Les enfants victimes de violences conjugales,
conséquences psychotraumatiques
vignettes cliniques et témoignages
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, Grenelle des violences conjugales - GT violences intra-familiales : 15 octobre 2019, actualisé en avril 2020
Dossier à télécharger en PDF sur le site memoiretraumatique.org ICI :
La violence conjugale est une violence violence sexiste de grande ampleur qui affecte les femmes de manière disproportionnée par rapport aux hommes, les femmes et les filles en sont les principales victimes (plus de 70%). Cette violence s’exerce dans le cadre d’un rapport de force et de domination, d’inégalités et de discriminations.
Ce sont les femmes les plus jeunes (le plus en âge de procréer), et les plus vulnérables (femmes enceintes, handicapées, malades, en situation de grande précarité) qui y sont les plus exposées. Ces violences s’exercent par les conjoints ou ex-conjoints quelle que soit la configuration conjugale (couples cohabitants ou non, mariés ou non, petits-amis, relations épisodiques, etc.) pendant la relation, au moment de la rupture ou après la fin de cette relation.
Les violences conjugales peuvent être physiques, sexuelles, psychologiques, verbales, économiques et administratives. elles sont souvent répétées et cumulées, et peuvent être de nature criminelles (viols, tentatives de meurtres) et aller jusqu’au féminicide.
Les enfants sont victimes des violences conjugales
Les enfants sont victimes de ces violences conjugales qu’ils y soient exposés en tant que témoin (cf la Convention d’Istanbul) et/ou lors de maltraitances physiques, psychologiques et/ou sexuelles et de négligences qui y sont fréquemment associées.
La grossesse et les périodes de séparation et de post-séparation sont des situations particulièrement à risque pour les femmes et leurs enfants avec des violences qui peuvent s’aggraver ou démarrer à ces occasions, 30% des féminicides et la majorité des infanticides ont lieu lors de situations de séparation ou de post séparation.
Les enfants victimes de violences conjugales sont 42% à avoir moins de 6 ans contre 33% des enfants de la population de référence. Ils vivent plus souvent dans des familles monoparentales : un tiers contre 15% de la population de référence. Ils vivent plus fréquemment dans les ménages les moins aisés : 59 % d’entre eux vivent au sein d’un ménage faisant partie des 25% des ménages les moins aisés contre 40% des enfants composant la population de référence (cf lettre de l’observatoire des violences faites aux femmes n°8).
Les violences conjugales sont très traumatisantes pour les enfants qui y sont exposés, ils sont victimes de ces violences qui représentent un grand danger pour eux dès leur vie fœtale et qui ont des conséquences psychotraumatiques à long terme sur leur développement psycho-moteur, cognitif et émotionnel, leur intégrité et leur santé mentale et physique, et leur vie, affective, professionnelle et sociale : avec des risques important de subir de nouvelles violences, ou d’en commettre, des risques de morts précoces, des risques importants de troubles anxieux, de dépressions, de suicides, de troubles alimentaires et du sommeil, de troubles cognitifs, de conduites addictives (alcool, drogues, tabac) et de mises en danger, ainsi que des risques de développer des troubles cardio-vasculaires, endocriniens, immunitaires digestifs, gynéco-obstétricaux, pulmonaires, neurologiques, dermatologiques, musculo-squelettiques, etc (Felitti, Anda, 1998, 2010 ; Brown, 2009).
Les enfants exposés en aux violences conjugales doivent être considérés comme victimes de ces violences dans toutes les procédures en cours (cf. Convention d’Istanbul), les violences conjugales représentent des atteintes graves à leurs droits fondamentaux et à leur besoin fondamental de sécurité, ils doivent être protégés spécifiquement (dépistage systématique des violences intra-familiales, dépistage systématique lors des grossesses, lors des séparations, prise en compte des signalements et des plaintes, évaluation du danger, mise en sécurité et mesures de protection pour le parent victime et ses enfants, éviction du parent violent, condamnation des faits de violences, suspension du droit de visite et d’hébergement, retrait de l’autorité parentale du parent violent), leur lien avec leur parent protecteur doit être prioritairement protégé (notamment en cas de procédure pour non-présentation d’enfant à l’encontre du parent protecteur), et bénéficier de prises en charge adaptées qu’elles soient médico-psychologiques, éducatives, sociales et judiciaires.
Les enfants exposés aux violences conjugales grandissent dans un climat d’angoisse, de terreur, de peur, de détresse, de stress, de contraintes et grande insécurité très préjudiciable à leur santé et à leur développement émotionnel, affectif et psycho-moteur, ils doivent mettre en place des stratégies de survie et des compétences hors-normes (conduites de soumission, d’évitement, de retrait, de contrôle, d’auto-censure et d’hyper-vigilance, conduites dissociantes pour se déconnecter et s’anesthésier, conduites de parentalisation et de responsabilisation vis-à-vis du reste de la famille) extrêmement coûteuses, avec une estime de soi et une confiance en soi le plus souvent catastrophique, des carences affectives, des troubles émotionnels et de grandes difficultés cognitives (troubles de l’apprentissage, de la concentration, de l’attention et de la mémoire) et des troubles de l’alimentation et du sommeil (insomnies, cauchemars et terreurs nocturnes). Plus enfants sont petits, plus la détresse émotionnelle et les conséquences psychotraumatiques sont importantes (Osofsky, 2003) en sachant que sur ces enfants très jeunes plus les intervention médico-sociale et psychologique sont précoces, meilleur est le pronostic (Lessard, Lampron, & Paradis, 2003). En plus des violences verbales, des injures, des violences psychologiques, des violences physiques, les enfants sont confrontés à un climat de terreur, de stress extrême, de cruauté, de menaces de mort, de menace de passages à l’acte suicidaire, ils ont pu assister à des scènes terrifiantes avec des tentatives de meurtres et des conduites de mises en danger (comme des tentatives de strangulation, d’étouffement, début d’incendie, conduites dangereuses sur la route), ils ont pu entendre ou voir leur mère être agressée sexuellement ou violée, ils ont peur pour la vie de leur mère, ils ont peur pour leur propre vie.
Chaque année dans le cadre de violences conjugales des enfants sont tués, deviennent orphelins, ils peuvent assister au meurtre de leur mère et au suicide de leur père : en 2018, 21 enfants ont été tués, dont 16 sans que l’autre membre du couple ne soit victime, et 82 enfants orphelins de père, de mère, ou des deux parents.
Il est essentiel d’identifier les situations à risque de féminicide et d’évaluer le danger que courent les femmes victimes et leurs enfants victimes de violences conjugales avec des questions à poser, cf fiche ICI https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2019-Fiche_evaluation_danger_feminicide.pdf
Les enfants victimes de violences conjugales sont très fréquemment également victimes d’autres maltraitances (violences verbales, physiques, psychologiques et notamment sexuelles), ces maltraitances continuent voire s’aggravent lors des séparations qui sont une situation à risque pour la mère et ses enfants :les enfants de couples séparés dans un contexte de violences conjugales doivent faire l’objet d’une vigilance particulière. Un rapport frappant de 1990 au Canada a révélé que dans les foyers où sévit la violence conjugale, les enfants sont physiquement maltraités et négligés 15 fois plus que la moyenne nationale (audience du Sénat 101–939, 1990), d’autres études montrent un risque accru pour les enfants d'être victimes de violences sexuelles ou d'autres mauvais traitements lorsqu'ils sont exposés à des violences conjugales (2016).
Toutes les violences que subissent les enfants doivent être dépistées et faire l’objet de signalements qui, avec les plaintes, doivent être prises très sérieusement en compte par la police puis justice avec des enquêtes fouillées, le recours à des notions infondées sur le plan médical et sexistes telles que le syndrome d’aliénation parentale doit être proscrit, de même que les médiations.
Les violences post-séparation sont fréquentes, elles ne doivent pas rester impunies, elles représentent un danger important pour la mère et les enfants (30% des féminicides ont lieu dans un contexte de séparation). Elles s’accompagnent fréquemment d’une traque et d’un contrôle coercitif de la mère et des enfants avec un harcèlement continu à propos de tout ce qui concerne les enfants, et fréquemment de violences économiques avec le non versement de la pension alimentaire. Selon les données nationales canadiennes (Hotton, 2001) citées par Patrizia Romito 39% des femmes interrogées séparées d’un conjoint et ayant été en contact avec lui dans les 5 ans précédant l’étude ont subi de sa part des agressions, dans la moitié des cas à plus de 10 reprises, la moitié de ces femmes ont eu peur d’être tuées, un tiers des femmes ont subi une strangulation et plus d’un tiers ont subi des viols ou des tentatives de viol presque toutes décrivaient des violences psychologiques, du contrôle coercitif, des insultes et des menaces. Pour celles qui avaient des enfants, les deux tiers de ceux-ci avaient assisté aux violences, souvent à l’occasion de violences si graves que leur mère avait craint d’être tuée. Pour la sécurité de la mère et des enfants qui doit être prioritaire, il ne faut pas qu’ils soient en contact avec l’ex-conjoint violent. Ces violences post-séparation ne sont pas conciliables avec l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement du conjoint violent, et encore moins d’une garde alternée, ainsi qu’avec l’exercice d’une autorité parentale, ces droits devraient être suspendus, l’exercice d’une co-parentalité n’est pas possible. Au lieu de cela, trop souvent encore les pères violents obtiennent un droit de visite et d’hébergement, et si la mère, qui a peur pour la sécurité de son enfant ou qui ne veut pas forcer son enfant qui a peur et ne veut absolument pas aller chez son père, et rapporte des violences qu’il y subi, refuse de confier son enfant au père violent, elle peut se retrouver condamnée pour le délit de non-présentation d’enfant et (comme nous le verrons dans des témoignages) obligée par la justice de confier son enfant au père violent, ou menacée de se voir retirer la garde de son enfant qui peut alors être confié au père ou placé (Romito, 2011; Prigent, Sueur, 2019). Durant ma pratique, j’ai été régulièrement confrontée à ce type de situations avec des enfants manifestement très traumatisés qui rapportaient avoir subi de graves violences et des négligences lors de leur hébergement chez leur père, pour lesquels des signalement ont été fait par plusieurs professionnel.le.s dont je faisais partie, et des plaintes déposées sans mesure de protection urgentes mises en place pour les enfants, et avec, à plusieurs reprises des mères condamnées pour non présentation d’enfants (cf témoignages). Le délit de non-présentation d’enfant tel qu’il est interprété actuellement « porte clairement atteinte à l’intérêt de l’enfant notamment lorsque l’enfant est résistant ou encore lorsque le parent craint un danger pour l’enfant. », « Repenser le délit exige encore de constater qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant de rencontrer le parent toxique, que la volonté de l’enfant doit être entendue, que doit être respecté le droit à la vie privée de l’enfant et que doit être respecté le parent qui veut protéger l’enfant pour respecter l’enfant. » (Losappio, 2019)
Lorsqu’il y a eu homicide conjugal ou tentative d’homicide, pour les enfants les effets traumatiques sont décuplés, d’autant plus s’ils ont été témoins visuels et auditifs et qu’ils sont très jeunes, ceux-ci doivent être immédiatement pris en charge médicalement (hospitalisation) pour évaluer et traiter leurs états de détresse émotionnelle et leur état de choc traumatique, en prenant bien garde de ne pas interpréter par manque de formation comme rassurant (l’enfant ne semblant pas traumatisé car il joue et sourit de façon automatique et déconnectée) un grave état de choc avec une dissociation traumatique et une anesthésie émotionnelle massive. Il faut en urgence avec une collaboration étroite entre les médecins et les psychologues prenant en charge les enfants et le parquet des mineurs s’assurer de leur mise en sécurité et leur protection en ne les réexposant pas à des situations traumatiques liées aux enquêtes et aux procédures judiciaires, à des placements intempestifs et sans enquête psycho-sociale préalable, à des séparations avec des figures d’attachement sécure, à des retours trop précoces et non aménagés dans leur établissement scolaire). Ces enfants extrêmement traumatisés ont besoin d’être en permanence accompagnés 24h/24, rassurés par des personnes référentes protectrices et informées sur les psychotraumatismes. Le retrait de l’autorité parentale du parent violent doit être systématique pour protéger les enfants et lui éviter toute exposition traumatique au parent criminel, qui risquerait de réactiver et aggraver ses traumas. Une prise en charge spécialisée des troubles psychotraumatiques dans la durée est essentielle, ces enfants auront besoin de soins et de surveillance de leur santé à long terme, ils auront besoin de suivi social et d’accéder à toutes les informations, d’être protégés de possibles manipulations affectives et pressions du côté de l’auteur de l’homicide et de sa famille, d’être représentés lors du procès et que leurs préjudices soient évalués et que leur soient attribués des réparations. Il est impératif de ne pas abandonner ses enfants à leur sort et de se préoccuper de leur sécurité et de leur santé, leur situation d’orphelins, de victimes de violences criminelles et leurs traumatismes les rend particulièrement vulnérables et à risque de subir de nouvelles violences et de nombreuses situations de grande précarité, et d’atteintes à leur santé mentale et physique. Les enfants qui seront pris en charge par d’autres membres de la famille, ou qui placés dans des familles d’accueil ou des institutions doivent faire l’objet d’une particulière vigilance tout au long de leur placement pour dépister précocément toute situation de maltraitance qu’ils pourraient subir : une étude rétrospective citée par Myriam Dubé : « a été réalisée, à cet effet, auprès de 47 adultes âgés en moyenne de 41 ans, ayant été, entre zéro et cinq ans (11), six et 12 ans (14) ou entre 13 et 21 ans (22), exposés ou témoins de l’homicide conjugal de leur mère (41) ou de leur père (6) (Steeves & Parker, 2007). Cette étude rapporte que 19% d’entre eux avaient été abusés sexuellement ou physiquement ou avaient été exposés à de la violence dans la famille qui les avait recueillis après l’homicide » (étude citée par Myriam Dubé, 2011). Les enfants doivent bénéficier tout au long de leur enfance et à l’âge adulte d’une prise en charge médicale à 100% et d’aides socio-éducatives appropriées.
Les enfants victimes de violences conjugales devenus grands doivent avoir accès à des droits spécifiques médico-sociaux, administratifs, juridiques, leur permettant d’avoir accès à des soins spécialisés pour les psychotraumatismes qu’ils présentent, des réparations et des aides sociales spécifiques si elles leur sont nécessaires, ils doivent pouvoir avoir accès à des procédures simplifiées pour changer de prénom et/ou de nom, être déchargés de leur devoir d’obligation alimentaire vis-à-vis de leur parent violent. Cf la pétition : https://www.mesopinions.com/petition/enfants/loi-fichier/54231).
