Tribune de la Dre Muriel Salmona pour Le Monde parue le 12 janvier 2021 :
"L'omerta sur l'inceste pourrait bien se briser"
La sortie de La Familia grande de Camille Kouchner est une déflagration. Depuis 2017 le mouvement #MeToo brise le silence et amplifie de plus en plus la voix des victimes et de leurs soutiens. Maintenant l'omerta sur le crime sexuel qu'est l’inceste pourrait bien s’effondrer, libérant enfin la voix de millions de victimes bâillonnées par l’institution familiale d’une société patriarcale.
Il était temps ! La propagande pédocriminelle n’a plus le vent en poupe, la tolérance n’est plus de mise. Le système qui gangrénait les représentations sur les violences sexuelles est en train de se lézarder, ce système d’une efficacité redoutable pour rendre toute dénonciation impossible ou illégitime, pour culpabiliser les victimes, les dévaloriser, les isoler et les livrer à l'opprobre, les privant de protection, de justice, de réparations et de soins (83 % n'ont jamais été protégées). (& qui n'apparaît pas dans La Tribune publiée par Le Monde)
L'impunité des pédocriminels est quasi totale : moins de 10% des viols font l’objet de plaintes, dont 74% classées sans suite. 50% des plaintes instruites sont déqualifiées en agressions sexuelles ou en atteintes sexuelles (impliquant que l’enfant était consentant), et seules 10% des plaintes pour viol sont jugées comme telles (1). En 10 ans les condamnations pour viol ont diminué de 40%, alors que les chiffres de la pédocriminalité explosent (2). En 2019 il y avait 70 millions de vidéos et de photos pédocriminelles en ligne, deux fois plus qu’en 2018, et la France est le 2ème pays européen et le 4ème pays au monde en nombre de sites et d’utilisateurs de ces sites (3). Ces vidéos d'enfants en train de subir des sévices sexuels (50% ont moins de 10 ans, 80% sont des filles) proviennent avant tout de violences sexuelles incestueuses (3).
Que fait-on en France ? Quasiment rien ! Pas de plan Marshall, pas de volonté politique, on propose une commission présidée par Elisabeth Guigou (proche d’Olivier Duhamel…) qui rendra ses conclusions fin 2023… On se moque du monde !
Le droit international oblige les États à prévenir et punir ces crimes qui sont de graves violations des droits humains, la Cour européenne des droits de l'homme les qualifie d’actes cruels, dégradants et inhumains, et le Parlement européen a voté en juin 2020 la résolution 2 330 exhortant à en faire une lutte prioritaire, à rendre ces crimes imprescriptibles, et à un instaurer un seuil d’âge du non-consentement à 18 ans. En France la société invisibilise les victimes, en attendant qu’elles parlent alors que tout s’y oppose. Elle continue à discréditer leurs témoignages, à leur reprocher des comportements qui sont pourtant des preuves de leur traumatisme, à justifier ces crimes sous couvert de liberté sexuelle et de consentement d'enfants, à refuser de faire un lien entre les symptômes des victimes et les violences qu'elles ont subies, malgré les énormes découvertes épidémiologiques dans ce domaine depuis 30 ans ! Ne formant toujours pas les médecins, ne dépistant pas les victimes, ne déployant pas les centres pour victimes de viols ouverts 24h/24 exigés à l'article 25-142 de la Convention d’Istanbul (6), seuls 10 centres du psychotraumatisme ont été créés sur les 100 initialement prévus…
Comment pouvons-nous tolérer qu’autant d’enfants, une fille sur cinq et un garçon sur treize (4), subissent des violences sexuelles sans être protégés ni soignés alors que les psychotraumatismes se traitent ? Ces crimes font basculer l’enfant dans un monde où ses repères explosent, où il est déshumanisé, saccagé par ceux qui sont censés le protéger.
Les violences sexuelles font partie des traumatismes les plus graves, elles entrainent de graves altérations neurologiques et des conséquences sur la santé catastrophiques, qui pourraient être évitées si les victimes étaient protégées et soignées. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le premier facteur de risque de mourir précocement, de se suicider, d’avoir des dépressions à répétition, des troubles anxieux graves, des troubles alimentaires, des conduites addictives, des troubles cardio-vasculaires, immunitaires…, de se mettre en danger et de subir à nouveau des violences (5). Ces violences sont un important facteur de risque de précarité, d’exclusion, elles renforcent les inégalités et les discriminations.
Les enfants doivent survivre seuls au violences, en proie à une dissociation traumatique qui les anesthésie et les rend fréquemment amnésiques, et à une mémoire traumatique (l’hydre de Camille Kouchner) qui leur fait revivre à l’identique l’horreur des violences et des mises en scène dégradantes et colonisantes des agresseurs, et les condamne à développer des stratégies de survie épuisantes et handicapantes pour y échapper.
