnels et de la mémoire, en produisant un état d’anesthésie émotionnelle, avec une victime qui est spectatrice de l’événement, comme indifférente, et des troubles de la mémoire et des repérages temporo-spatial, avec des amnésies d’un côté et de l’autre une mémoire traumatique non intégrée qui fait revivre à l’identique les pires moments du viol. Comme s’ils se reproduisaient à nouveau avec les mêmes ressentis, la même détresse, les mêmes douleurs, comme une torture sans fin (3).

Cela entraîne une sorte de pseudo-tolérance, et empêche d’autant plus la victime de se protéger et d’avoir des réactions de défense adaptées. La victime se retrouve comme un pantin.

La BBC prend un gros risque


Dès lors que la victime souffre de troubles pyschotraumatiques, l'agresseur a la possibilité d’assurer son contrôle et son emprise et d’imposer facilement son scénario culpabilisant (c’est de ta faute, tu m’as cherché, tu mérites ce que je t’ai fait, tu aimes ça…) ou mystificateur (c’est parce que je t’aime, c’est normal, ce n’est pas grave…). Il peut même parvenir à lui faire jouer un rôle actif, à la faire participer aux violences, à lui imposer des comportements qui seront ensuite des sources de culpabilisation et de honte pour elle, et qui pourront lui être reprochés ensuite (3).

Ces phénomènes de sidération psychique et de dissociation traumatique servent trop souvent de prétexte pour mettre en cause les victimes et considérer qu’elles étaient consentantes, alors qu’il s’agit de symptômes psychotraumatiques qui sont une preuve de la gravité des violences subies.

La BBC a donc un rôle important à jouer en abordant ce sujet dans son nouveau concept d'émission. Le danger étant que les défauts et manquements du programme heurtent davantage les victimes et, paradoxalement, transmettent aux jeunes adolescents un message erroné. L'ambition est aussi grande que le risque. 


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article. Comme vous je trouve le concept extrêmement casse-gueule, surtout vis-à-vis des victimes, sauf si des personnes déconstruites et particulièrement averties et renseignées sont en charge de la production. À voir donc : /