La plupart des victimes de violences conjugales qu’elles soient adultes ou enfants sont abandonnées, ce qui est intolérable et doit cesser. Elles sont rarement reconnues et protégées. Elles doivent survivre seules aux violences ainsi qu’à leurs conséquences psychotraumatiques, et plus particulièrement à leur mémoire traumatique qui leur fait revivre ces violences à l’identique, comme une torture sans fin. Ce déni et cette absence de protection, conjuguées à une carence de soins spécifiques et à une faillite quasi-totale de la justice à punir leurs agresseurs, sont une grave perte de chance pour les victimes et les exposent à de lourdes conséquences sur leur vie, et leur santé mentale et physique, ainsi qu’à de nouvelles violences, de nombreuses maltraitances institutionnelles, des situations de précarité et des injustices en cascade. Cette perte de chance est d’autant plus scandaleuse que des soins sont efficaces, et permettent, en traitant la mémoire traumatique, d’éviter la majeure partie des conséquences (Hillis, 2016).D’autre part, l’impunité fait courir à la société le risque majeur que tous ces agresseurs qui n’ont pas été inquiétés continuent à être violents avec leurs victimes, et fassent d’autres victimes au cours de leur vie. Et c’est enfin, une machine à fabriquer de nouvelles victimes et de nouveaux agresseurs de proches en proches et de génération en génération, le facteur de risque principal de commettre des violences étant d’en avoir déjà subi sans avoir été protégé, ni soigné (OMS, 2010 et 2014 ; Felitti et Anda, 1998, 2010). Nous savons qu’avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par 16 le risque de subir des violences conjugales et/ou sexuelle à l’âge adulte pour une femme, et multiplie par 14 le risque de commettre des violences conjugales et/ou sexuelle à l’âge adulte pour un homme (Fulu, 2017).
pour rappel quelques chiffres :
- Chaque année plus de 210 000 femmes subissent des violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint (dont 30% ont subi violences sexuelles par leur conjoint) par an, ces violences étant souvent répétées. 19% des femmes victimes de violences conjugales physiques et/ou sexuelles portent plainte, les médecins sont leur premier recours 30% ont consulté un psychiatre ou un psychologue, 27% ont vu un médecin, 21 % ont parlé de leur situation aux services sociaux. Près d’une victime sur dix (9%) a appelé un numéro vert et la même proportion a rencontré des membres d’une association d’aide aux victimes. Certaines victimes ont pu consulter plusieurs de ces services. Enfin, un peu moins de la moitié des victimes (44 %) n’a fait aucune des démarches citées ci-dessus. Parmi les femmes victimes de violences au sein du couple, les deux-tiers affirment que ces violences ont causé des blessures physiques, qu’elles soient visibles ou non (65%). Une proportion similaire (66 %) déclare avoir subi des dommages psychologiques plutôt ou très importants. Ces violences ont entraîné des conséquences, des perturbations dans leur vie quotidienne, notamment dans leurs études ou leur travail, pour plus de la moitié des victimes (57 %). (INSEE - ONDRP - SSM-SI, 2017), Lettre de l’observatoire numéro 13 de novembre 2018.
- 143 000 enfants vivent dans des ménages où des femmes adultes sont victimes de violences conjugales, physiques et/ou sexuelles 42% ont moins de 6 ans contre 33% des enfants de la population de référence.
- Chaque année entre 120 et 150 femmes sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, entre 20 et 25 hommes sont tuées par leur conjointe ou ex et entre 20 et 30 enfants sont tués dans un contexte de violences conjugales. En 2018 ont été tué.e.s : 121 femmes, 28 hommes dont la moitié avait commis des violences antérieures sur leur partenaire, et 21 enfants ont été tués dans un contexte de violences conjugales par l’un de leur parent (père ou mère), 5 enfants mineurs ont été tués concomitamment à l’homicide de leur mère dans 3 affaires distinctes (dans ces affaires, les 3 auteurs se sont suicidés). Dans 18 affaires, les homicides ont été commis devant les enfants mineurs. Par ailleurs 195 tentatives d’homicides ont été recensées cette même année. Au total, 29 enfants ont été témoins des scènes d’homicides, qu’ils aient été présents au moment des faits ou qu’ils aient découvert les corps au domicile. Dans 3 affaires, c’est l’un des enfants du couple qui a donné l’alerte ou fait prévenir les secours. La présence des enfants à proximité de la scène de crime n’empêche pas le passage à l’acte, puisque l’on dénombre également 28 autres enfants présents sur les lieux, même s’ils n’ont pas été témoins des faits (étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple de la DAV, 2018).
- En 2019, le collectif féminicides par (ex)compagnons a dénombré 151 femmes tuées par leurs conjoints ou ex.
- Enfants victimes des violences conjugales en cas de violences conjugales, les études que cite le Rapport Mondial sur la violence et la santé de l’OMS en 2002 montrent que les enfants sont témoins directs des violences dans 40 à 60% des cas et que 40% de cas de maltraitance sur enfants sont liés à la violence conjugale (27), l’enquête ENVEFF (5) a rapporté que 2/3 des enfants vivant dans des foyers avec violences conjugales en avaient été témoins. Dans le cadre des appels au 119 : 80% des enfants victimes de mauvais traitements ont été témoins de violences conjugales ; pour les parents, les enfants ont été perçu comme cause des violences conjugales dans 19 % des cas. Les études internationales montrent que les violences conjugales augmentent de façon importante le risque de maltraitances faites aux enfants : violences verbales, physiques, psychologiques, sexuelles, négligences physiques et émotionnelles (6 à 15 fois plus de risque).
Les violences dont les enfants sont victimes qu’ils subissent ou auxquelles ils sont exposées dans leur famille sont un problème de santé publique majeur
Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2016 : « La violence à l’égard des enfants est un problème de santé publique, de droits humains et de société, avec des conséquences potentiellement dévastatrices et coûteuses. Ses effets destructeurs nuisent aux enfants de tous les pays, touchant les familles, les communautés et les nations. »
Depuis près de vingt ans, de très nombreuses études scientifiques internationales ont démontré que l’exposition précoce à la violence est hautement traumatisante pour les enfants. Dès leur vie fœtale, leur naissance, puis tout au long de leur enfance, leur cerveau est très vulnérable face aux violences et au stress extrême qu’elles engendrent. Publiés dès 1988, les résultats de la grande étude épidémiologique sur les Adverse Childhood Experience (ACE) réalisée par Vincent Felitti et Robert Anda au département de médecine préventive de l’établissement du Kaiser Permanente à San Diego (Californie), auprès de 17 421 adultes, ont révélé qu’il y a une puissante relation entre la santé physique et mentale à l’âge adulte et ces ACE subies dans l’enfance qui sont au nombre de 10, comprenant 3 formes de violences (physiques, psychologiques, et ou sexuelles), une exposition à des violences conjugales, 2 formes de négligences (physiques et émotionnelles) et 4 autres situations traumatiques intra-familiales (la perte d’un parent ou d’un membre de la famille, un membre de la famille souffrant de dépression ou d’autres maladies mentales, ou ayant fait des tentatives de suicide, un membre de la famille ayant une addiction à l’alcool ou la drogue, un membre de la famille ayant été emprisonné).
Avoir subi dans l’enfance au moins 4 de ces ACE constitue ainsi selon les auteurs la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l’âge adulte. C’est également le déterminant principal de santé 50 ans après les violences et si les ACE sont au nombre de 5 cela peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie.
Plus précisément, l’étude ACE démontre que cette exposition précoce à plusieurs formes de violences constitue le premier facteur de risque de suicide, de conduites addictives (alcool, drogues, tabac), d’obésité, de conduites à risque, de dépression, de grossesse précoce, de précarité, de marginalisation, de situations prostitutionnelles et de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à son tour. Des liens très forts ont également été retrouvés avec de nombreux troubles psychiatriques, cardio-vasculaires, endocriniens et gynécologiques, ou avec des maladies pulmonaires, digestives, auto-immunes et neurologiques, des infections sexuellement transmissibles, des cancers, des ostéo-arthrites, des douleurs chroniques, etc.
Depuis cette première étude, les liens entre les violences subies dans l’enfance et les facteurs de risque prédominants pour la santé, ainsi que les principales maladies mentales et physiques développées à l’âge adulte ont été confirmés par de très nombreuses études scientifiques. Des recherches ont également documenté la neurobiologie de la violence, démontrant que le stress traumatique subi peut nuire à l’architecture du cerveau, au statut immunitaire, aux systèmes métaboliques, aux réponses inflammatoires et peuvent même influer sur l’altération génétique de l’ADN. Une revue internationale de toutes les recherches menées sur ce sujet, parue dans Pediatrics en 2016 pour l’OMS, montre que ce risque, identifié comme majeur pour la santé à long terme, est lié à l’impact psychotraumatique de ces violences et qu’il est gradué en fonction de la gravité des violences et de leur nombre.
En France, nous disposons de très peu de chiffres et aucune enquête de victimation directe n’a été réalisée auprès des enfants. Cependant, à partir des études réalisées auprès d’adultes rapportant les violences subies dans leur enfance, nous savons que les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles. Nous pouvons estimer que ce sont, chaque année, plus de 130000 filles et 35 000 garçons qui subissent des viols ou des tentatives de viols, en majorité incestueux, et que 140000 enfants sont exposés à des violences conjugales. Des enquêtes nord-américaines ont montré que les enfants handicapés subissent trois à quatre fois plus de violences.
Pour ces enfants victimes de violences intrafamiliales, le risque de développer des troubles psychotraumatiques est de plus de 60 % et il s’élève à plus de 80 % quand il s’agit de violences sexuelles.
Tous les symptômes et les troubles du comportement rencontrés chez les victimes de violences subies dans l’enfance s’expliquent : ils sont des conséquences habituelles et universelles des violences.
Ces conséquences psychotraumatiques sont liées à des mécanismes de sauvegarde neurobiologiques exceptionnels, mis en place par le cerveau pour échapper au risque vital que font courir les violences.
La violence a un effet de sidération du psychisme qui paralyse la victime, l’empêche de réagir de façon adaptée. Elle empêche le cortex cérébral de la personne de contrôler l’intensité de la réaction de stress, sa production d’adrénaline et de cortisol. Un stress extrême, véritable tempête émotionnelle, envahit alors l’organisme de la victime et parce qu’il représente un risque vital (pour le cœur et le cerveau, en raison de l’excès d’adrénaline et de cortisol) déclenche des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont pour effet de « faire disjoncter » le circuit émotionnel et d’entraîner une anesthésie émotionnelle et physique, en produisant des drogues dures ayant le même effet qu’un cocktail morphine-kétamine
La disjonction de sauvegarde génère un état dissociatif accompagné d’un sentiment d’étrangeté, de déconnexion et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation qu’elle perçoit sans éprouver d’émotion. Mais cette disjonction isole la structure responsable des réponses sensorielles et émotionnelles (l’amygdale cérébrale) de celle qui encode et gère la mémoire et le repérage temporo-spatial (l’hippocampe). L’hippocampe ne peut pas faire son travail d’encodage et de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences. Celle-ci reste alors piégée dans l’amygdale, sans être traitée ni transformée en mémoire autobiographique.
C’est cette mémoire piégée que nous appelons la « mémoire traumatique ». Elle va demeurer hors temps, non consciente, à l’identique, susceptible d’envahir le champ de la conscience si un lien rappelle les violences et de les refaire revivre de façon identique, comme une machine à remonter le temps, avec la même détresse et les mêmes perceptions (ce sont les flash-back, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de panique...). Telle une « boîte noire », la mémoire traumatique contient non seulement le vécu émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime, mais également tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte et à l’agresseur (ses mimiques, ses mises en scène, sa haine, son excitation, ses cris, ses paroles, son odeur, etc.). Cette mémoire traumatique des actes violents et de l’agresseur colonise la victime. Elle lui fera confondre ce qui vient d’elle avec ce qui vient des violences et de l’agresseur. La mémoire traumatique des paroles et de la mise en scène de l’agresseur (« Tu ne vaux rien, tout est de ta faute, tu as bien mérité ça, tu aimes ça », etc.) alimentera chez la victime des sentiments de honte, de culpabilité et d’estime de soi catastrophiques. Celle de la haine et de l’excitation perverse de l’agresseur pourront lui faire croire à tort que c’est elle qui les ressent, ce qui constituera une torture supplémentaire. Elle n’éprouvera alors que mépris et haine pour elle-même.
Tant que la victime sera exposée à des violences, à la présence de l’agresseur ou de ses complices, elle sera déconnectée de ses émotions, dissociée. La dissociation, système de survie en milieu très hostile, peut alors s’installer de manière permanente, donnant l’impression à la victime de devenir un automate, d’être dévitalisée, confuse, comme un « mort-vivant ». L’anesthésie émotionnelle et physique que produit la dissociation empêche la victime d’organiser sa défense et de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter. Les faits les plus graves, vécus sans affect ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé. Cela entraîne de fréquentes amnésies dissociatives post-traumatiques, qui peuvent durer des années. Cette dissociation isole encore plus la victime, elle explique les phénomènes d’emprise et entraîne un risque important de subir de nouvelles violences. L’absence d’émotion apparente d’une victime dissociée désoriente toutes les personnes qui sont en contact avec elle. En conséquence, le processus d’empathie automatique n’est pas activé par les neurones miroirs de ses interlocuteurs, qui seront d’autant plus rares à se mobiliser pour la personne et à la protéger, alors qu’elle est gravement traumatisée et en danger. Ces troubles dissociatifs traumatiques suscitent fréquemment, chez l’entourage et les professionnels, de l’indifférence, des jugements négatifs, voire un rejet et de la maltraitance.
Mais si la dissociation disparaît – ce qui peut se produire quand la victime est enfin sécurisée –, alors la mémoire traumatique cesse d’être anesthésiée. La victime peut, au moindre lien qui rappelle les violences, être confrontée à un véritable tsunami d’émotions et d’images terrifiantes qui vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et détresse. Cela peut entraîner un état de peur panique, d’agitation, d’angoisse intolérable et un état confusionnel, tel que la victime peut se retrouver hospitalisée en psychiatrie en urgence (avec souvent un diagnostic de bouffée délirante), très souvent accompagné d’un risque suicidaire important.
La vie devient un enfer pour les victimes, avec une sensation d’insécurité, de peur et de guerre permanente. Pour empêcher leur mémoire traumatique de se déclencher, les victimes sont hypervigilantes et développent des conduites d’évitement et de contrôle. Ces stratégies de survie sont épuisantes et sont à l’origine de multiples phobies et de troubles obsessionnels compulsifs. Mais ces conduites d’évitement et de contrôle sont rarement suffisantes, et les victimes découvrent très tôt, grâce à des conduites dissociantes, la possibilité de s’anesthésier émotionnellement pour éteindre à tout prix une mémoire traumatique impossible à éviter. Ces conduites servent à calmer l’état de tension intolérable ou prévenir sa survenue, soit en provoquant un stress très élevé (par des conduites à risques, des mises en danger, des conduites autoagressives ou hétéro-agressives) qui redéclenche la disjonction du circuit émotionnel et la sécrétion de drogues dissociantes par le cerveau, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, drogues, tabac à haute dose).