Comment tolérer que les pédocriminels bénéficient d’une telle complicité, d’une telle impunité ? Comment tolérer de les côtoyer, de les laisser mettre en danger les enfants en bloquant toute possibilité de venir à leur secours ? Pourquoi personne n'a peur pour les enfants ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
Cette propagande pédocriminelle nous a colonisé. Sous couvert de liberté sexuelle, d’amour, de tendresse, d’éducation, d’élitisme, les pires violations des droits humains, les pires atteintes à la dignité et à l’intégrité physique et mentale ont pu être tolérées. La famille, espace perçu comme lieu de protection au-dessus de tout soupçon, a pu devenir une zone de non-droit où il est possible de détruire, instrumentaliser et exploiter sexuellement un enfant en toute impunité. Ces violences se retrouvent dans tous les milieux, le seul dénominateur commun étant les rapports de pouvoir à l’œuvre dans la famille où les agresseurs - des hommes dans neuf cas sur dix - en position dominante font régner leur loi.
Non, ces actes sexuels commis sur des enfants n’ont rien à voir avec de la tendresse, de l’amour, ni avec le désir sexuel. Il s’agit d'excitation perverse face à l’interdit, de prédation et de cruauté.
Les pédocriminels, en mettant en scène leur toute puissance et leurs privilèges, fascinent et recrutent de nombreux complices qui adhèrent au discours dominant. La prédation intentionnelle et l’emprise sont escamotées et il est facile de dire que l’enfant était consentant en arguant qu'il n’a pas dit non et ne s’est pas défendu.
Et pour ces enfants violés, détruits, ayant subi des injustices en cascade, leurs souffrances et leur désespoir sont tels que la moitié tentent de mettre fin à leur jour. Je les vois arriver exsangues à mon cabinet, si tard. Ils mettent en moyenne plus de 13 ans à trouver une prise en charge, un tiers renoncent et restent marginalisés.
Seul un vrai courage, une volonté politique exemplaire peuvent enrayer ce fléau. Nous avons les solutions, reste à les mettre en action d'urgence. Devant un tel déni tout est à réformer, la protection de l’enfance, la loi, la justice, les soins et la protection sociale.
Le moment est historique. L'onde de choc provoquée par ce livre marque un tournant. On pourrait presque reprendre espoir en un monde où la protection des enfants, la solidarité, la justice et le soin ne seraient pas de vains mots, un monde remis à l’endroit.
1 et 2 infostat Justice mars et septembre 2018
3 Dossiers du NewYork Times 28/09/2019 et 07/02/2020 les chiffres doublent chaque année, IWF 2018/19
4 OMS 2014
5 ACE 1998, 2010
6 Un par bassin de 200 000 habitants
Tribune de la Dre Muriel Salmona pour L'Humanité le 14 janvier 2021 :
Débat : Faut-il supprimer la prescription ?
Imprescriptibilité
Dans notre Manifeste Stop Prescription nous réclamons une imprescriptibilité pour les violences sexuelles sur mineurs, ou tout au moins une levée de prescription pour les crimes et délits en série, et en cas d’amnésie traumatique.
L’enjeu est de protéger tous les enfants des violences sexuelles, de rendre justice à tous ceux qui en ont été victimes et de lutter plus efficacement contre l’impunité des pédocriminels.
Les violences sexuelles sur mineurs sont une atteinte à la dignité humaine et de graves violations des droits humains aux lourdes conséquences sur la vie et la santé des enfants à long terme. Premier facteur de risque de mort précoce, de suicide, de dépressions à répétition, de troubles alimentaires, de conduites addictives, de troubles cardio-vasculaires, immunitaires, elles représentent un problème majeur de santé publique (1).
Ce sont des violences sexistes : 80% des victimes sont des filles, 90% des agresseurs sont des hommes Ce sont des violences discriminatoires : plus les enfants sont vulnérables et discriminés, plus ils en subissent, enfants handicapés (quatre fois plus), enfants racisés, placés en institution, mineurs étrangers. Elles ont de graves conséquences en terme d’égalité, de sécurité (premier facteur de risque de subir des violences tout au long de la vie pour les filles, et d’en commettre pour les garçons) et de cohésion sociale (elles aggravent les inégalités et augmentent les risques de précarité et d’exclusion). Les conséquences pour toute la société sont majeures (2). .
Il est impératif que ces violences sexuelles soient combattues avec détermination et fermeté. Le droit international les assimile à de la torture, et oblige les états à les prévenir et à en punir les auteurs. La Cour européenne des droits de l’homme les qualifie d’actes cruels, dégradants et inhumains et le Parlement européen exhorte les États à en faire une lutte prioritaire, et à rendre ces crimes imprescriptibles dans sa résolution 2330 votée en juin 2020.
L’ampleur de ces violences sur des mineurs de plus en plus jeunes (1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13), et dont la moitié sont incestueuses, est très préoccupante (3). Les chiffres de la pédocriminalité en ligne doublent chaque année ; en 2020 on estimait à 70 millions le nombre de vidéos et de photos pédocriminelles et la France est le deuxième pays d'Europe et le quatrième pays du monde en nombre de sites et d’utilisateurs de ces sites (4).
