55 pays dans le monde ont déjà aboli les châtiments corporels y compris dans la famille
La France va-t-elle être le 55ème pays à le faire ?
On considère comme châtiment corporel toute violence commise par les parents sous couvert d’éducation pour corriger ou punir leurs enfants ou bien de les calmer ou de s’en faire obéir. Il s’agit de faire peur, de faire mal physiquement et moralement, de contraindre par des privations et de pressions, de faire honte ou d’humilier. Le but étant de formater les enfants à être obéissants, performants et soumis à l’autorité des adultes.
Donner une fessée, une tape avec la main ou avec un objet, une gifle, une, pincer, tirer les oreilles, les cheveux, pousser, sont des violences corporelles considérées comme des atteintes aux droits des enfants, 54 pays dans le monde les ont déjà interdites à ce jour et la France va peut-être devenir le 55ème pays à le faire après le vote à l’Assemblée Nationale le 29 décembre 2018 d’une modification de l’article du code civll sur l’exercice de l’autorité parentale. Ses titulaires ne « peuvent pas user de violences physiques ou psychologiques » à l’encontre de leurs enfants. Le deuxième article prévoit la remise au Parlement d’un rapport gouvernemental pour « évaluer les besoins et moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique de sensibilisation, de soutien, d’accompagnement et de formation à la parentalité à destination des futurs parents ».
Le code pénal n’est pas modifié, aucune sanction pénale n’est prévue tant qu’il ne s’agit pas de maltraitance, l'objectif de cette loi est de favoriser une prise de conscience des parents et de promouvoir une éducation non-violente.
On peut juste regretter qu'il ne soit pas fait précisément et explicitement mention des châtiments corporels dans la loi
Une très grande majorité des parenttbcx ''''''''klxdkmdmmm^d'ddk be"s en France (entre 60 à plus de 80%) qui reconnait avoir recours aux punitions corporelles quels que soient leur niveau socio-culturel et leurs origines. Les facteurs les plus prédictifs pour les parents d’y recourir étant le fait d’en avoir eux-mêmes subi dans leur enfance, leurs niveaux de stress dans la vie quotidienne, et leurs croyances dans les effets bénéfiques des punitions corporelles et la mauvaise nature des enfants qu’il faudrait dresser, ainsi qu’à la méconnaissance des besoins fondamentaux des enfants et des étapes de leur développement (un bébé ne pleure pas par caprice, il est normal qu’un enfant ne pisse pas se concentrer au delà d’1 h ou qu’il n’ait pas certaines capacités psychomotrices).
Non seulement ces violences sont tolérées quand elles s’exercent dans le cadre familial sur des enfants, mais elles sont banalisées et justifiées souvent présentées comme nécessaires pour bien éduquer les enfants en raison de leurs comportements, et considérées comme utiles et inoffensives.
Pourtant, depuis plus de 25 ans, droits et recherches universitaires en psychologie, en médecine et en sciences de l’éducation (plusieurs centaines de publications scientifiques) démontrent sans appel que les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives sont injustifiables, et qu’elles ne sont ni utiles, ni inoffensives.
On sait aujourd’hui que ces châtiments corporels sont nuisibles pour les enfants
Il a été prouvé par de nombreuses recherches internationales qu’elles ont des conséquences traumatiques à long terme sur la santé mentale et physique des enfants. Deux grandes études publiées dans les revues internationales Pediatrics en 2013 et CMJA en 2014 ont permis d’attribuer aux punitions corporelles 6 à 12 % des troubles psychiatriques dans la population générale (troubles de l’humeur, troubles anxieux, hyperactivité, conduites addictives, risque suicidaire, troubles de la personnalité comme les personnalités borderline, schizotypiques, a-sociales), et un risque plus grand de troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, de l’immunité, d’arthrites, de douleurs chroniques et d’obésité. Elles sont également à l’origine d’atteintes neuro-biologiques et corticales du cerveau, et de modifications épigénétiques, ces atteintes étant liées au stress, au dysfonctionnement des systèmes de régulation de la réponse émotionnelle et à l’excès de production de cortisol qui est neurotoxique. Le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable à la violence ).