Ces conduites dissociantes sont des tentatives désespérées d’autotraitement. Elles sont très préjudiciables pour la santé et la qualité de vie des victimes dont elles aggravent la vulnérabilité, les handicaps, ainsi que le risque de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à leur tour. Les professionnels de santé identifient rarement les conduites d’évitement et les conduites à risques comme des conséquences psychotraumatiques, et ne recherchent pas systématique- ment les violences qui pourraient en être à l’origine.
Tous les symptômes psychotraumatiques sont souvent banalisés, mis sur le compte de la crise d’adolescence ou de troubles de la personnalité. À l’inverse, parfois, ils sont étiquetés psychotiques et traités comme tels, ou alors attribués à des déficits cognitifs.
Ces conséquences psychotraumatiques sont encore insuffisamment connues alors que leur prise en charge a démontré son efficacité. Celle-ci doit être la plus précoce possible et, avant tout, psychothérapique. En traitant le stress et la mémoire traumatique, c’est à dire en l’intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques et de rendre inutiles les stratégies de survie. Pour cela, il faut identifier et revisiter toutes les violences, et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’état de sidération.
Les soins sont essentiels, la mémoire traumatique doit être traitée. Il s’agit dans le cadre d’une psychothérapie intégrative et humaniste adaptée aux enfants en utilisant le jeux de faire de la psycho-éducation, de faire des liens, de comprendre, de sortir de la sidération en démontant le système agresseur et en remettant le monde à l’endroit, de, petit à petit, désamorcer la mémoire traumatique, de l’intégrer en mémoire autobiographique, et de décoloniser la victime des violences et du système agresseur.
La prise en charge thérapeutique doit être la plus précoce possible, et elle doit associer les adultes protecteurs et responsables de l’enfant, en leur donnant tous les outils de compréhension et le soutien nécessaire pour qu’ils puissent participer aux soins, et acquérir la capacité de sécuriser et d’accompagner au mieux l’enfant.
En protégeant et en mettant en sécurité l’enfant en priorité, en évaluant son état traumatique, puis en traitant le stress et la mémoire traumatique, c'est-à-dire en l'intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques, et de rendre inutiles les stratégies de survie, et d’éviter ainsi la majeure partie des conséquences des violences sur la santé, ainsi que leurs conséquences sociales
Le travail psychothérapique consiste à faire des liens, en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique (perfusion de sens), ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes et même d’obtenir une neurogénèse. Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Il s’agit de remettre le monde à l’endroit. Il faut démonter tout le système agresseur, et reconstituer avec l'enfant son histoire en restaurant sa personnalité et sa dignité, en les débarrassant de tout ce qui les avait colonisées et aliénées (mises en scènes, men- songes, déni, mémoire traumatique). Pour que la personne qu'il est fondamentalement puisse à nouveau s'exprimer librement et vivre tout simplement.
Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de re-fonctionner et de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. De plus il a été démontré qu’une prise en charge spécialisée permettait de récupérer des atteintes neuronales liées au stress extrême lors du traumatisme, avec une neuro- genèse et une amélioration des liaisons dendritiques visibles sur des IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) (Ehling, 2003).
Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psy- chique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours à une disjonction spon-tanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il s’agit pour l’enfant victime de devenir expert en « déminage » et de poursuivre le travail seul, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et petit à petit il devient possible de se décoloniser de la mémoire traumatique et de retrouver sa cohérence, et d’arrêter de survivre pour vivre enfin.
L’étude et l’analyse précise de la mémoire traumatique, de ses déclencheurs, de son contenu, de ses manifestations psychiques, verbales, comportementales, corporelles, émotionnelles, sensorielles ou kinesthésiques, de ses mises en scène lors de cauchemars ou de crises dissociatives, ainsi que l’étude et l’analyse des différents types de stratégies de survie, de leur survenue et de leurs manifestations, sont non seulement un outil thérapeutique performant mais ils vont également très utile dans un cadre médico-légal en permettant de reconstituer une cartographie souvent minutieuse et précise des évènements traumatisants et de leurs contextes même de nombreuses années après, et en palliant ainsi les défaillances d’un récit fréquemment parcellaire avec des pans entiers inaccessibles à la mémoire (amnésie traumatique), à la chronologie incertaine, envahi par des distorsions temporo-spatiales, des interrogations, des doutes et des sentiments de de honte et de culpabilité qui le bloquent, et souvent de nombreuses incohérences apparentes qui le décrédibilisent (Salmona 2012, 2018 ; Van der Kolk, 2018).
Il est donc essentiel et vital de protéger les enfants des violences et d’intervenir le plus tôt possible pour leur donner des soins spécifiques. Il s’agit de situations d’urgence pour éviter la mise en place de troubles psychotraumatiques sévères et chroniques qui auront de graves conséquences sur leur santé et leur vie future, ainsi que sur le risque de perpétuation des violences. Néanmoins, il n’est jamais trop tard pour prendre en charge ces traumas, même à l’âge adulte, et tout au long de la vie. Pour cela, il est nécessaire de sensibiliser et de former tous les professionnels des secteurs médico-sociaux, associatifs et judiciaires sur les conséquences psychotraumatiques des violences. La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin des victimes.
Toutefois, le déni, la loi du silence, la méconnaissance de la gravité de l’impact à long terme de ces violences sur leur santé mentale et physique font qu’ils restent le plus souvent abandonnés, sans protection, ni soins, ni accès à la justice. Ils doivent survivre seuls face aux violences et aux traumas qu’elles engendrent.
L’absence de protection des enfants et de leurs mères victimes, et l’absence de prise en charge des traumas vécus par ces enfants victimes de violences conjugales représente une lourde perte de chance en termes de sécurité, de santé mentale et physique, de développement, de vie affective, de scolarité, d’insertion sociale et professionnelle. Elle est un facteur de grande vulnérabilité, de risque de nouvelles violences, d’aggravation des inégalités et fabrique des injustices à répétition, de la précarité, de l’exclusion. Or cette perte de chance est d’autant plus scandaleuse qu’une protection et des soins spécifiques sont efficaces pour traiter les traumatismes liés à ces violences. Ainsi, la plus grande part des conséquences sur la santé et sur la vie de celles et ceux qui en ont été victimes pourrait être évitée, de même que sur la reproduction sans fin des violences.
Les professionnels de santé sont en première ligne pour lutter contre ces violences, les dépister, contribuer à mettre en place des mesures de protection et éviter leurs conséquences. Les études de victimation montrent que ce sont les professionnels de santé qui sont le premier recours pour les femmes et leurs enfants en danger. Les professionnels doivent faire un dépistage systématique et identifier les situations à risque de féminicide, d’infanticide, de suicide et évaluer le danger que courent les femmes victimes et leurs enfants victimes de violences conjugales ICI https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2019-Fiche_evaluation_danger_feminicide.pdf
Cependant, rares sont ceux qui sont formés au dépistage systématique des violences et à la protection des victimes, ainsi qu’au repérage et à la prise en charge des traumas. L’offre de soins en psychotraumatologie reste de ce fait bien trop rare et peu accessible. Les autres secteurs, comme ceux de la protection de l’enfance et la justice, s’avèrent également incapables de protéger les enfants, faute de moyens, de formation et de volonté politique. Il a fallu attendre 2017 pour qu’un premier Plan de lutte et de mobilisation triennal contre les violences faites aux enfants soit lancé par les pouvoirs publics et se préoccupe de la question du dépistage et de la prise en charge des traumas. Il a fallu patienter jusqu’en 2019 pour que dix « centres du pychotraumatisme », composés de professionnels formés et proposant une prise en charge pluridisciplinaire et sans frais, ouvrent enfin en France et en outre-mer grâce à notre plaidoyer (il est prévu que 5 autres prenant en charge les enfants voient le jour). C’est un premier pas, mais le chantier reste immense. À l’heure actuelle, les étudiants en médecine et les professionnels du soin sont toujours aussi peu formés, et sont encore rares à faire le lien entre de nombreux symptômes mentaux et physiques et des violences subies.
Connaître les conséquences psychotraumatiques des violences est absolument nécessaire pour mieux protéger, accompagner et soigner les personnes qui en sont victimes. Sans cette connaissance, beaucoup de symptômes et de comportement de victimes sont perçus comme paradoxaux par l'entourage et les professionnels qui les prennent en charge, et sont mal-interprétés, alors que ce sont des réactions normales à des situations traumatiques. Cf le clip pédagogique de 14mn de la MIPROF de la Dre Muriel Salmona sur « Les conséquences psycho-traumatiques des violences : la sidération, la dissociation, la mémoire traumatique » vidéo ICI
Cette méconnaissance est à l’origine d’une profonde incompréhension et d’un manque de reconnaissance de ce que vivent les victimes, de leurs souffrances, du danger qu’elle courent et de l’emprise qu’elles subissent. Elle participe à l’abandon où sont laissées la grande majorité des victimes qui doivent survivre aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques sans protection, ni soin. De plus, elle alimente le déni des violences, les idées fausses, la mise en cause et la culpabilisation des victimes.é »àLa méconnaissance des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes porte donc préjudice aux victimes et représente une grave perte de chance pour elles, d’autant plus, qu’une prise en charge médico-psychologique de qualité est efficace et permet, en traitant les troubles psychotraumatiques, d’éviter la majeure partie des conséquences des violences sur la santé des victimes, sur leur vie affective, sociale, scolaire ou professionnelle, et sur le risque qu’elles subissent à nouveau des violences.
Les violences conjugales pendant la grossesse
Les femmes seraient près de 10% (les chiffres varient entre 6 et 20%) à subir des violences conjugales physiques et sexuelles pendant la grossesse.
Si la grossesse chez certaines femmes subissant des violences conjugales est une période d’accalmie, au contraire, elle est un facteur déclenchant lors de la 1ère grossesse dans 40 % des cas, ou un facteur aggravant pour près des 2/3 des femmes qui signalent alors beaucoup plus de très mauvais traitements (étranglement, menaces avec armes, violences sexuelles).
Le foetus se retrouve en grand danger submergé par un stress continu générant une souffrance physiologique cardio-vasculaire et neurologique, les coups, les blessures et les traumas provoquées par les violences peuvent aller jusqu’à la mort du fœtus ou de la mère, et entraînent une augmentation d’un grand nombre de pathologies obstétricales et mentales : avec deux fois plus de risque de fausses-couches en début de grossesse avec 2 fois plus de fausses-couche (Saurel-Cubizolles et al., 1997), de mort in utero par décollement placentaire, d’hémorragie fœto-maternelles (Purwar, 1999), ruptures prématurées des membranes, diabète, hypertension artérielle, infections urinaires, vomissements incoercibles, dépressions, suicides. Les nouveau-nés de ces femmes ont un risque de prématurité et d’hypotrophie significativement augmenté de 37%(Silverman, 2006). Dès le 3ème trimestre de la grossesse les fœtus peuvent développer des troubles psychotraumatiques, et il peut naître avec des modifications épigénétiques des gènes de régulation du stress NR3C1 transmises par ses parents du fait des violences qu’ils ont subi dans leur enfance, qui le rendra encore plus sensible et vulnérable au stress (Perroud, 2011). Une enquête conduite en Seine-Saint-Denis, en étudiant rétrospectivement les grossesses chez des femmes victimes de violences conjugales, indique un taux d’accouchements prématurés de 23 % (contre 7 % sur le département étudié) et 7 % d’accouchements à domicile contre 2 ‰. Toutes les femmes participant à l’enquête se souviennent avoir subi des coups pendant leur grossesse, 82 % d’entre elles des violences sexuelles et 28 % des coups sur le ventre (Joudrier, 2012).
À la naissance le nouveau-né va être doublement en danger, directement par la violence de son père qui peut fréquemment s’abattre sur lui (dans 3/4 des cas), sa présence, ses pleurs réveillant là aussi la mémoire traumatique du père, indirectement par la difficulté de sa mère à s’occuper de lui et à établir un lien mère-enfant de qualité en raison des violences qu’elle continue à subir et de ses troubles psychotraumatiques, de son mal-être, de ses troubles dépressifs, de ses troubles cognitifs, de ses conduites dissociantes quand elle en a (conduites à risques, conduites addictives : alcool, drogues, tabac), avec des risques de négligences, voir plus rarement de maltraitance (maltraitance qui le plus souvent s’arrête aussitôt que la mère est mise en sécurité). L’impact psychotraumatique sera pour les nouveaux-nés majeur et il représentera un risque de maltraitance parentale (enfant anxieux très agité ne dormant pas ou enfant dissocié absent et ne mangeant pas).
Les violences conjugales après la naissance des enfants
L’enfant après sa naissance sera également en danger, exposé en tant que victime des violences conjugales et intra-familiales exercés par son père - aux risques de développer de nombreux troubles psychotraumatiques (60% de risque), dépression, anxiété, phobies scolaires, angoisse de séparation, hyperactivité, irritabilité, difficultés d'apprentissage, troubles de la concentration) et davantage de problèmes de santé physique (retard de croissance, allergies, troubles ORL et dermatologique, maux de tête, mal au ventre, troubles du sommeil et de l'alimentation) et d’être plus victime d'accidents. Il pourra présenter des troubles du comportements (10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence) dont des comportements agressifs vis-à-vis des autres enfants (50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l'enfance). (Rossman, 2001).
Des enfants qui restent en danger après la séparation Les violences conjugales continuent fréquemment en post-séparation voire s’aggravent, et les enfants peuvent se retrouver instrumentalisés par le conjoint violent pour continuer à maintenir une emprise et ils peuvent être exposés à des violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles ainsi qu’à une aggravation de leurs traumatismes lors des droits de visites encore trop fréquemment accordés au père ayant commis des violences conjugales. La mère qui tente de protéger les enfants qui dénoncent des négligences et des violences lors des droits de visite en refusant de les confier au père violent et qui signale les violences, peut se retrouver condamnée pour non présentation d’enfants et accusée de syndrome d’aliénation parentale (syndrome n’ayant aucune reconnaissance scientifique, de caractère sexiste et utilisé contre les mère dénonçant des violences), les plaintes pour violences étant alors classées sans suite. Les enfants peuvent se retrouver placés, voire même confiés à la garde exclusive du père violent.
Les enfants victimes de violences conjugales devenus grands
Adulte, il aura de nombreuses lourdes conséquences sur sa santé mentale et physique et sa qualité de vie avec des risques importants de marginalisation et de précarité, une augmentation des conduites à risque, des conduites agressives contre soi ou contre autrui, des conduites délinquantes et des troubles psychiatriques à l'âge adulte avec le risque de reproduire à nouveau des violences conjugales ou d’en être victime. L’étude ACE (Adverse Childhood expériences de Felitti et Anda, 2010) démontre que cette exposition précoce à plusieurs formes de violences constitue le premier facteur de mort précoce, de risque de suicide, de conduites addictives (alcool, drogues, tabac), d’obésité, de conduites à risque, de dépression, de grossesse précoce, de précarité, de marginalisation, de situations prostitutionnelles et de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à son tour (Abrahams, 2005, Fulu, 2017). Des liens très forts ont également été retrouvés avec de nombreux troubles psychiatriques, cardio-vasculaires, endocriniens et gynécologiques, ou avec des maladies pulmonaires, digestives, auto-immunes et neurologiques, des infections sexuellement transmissibles, des cancers, des ostéo-arthrites, des douleurs chroniques, etc.4.