Le déni, la loi du silence, la culture du viol et l’lmpunité quasi totale (moins de 1% des pédocriminels sont jugés) sont en lien direct avec ces chiffres de plus en plus alarmants. Les pédocriminels peuvent ainsi se sentir tout-puissants et et faire de nombreuses victimes sur plusieurs décennies et plusieurs générations.
Tout s’oppose à ce que les victimes puissent dénoncer ces violences, il leur faut un temps considérable pour arriver à porter plainte. La difficulté à identifier et nommer ces violences, la dépendance, la peur de ne pas être crues, la honte et la culpabilité, les menaces et l’emprise, la gravité des traumatismes, l'amnésie traumatique présente chez 40% d'entre elles (souvent pendant des dizaines d’années) font que moins de 10% portent plainte. Il est alors souvent trop tard, les faits sont prescrits.
La prescription est particulièrement injuste et cruelle pour les victimes, d’autant plus que rien n’a jamais été fait pour les dépister, les secourir, les protéger, les soigner, les informer. Cette impunité doit être combattue en se donnant les moyens politiques pour le faire, l’imprescriptibilité en est un majeur, la Belgique s’en est doté récemment, la France doit faire de même.
1 ACE, Felitti et Anda,1998, OMS,2010
2 MTV/Ipsos 2019
3 OMS 2014
4 Dossiers du NewYork Times 28/09/2019 et 07/02/2020 les chiffres doublent chaque année, IWF 2018/19 et Internet Watch Foundation, 2018-2019
Entretien France-culture
Inceste : la psychiatre Muriel Salmona dénonce "une impunité effarante"
Un an après la publication de Le consentement par Vanessa Springora qui dénonçait l'emprise de l'écrivain Gabriel Matzneff alors qu'elle était mineure, Camille Kouchner sort un livre ce jeudi 7 janvier qui dénonce également des faits de pédocriminalité. Dans La Familia grande, au Seuil, la juriste accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d'avoir violé son frère jumeau dans les années 1980. Après la publication des premiers extraits du livre dans le journal Le Monde notamment, le parquet de Paris a annoncé ce mardi 5 janvier l'ouverture d'une enquête pour "viol et agressions sexuelles". Olivier Duhamel n'a pour l'instant pas réagi à ces accusations mais a démissionné de ses fonctions dans les institutions pour lesquelles il travaillait, en particulier à la tête de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).
L'enquête du parquet de Paris, confiée à la Brigade de protection des mineurs (BPM), vise à identifier d'autres éventuelles victimes et à "vérifier l'éventuelle prescription de l'action publique". Pour la psychiatre Muriel Salmona, spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles, il est urgent de légiférer sur l'imprescriptibilité des faits. Celle qui préside également l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie dénonce une "impunité effarante" et appelle à "réformer les lois pour qu'elles soient plus adaptées à la réalité des violences sexuelles".
Quand on regarde cette nouvelle affaire, on a l'impression qu'il y a un point commun, finalement, entre toutes ces affaires. Qu'en pensez-vous ?
Il y a un point commun, un côté universel à toutes ces affaires, quel que soit le milieu, le contexte. On retrouve beaucoup de situations identiques et surtout l’invariant en quelque sorte, qui est à la criminalité sexuelle ou à la pédocriminalité. L’invariant, c'est le déni, la loi du silence, la culture du viol qui a bâillonné les victimes et qui les a empêchées de parler. L'invariant, c'est la gravité des conséquences psychotraumatiques.
L’autre invariant, c'est le rapport de domination de l'agresseur qui crée une situation totalement hiérarchisée, tyrannique en quelque sorte, et qui recrute des complices et qui renvoie aux victimes qu'elles ne valent rien, qu'elles ne sont rien et que leur parole n'est pas légitime. Et cela marche.
Et le dernier invariant, c'est le temps que mettent les victimes à pouvoir dénoncer les faits, à parler, à être entendues. Parce que souvent, elles ont déjà parlé mais cela n'a servi à rien. Elles n'ont pas été entendues, elles en ont pris plein la figure : la justice n'est pas du tout à la hauteur avec la notion de prescription, avec l'impunité qui règne. C’est aussi tous les enfants dans le cadre de la pédocriminalité qui peuvent être en danger du fait de cette impunité effarante.
"Aucun milieu n'est épargné [...] Il peut y avoir des tyrans partout"
Il y a une sorte d'accumulation d'affaires de pédophilie, d'inceste, de violences sexuelles chez les puissants. On est là dans un milieu de grands intellectuels de gauche, de gens qui ont un réseau à Paris, mais même proches du gouvernement et dans les milieux culturels. Et avant cela, dans l'affaire Matzneff, c'était pareil. Nous sommes chez les puissants, qu’est-ce que cela dit ?
