« Angélique, Alicia...
notre justice donne un permis de violer les enfants »
Qui peut trouver normal que des enfants puissent consentir à un acte sexuel qui les assimile à des objets, étant donné leur incapacité à en être acteurs ?
AFP/GETTY IMAGES
La marche du 1er mai à Wambrechies, en hommage à Angélique, 13 ans, violée et tuée le 25 avril.
publié le 11 mai 2018 dans Le HuffingtonPost
par Muriel Salmona
Psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
En mémoire d'Angélique, 13 ans, et d'Alicia, 14 ans, toutes deux récemment violées et tuées par des récidivistes, au nom de Sarah et Justine, 11 ans, toutes deux considérées par la justice comme consentantes à des pénétrations commises par des hommes de 22 et 28 ans, au nom des innombrables enfants victimes de viols qui ne sont pas protégés et dont la parole n'est pas prise en compte par la justice parce que les faits sont prescrits, parce que leur plainte a été classée sans suite (70% des plaintes pour viol sont classées pour infraction insuffisamment caractérisée*), parce que les viols ont été déqualifiés en délits (en agressions ou atteintes sexuelles), parce que les agresseurs ont bénéficié d'un non-lieu ou ont été acquittés, nous exigeons que cessent cette scandaleuse impunité et ce déni.
Encore une fois je rappelle que les enfants sont les principales victimes de viols, chaque année on estime que 130.000 filles et 35.000 garçons sont victimes de viols et de tentatives de viols, et sur les quelques 6500 plaintes pour viol sur mineurs enregistrées, seule une sur 10 sera poursuivie pour viol et jugée en cour d'assises*, l'impunité donne un permis de violer aux pédo- criminels ! Qui veut ce monde-là ? Combien encore de victimes faudra-t-il pour que nos responsables politiques s'en émeuvent ?
Actuellement les actes sexuels de pénétration sur un mineur de 15 ans sont interdits, mais en différenciant deux cas : soit la mineure est considérée comme non-consentante... (elle a crié ou elle a été tuée !) et la justice arrive à reconnaître un crime de viol, soit elle est considérée comme consentante (elle n'a pas crié et ne s'est pas débattue) et l'aspect criminel n'est pas retenu, seul le délit d’ « atteinte sexuelle » est retenu.
Le gouvernement, comme nous le demandions, avait prévu de fixer un âge légal de consentement à 15 ans, mais il a abandonné cette mesure phare et à la place il propose un projet de loi précisant que la contrainte et la surprise pour qualifier un viol sur un mineur de moins de 15 ans peut « résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes », tout en créant un nouveau délit d'atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de moins de 15 ans passible de 10 ans de prison. Ce nouveau délit aggravé d'atteinte sexuelle est choquant et dangereux car il ne peut que faciliter les déqualifications des viols en délits.
Pénétrer un enfant ce n'est pas de la sexualité, c'est un crime. Un viol sur un enfant ne peut pas se définir comme pour un adulte.
Malheureusement, avec ce projet de loi, rien n'est résolu, un mineur de moins de 15 ans est toujours supposé pouvoir consentir à une pénétration commise par un adulte. Les magistrats garderont la possibilité de considérer un enfant comme consentant. Or, la justice dans ce domaine est particulièrement cruelle et méchante puisque lorsque la gamine sidérée et traumatisée ne crie pas et ne se défend pas, il s'agit pour les magistrats d'un acte sexuel consenti, qualifié d'atteinte sexuelle. Quand elle se défend elle est tuée, ce qui fait enfin reconnaître aux magistrats la qualification de viol, bravo !
Qui peut encore trouver normal que des enfants puissent consentir à un acte sexuel qui les assimile à des objets, étant donné leur incapacité à en être eux-même acteurs, et qui représente en fait pour eux, comme je l'ai déjà maintes fois démontré, une véritable torture, et porte atteinte à leur dignité, avec des conséquences catastrophiques sur leur santé et leur vie futures.
Apparemment le monde judiciaire (procureurs et avocats) n'en a pas grand-chose à faire, qui relaie les propos des agresseurs (« elle avait 11 ans, mais elle en faisait 16 », « elle arborait une tenue provocante », « j'ai eu envie d’elle » , « il/elle le connaissait, il/elle l'a suivi »... je ne poursuis pas ce déprimant florilège !), et nos responsables trouvent normal qu'on continue à exploiter sexuellement des enfants et trouvent navrant mais au fond normal (faits divers ! bien sûr) que des gamines soient tuées en résistant un peu à leur agresseur. Qui peut encore faire mine de croire toutes ces imbécillités ? Je ne réécris pas tout ce que j'ai déjà dit et qui est très facilement accessible, par exemple dans une précédente tribune et dans mon manifeste contre l'impunité des crimes sexuels**. Si c'est vraiment la société que veulent nos ministres... allons-y ! Ras-le-bol.
En conclusion, pénétrer un enfant ce n'est pas de la sexualité, c'est un crime. Un viol sur un enfant ne peut pas se définir comme pour un adulte. Les enfants ne sont pas des objets en self-service pour assouvir des fantasmes de sexe ou de domination d'adultes. Un acte sexuel avec pénétration sur un mineur de quinze ans est un viol, point barre. Mal nommer les choses c'est ajouter aux malheurs du monde, qui n'en a vraiment pas besoin !
La protection des enfants ne se négocie pas et la lutte contre l'impunité en est une mesure essentielle !
Pour cela exigeons entre autres :
- que la loi reconnaisse tout acte de pénétration par un adulte sur un mineur de 15 ans comme un viol, en allant jusqu'à 18 ans en cas d'inceste, d'adulte ayant autorité, et de mineurs ne pouvant consentir du fait d'un handicap ou de troubles neuro-développementaux.
- que les crimes sexuels soient imprescriptibles**** et que l'amnésie traumatique soit reconnue comme un obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites.
* CSF, 2008, ONDRP, 2016, infostat justice, 2016, Virage, 2017.
** Manifeste et ses 8 mesures, co-signé par 28 associations et qui a recueilli plus de 50.700 signatures à ce jour.
***cf les recommandations de l'OMS citées par The Atlantic
**** Le projet de loi du gouvernement propose d'allonger le délai de prescription à 30 ans après la majorité pour les crimes sexuels et les délits sexuels aggravés.