Depuis cette première étude, les liens entre les violences subies dans l’enfance et les facteurs de risque prédominants pour la santé, ainsi que les principales maladies mentales et physiques développées à l’âge adulte ont été confirmés par de très nombreuses études scientifiques. Des recherches ont également documenté la neurobiologie de la violence, démontrant que le stress traumatique subi peut nuire à l’architecture du cerveau, au statut immunitaire, aux systèmes métaboliques, aux réponses inflammatoires et peuvent même influer sur l’altération génétique de l’ADN (Nemeroff, 2016). Une revue internationale de toutes les recherches menées sur ce sujet, parue dans Pediatrics en 2016 (Hillis, 2016) pour l’OMS5, montre que ce risque, identifié comme majeur pour la santé à long terme, est lié à l’impact psychotraumatique de ces violences et qu’il est gradué en fonction de la gravité des violences et de leur nombre.
Toutes ces conséquences sont liées aux troubles psychotraumatiques que l’ont peut traiter efficacement, elles sont donc évitables (Hillis, 2016). Ne pas traiter ces conséquences psychotraumatiques représente une perte de chance scandaleuse. Il est donc essentiel de former les professionnels de la santé en initial (ce qui n’est toujours pas le cas) et en continue, et de proposer une offre de soins spécialisées accessible et gratuite sur tout le territoire en France et en Outre-Mer, avec au moins un centre par territoire de santé mentale.
Il est essentiel de rompre ce cycle infernal de violences transgénérationnelles et de protéger les enfants :
- il faut lutter contre toutes les violences, et lutter contre tous les discours très répandus à caractère sexistes, discriminants et stéréotypés qui mettent en cause les victimes, qui banalisent, minimisent ou justifient les violences, et qui dédouanent les agresseurs et dénient leur dangerosité (un père violent n’est pas un bon père), ils sont à l’origine de fausses représentations et les théories anti-victimaires (SAP, chiffres faux sur les fausses allégations avec des stéréotypes sexistes et discriminants en fonction de l’âge sur les femmes et les enfants qui mentiraient très fréquemment, théories des faux-souvenirs (alors que les amnésies traumatiques sont très bien documentées et fréquentes particulièrement chez les enfants, 40%, syndrome de Médée) qui mettent en danger les victimes (mères et enfants) inversent les culpabilité et les privent de secours et de protections efficaces. Il est indispensable de déconstruire ces théories sans répit par des campagnes d’information et une éducation dès le plus jeune âge.
- il faut dépister systématiquement (dépistage universel) les violences à tout âge, particulièrement lors de la grossesse, et former tous les professionnels à comprendre repérer et diagnostiquer les troubles psychotraumatiques, et impliquer tous les professionnels de santé (cf recommandation de l’HAS, 2019) particulièrement les pédiatres, les pédo-psychiatres et les psychiatres, les médecins généralistes mais également les médecins scolaires et les infirmières scolaires, les médecins de PMI, les gynécologues et les obstétriciens, les sages-femmes, etc. Et tous les professionnels de l’éducation Nationale
- lors de violences conjugales, les enfants doivent être reconnus par la justice en tant que victimes comme l’exige la Convention d’Istanbul
- il faut que les professionnels sachent évaluer des situations de danger (questionnaire pour évaluer le danger à mettre en place)
- Il faut interdir les médiations et suspendre l’autorité parentale du parent violent dès le dépôt de la plainte jusqu’à la fin de l’instruction
- Pas de garde alternée en cas de suspicion de violences du conjoint
- il est essentiel d’informer sur les conséquences des violences sur la santé et le développement de l’enfant et d’expliquer les mécanismes neuro-biologiques, la sidération, la dissociation, la mémoire traumatique et les phénomènes d’emprise. Il est essentiel de faire des liens entre les symptômes présentés et les violences subies.
- il faut soutenir les victimes de ces violences, les femmes et leurs enfants, et les adultes qui ont été victimes dans l’enfance, ne pas les laisser survivre seules aux violences et à leurs conséquences, travailler en réseau et protéger les mères protectrices au lieu de les soupçonner fréquemment d’aliénation parentale (syndrome inventé par un psychiatre américain Gardner qui dans ses livres (édités à compte d’auteur) faisait la promotion des actes sexuels entre adultes et enfants, ce syndrome d’aliénation parentale SAP n’a qui n’a aucune validité scientifique, il est réfuté par la communauté scientifique internationale et qui met en danger les enfants) et interdire la citation directe pour la non-présentation d’enfant (les mères protectrices sont souvent condamnées pour ce délit sans enquête préalable).
- il faut former les experts à la psychotraumatologie ainsi que les équipes socio-éducatives qui font des enquêtes et des rapports
- et traiter le plus précocement possible les troubles psychotraumatiques des victimes femmes et enfants, et leur mémoire traumatique par des prises en charge spécialisées qui sont efficaces.
- il faut expliquer aux femmes les mécanismes à l’oeuvre chez l’homme violent, ce qui leur permettra une meilleure compréhension de son comportement, de sa position d’emprise et leur permettra de mieux se défendre en se désolidarisant d’une histoire qui n’est pas la leur et qui leur est imposée dans un scénario violent. Les agresseurs enfin peuvent et doivent se faire traiter, il s’agit de les “désintoxiquer de leur recours à la violence comme conduite dissociante et de les sortir d’une anesthésie affective qui les rend particulièrement dangereux.
- il faut lutter contre l’impunité et protéger efficacement les mères et leurs enfants des conjoints violents
Les conséquences psychotraumatiques à long terme des violences conjugales de l’enfance à l’âge adulte : vignettes cliniques suivies de témoignages
Beaucoup d’anciens enfants victimes de violences conjugales ont une obsession celle ne pas reproduire les comportements de leur parent violent, si ils ne sont pas accompagnés et si leurs psychotraumatismes ne sont pas traités, c’est une torture morale épuisante engendrant de grandes souffrances et conduisant parfois au suicide
Les phobies d’impulsion chez de jeunes parents ayant été victimes de violences conjugales étant enfant: une torture morale pour ne pas reproduire les violences intra-familiales
Si nous considérons de jeunes parents ayant été gravement maltraités dans leur enfance par leur propre mère ou père, par une nourrice ou une personne qui les gardaient, la plupart vont être très attentifs à ne surtout pas reproduire sur leurs enfants ces violences qu'ils ont en horreur. Mais en raison de leur mémoire traumatique, par sécurité et principe de précaution, ils développeront des conduites de contrôle et d'évitement parfois envahissantes pour ne pas s'énerver, ne pas se mettre en colère, et éviter toutes les situations de tension. Ils pourront même se torturer, en interprétant à tort des explosions de leur mémoire traumatique comme un désir impulsif de commettre des violences. On appelle ces peurs des « phobies d'impulsion ».
Alors qu'ils s'occupent de leur enfant, ces mères ou ces pères se retrouvent soudain envahis par des images mentales de violences ou par des sentiments de colère, de haine ou d'excitation sexuelle qui leur font extrêmement peur et les atterrent, ils ont l'impression de se voir en train de noyer ou de brûler leur bébé alors qu'ils lui donnent le bain, de le faire tomber alors qu'ils le portent dans leurs bras, de le blesser quand ils ont à portée de mains des ciseaux ou d’un couteau, ou de commettre des agressions sexuelles quand ils sont en train de le changer. Ils ont l'impression de ressentir une haine ou une excitation sexuelle incompréhensibles, des phrases cruelles leur traversent l'esprit. Ce sont en fait des réminiscences de violences qu'un de leur parent ou tout autre adulte qui les gardait leur a fait subir, le plus souvent dans leur petite enfance, ainsi que des réminiscences de la colère, de la haine et de du mépris de ces agresseurs, de leur excitation sexuelle perverse et de leurs phrases assassines, et qu'ils n'identifient pas comme telles. Ils ne font pas le lien entre ces images mentales violentes et les violences subies par le passé qu’ils ont le plus souvent essayé d’oublier, ou dont ils ne se souviennent pas en raison d'une amnésie psychologique de survie (d'évitement) ou d'une amnésie physiologique quand les violences ont été commises alors qu’ils avaient moins de trois ans (du fait de l'absence normale de souvenir avant l'âge de deux-trois ans liée à l'immaturité des circuits de la mémoire).
S'occuper d'un enfant dont le sexe, l'âge, la vulnérabilité, les cris, les comportements rappellent à ses parents leur propre histoire et les violences subies, stimule l'allumage de leur mémoire traumatique et entraîne des flash-backs, des images mentales, des hallucinations visuelles, auditives ou sensorielles. Ils risquent alors de confondre ces réminiscences de violences bien réelles de leur enfance avec des fantasmes de violence créés de toutes pièces par leur pensée. Et puisqu'ils croient, à tort, que ces images mentales sont le fruit de leur imagination qui serait elle-même alimentée par un désir inconscient monstrueux, ils sont horrifiés par eux-mêmes et terrorisés à l'idée de passer à l'acte et de faire mal à leur enfant. Il arrive qu’ils craignent même d'avoir commis ces violences et de les avoir oubliées, bien qu'ils sachent pourtant que jamais ils n'auraient voulu les commettre, et que ces violences leur fassent horreur. Ces craintes peuvent devenir omniprésentes et faire partie de conduites dissociantes, c’est-à-dire d'une compulsion paradoxale à se faire peur avec ce que l'on redoute le plus, pour s'anesthésier et s'abîmer sans fin dans un questionnement interminable. Ces parents vivent alors une véritable torture morale, et se pensent monstrueux. Une patiente, gravement maltraitée dès sa naissance, et agressée sexuellement a pu échapper à une colonisation par sa mémoire traumatique et à ces phobies d'impulsion en élevant ses enfants dans une tout autre culture et une autre langue que sa langue maternelle.
Il n'y a, dans ces cas-là, pas de risque pour ces jeunes parents de passer à l'acte, puisqu'il n'y a aucune intention de faire mal à l'enfant, ni de l'utiliser « pour se soulager » comme dans les agressions réelles, bien au contraire pour ces jeunes parents, commettre des violences est ce qu'ils craignent par-dessus tout et ce qu'ils ne veulent pour rien au monde. Ils ne sont absolument pas dans la position de rationalisation d’un agresseur qui, pour pouvoir passer à l'acte et s'anesthésier, va projeter la « faute » sur sa future victime, « c'est cet enfant qui me pousse à bout, me met hors de moi et me donne envie de le réduire en bouillie, de le jeter par la fenêtre », « c'est cet enfant qui fait naître en moi des idées obscènes, qui me provoque » (donc ce n'est pas à l’adulte de se contrôler, c'est à l’enfant de ne pas susciter chez l’adulte ces idées ou ces sentiments). Les jeunes parents souffrant de « phobies d'impulsion » ont un processus de pensée radicalement différent qui serait qualifié de « névrotique » par les psychanalystes : ils n'attribuent à aucun moment une quelconque responsabilité à l'enfant, c'est tout le contraire, ils s'attribuent à tort l'entière responsabilité de ces images mentales ou de ces sentiments qui les envahissent. Ils ont beau savoir qu'ils n'y adhèrent absolument pas, ils pensent qu'ils doivent avoir en eux un « continent noir » terrifiant, et ils ont un regard sur eux-mêmes catastrophique. Ces phobies d'impulsion peuvent faire renoncer de nombreuses personnes à devenir parents, ou à exercer un travail qui les met en contact avec les enfants.
Et il est très difficile de les rassurer quand ils viennent demander de l'aide, ils n'arrêtent pas de se torturer et de se soumettre à une auto-censure et un à contrôle draconien et épuisant. Au lieu d'accuser l’adulte qui les avait agressés dans le passé, ils s'accusent eux-mêmes, faute d'outils explicatifs pour comprendre ce qui leur arrive. Et si un thérapeute ne connaissant pas les symptômes psychotraumatiques leur renvoie qu'il s'agit bien de « désirs ou de fantasmes inconscients », ils peuvent, par désespoir tenter de se suicider. Ils ne pourront être rassurés et apaisés que lorsque ces images mentales, ces sentiments, ces sensations et ces phrases qui les torturent auront été compris et identifiés comme des réminiscences brutes et incontrôlables de violences qu'ils ont subies dans le passé.
Les parents maltraitants et incestueux qui ont été victimes de violences conjugales : la haine des victimes et l’adhésion à une position de rapport de force et de domination
Au contraire, certains de ces jeunes parents maltraités dans l'enfance ne chercheront pas à éviter à tout prix de reproduire le comportement violent de leur parent agresseur ou de la personne qui les gardait, et ils ne mettront pas en place de conduites d’évitement efficaces, ni de conduites de contrôle. En adhérant à une vision du monde où le rapport de force est naturel, et en supportant l'incohérence de ce système de pensée, ils vont accepter l'idée qu'il est « normal » de piquer une crise s’ils sont énervés comme ils ont si souvent vu leur mère ou leur père le faire, « normal » d'être incohérent, « normal » de frapper avec sa force d'adulte un enfant tout petit même si ce geste est totalement surdimensionné, puisque c'est la faute de l'enfant, « normal » d'utiliser leur enfant comme objet sexuel.
Pour eux, comme pour les agresseurs de leur passé, leur position de supériorité met en scène que c'est à l'enfant de se contrôler et non à eux, que c'est à l'enfant de s'adapter et non à eux. L'enfant doit se soumettre à leur désir, à leur état d'humeur, comme c'était le cas pour eux dans leur enfance. Et pour se soulager d'un état de tension pénible, ils vont reproduire de façon souvent très semblables les violences de leur passé, et les comportements de leur parent ou de la personne violente qui les gardait, avec les mêmes crises, les mêmes injures et les mêmes gestes, les mêmes scénarios. Et comme ils jouent le rôle de l’agresseur de leur passé (leur enfant ayant le rôle de l'enfant qu'ils étaient), ils vont souvent reproduire à l'identique la voix de leur mère, de leur père ou des femmes et des hommes qui les gardaient. Ils vont reproduire leurs expressions, leurs attitudes, et devenir méconnaissables, ce qui sera encore plus terrorisant pour l'enfant qui ne reconnaîtra plus son parent, transformé en « monstre » (les contes pour enfant le mettent bien en scène avec les transformations de femmes en sorcières, et d'hommes en ogres).
Ces parents rationalisent leur comportement violent, l'expliquant par les comportements ingérables de l'enfant, « il est insupportable, rien ne peut le calmer si ce n'est de lui en mettre une ! », « je ne pouvais pas faire autrement, il fallait bien l'empêcher de…, l'obliger à… », « avec ses attitudes, il m'a provoqué… ». Ils diront qu'ils sont désolés d'avoir été violents mais qu'ils ne pouvaient pas faire autrement, qu'ils ne pouvaient pas résister à la tentation…, qu'en dernier ressort c'est la faute de l'enfant… Ils pourront même pleurer et se faire consoler par l'enfant pour les avoir mis dans cet état-là… Pourtant ils savent bien qu'ils n'étaient pas dans un état normal, que rien de ce qu'avait fait l'enfant ne pouvait justifier cette violence, que la violence n'avait pour fonction que de les soulager.