Cela dit deux choses. La première, c’est que c’est partout. Aucun milieu n'est épargné. Cela se retrouve partout. L'invariant, c'est aussi la puissance, la domination. Plus les gens sont en situation de domination, de toute-puissance, de rapports de force, pire c’est. Ce rapport de force peut s'exercer effectivement dans le milieu de la politique, dans le milieu du cinéma, dans le milieu culturel ou dans le sport. Mais il peut aussi s'exercer, bien entendu, dans la famille, ou dans des milieux sociaux défavorisés. Il peut y avoir des tyrans partout. L’invariant, c’est que cette violence-là est exercée essentiellement, dans 9 cas sur 10, sur des hommes et dans 8 cas sur dix sur des femmes dans des rapports aussi de discriminations sexistes et de stéréotypes, de culture du viol et de privilèges inouïs qui font qu'on peut esclavagiser, qu'on peut opprimer aussi des filles, des femmes pour en faire des objets sexuels.
Cela se produit-il parce que la société permet cette impunité ?
Oui, tout à fait, la société est complètement fascinée par le rapport de force et par la domination. Elle donne raison aux dominants. Nous sommes dans une société patriarcale, où ce qui est vraiment reconnu, voire adulé, c'est la toute-puissance. Et puis, du coup, cela génère aussi une sorte de privilèges sexuels : exploiter sexuellement autrui est encore extrêmement présent. Il y a une tolérance à la fois de la société et au niveau de la justice avec une impunité gravissime. Parce que cette impunité fait que les chiffres ne font qu’exploser. Et cela ne peut pas s'arrêter, cela devient de plus en plus grave, avec une impunité qui reste effarante, scandaleuse, puisqu’au mieux 1% des violeurs passent en cours d’Assises.
Que faudrait-il faire ? Est-ce une fatalité ou pas ?
Non, ce n'est pas une fatalité. Il faudrait faire déjà dégommer d'une certaine manière cette toute-puissance, ces privilèges, cette domination. Lutter contre le sexisme, contre toutes les formes de discrimination et d'inégalité. Lutter contre tous les stéréotypes, la culture du viol et repositionner la sexualité pour qu'elle soit une sexualité humaine et pas une arme de guerre contre les femmes et contre les enfants.
La sexualité est utilisée comme un instrument de domination, un instrument pour soumettre l'autre et exploiter l'autre. Or, ce n'est pas sa fonction. Sa fonction, c'est une rencontre humaine qui permet de donner la vie, cela n'a rien à voir.
Comment peut-on tout à coup penser que la sexualité est faite pour soumettre l'autre ?
La soumission de l'autre passe par l'intrusion dans son corps, la prise de possession du corps, le fait de dégrader l'autre en l’utilisant en objet, un objet de jouissance. Cela n'a rien à voir avec le désir, cela a à voir avec le fait que l'autre est réduit à son corps. C'est donc un instrument d'exploitation qui est utilisé dans les guerres et dans les crimes contre l'humanité, dans les génocides. C'est vraiment un instrument hyper puissant pour réduire l'autre à un stade d'objet, pour le dégrader.
Cela veut-il dire qu'il y aurait davantage de cas de violences sexuelles chez les plus puissants ?
Oui, certainement. Il faut savoir de quoi l'on parle avec les plus puissants. Cela peut être aussi une toute-puissance qui s'exerce uniquement dans le cadre de la famille, mais cela peut être une toute-puissance qui s'exerce dans plein de domaines, à tous les niveaux. En tout cas, l'utilisation de ces crimes, on le sait très bien avec la guerre, c'est-à-dire faire en sorte que des soldats commettent des viols, cela les rend beaucoup plus dangereux et beaucoup plus violents, criminels et puissants. Cela entraîne chez l'agresseur une anesthésie émotionnelle qui fait que cela permet de détruire le peu de reste d'empathie qu’ils peuvent avoir, d'humanité qu'ils peuvent avoir. Ils deviennent des machines et ils y perdent leur âme. Ils peuvent alors mettre en scène qu'ils sont au-delà des lois, au-delà du registre humain habituel et qu’ils peuvent écraser tous les autres. Ce privilège-là est vraiment très attractif, en quelque sorte, malheureusement, et fait qu'énormément d'hommes, puisque ce sont des hommes, y recourent.
Qu'en est-il de la fatalité que j'évoquais ?
Moi, je pense que ce n'est absolument pas une fatalité. C'est complètement construit par une histoire et des privilèges donc on peut abattre ces privilèges-là. On peut aussi changer complètement la donne en ayant un autre regard sur les victimes, en détruisant tout ce qui est de l'ordre de la culture du viol, en étant solidaires des victimes, en les entendant, en allant vers elles pour savoir ce qui leur est arrivé, en les prenant en charge, en soignant leurs troubles traumatiques pour éviter toutes les conséquences. Pour les femmes par exemple, quand elles ont subi des violences sexuelles dans l'enfance, il y a un continuum de violences catastrophiques qui font qu'elles vont subir à nouveau des violences tout au long de leur vie.