L'impasse est complète sur ce que peut vivre et ressentir l'enfant pendant l'accès de fureur ou les agressions sexuelles, sur l'injustice et l'atteinte à ses droits que représente cette violence, et sur les conséquences graves que cela aura sur lui. Il s’agit pour les agresseurs d’effacer les traces de la victime qu’ils ont été. La haine inouïe qui explose au moment des violences n’est pas en réalité dirigée contre l’enfant, la victime qu'ils haïssent c’est eux-mêmes, ils vont la faire disparaître par un tour de passe-passe en s’attaquant à une autre victime – leur enfant – à qui ils font rejouer de force leur propre histoire pour mieux la nier et l’écraser, la victime a toujours tort… et il est hors de question d’être cette victime que la mémoire traumatique fait revivre, s’il faut replonger dans ce passé honni, autant rejouer le rôle de l’agresseur quitte à se trahir, ils y gagnent le privilège d’être du bon côté de la barrière.
De plus l’anesthésie émotionnelle déclenchée par les violences, à la fois chez eux et chez leur enfant traumatisé, leur permet une fois la crise passée de se dire que ce qu’ils ont fait n’est pas si grave puisqu’ils ne ressentent rien ou pas grand-chose, et que l'enfant souvent semble lui aussi ne rien ressentir, anesthésié qu'il est par les violences, même si intellectuellement tout est là pour réaliser la gravité de ce qui s’est passé.
Le fait qu'ils n'ont absolument pas le droit de se comporter comme cela, quels que soient leur état d'énervement, de fatigue, leur contrariété ou la peur qu'ils ont eue, quelles que soient aussi les bêtises de l'enfant, et sa désobéissance, quelle que soit l'excitation sexuelle qu'ils ont ressentie ne fait pas sens pour eux. Ce qui l’emporte c’est cette rage à détruire la victime qu’ils ont été, qui tel un diable hors de sa boîte, leur a sauté à la figure.
Prendre conscience du processus de remise en scène des violences lié à la mémoire traumatique, des conséquences psychotraumatiques des violences sur l'enfant maltraité qu'ils ont été, et sur les enfants qu'ils maltraitent à leur tour, sur le fait qu’ils n'ont pas le droit de se soulager en étant violents sur leurs enfants, tout comme leurs parents n'avaient pas le droit de le faire, et qu’ils n’ont en aucun cas plus de valeur que leur enfant, peut leur permettre de stopper le cycle infernal transgénérationnel des violences, et de « traiter » leur mémoire traumatique autrement.
Enfants traumatisés par les scènes de violence conjugale : vignettes cliniques
De la même façon, certains des enfants ayant assisté impuissants à des scènes de violences conjugales dont un de leur parent était l'auteur, peuvent reproduire à l'âge adulte des conduites violentes sur tous leurs conjoints, mais aussi dès l'adolescence sur leurs sœurs ou frère, sur leur mère ou leur père, avec un mode opératoire souvent très semblable à celui qu'ils ont eu sous les yeux dans leur enfance, reproduisant les mêmes types de violences : verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, reproduisant les mêmes mises en scènes tyranniques, les mêmes scènes de jalousie, etc. C’est bien montré dans deux spots télévisuels de campagne contre les violences conjugales lancées par le secrétariat d’État chargé de la famille et de la solidarité il y a quelques années.
Le premier spot met en scène un couple. La femme range des couverts dans le lave-vaisselle, son conjoint est attablé, visiblement énervé. Une fourchette tombe bruyamment, l’homme se lève et frappe la femme en la traitant d’incapable. Elle s’écroule par terre et pleure en chien de fusil. Arrive un petit garçon de 7-8 ans, on s’attend à ce qu’il se précipite dans les bras de sa mère en pleurant pour la consoler et se faire consoler, au lieu de cela il lui lance un violent coup de pied dans les côtes… Le deuxième spot met en scène deux enfants qui jouent à la dînette et au papa et à la maman. Ne sont filmés, sous la table, que leurs pieds dans des chaussures d’adultes, une paire d’escarpins blancs pour la petite fille et une paire de mocassins noirs pour le petit garçon. La petite fille sert le thé et soudain le petit garçon s’en prend violemment à elle, elle a renversé du thé, elle est une incapable ! La petite fille apeurée essaie de s’excuser, ses pieds, nerveux, se tordent dans les escarpins. Mais rien n’y fait, le ton monte. Les mocassins contournent pesamment les pieds de la table, s’approchent des escarpins, une gifle s’abat, la petite fille tombe de sa chaise à terre. Ce n’est plus du jeu, s’affiche alors le message suivant : « Les enfants apprennent beaucoup de leurs parents y compris les violences conjugales.
De la nécessité d’une prise en charge adaptée
Les enfants témoins de violences conjugales ou victimes de violences intra-familiales que je vois en consultation peuvent être violents dans leur famille sur leurs frères et sœurs, sur leur mère, à l’école sur d’autres enfants ou sur des adultes. Comme dans les spots ils peuvent reproduire un rapport de domination en exerçant la loi tyrannique du plus fort par identification à leur parent violent. Des petites filles peuvent être continuellement martyrisées par leur grand frère.
Une jeune patiente, Aurélie, depuis l'âge de 5 ans jusqu’à 12 ans (âge auquel elle a été séparée de son frère), a été menacée, terrorisée et violentée par son frère âgé de quatre ans de plus qu'elle quand elle était gardée par son père : elle recevait des coups de pieds et d'énormes claques sur la tête, elle subissait de graves mises en danger telles que des accidents de vélo provoqués, des tentatives de noyade ou de défenestration, des strangulations, elle devait la nuit « jouer » de force « au papa et à la maman » et subir des agressions sexuelles. Le père qui préférait très ostensiblement son fils a surpris une nuit les deux enfants, a considéré qu'il ne s'agissait que de « jeux d'enfants » et a puni les deux en leur faisant écrire 1 000 fois « je ne dois pas jouer à ce jeu-là avec mon frère/ma sœur », le fils a réussi à y échapper, seule la petite fille a fait les punitions.
Heureusement la mère, inquiète pour sa fille qui présentait de nombreux symptômes d'anxiété et des cauchemars, a réussi à la sécuriser suffisamment pour qu'elle puisse lui parler, ce qui a permis de la protéger et de mettre en place une prise en charge. Aurélie a été soulagée de pouvoir parler, d'être comprise et que l'on s'indigne de ce qu'elle avait vécu en lui disant que son frère n'avait pas le droit de lui faire subir toutes ces violences, que c'était très grave et qu'il aurait à répondre de ses actes. Elle a très bien compris les mécanismes psychotraumatiques. Pouvoir comprendre sa mémoire traumatique, pouvoir analyser ce qui suscitait son allumage et la grande détresse qui s'ensuivait lui a permis de bien mieux la contrôler. Dès les premiers entretiens elle a réussi toute seule à trouver l'origine de flash-backs accompagnés d'une grande angoisse, qu'elle subissait sans comprendre auparavant, comme voir dans la salle d'attente une famille avec un grand frère et une petite sœur, tomber en rangeant sa chambre sur une photo de famille avec son frère dessus, avoir mal à la tête (ce qui lui rappelait inconsciemment les coups qu'elle recevait), etc. Elle a aussi immédiatement compris les conduites dissociantes, et les a repérées chez elle sous la forme de scénarios remplis de scènes de grandes violences ou d'horreur qu'elle imaginait et se racontait aussitôt qu'elle se sentait mal. Et ces scénarios qui lui faisaient honte ont disparu avec la prise en charge.
Maxime, un garçon de 10 ans, a été témoin de grandes scènes de violences commises par son père sur sa mère quand il avait 4 ans, depuis ses parents sont séparés et il vit avec sa mère et ne voit son père que très rarement, père chez lequel il a subi des violences sexuelles par un demi-frère âgé de 17 ans. Sa mère a porté plainte pour les agressions sexuelles pour lesquelles un non-lieu a été prononcé. Maxime, lors de son audition à la brigade des mineurs, a parlé d'agressions qu'il a commises sur d'autres enfants de son âge, et dit qu'il avait été consentant pour ces actes. La justice a considéré qu'il ne s'agissait pas d'agressions sexuelles mais d'atteintes sexuelles, et comme l'auteur était mineur au moment des faits, le demi-frère ne pouvait pas être inculpé pour une atteinte sexuelle.
La plainte déposée par sa mère et le fait d'avoir pu nommer les violences sexuelles a permis à Maxime, malgré la décision de justice, de ne plus avoir de passage à l'acte avec d'autres enfants. Mais lors de la thérapie, Maxime, avec beaucoup de culpabilité et de honte, m'explique qu'il ne peut pas penser à une personne de son entourage (amis de classe, filles ou garçons, enseignants, personnes de sa famille) sans être envahi par des images sexuelles violentes et dégradantes. Quand nous cherchons ensemble d'où viennent ces images, après lui avoir expliqué comment fonctionne la mémoire traumatique, Maxime parle pour la première fois des nombreux films pornographiques qu'il a vus chez son père depuis l'âge de 6-7 ans, après être tombé par hasard sur une chaîne de télévision alors qu'il était seul. Il est alors très soulagé à la fois de savoir que ces images ne proviennent pas de lui mais qu'elles proviennent de ces films qui l'ont traumatisé, et également de savoir que la pornographie n'est pas une représentation de la sexualité adulte. Quelques entretiens permettent de le libérer totalement de ces images.
Au début de la prise en charge il présentait également d'importantes phobies : il ne pouvait pas voir un couteau de cuisine, il hurlait aussitôt, se sauvait et demandait à sa mère de le ranger toute affaire cessante ; il vérifiait sans cesse la fermeture de toutes les fenêtres et des volets de l'appartement, et il ne pouvait se coucher qu'après avoir fait de multiples vérifications, obligeant sa mère à faire de même. Rapidement, avec l'aide de sa mère, nous avons fait le lien entre ses symptômes et des scènes de violences conjugales auxquelles il avait assisté avant ses 4 ans, le père ayant poursuivi la mère avec un couteau pour la tuer et menacé de la jeter par la fenêtre. Maxime n'avait aucun souvenir de ces scènes. Je lui ai expliqué que ses peurs venaient de ce qu'il avait vécu quand il était petit et qu'il était terrorisé par les violences de son père, violences qui l'avaient traumatisé. Les liens que nous avons faits ont permis d'améliorer les phobies sans toutefois les faire disparaître. Sa mère m'a dit qu'elle avait oublié de me dire que son fils venait presque toutes les nuits dans sa chambre, il se plantait devant le lit et restait là pour la regarder jusqu'à ce qu'elle se réveille ce qui la mettait très mal à l'aise. Quand j'en ai parlé avec Maxime, je l'ai senti très mal, il m'a dit qu'il avait quelque chose à me dire mais qu'il avait trop honte et s'est mis à pleurer pour la première fois. Il m'a demandé d'être seul avec moi, et désespéré il m'a expliqué qu'il allait vérifier si sa mère était toujours vivante car il avait peur de l'avoir tuée, et que c'est pour cette raison aussi qu'il avait peur des couteaux, peur de la blesser, et peur des fenêtres ouvertes, il avait peur de l'avoir jetée dans le vide. Pourtant m'a-t-il dit en pleurant avec des hoquets, je l'aime, je ne veux pas qu'elle meure. Et quand je lui ai demandé de me préciser ce qui se passait dans sa tête à ces moments-là, il est arrivé à me dire qu'il « se disait » : « je vais te tuer ! », « je vais te planter ! », « je vais te foutre par la fenêtre salope ! ». Il était persuadé qu'il s'agissait bien de sa pensée, même si ce n'était du tout pas ce qu'il voulait. En analysant avec lui les phrases qui étaient dans sa tête, je lui ai fait prendre conscience que ce n'était pas la voix d'un petit garçon qu'il entendait mais une voix d'homme qui hurlait, et je lui ai expliqué alors que ce n'étaient pas ses phrases à lui, mais celles de son père qu'il avait entendues quand il était plus petit, et ces phrases traumatisantes étaient devenues des expressions de sa mémoire traumatique qui le colonisaient. Maxime a été énormément soulagé et déculpabilisé de comprendre que ces phrases, cette haine qu'il ressentait n'étaient pas les siennes mais celles de son père. Il en était arrivé à penser qu'il était un monstre, et il avait très peur de lui-même, à tel point qu'il avait pensé à se suicider. Nous avons travaillé ensemble pour comprendre à quel moment les phrases surgissaient (à certaines heures, au moment du repas ou du coucher, quand sa mère criait…). Rapidement les phrases ont été contrôlées puis elles ont disparu et les comportements phobiques et obsessionnels aussi. Maxime s'est enfin senti libéré d'un énorme poids.
De même, Damien, un enfant de 4 ans est amené par sa mère en consultation parce qu'il avait mis le feu chez lui dans une penderie, feu qui heureusement a pu être maîtrisé. Quand je lui ai demandé pourquoi il avait fait cela, il a parlé spontanément d'une phrase qu'il entendait en boucle dans sa tête : « Je vais foutre le feu à la maison ! Je vais foutre le feu à la maison ! ». L'année précédente, Damien avait été témoin de violences conjugales, son père avait menacé de mort sa mère et tenté de mettre le feu à l'appartement en déversant de l'essence devant la porte d'entrée. Et c'est après une dispute entre sa mère et son beau-père que Damien a mis le feu, cette dispute qui lui a fait peur étant certainement à l'origine de l'allumage de sa mémoire traumatique. Malgré le très jeune âge de Damien, il a été possible de prendre en charge ses troubles psychotraumatiques et de lui expliquer d'où venait cette phrase, dont il n'avait aucun souvenir, et de lui faire comprendre que dans sa tête ce n'était pas lui qui parlait, que c'était les paroles de son père qui revenaient, et qu'il ne fallait pas « obéir » à cette voix.
Un autre petit garçon de 5 ans, victime de maltraitances et de violences sexuelles dans sa famille par son père, m'est amené par l'Aide Sociale à l'Enfance pour que je prenne en charge ses traumatismes et ses comportements sexuellement violents sur les autres enfants de la maison familiale où il est placé. Il est tellement stressé par ce premier rendez-vous qu'il « switche » devant moi et répond à mes questions en me lançant « j'm'en bats les couilles » avec un air menaçant ! Mais, que je lui propose des bonbons, a suffi pour le faire revenir à lui-même, à sa réalité d'enfant gai, curieux et éveillé. Les enfants, même petits, comprennent très bien les explications sur les mécanismes à l'origine des images et des scénarios violents qui les envahissent. Ils sont le plus souvent très intéressés, et grâce à des dessins ils visualisent ce qui se passe dans leur cerveau, ce qui les aide à mieux contrôler les allumages de leur mémoire traumatique, et à les désamorcer. En quelques consultations ce petit garçon n'a plus commis de violences sexuelles sur les autres enfants et il a pu réinvestir l’école.
De même une jeune fille, Lisa, très inhibée, gravement maltraitée et violée par un père qui avait été également très violent avec sa mère, pouvait, aussitôt qu'elle se sentait en danger, basculer dans un discours hyperviolent et humiliant à l'égard de sa mère et d'autres personnes, avec des propos orduriers qui ne faisaient pas du tout partie de son discours habituel. Lui faire la morale, ce que faisait sa mère, ne faisait qu'aggraver sa violence. La prise de conscience qu'elle était à ces moments-là colonisée par la violence de son père, que ces propos étaient totalement incohérents avec ce qu'elle était et voulait être, lui ont permis de ne plus « switcher ».
La prise en charge psychothérapeutique permet de traiter sa mémoire traumatique, de décoloniser le psychisme des enfants des violences subies et de les sortir de leur anesthésie émotionnelle de survie. La reconnaissance des violences conjugales intra-familiales subies, la prise en compte de ce que les enfants avaient fait subir de par leur violence et de ce qu'il avait eux-même subi en tant que victime, le recours à la loi, la restauration des droits, de la dignité et de la valeur des victimes, permettent de remettre de la cohérence dans la perception que peut avoir du monde ces enfants et de stopper la reproduction de comportements violents.
Le processus de rage vengeresse
Mais des enfants peuvent être violents selon un autre processus, de l’ordre de la révolte et de la rage vengeresse contre des substituts de leur père. Ils s’en prennent alors à des garçons ou à des hommes adultes qui ont une ressemblance avec leur père, ou des comportements, des expressions, des propos violents ou incohérents qui leur rappellent celui-ci, sans qu’ils puissent consciemment identifier ce lien. Par procuration, ils leur font payer ce que leur père a fait.
Franck, un adolescent qui avait été témoin pendant sa petite enfance des violences que son père faisait subir à sa mère, se retrouvait, dix ans après la séparation de ses parents, exclu de plusieurs collèges successifs pour avoir frappé des surveillants et un professeur d’éducation physique sportive. Pourtant avec ses amis, ou chez lui avec sa mère, il était décrit comme quelqu’un de calme et gentil. Quand on lui demandait pourquoi il avait été si violent, il expliquait ses actes comme des réactions à ce qu’il estimait être des abus de pouvoir et des injustices, et se décrivait au moment des faits, dans un état de stress et de surtension extrême, à bouillir comme « une cocotte-minute », avec la sensation que son cœur et sa tête allaient exploser s’il ne laissait pas éclater sa rage. Ce n’est qu’après avoir analysé de façon précise les situations de violences qu’il a pris conscience que ces hommes qui l’avaient mis hors de lui, avaient eu des comportements qui évoquaient ceux de son père. Il a compris qu’il était à la fois envahi par le sentiment de détresse de ce petit enfant du passé, terrorisé et persuadé que sa mère allait être tuée sous ses yeux, et par un sentiment de rage et de haine vis-à-vis de ceux qu’il assimilait inconsciemment à ce père hyperviolent. Faire ce lien avec sa petite enfance, parler avec moi des scènes de violences dont il avait été témoin en les analysant, lui a permis de mieux se contrôler, d’être dans un dialogue raisonné avec lui-même, et de s’apaiser. Il a pu reprendre une scolarité normale dans un nouveau lycée où tout s’est bien passé.
Anna, une petite fille de 9 ans, a assisté à une crise terrifiante durant laquelle son père avait essayé d’écraser sa mère en emboutissant violemment avec sa voiture la vitrine de la petite épicerie où travaillait et habitait sa mère. Anna, paniquée, s’était enfuie en sautant par la fenêtre du premier étage, et elle avait été retrouvée hagarde à courir sur une route nationale, au milieu des voitures. Peu de temps après, elle avait perdu une grande partie de ses cheveux et ne dormait presque plus, réveillée plusieurs fois par nuit par des cauchemars où sa mère était toujours en danger de mort. Son père était passé en jugement et avait été condamné à une peine de prison ferme, mais il n’avait pas été incarcéré faute d’un mandat de dépôt. Pour se cacher, la mère et la fille avaient dû déménager sans laisser d’adresse. À l’école, Anna était devenue très irritable et se bagarrait comme une furie avec tous les garçons qui se risquaient à la taquiner ou à l’embêter. Parler de la scène de violence, décrire devant sa mère ses peurs et ses cauchemars, se sentir comprise et grâce aux explications sur les mécanismes psychotraumatiques, mieux se comprendre, lui ont permis de se sentir moins seule, et de mieux gérer ses angoisses et son agressivité. Anna veut devenir juge.
Quand les victimes deviennent bourreaux
Certains enfants ont dû se soumettre toute leur enfance à la violence et à la tyrannie d'un parent (ou de leurs deux parents) qui ne supportait aucun stress, aucune contrariété, aucune frustration sans se mettre à râler ou à hurler, et qui devaient comme leur mère et leurs frères et sœurs, ne plus bouger, ne plus rire, ne plus jouer, ne plus parler, ne plus demander quoi que ce soit à leur mère, ne plus être tendrement contre elle dès que le père mettait la clé dans la serrure. Ces enfants pourront reproduire ces comportements sur leurs frères et sœurs plus jeunes, sur leurs animaux de compagnie dont ils peuvent devenir les tyrans, à l’école, au travail, et surtout, par la suite, dans leur propre famille, considérant que tout cri, toute contrariété, toute manifestation trop ostensible de joie, d'excitation, de tendresse entre leur femme et leurs enfants les énerve et les contrarie, et que c'est inadmissible ! Ils se permettront de terroriser leur famille pour ne pas avoir à gérer eux-mêmes les manifestations désagréables de leur mémoire traumatique concernant leur enfance. Devenus adultes, plongés à nouveau dans un univers familial, leurs propres enfants par leurs comportements vont rallumer des états de stress chez eux, un cri, des rires vont rappeler des situations traumatisantes avec leur père ou leur mère quand ils étaient enfants. Ils vont donc, grâce au rapport de force qu'ils s'octroient, imposer à la famille de leur éviter à tout prix des situations susceptibles de faire exploser leur mémoire traumatique, quitte à vivre totalement anormalement. Et si la famille échoue à éviter une explosion de leur mémoire traumatique, ce sera à elle de servir de fusible, en subissant un accès de violence, en l'occurrence des hurlements et des menaces effrayantes, pour qu'ils puissent disjoncter et s’anesthésier.
Dans l’enfance d’un homme qui avait tenté d'étrangler sa compagne devant leur petite fille de 7 ans (celle-ci avait sauvé in extremis sa mère en appelant elle-même la police), on a retrouvé un épisode de violence inouïe auquel il avait assisté impuissant et horrifié à l'âge de 7-8 ans : son propre père très violent sur toute sa famille, avait assassiné une de ses filles de 17 ans par pendaison, parce qu'elle était enceinte… un crime « d'honneur » qui était resté impuni. Et c’est ce crime effroyable commis par son père, que cet homme « transformé en monstre » remettait en scène, animé par la volonté de tuer sa femme en l'étranglant, totalement méconnaissable, avec un regard fou et une voix effrayante que sa femme et sa fille n'avaient jamais vue, ni entendue. C'était la voix, le regard, la volonté de tuer du père qui se réactualisait chez lui, par l'intermédiaire de cette mise en scène qu'il rejouait pour pouvoir disjoncter et s'anesthésier. De témoin-victime le fils devenait à son tour le bourreau, sa femme ayant le rôle imposé de la sœur-assassinée et leur petite fille jouant le rôle de l’enfant témoin-victime qu’il avait été.
Tout se passe comme si, pour pouvoir avancer en toute sécurité sur leur terrain terriblement miné et dangereux, les agresseurs se choisissaient des esclaves pour marcher devant eux, à ces derniers de sauter sur les mines à leur place, tout comme ils avaient été obligés de le faire dans leur passé. Les agresseurs savent que ce qu'ils imposent à leur victime est horrible et profondément injuste, d'autant plus qu'ils l'ont vécu, mais « à chacun son tour… tant pis pour les plus faibles… », « On l'a fait devant moi, on me l'a fait, pourquoi ne le referai-je pas ? ». Les agresseurs, au fur et à mesure des violences qu'ils commettent, développent une anesthésie émotionnelle qui leur facilite la tâche et qui leur permet – puisqu'ils ne ressentent pas d'émotions – de ne pas être encombrés par une empathie naturelle face aux souffrances de leurs victimes, ce qui les rend de plus en plus dangereux. Ils ne veulent ressentir aucune culpabilité qui pourrait être source d'angoisse et vont tout faire pour que la victime se sente coupable à leur place, en mentant éhontément et en organisant des scénarios mystifiants. Il y a alors un mépris total de la vie, qui est perçue comme une jungle où règne la loi du plus fort et où c'est chacun pour soi, l'essentiel étant d'être à tout prix du « bon côté », du côté des agresseurs. Pour avancer, il leur faut des « esclaves » qu'ils choisissent à la fois pour leurs qualités humaines et intellectuelles (il faut des « démineurs » courageux, expérimentés et si possible dévoués), pour leur vulnérabilité et leur dépendance (c'est plus facile de les dominer), et pour leur isolement (personne n'est là pour les défendre et répondre d'eux). Mais ils peuvent aussi formater de nouveaux esclaves, en les soumettant à une emprise psychologique destructrice, comme dans le cadre de sectes, ou parfois dès leur naissance quand il s'agit de leurs propres enfants.
Comment lutter contre les violences
La prise en charge psychothérapique spécialisée va aider rapidement les victimes traumatisées, non seulement à se comprendre, mais aussi à comprendre ce que l’agresseur met en scène, à ne plus se retrouver piégées dans un rôle qui leur est imposé, et surtout à démonter l'imposture de l'agresseur. Quand les victimes se rendent compte que les violences ne les concernent absolument pas, qu'elles se jouent sur une autre scène – une scène provenant du passé de l’agresseur – qui n'a rien à voir avec leur histoire actuelle et avec leur réalité, elles ne sont plus pétrifiées par le caractère insensé des violences. Ces violences qui étaient incompréhensibles, incohérentes peuvent alors prendre sens par rapport à un passé traumatisant de l’agresseur, et il devient possible pour les victimes de ne plus participer au jeu imposé par sa mise en scène, et à sa manipulation pour la culpabiliser. À partir du moment où elles comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle dans lesquels elles sont piégées et s'en libérer, elles ne sont plus la proie pétrifiée dont l'agresseur a besoin pour que sa mise en scène soit convaincante et efficace pour lui. Le « jeu » ne fonctionne plus, la victime se met hors-jeu et laisse l'agresseur face à une mise en scène où il ne peut plus jouer le rôle de bourreau, faute de victime effarée et pétrifiée. Son histoire, qu'il imposait à la victime, lui est renvoyée en pleine figure, en miroir, il est alors ramené à son propre rôle, un rôle de victime qu'il ne veut surtout pas jouer. Le « jeu » n'a donc plus de sens, ni plus d’intérêt, et il n'est plus dissociant : à lui de se dissocier autrement ou de se calmer.
Les violences peuvent donc être très « contaminantes », la « contamination » étant une conséquence psychotraumatique directe des violences subies avec pour vecteur la mémoire traumatique. Lutter contre les violences passe donc avant tout par la protection des victimes. Protéger les victimes et les soigner, le plus précocement possible, évitera non seulement des vies perdues, de grandes souffrances mais aussi de nouvelles violences. Toute victime traumatisée non identifiée, non protégée, non accompagnée, non soignée, abandonnée, se retrouvera dans l’obligation de survivre en mettant en place tôt ou tard des conduites d’évitement handicapantes et des conduites dissociantes (conduites à risque). Ces conduites dissociantes seront souvent des violences que la victime dirige contre elle-même, mais aussi des violences dirigées contre autrui. Peu de victimes exerceront des violences sur autrui, mais ces victimes qui basculeront dans le camp des agresseurs exerceront le plus souvent des violences sur plusieurs personnes, et cela suffira pour générer de nombreuses nouvelles victimes. Et comme ces conduites dissociantes violentes seront à leur tour traumatisantes pour de nouvelles victimes, elles généreront de nouvelles conduites dissociantes violentes dans un processus sans fin.
De ce fait, seules seront vraiment efficaces pour lutter contre les violences :
- d’une part la protection des victimes potentielles, c’est-à-dire des personnes vulnérables, celles en position d’inégalité, de discrimination ou de faiblesse, les enfants en font partie et parmi ces enfants, il faut prendre soin de protéger les plus vulnérables les enfants handicapés, placés, en institution, en situation de grande précarité, SDF, migrants et mineurs isolés, en informant et en éduquant sans relâche pour changer les mentalités, en menant des politiques destinées à garantir leurs droits avec des lois spécifiques, en promouvant la non-violence dans l’éducation, les soins, le travail, les relations familiales, les relations amoureuses et la sexualité ;
- d’autre part la protection des victimes traumatisées. Aucune victime ne doit être laissée livrée à elle-même sans prise en charge ni soin. Assurer leur protection et leur sécurité, les soigner et leur rendre justice est un impératif absolu. Les agresseurs doivent être sanctionnés par des lois qu’il faut appliquer, et ils doivent dès les premières violences exercées être pris en charge à la fois dans le cadre d’une éducation à la non-violence et dans le cadre de soins spécialisés pour traiter leur mémoire traumatique. Traiter un agresseur dès les premières violences, c’est éviter la mise en place d’une addiction de plus en plus forte à la violence, c’est éviter de nouvelles victimes, c’est une garantie pour l’avenir.
La violence comme antidote de l’angoisse
Exercer des violences n’est pas normal. Tout être humain dès sa naissance aspire spontanément à une vie digne et espère nouer des liens authentiques de fraternité et d’amour. Un nouveau-né se nourrit d’échanges, d’attention et de tendresse. S’il en est privé, il dépérit. Un enfant, quand il grandit, cherche avant tout à être en relation avec le monde qui l’entoure pour le découvrir et s’y découvrir, pour y avoir une place légitime et reconnue de tous. Or exercer des violences c’est renoncer à tout échange, à toute relation affective, à toute légitimité, c’est aliéner sa dignité. C’est perdre une relation authentique avec le monde pour une toute-puissance illusoire, vide de sens. C’est s’isoler et s’exclure. Même si en façade il peut paraître entouré, celui qui a commis des violences sait bien qu’il est dans le mensonge et qu’il est seul. Personne ne peut réellement vouloir se retrouver seul, entouré de ses fantômes, anesthésié, drogué à mort par toutes les violences commises, sans aucun espoir d’accéder à un amour authentique.
Pour un homme, être violent avec les femmes, les dominer, les maintenir dans un esclavage domestique et sexuel, c’est se priver d’une relation d’échange, de découverte et d’amour, pour n’avoir plus qu’un rapport d’emprise. Pour des parents, être violents avec leurs enfants, les dresser, les contrôler, c’est se priver là aussi de tout un trésor de tendresse partagée, d’enrichissement réciproque, car voir le monde à travers les yeux d’un enfant, c’est le redécouvrir, c’est accéder à des vérités insoupçonnées tant elles ont été recouvertes par des monceaux de rationalisations aberrantes que les adultes produisent pour justifier l’injustifiable.