Cela pourrait donc permettre d'arrêter de reproduire ce système-là où ces hommes ont été baignés dans un univers au sein duquel la violence sexuelle était omniprésente. Il faut arrêter de stigmatiser les victimes et de considérer qu’être une victime, c'est vraiment la preuve d'une absence de valeurs et d'infériorité des personnes et de considérer que les tout-puissants ont tous les droits et que, sous couvert de puissance, sous couvert de l'art, sous couvert de soins, sous couvert de sports, ils peuvent exercer ces violences.
Il faut que cette tolérance s'arrête et que l'on réforme totalement la justice pour qu'il n’y ait plus d'impunité. Mais avant déjà de faire en sorte qu'il n’y ait plus d’impunité, il faut déjà que les victimes puissent parler, qu'elles puissent être entendues quand elles parlent, qu’elles puissent être prises en charge de telle sorte qu'elles puissent vraiment obtenir justice et ne pas être détruites totalement. La première cause des morts précoces, c'est d'avoir subi des violences sexuelles dans l'enfance. La première cause de suicide, c'est d'avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance.
Par quoi cela passe-t-il pour que les victimes qui parlent soient entendues ?
On a fait une enquête sur les violences sexuelles dans l'enfance. Les victimes sont 70% à parler. Elles mettent souvent dix ans en moyenne pour parler. Mais quand elles parlent, les trois quarts disent que cela n'a eu aucune conséquence. Et il n’y a que 8% d'entre elles qui vont être protégées quand elles ont parlé. C'est une catastrophe. Donc, il faut vraiment ne pas attendre qu'elles parlent parce qu'elles mettent beaucoup de temps à parler. Il faut aller les chercher. Il faut dépister, poser des questions. Il faut que tout le monde pose des questions.
Il faut qu'on arrête de penser que c'est normal qu’un enfant ait des comportements bizarres, des troubles alimentaires, s’alcoolise, se drogue, qu’il se scarifie, qu’il fait des tentatives de suicide, qu’il soit très mal, qu’il fasse des dépressions, qu’il ait des phobies. Il faut chercher à savoir ce qui se passe, d'où vient cette souffrance, poser des questions systématiques du côté des soignants. C'est un problème de santé publique énorme et le premier recours pour toutes les victimes, c’est le médecin. Il faut que les médecins soient engagés, ce qui n’est absolument pas le cas actuellement. Donc, il faut aller vers les victimes. Et quand elles parlent, il faut les entendre, il faut y croire. Pour cela, il faut être informé. Il ne faut pas avoir des œillères totales qui font que l’on se dit que ce n’est pas possible parce qu'une victime ce n’est pas cela.
"Les victimes sont 70% à parler. Elles mettent souvent 10 ans en moyenne pour le faire"
Souvent, ce qui est vraiment totalement inhumain et cruel, c'est qu'on reproche aux victimes les conséquences des violences. On leur reproche d'avoir été sidérées, de ne pas avoir échappé, de pas avoir pu crier, par exemple. On leur reproche toutes leurs conséquences traumatiques en disant que leur parole n'est pas crédible parce que les victimes ont plein de troubles psychiatriques. 90% des enfants qui ont subi des violences sexuelles ont des troubles psychiatriques parce qu'il s'agit de conséquences psychotraumatiques normales. Et puis, il faut voir aussi que les violences sexuelles s'exercent sur les plus vulnérables et les plus discriminés. Ce sont les enfants les plus jeunes, les plus vulnérables, les plus handicapés. Et donc, on va accorder beaucoup moins de valeur à leur parole. On le voit avec les classements sans suite, c’est atroce : plus les enfants sont jeunes, plus les actes sont gravissimes, atroces et nécessitent absolument d'être traités par la justice, moins ils vont être traités. On va considérer que le discours de l'enfant ne peut pas permettre de qualifier les faits. On va considérer qu’un enfant qui a des troubles psychiatriques importants, il raconte de toutes façons n'importe quoi. Qu’un enfant handicapé, ce n'est pas possible qu’on l’ait violé parce qu'on est encore dans le système où c'est par désir que les agresseurs violent. Ce n’est pas du tout cela, c'est vraiment une volonté de toute-puissance et une volonté de faire exploser toutes les règles humaines et éthiques.
Il faut arriver à ouvrir les yeux sur la réalité des violences. Il faut se dire que lorsqu’un enfant parle, il y a vraiment toutes les chances pour que ce soit vrai, au lieu de considérer qu’a priori, il doit raconter n'importe quoi. Et puis, savoir le faire parler, savoir lui expliquer, savoir le soulager de toute la honte et la culpabilité qu'ont organisé l'agresseur et le système agresseur et ses complices. Pouvoir lui donner des outils pour comprendre que non, c'est lui qui est normal, qu’il n'est pas fou. Nous, on a fait des brochures pour aider à remettre les choses à l'endroit. Dans ce cadre là, l'explication des conséquences psychotraumatiques permet quand même de vraiment démonter beaucoup de culture du viol, beaucoup de stéréotypes sexistes et de fausses représentations. C'est déjà un élément important.