Pour se retrouver enfermé, en tant qu’agresseur, dans un monde de violences totalement aliénant, il faut qu’il y ait des raisons terribles. Ces raisons ne sont jamais liées à la victime, elles sont liées à une mémoire traumatique de violences que l’agresseur a subies dans son passé ou dont il a été le témoin, mémoire traumatique qu’il ne veut pas assumer et dont il doit à tout prix se débarrasser sur autrui, en lui en attribuant l’entière responsabilité, quitte à y laisser son âme. Car il perçoit cette mémoire traumatique comme une menace d’auto-destruction et de folie, et si cette folie lui fait tellement peur c’est parce qu’elle est stigmatisée par une société irresponsable qui toujours préfère la violence aux angoisses vécues comme destructurantes.
La violence comme instrument d’une société inégalitaire
Cette même société ne propose comme solution de recyclage de ces violences, pour garder un semblant de cohésion sociale et éviter une autodestruction, que deux possibilités basées sur le rapport de force. D'un côté il y a les personnes privilégiées, qui auront le droit de « vivre » comme dans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, c’est-à-dire le droit de ne pas s’autodétruire mais de détruire les autres à leur place. Et de l’autre côté les non-privilégiés, les inférieurs, ceux qui n’auront le « droit » que de s’autodétruire ou d’être détruits par plus « privilégiés » qu’eux. Pour ce qui concerne les inférieurs, faire partie de ceux qui sont voués à être détruits est « recommandé », de façon à alimenter l’armée d’esclaves nécessaire aux privilégiés pour s’anesthésier, alors que faire partie de ceux qui s’autodétruisent est réprouvé, ces derniers étant considérés comme des marginaux ou des malades mentaux qui ne veulent pas jouer le « jeu » de la société, et qui sont donc étiquetés « irrécupérables ».
Nous avons vu que la violence permet de masquer de façon efficace des symptômes psychotraumatiques gênants que personne ne veut reconnaître, qu’elle est une imposture qui, en produisant un état d’anesthésie émotionnelle, permet aux agresseurs d’échapper à des sensations de néantisation angoissantes, et qui « lobotomise » les victimes et les fait taire.
La violence est un privilège, un de ceux qui ont survécu à la Révolution française et à la déclaration universelle des droits de l’Homme. Ce privilège exige une inégalité dont il se nourrit et qu’il alimente sans cesse. C’est un pauvre privilège, une drogue, un cache-misère qui permet d’accéder à une vie artificielle, une mise en scène qui est un aveu d’impuissance, mais il a beau être lamentable, il est terriblement destructeur et il a la capacité redoutable de se reproduire en se transmettant de génération en génération. La force physique brute a été un outil de mise en place de cette domination, qui s’est petit à petit enrichie et renforcée par l’absence de droit. Les femmes en ont fait les frais tout au long de leur vie ; de leur naissance à leur mort, elles sont un réservoir inépuisable représentant la moitié de la population. Les enfants aussi en font les frais (mais quand ils sont de sexe masculin, nombre d'entre eux pourront passer à l'âge adulte du côté des privilégiés). Sans oublier les handicapés, les malades, les personnes âgées et tous ceux qui souffrent de discrimination en raison de leurs origines, de leur religion, de leur appartenance politique, de leurs orientations sexuelles, etc. Omniprésent, ce privilège freine toutes les tentatives d’instaurer une véritable égalité. La violence est un outil hyper-efficace de domination et de soumission, puisqu’elle entraîne une dissociation et une anesthésie émotionnelle qui transforme les victimes en « esclaves », et une anesthésie émotionnelle des agresseurs qui les transforme en machine « décérébrée » à détruire.
On a donc tout à gagner à faire le pari de protéger les victimes dès les premières violences :
- À faire immédiatement cesser les violences et à mettre en sécurité les victimes.
- À faire respecter les droits des victimes, en leur permettant d’obtenir justice et réparation, pour leur garantir une non-répétition des violences.
- À mettre un terme à l’impunité des agresseurs tout en leur proposant des soins précoces pour les sortir de leur addiction à la violence.
- À empêcher l’installation de troubles psychotraumatiques sévères et chroniques chez les victimes grâce à des soins précoces. En évitant la mise en place de conduites dissociantes, on peut s’opposer à la contamination progressive des individus par la violence, et gagner enfin de rendre la société moins inégalitaire.
Protéger les victimes, c’est éviter bien sûr que des violences actuelles continuent à se perpétuer, mais c’est éviter surtout que de nouvelles violences se produisent.
TÉMOIGNAGES
1- Grenelle GT violences intra-familiales 15 octobre 2019
Ces quelques lignes pour témoigner de l’enfer vécu dans la tourmente de la violence en huis clos. Les violences ont débuté très progressivement sous la forme d’humiliations, de dénigrements, de mépris, de regards menaçants et d’insultes qui alternaient avec une attitude aimante et fusionnelle. Puis, la violence physique s’est manifestée pour la première fois au cours du dernier trimestre de ma première grossesse. Elle n’a eu de cesse de croître, notamment par suite de la naissance de ma seconde fille. Nos enfants étaient les « miens », je devais m’en occuper seule et je ne devais surtout jamais déranger mon ex-mari. La seule fois où j’ai osé le faire, parce qu’épuisée et venant d’accoucher, il a tenté de m’étrangler. Les épisodes de violence se succèdent, cessent lorsque je réagis plus fermement puis de nouveau les explications sur ses emportements qui seraient dus à la fatigue et aux pressions professionnelles conjuguées à mon manque de compréhension. De véritables cycles se dessinent que je pressens, je tente de limiter l’horreur mais la violence est exponentielle et plus l’accalmie est longue plus le déferlement de haine est puissant. Il a deux visages inconciliables : l’un aimable et séduisant pour le monde extérieur, l’autre dur dans l’intimité du foyer où il me contrôle, tente de me dominer et de me détruire. Je lui parle de divorce, il devient fou, me dit que je suis son « âme sœur » et qu’il ne pourrait vivre sans moi. Je me sens de nouveau coupable. Parce que très sensible à la douleur de l’autre, je pense lui faire du mal... Pourtant, je commence à entrevoir l’homme qu’il tente de masquer. Je vois le plaisir et le sourire sur son visage lorsque je souffre : la première fois je suis surprise, la seconde je me réveille à cette réalité inversée.
Après la sidération, la culpabilité et la honte, la peur me paralyse. Je suis de plus en plus fragile, amaigrie et dans le même temps confuse du fait d’une situation qui alterne les moments de grande violence, de crise et d’accalmie marquée par le comportement autoritaire de mon ex-conjoint. Je suis, selon lui, la seule coupable de ses colères. Je le crois, j’essaie de comprendre et cherche par tous les moyens à « m’améliorer » pour apaiser la situation. J’ai de plus en plus peur, je crains surtout pour la sécurité de nos deux filles, mais je n’arrive pas à me confier et ne sais comment faire pour me libérer de cette emprise d’autant que le tourbillon de haine qu’il nourrit est permanent au sein du foyer. Je garde tout dans le secret et continue de subir en espérant qu’il change et surtout se calme. Je suis désormais isolée, je n’ai pas accès aux documents administratifs et financiers du foyer : tout est sous clé, je n’ai plus aucun loisir, je travaille à temps partiel, ma carrière professionnelle est au point mort et pourtant je suis Docteure (en Géopolitique). J’aimerais faire tant de choses, mais rien n’est désormais possible. Je n’ai plus la force, je suis morte à l’intérieur, j’essaie de survivre pour mes enfants, pour les protéger. Cette prison s’est construite progressivement sans que j’en ai eu conscience. Lorsque l’on m’interroge sur mon air fatigué, ma maigreur, ma pâleur : je cache ma peine, je tente de sourire et ne pas trahir celui que j’ai épousé.
Je suis en outre convaincue que tout est de ma faute bien que je sois incapable d’en expliquer la raison.
Puis, la révélation au cours de vacances estivales où il frappe violemment ma fille aînée, je tente de la protéger et suis propulsée à l’autre bout de la pièce évitant de très peu le bord du lit contendant. Je m’écrase sur le sol, je sens mon dos fracassé mais je me relève aussitôt, je dois aider les enfants. Mes filles pleurent et hurlent, elle pense un instant que je suis morte. L’aîné qui a reçu le coup me dit qu’elle n’entend plus rien. Je supplie son père de nous rendre chez le médecin : c’est NON ! Nous sommes enfermées et séquestrées dans l’appartement.
De retour à Paris, je prends la décision de porter plainte pour violence sur mineur. Dès qu’il l’apprend, il fait une demande de divorce tout en me disant qu’on se retrouvera par la suite. La période qui a suivi a été particulièrement violente. Le père enlève mes filles dans la nuit puis disparaît pendant des jours, il tente par la suite de m’étrangler dans mon sommeil, il me cogne contre le mur en broyant mes bras, il me fait des croche pattes, il m’empêche d’accéder à certaines pièces de l’appartement, il me bouscule, me pousse, me fait tomber par terre en permanence... Il me menace, m’humilie, il me terrorise, je tente de l’éviter, il me poursuit, je dors à même le sol, il me filme, il m’enregistre, il me photographie sans cesse, je me sens traquée tel un animal... Sa vraie nature est sombre mais son image parfaitement lisse : il est ingénieur, bel homme et ayant un discours toujours adapté à son auditoire.
Il est difficile de tout dire car les souvenirs vous imprègnent de leurs douleurs. Un policier comprend enfin la situation, il me presse de demander à ma mère de vivre chez moi quelques temps pour éviter tout drame jusqu’à la séparation puis me donne des conseils afin de nous protéger les enfants et moi en cas de danger immédiat. Dans le même temps, deux médecins des unités médico-judiciaires me parlent de grand danger à son contact et attestent des violences physiques et psychologiques.
Puis la séparation actée par le juge et la délivrance d’une ordonnance de protection. Le père bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement. La suite se révèle épouvantable : après la séparation, les enfants âgées alors de 4 ans et de 8 ans sont frappées, humiliées, insultées par leur père lorsqu’elles sont chez lui dans le cadre de son DVH. Elles sont terrorisées, elles me supplient de ne plus y aller. Je porte plainte, il y a plus de 10 de signalements et informations préoccupantes à son encontre, notamment de la directrice de l’école, du pédiatre, de deux assistantes sociales, de psychologues, de médecins mais mes filles ne sont pas protégées. A contraire, le juge élargi la garde en faveur de leur père maltraitant. Il est très procédurier, engage une avocate qui travaille en parallèle pour SOS papa, il a les moyens ce qui n’est pas mon cas.
Pour autant, les preuves sont là, elles sont médicales et nombreuses. Je suis épuisée, stigmatisée, présentée comme la coupable de cette situation. La manipulation de mon ex-mari est parfaite. Il a de plus la force de poursuivre son combat de destruction pour m’atteindre par le biais de nos enfants. La situation est alors inversée : le parent protecteur que je suis, comme souvent malheureusement dans notre pays, est blâmé ; alors que le parent agresseur jouit de la lenteur et des failles du système judiciaire et juridique. Il est vrai que lorsqu’il est présent, je suis bloquée, n’arrive plus à respirer et me sens mal. Je fais donc un travail sur moi avec une psychiatre spécialiste pour me reconstruire. Heureusement, j’écris, je suis déterminée et surtout mue par la nécessité de protéger mes filles. Elles sont en effet de plus en plus fragilisées par ces séjours chez le père qui les maltraite. Progressivement, les enfants se confient, j’apprends qu’elles sont victimes d’agression sexuelles et sont abusées par leur père ! Je suis effondrée, je crois mourir. Je me bats aujourd’hui pour les protéger face à ce système qui condamne le parent protecteur et tend à remettre les enfants victimes à leur agresseur. Les incohérences systémiques sont manifestes et effrayantes tant les procédures sont lourdes, répétitives, inadaptées et les intervenants peu formés à ce genre de prédateur, qui broient psychologiquement puis physiquement leur jeune victime avant de l’agresser sexuellement.
J’ai été condamnée pour non remise d’enfants. J’ai fait Appel de la décision car les signalements, titrés : « Enfant en danger imminent », ont été ignorés. Le père souhaite une médiation, il se présente comme un « papa solo » dont les emportements à l’encontre de ses filles se résument à de simples violences éducatives !!! Un médecin gynécologue, reconnu et spécialiste dans l’identification des violences sexuelles sur mineur, fait un signalement. Or, la situation empire. On me dit que mes filles vont être placées : c’est le plus souvent le cas dans les situations d’inceste et de violences conjugales ! Je ne comprends pas, je continue de me battre pour aider mes enfants qui sombrent lentement. J’ai finalement demandé qu’elles soient confiées à ma mère pour les protéger. La juge des enfants décide du confiement chez leur grand-mère maternelle, ce qui est une décision exceptionnelle et très rare ! Par souci de symétrie, je dois voir mes filles en lieu neutre dans le cadre de visites médiatisées comme le père. Les visites médiatisées des enfants avec leur père sont difficiles : elles sont mutiques, craignent ces rencontres facteurs de stress, d’insomnies, de cauchemars et d’énurésie à son contact. La majorité des psychologues des associations, relais des juges, qui interrogent mes enfants tentent de les déstabiliser, interprètent ou nient leur propos lorsqu’elles parviennent à révéler ce qu’elles ont vécu ce qui est de plus en plus rare. Elles n’ont en effet plus confiance au vu de leur position de non victime, ce qui constitue une nouvelle violence faite à leur encontre. Parvenir à se confier et ne pas être cru est terrible pour un enfant ! Seule une psychologue, dans le cadre d’une mesure d’investigation judiciaire, comprend immédiatement le calvaire vécu par mes filles et la situation. Elle contourne toutes les formes de manipulation déployées par le père car est formée à l’identification des victimes mineures et des profils psychologiques pervers ; ce qui n’est le plus souvent pas le cas s’agissant des psychologues de ces associations et des experts nommés par les juges !
En France, les enfants victimes d’inceste sont le plus souvent remis à leur parent agresseur. Je dois aujourd’hui gérer les séquelles nombreuses de la violence subie par mes filles et leur permettre de bénéficier d’un suivi thérapeutique régulier avec des professionnels compétents. J’ai porté plainte pour maltraitance physique, psychologique et agressions sexuelles sur mineurs. J’attends d’être entendue. Les enfants demeurent chez ma mère dans le cadre d’une AEMO, je bénéficie désormais d’un droit d’hébergement un week-end sur deux et une partie de certaines vacances scolaires, tandis que les visites médiatisées sont maintenues pour mon ex-conjoint. Cette protection est exceptionnelle, provisoire et fragile tant qu’il n’a pas été condamné. Mes filles sont interrogées encore et encore et ne cessent de répéter la même chose de même que leur douleur avec leurs mots d’enfants et ce, parfois en la présence de leur père ! Il m’a été très difficile d’écrire ces quelques lignes car chaque mot résonne de la souffrance de mes filles. Je souhaite modestement mettre en lumière la terrible douleur des enfants victimes de violences, dont le silence terre l’innommable. Ces enfants ont besoin d’être entendus et surtout crus pour leur reconstruction sur le terreau fertile de la résilience. Nier ou minimiser leur parole, si difficile à éclore, est une nouvelle forme de violence faite à leur encontre.