Il faut réformer les lois pour qu'elles soient plus adaptées à la réalité des violences sexuelles. Elles ne sont pas encore suffisamment adaptées alors qu’il y a des recommandations internationales. Il faut qu'elles soient appliquées et c'est une autre paire de manches, car elles ne sont absolument pas appliquées. Actuellement, la notion de seuil d’âge est une catastrophe, le fait qu’il n’y ait pas de seuil d’âge du non-consentement et qu'on puisse rechercher le consentement de l’enfant pour pouvoir qualifier la contrainte, la menace, la surprise et la violence, c'est une catastrophe. On veut donc un seuil d’âge du non-consentement et on veut une imprescriptibilité des faits parce que la prescriptibilité organise l'impunité : par définition, particulièrement pour les enfants, il y en a qui mettent très longtemps à parler, certains ont des problèmes d’amnésie traumatique. Il y a le fait qu'on soit en contact avec le système agresseur qui continue à peser en termes d’emprise, de terreur sur l'enfant et qui alimente les troubles psychotraumatiques. Cela met donc énormément de temps à pouvoir émerger. Il faut comprendre qu'à chaque fois qu'un enfant devenu adulte arrive à parler, il est susceptible de protéger beaucoup d'autres enfants. C’est vrai que dans l'absolu, là, on le voit, le parquet a fait son travail dans l’affaire Duhamel, c’est-à-dire que même si les faits sont prescrits, il est toujours possible malgré tout d’enquêter. Mais c'est absolument impossible de se retrouver dans une situation où on va enquêter et où on va trouver d'autres victimes, un peu comme dans l’affaire Le Scouarnec : il va y avoir des victimes qui ont subi les mêmes faits criminels par le même auteur et certaines pourront avoir accès à la justice et d'autres pas. Ce n’est pas possible. Les violences sexuelles se reproduisent dans la durée, sur plusieurs générations, souvent par le même auteur : la loi doit donc être là pour protéger les victimes et non pas pour protéger les agresseurs et leur permettre de couler des jours tranquilles.
Entretien Télérama
par Emmanuelle Skyvington le 11 janvier 2021
“Dans le cas de Camille Kouchner, la vérité a été complètement piétinée”
La psychiatre Muriel Salmona, à la tête de l’association Mémoire traumatique et victimologie, revient sur l’affaire Duhamel révélée par le livre de Camille Kouchner, “La Familia grande”. Elle estime qu’il faut une réelle volonté politique pour que les choses changent.
Muriel Salmona, psychiatre, dirige l’association Mémoire traumatique et victimologie, fondée en 2009, qui forme et informe sur les conséquences des sexuelles : sidération, dissociation traumatique, conduites à risque, multiples troubles de la personnalité. Ces violences, martèle-t-elle, font partie, avec les tortures, des traumatismes les plus sévères et ont des effets catastrophiques à long terme sur la santé mentale et physique des victimes.
Reconnue internationalement pour ses analyses et les soins à apporter aux victimes, travaillant avec le gynécologue-obstétricien Denis Mukwege (Prix Nobel de la paix 2018, il soigne les femmes victimes de viol de guerre en République du Congo), elle est de plus en plus citée par des victimes, comme Camille Kouchner qui vient de révéler, dans son livre La Familia grande, l’inceste subi par son frère jumeau par leur beau-père Olivier Duhamel. Échange avec Muriel Salmona à quelques jours de la révélation de l’affaire Olivier Duhamel et avant que n'éclate celle du plasticien Claude Levêque visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs.
Camille Kouchner, dans son interview à L’Obs, évoque vos livres, qui l’ont beaucoup aidée. Aviez-vous échangé ?
Non, c’était la surprise. Elle me connaissait par l’intermédiaire de mes écrits. Nous ne nous sommes pas encore rencontrées, mais elle a demandé à ce que je sois présente à ses côtés dans La grande librairie (1).
Parmi les victimes de violences sexuelles, les mineurs ont longtemps été mal pris en charge car peu entendus, peu crus…
Cela a été un très grand combat. On évoquait la maltraitance dont sont victimes les enfants, mais il y avait une omerta pour les violences sexuelles. On les oubliait. Il a fallu attendre la publication d’études très précises dans les années 2010 pour que cela commence à changer. Cliniquement, je constatais chez mes patientes qui subissaient des violences sexuelles adultes qu’elles en avaient souvent déjà subi enfant. Je n’ai jamais pu penser que les gens qui vont mal, sont dépressifs ou souffrent d’addictions le sont « pour rien ». Qu’ils « s’autodétruisent » sans raison. Il y a forcément quelque chose derrière.