2- Norah, 26 ans, et sa mère sont en très grand danger, son père qui l'a violée vient de la retrouver et les menace, c'est un homme extrêmement violent, alcoolique, sortant d’un long séjour en hôpital psychiatrique.
Nous les soutenons et nous avons peur elles. Elles ont besoin en urgence de solutions et d’une aide juridique pour être protégées, mises à l’abri dans un nouveau logement sécurisé et pour enfin faire valoir leurs droits auprès de la justice. C’est pourquoi nous lançons une pétition pour que les injustices cessent et qu'elles soient enfin protégées.
Il y a 23 ans, Mme J. a fui avec sa petite fille Norah de 3 ans, la violence de son mari, mais les violences n’ont fait que redoubler après la séparation, avec des menaces de mort, des violences physiques, des tentatives d’enlèvement et du harcèlement.
Malgré de multiples démarches auprès de la police, du juge aux affaires familiales et du juge des enfants elles n’ont jamais été entendues, ni protégées. Et Norah a même été directement exposée aux pires dangers quand la justice a accordé des droits de visite avec hébergement à son père à la demande des psychiatres hospitaliers qui le prenaient en charge, afin (sic) que son état psychique puisse s’améliorer en voyant sa fille.
Norah qui n’avait alors que 6 ans a été livrée et abandonnée par la justice à un père violent, alcoolique présentant de graves troubles mentaux, pendant près de deux ans. Elle a vécu un enfer et subi des tortures, lors des journées passées seule avec lui. Il s’amusait avec sadisme à la terroriser sans cesse avec des scénarios et des comportements monstrueux, il l’affamait, la laissait seule de longues heures, dans des conditions d’hygiène déplorables. Plusieurs fois, il a commis sur elle des agressions sexuelles, la mère de Norah a eu beau les signaler à la police et au juge (Norah a même écrit une lettre à ce dernier) ils n’en ont pas tenu compte, les faits ont été minimisés et aucune plainte n’a pu être enregistrée, Mme J. a dû insister pour obtenir au moins des mains-courantes.
Aussi, à l’âge de 7 ans, quand il lui a fait subir un viol extrêmement violent, Norah s’est murée dans le silence, et ce n’est que récemment qu’elle a pu en sortir.
Les signalements répétés faits par sa mère ont fini par aboutir à l’arrêt du droit d’hébergement quand Norah a eu 8 ans, et à la mise en place de droits de visite dans un point de rencontre où le père de Norah n’est jamais venu. Mais il a continué à les menacer, les agresser et les harceler, il se présentait au travail de Mme J, devant leur domicile, sonnait et restait des heures en faisant peur aux voisins et obligeant Norah et sa mère à rester terrées dans leur appartement, et lors de ses longs séjours en hôpital psychiatrique il envoyait un ami pour les harceler.
Elles ont vécu jusqu’à ce jour dans la terreur et le stress. Les violences que Norah a subies ont un retentissement psychotraumatique très lourd sur sa santé physique et psychique et ont généré une très grande souffrance. Les préjudices sont énormes.
Norah n’a pas pu finir ses études au lycée. Ses troubles psychotraumatiques empêchent toute vie sociale et professionnelle, elle bénéficie d’une allocation adulte handicapée, elle vit dans un petit deux pièces avec sa mère. Il lui est impossible de vivre seule et de sortir seule. Elle a un sentiment d’insécurité permanent. Se laver, s’habiller, s’alimenter lui demande des efforts énormes. Elle souffre de douleurs et de symptômes chroniques très invalidants et d’une mémoire traumatique des pires violences qu’elle a subies qui la torture en permanence. Son état de santé nécessite d’importants soins en psychotraumatologie, et de nombreux examens et traitements médicaux, malgré une prise en charge de la sécurité sociale en ALD (100%), d’importants frais restent à leur charge.
Norah veut porter plainte pour le viol qu’elle a subi et se porter partie civile, mais elle a peur pour elle et sa mère de représailles terribles.
Son père les a menacées de mort, et il sait où elles habitent. Malgré tous les efforts de Norah pour ne plus être reconnaissable et pour se cacher de lui, il vient de lui écrire pour lui dire qu’il l’a vue et reconnue et qu’il vit en foyer près de chez elles.
Il est donc vital pour elles d’être aidées pour trouver un logement sécurisé et pour lancer toutes les procédures judiciaires nécessaires pour Norah, pour faire valoir ses droits en justice par rapport au viol qu'elle a subi et pour sa protection (changement de nom et de prénom pour Norah, dispense de toute obligation alimentaire concernant son père).
La mère de Norah a fait depuis 11 ans une demande de logement social (elles vivent déjà en HLM), en la renouvelant chaque année, mais rien ne leur a été proposé leur permettant d’être enfin en sécurité.
Je donne la parole à Norah :
"Il faut savoir que cela fait 17 ans que je me mûre dans le silence avec ma mère par peur de représailles.
Mais récemment mon agresseur, mon "père " a été relâché de son hôpital psychiatrique.
Depuis sa sortie, ses lettres me ramènent en enfer, je me sens piégée, comme sa proie qui ne peut échapper à sa prochaine monstrueuse agression.
C'est pourquoi j'aimerai que vous m'aidiez, car j'ai très peur qu'il finisse par m'ôter ma vie ou celle de ma mère.
Par manque de protection durant toutes ces années, aujourd'hui je n'ai plus rien à perdre, cet homme appelé "père" m'a volé mon enfance, mon corps, mon âme, ma vie.
Mon avenir a été détruit, à 26 ans je n'ai rien construit de ma vie, mon quotidien n'est fait d'aucun plaisir, il n'y a que des souffrances et douleurs physiques, morales et psychiques.
Dehors ses crimes restent invisibles pour les gens, malgré qu'il m'ait laissé avec un corps brisé, hanté, qui me torture chaque minute de souvenirs de mon passé.
C'est pour tout cela que j'ai décidé de rompre mon silence en espérant que la justice aura changé en 20 ans et viendra me sauver là où elle m'a abandonnée il y a 17 ans.
Aidez-moi à me libérer de ce monstre avant qu'il ne commette l'irréparable.
J'espère que vous avez été sensible à l'urgence de ma situation.
Et je vous remercie par avance pour tout ce que vous pourrez faire pour me sauver. »
3- Dernier témoignage d’une mère qui écrit à son fils
A toi mon fils j’ai envie de parler
Pour toi mon fils j’ai envie de hurler
Tu avais 8 ans. J’ai dû te laisser tout le mois d’août. tu allais faire le tour de la Corse avec ton père. Je n’avais aucun moyen de te joindre. Les portables n’existaient pas. J’étais pétrifiée.
Ton père avait montré une attitude tellement harcelante qu’il avait été privé de droit de visite pendant 2 ans. Il a fait appel du jugement, qu’il a gagné en imitant ton écriture. Chaque fois que je te laissais le week-end, je craignais ta mort. C’était 30 heures d’attente horrible et interminable pour moi.
Quand il a fallu te laisser un mois entier, j’ai cru mourir. Je n’ai jamais été aussi malade, lourde, triste à crever, d’une langueur telle que seule l’eau de Vichy pouvait passer.
Le jugement d’expertise psychiatrique avait déclaré ton père un peu original et ta mère trop anxieuse, et pour cause.
Tu avais 8 ans, des yeux aussi clairs que ceux des anges et tu es revenu les yeux tristes, lointains, éteints.
Ton père t’avait incestué, «le pire inceste» m’as-tu dit 10 ans plus tard. En effet ton père t’avais interdit de me le dire, sinon il me tuait. Et tu n’as rien dit.
Tu étais brillant, et toute ta scolarité a été un calvaire. Tu adorais les scouts et tu étais terrorisé la nuit. Tu étais champion de sport mais tu ratais toutes les démonstrations.
Tu as connu la profonde dépression. Durant ton adolescence, chaque soir je remerciais le ciel que tu sois en vie. Je t’accompagnais inlassablement sans comprendre le pourquoi. Tu étais si malheureux.
Je n’ai su ce crime immonde que ton père a commis qu’en lisant une de tes lettres laissée sur ton bureau. Tu avais alors 19 ans et tu n’as rien voulu m’en dire. Je l’aurais hurlé, crié, énoncé, dénoncé à la terre entière.
De nos proches, personne de ma famille, et si peu de nos amis intimes, ne nous a écoutés, accompagnés, portés, soutenus. On est resté seul dans mon appartement, toi avec ta souffrance insurmontable, ta difficulté monumentale à imaginer une vie d’étudiant, une vie d'adulte, une vie de travail, et moi à me débattre fort avec un cancer du sein.
Tu as téléphoné à ton père et tu lui as craché toutes ses vérités, toutes ses atrocités, tout ce qu’il t’avait cassé, meurtri, endolori, tué, et tu lui as dit que tu ne voulais plus jamais le revoir.
Je t’ai aimé le plus que j’ai pu. Je t’ai accompagné dans tous tes projets, forçant le positif au maximum, mais tu as traversé des zones glauques, des endroits de très haut risque, des fréquentations si peu équilibrées que tu as été bien longtemps maltraité. J’en ai eu des frayeurs…
Tu as beaucoup, beaucoup ramé. Tu as rencontré tellement de pervers sur ta route et c’était si difficile. Tu as même dû quitter des lieux professionnels pourtant chèrement obtenus.
Rien n’est gagné. Tu as plein de courage, d’énergie, de vertu mais aussi de fragilité devant la menace qui terrorise. La puissance l’amour n’a pas été anéantie en toi, mais à quel prix.
Nous avons en commun cet amour profond de la vie mais ton père nous l’aura tellement gâchée. Il n’aura pas le dernier mot : je serai toujours là, présente si tu as besoin pour te rassurer et te relancer sur ta voie, celle que tu te traces.
Mais cela suffira-t-il à ton bonheur ? Cela suffira-t-il pour retrouver l’éclat rieur et clair de ton regard ?
Ressources
- En situation d’urgence et de danger immédiat appeler ou faire appeler en priorité les secours (POLICE ou GENDARMERIE 17, 112 pour les mobiles, 114 pour les personnes sourdes, malentendantes, muettes ou pour celles qui ont des difficultés pour s’exprimer ou qui ne peuvent pas parler sans se mettre en danger) et si la victime (ou les) victimes sont blessées, en état de choc, appeler les urgences médicales (SAMU 15 ; POMPIERS 18 ; 112 par mobile ou 114 pour les personnes sourdes, malentendantes si vous ne pouvez pas parler sans se mettre en danger (avec un smartphone après avoir télécharger l’application 114 ou par internet ou sur ordinateur www.urgence114.fr ) ;
- Et faire un signalement pour protéger l’enfant :
- Soit en appelant le procureur du parquet des mineurs en cas d’urgence (qui pourra décider d’une mise à l'abri si nécessaire : centre d'hébergement, hospitalisation, OPP.
- Soit si le danger n’est pas immédiat il est nécessaire de faire un signalement (’article 434-3 du code pénal) par courrier au président du conseil départemental, ou par téléphone auprès de la cellule de recueil d’informations préoccupantes du département (CRIP) ou du 119. Le signalement doit être accompagné, dans la mesure du possible, des informations suivantes :nom et prénom de l'enfant, domicile habituel, date et lieu de naissance, nom et adresse des parents, fratrie, détenteurs de l'autorité parentale..., et faits constatés (date et lieu, descriptif détaillé et précis des faits, certificat médical éventuel...).
- Il ne faut pas hésiter à prendre conseil au moindre doute : pour avoir des renseignements et des conseils pour aider et accompagner une victime de violence n'hésitez pas à appeler les permanences téléphoniques et les plateformes :
- 119 (enfance maltraitée), 24h/24 et 7j/7 Ce numéro gratuit n’est également pas repérable sur les factures de téléphone contact possible par formulaire écrit sur le site : https://www.allo119.gouv.fr
- 39-19 (violences femmes info), ouvert du lundi au samedi de 9 à 19 heures Ce numéro anonyme et gratuit n’est pas repérable sur les factures de téléphone
- Maltraitance envers les personnes handicapées : 39-77 et le 01 40 47 06 06 de FDFA,
- Viols Femmes Information du collectif féministe contre le viol : 0 800 05 95 95,
- 116 006 numéro d’aide aux victimes,
- L’application numérique gratuite à télécharger et le bracelet connecté app-elles.fr créée par l'association.resonantes.fr qui permet d'alerter des proches discrètement et de s’informer.
- Fil Santé Jeune 0800 235 236, http://www.filsantejeunes.com/
- Drogues-info-service 0 800 23 13 13,
- Drogues alcool tabac info service. http://www.drogues.gouv.fr/
- Le code pénal impose de porter secours et d'intervenir pour prévenir des crimes et des violences sur mineurs : Non assistance à personne en péril, article 223-6 du code pénal ; Non dénonciation de crimes, article 434-1 du code pénal, et Non signalement d’enfant en danger article 434-3 du code pénal : «toute personne qui s'abstient d'agir alors qu'elle a connaissance d'une situation d'un enfant en danger peut être punie de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les 15 autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.»
Pour en savoir plus :
2 articles Sur grossesse et violences conjugales de 2009 et de 2016
cf mon article Rhizome 2019 et la présentation de l'enquête Hillis par l'OMS 2016 sur l'impact des violences sur la santé des enfants
Article à lire pour mieux comprendre et prendre en charge l’impact psychotraumatique des violences conjugales pour mieux protéger les femmes et les enfants qui en sont victimes : ICI
Article à lire pour mieux comprendre l’emprise, protéger et prendre en charge les femmes victimes de violences conjugales ICI
Manifeste STOP violences faites aux enfants, soutenu par 26 associations : https://manifestestopvfe.blogspot.com et sa pétition de soutien signée par plus de 50 500 personnes : https://www.mesopinions.com/petition/politique/manifeste-stop-aux-violences-aux-enfants/28367
le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux : informations, articles, documents, ressources, rapports, enquêtes, campagnes et manifestes, et vidéos de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org
le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux : informations, articles, documents, ressources, rapports, enquêtes, campagnes et manifestes, et vidéos de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org
Ressources et enquêtes
Le site stop-violences-femmes.gouv.fr Arrêtons-les avec des ressources, des outils et des kits pour les victimes, leurs proches et les professionnels ainsi que des clips pédagogiques d’expertes ICI : https://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/clips-pedagogiques-paroles-d.html
Les lettres numéro 8 et 14 de l’Observatoire National des violences faites aux femmes téléchargeable sur le site http://stop-violences-femmes.gouv.fr
Pour en savoir plus, le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux : informations, articles, documents, ressources, rapports, enquêtes, campagnes et manifestes, et vidéos de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org
Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France – 2012-2019.
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