Durant mes études de médecine, dès que j’ai eu des responsabilités cliniques, j’ai commencé à questionner mes patients sur leur histoire. Ressortaient toujours des réponses, souvent effarantes, sur des violences dans l’enfance et particulièrement sur des violences sexuelles, incestueuses. Pour moi, le lien était fait. Et cela m’a toujours révoltée de voir que cela n’intéressait personne. L’avènement d’Internet qui me donnait accès à toutes les études, canadiennes et américaines notamment, m’a permis de monter vraiment au créneau. Avant, ces données étaient fragmentées et isolées. Mais grâce à Internet, on a pu se connecter et ce réseau m’a permis de conforter mon expérience clinique. Et de voir dans quelles directions il fallait travailler en termes d’explication, de compréhension et d’analyse par rapport aux mécanismes psycho-traumatiques.
Le fil pour moi, c’était vraiment de rendre justice aux victimes, en leur restituant vérité et dignité. II y a une particularité dans les études autour des enfants victimes de violences sexuelles : une vraie « générosité » — le qualificatif peut paraître bizarre — des chercheurs et des professionnels de santé, qui ont essayé de diffuser au maximum leurs travaux gratuitement, afin de les rendre accessibles à tous, avec une conscience éthique mais aussi politique dans le sens noble du terme.
“Le mot victime est un terme d’accès à des droits, de possibilité d’être reconnu, aidé, réparé !”
Quel a été le déclic de votre engagement ?
Ce qui m’a porté et permis de continuer, ce sont des retours des patients et des victimes, après la création en 2009 de l’association Mémoire traumatique et victimologie (2).
J’ai commencé mon travail avec le gynécologue et militant des droits de l’homme Denis Mukwege. Comme il le rappelle souvent, « le discours du trauma et des victimes et particulièrement du trauma sexuel est universel, on le retrouve partout dans le monde ». Lui aussi était abasourdi de voir à quel point tout cela n’était pas entendu par les personnes censées secourir et prendre en charge les victimes. Nous menons depuis des projets à l’échelle internationale.
Comment expliquer qu’on reproche aux victimes de s’enfermer dans leur statut ?
L’Histoire a été écrite par les dominants. L’histoire des victimes a elle aussi été écrite, jusqu’à il y a peu de temps, par les dominants. C’est une histoire, atroce, d’écrasement total ; un piétinement total d’inversion cruelle contre les victimes. Camille Kouchner dit dans des interviews qu'elle « ne voulait pas se reconnaître comme victime ». Comme si ce terme était négatif et infériorisait les gens ! Mais c’est un terme très positif. C’est un terme de reconnaissance, de vérité, de justice ! Un terme d’accès à des droits, de possibilité d’être reconnu, aidé, réparé ! Et la voix des victimes, heureusement, on le voit par rapport à la Shoah et à tous les génocides, est une voix essentielle pour l’accès à la vérité. Car si on ne donne la parole qu’aux bourreaux…
Michael Salter, un chercheur australien, a mené un formidable travail sociologique (3) sur le fait que chaque nouveau concept « antivictimaire » (comme la « théorie des faux souvenirs », celle des « fausses allégations », le syndrome d’aliénation parentale…) avait un succès fou dans les médias et servait à attaquer les victimes, les empêchant d’être entendues face à la parole des dominants qui, elle, fait loi tout de suite. Heureusement, j’ai l’impression que la balance commence à bouger du bon côté.
Face à la pédocriminalité, l’urgence d’un réveil politique
Camille Kouchner dépeint les effets de l’inceste et du silence qui broie et détruit sa famille.
Dans le cas de l’inceste, il faut avoir en tête que la famille est un système fermé, dont l’enfant est absolument dépendant à tous niveaux : physiquement, émotionnellement, mais aussi concrètement au niveau de sa survie. Donc, du coup, il est absolument piégé. Même situation pour les enfants placés victimes de violences : ils sont eux aussi piégés dans des structures d’accueil et ne peuvent pas fuir ces violences. Les agresseurs ont leur cible et leur victime sous la main. Ils peuvent en user, exercer des violences sexuelles pendant des années et formater l’enfant, puisqu’ils ont tout pouvoir sur lui.
Cela a toujours pour cadre un rapport de force, de domination masculine, d’autorité. Un contrôle de la pensée, où l’enfant n’a pas le droit de se révolter, ni de dire sa souffrance, ni de faire le lien entre sa souffrance et les violences. Il est privé de droit, plus qu’ailleurs encore. C’est un système oppressif puissant qui se fait tranquillement à l’abri des regards. Or notre société valorise la famille. Alice Miller [psychanalyste et chercheuse spécialiste des violences faites aux enfants, 1923-2010, ndlr] avait démontré cela en rappelant le cinquième commandement, « tu aimeras tes parents », où l'enfant doit respect et obéissance à ses parents. Si on commençait à soupçonner que « quelque chose se passe » peut-être, lorsqu’un enfant développe des tocs, des comportements auto-agressifs, des troubles du comportement ou se met à fuguer, cela changerait la donne.
“Quand l’agresseur a gagné et imposé le silence, sa victime est en apnée dans un tel système. C’est proprement irrespirable.”
Adulte, Camille Kouchner tombe malade, elle étouffe littéralement et doit être hospitalisée. Que vous inspire ces symptômes?
Ce qui rend malade, c’est le secret, mais pas n’importe quel secret. Tous les secrets de famille (un remariage caché par exemple, un événement non lié à de la violence…) ne rendent pas malade. Mais dans le cas de Camille Kouchner, c’est l’injustice incroyable. Le monde à l’envers. Le fait que rien n’a de sens. On a besoin de vérité et de justice, et là, la vérité est complètement piétinée. On ne peut pas vivre. Ni survivre. Quand l’agresseur a gagné et imposé le silence, sa victime est en apnée dans un tel système. C’est proprement irrespirable. Denis Mukwege dit la même chose à l’échelle de son pays : « La RDC est un pays où on ne peut pas vivre, car les ex-bourreaux sont partout : dans les universités, la justice, la police, l’administration. Ils imposent un monde invivable, irrespirable. »
Sommes-nous à un point de bascule ? Entrons-nous dans l’ère « #MeToo des enfants » ?
La bascule commence à se faire. Les récentes révélations fracassantes, comme l’affaire Olivier Duhamel, concernent des violences sur des mineurs. Donc, oui, la prise de conscience est en train de monter en puissance. En cela, j’y crois. Après, il y a toujours un double discours sur l‘enfant qui serait très précieux, mais dont, en fait, on piétine les droits, particulièrement en France. Notre pays vient en cinquantième position pour l’interdiction de tout châtiment corporel : c’est fou ! La France, qui a aboli les privilèges, leur reste très attachée et protège les tout-puissants. Elle demeure très hiérarchisée dans la famille, dans le couple, à tous les niveaux. En ce moment, tout le monde s’empare de ce sujet.
Mais il a fallu attendre 2017 pour qu’existe le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants, ce qui est hallucinant quand on sait que toutes les structures internationales ont reconnu ces questions comme des problèmes de santé publique majeurs. Le Parlement européen s’est positionné contre les violences faites aux enfants avec une campagne très importante. Sur la prescribilité des viols et agressions sexuelles et la détermination du seuil d’âge [pour distinguer relation consentie ou contrainte entre un adulte et un mineur, et mieux protéger les victimes dans le Code pénal, ndlr], cela bouge aussi. Si les verrous commencent à sauter et si les agresseurs commencent à avoir peur et à ne plus pouvoir « la ramener » de la même façon, les choses évolueront dans un sens positif.
“Il faut totalement réformer, de fond en comble. La loi doit changer.”
Le délai de prescription est maintenant de trente ans après la majorité. Mais la loi n’est pas rétroactive. Doit-on légiférer ?
Le signal en matière d’impunité n’est pas le bon. C’est même une catastrophe totale. Mais on pourrait très bien décider de changer, de ne plus établir de délai de prescribilité, au nom de l’intérêt général et en toute constitutionnalité. Donc, oui, bien entendu qu’on peut changer la loi. Il n’y a aucun obstacle à mettre en place les éléments sur l’imprescribilité : c’est d’ailleurs ce qu’avait conclu la commission coprésidée par Flavie Flament en 2017 [qui a révélé avoir été violée par le photographe David Hamilton, ndlr]. C’est possible, cela se fait dans plusieurs pays. Dans les cas d’amnésie traumatique par exemple, il y a des articles de lois qui permettraient de lever la prescription. Les crimes d’Émile Louis étaient prescrits, on a cependant réussi à faire lever la prescription et à le juger. La preuve que lorsqu’on le veut, on peut le faire.
Quelle politique publique la France doit-elle mettre en place pour lutter et soigner les victimes ?
Il faut énormément de choses, à commencer par une véritable volonté politique (et ne pas associer trois fois le mot « délation », comme Emmanuel Macron l’a fait durant sa campagne présidentielle, à la lutte pour l’égalité hommes-femmes et contre ces violences). Nous avons besoin d’un vrai plan Marshall pour agir à tous les niveaux. Bien entendu, dans le cadre de la prévention, pour démonter tous les stéréotypes, remettre les choses à l’endroit en faveur de la sexualité qui ne doit pas être violente, faire un dépistage systématique. Il faut former des gens en termes de droits des enfants et de connaissance.
Puis nous devons nous atteler à tout ce qui touche à la protection des victimes. Il faut totalement réformer, de fond et comble. La loi doit changer. Besoin de moyens évidemment : la Convention d’Istanbul contre les violences sexuelles rappelle qu’on doit agir très rapidement et estime qu’il faut des centres ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le mode « rape centers », à l’image de ceux qui ont été mis en place au Canada et aux États-Unis. En France, on n’en a aucun. Il en faudrait un par bassin de 200 000 habitants. Enfin, comment peut-on justifier que les médecins ne soient toujours pas formés en 2021, alors que les conséquences sur la santé des victimes sont gravissimes et qu’on peut les éviter ? C’est une « perte de chance » de ne pas repérer, diagnostiquer et soigner toutes ces personnes.
À lire
Muriel Salmona, Le Livre noir des violences sexuelles, éd. Dunod.