Ces violences entrainent une sidération qui paralyse l’enfant, une mémoire traumatique qui lui fait revivre les violences et une dissociation traumatique qui l’anesthésie émotionnellement : du côté de l’enfant à chaque fois que l’enfant se retrouve dans le contexte des violences (par exemple aux repas, lors du bain, du change, de l’habillage, lors d’apprentissages ou pour répondre à des questions) l’enfant est envahi par des scènes de violences antérieures, et il se bloque ou pleure, crie, s’agite, tape, ou se déconnecte, ce qui risque d’être pris par le parent pour des caprices ou de l’opposition et de rendre celui-ci à nouveau violent, l’effet dissociant anesthésiant des violences empêche le parent de prendre conscience de la douleur et de la souffrance de l’enfant et là aussi augmente le risque de violences ; du côté du parent quand les violences de son passé l’envahissent et génèrent un stress important (par ex les cris), les violences reproduites à l’identique sur l’enfant vont soulager le stress du parent par effet dissociant et anesthésiant. Cela devient alors un cercle infernal.
Cette méconnaissance des besoins et des droits fondamentaux des enfants et des conséquences traumatiques des violences éducatives donne aux parents un permis en toute «innocence» de taper, menacer et humilier leurs enfants, aussi petits soient-ils puisqu’un pourcentage important des violences éducatives commencent avant 2 ans, et plus de la majorité avant 7 ans.
Et en matière éducative, ça ne marche pas non plus.
Les violences éducatives sont corrélées fortement à des troubles cognitifs et de l’apprentissage chez les enfants, et à une augmentation de l’agressivité, des conduites à risque et des comportements anti-sociaux que l’on retrouve à l’âge adulte avec un risque de reproduire des violences intra-familiales et conjugales.
Aucune étude scientifique n’a pu démontrer un effet positif des punitions corporelles sur le comportement, le développement et les capacités d’apprentissage de l’enfant.
En revanche des méthodes éducatives non-violentes et bienveillantes ont fait leurs preuves pour bien éduquer un enfant sans châtiments corporels.
Il a été démontré que la réduction des punitions corporelles par les parents est suivi rapidement d’une diminution de l’agressivité, de l’anxiété et des comportements anti-sociaux chez leurs enfants.
On a donc toutes les raisons d’être favorable à l’interdiction des châtiments corporels Interdire les violences éducatives est une affaire non seulement de respect de droits fondamentaux, mais également de santé publique.Il est maintenant nécessaire d’informer les parents et de les aider à mettre en place une éducation bienveillante.
ARTICLE DE PRÉSENTATION
DE L’OUVRAGE :
CHÂTIMENTS CORPORELS
ET VIOLENCES ÉDUCATIVES
Pourquoi il faut les interdire en 20 questions-réponses
Dr Muriel Salmona
Le 12 juillet 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ses partenaires ont lancé un programme - nommé « INSPIRE » - pour réduire les violences à l’encontre des enfants dans le Monde (OMS, 2016). Avant de présenter les stratégies recommandées dans ce programme, l’OMS rappelle l’ampleur de ces violences en citant les chiffres de l'étude de Hillis publiée en janvier 2016 dans la revue internationale Pediatrics : selon cette étude un milliard d’enfant a subi des violences physiques, psychologiques et sexuelles en 2015, un enfant sur quatre a subi des violences physiques et près d’une fille sur cinq des violences sexuelles au moins une fois dans sa vie.
Et la première des sept stratégies pour réduire les violences à l’encontre des enfants du programme « INSPIRE » de l’OMS correspond justement à ce que nous demandons dans notre ouvrage, puisqu'il s'agit de recommander la mise en œuvre et l’application de lois interdisant aux parents d’infliger aux enfants des châtiments corporels et autres punitions violentes.
Etre protégé de toute forme de violence, est un droit fondamental de l'enfant garanti par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant
Alors qu'elle a été un des premiers pays à ratifier la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), en 2016, la France n'a pourtant pas encore interdit explicitement les châtiments corporels et toute autre forme de violences éducatives contrairement à 49 pays dans le monde, et elle n’a toujours pas pris – comme elle s'y était engagée :
« toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié » (article 19, CIDE 1989), ni toutes les mesures pour que « nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (article 37, CIDE, 1989), ni pour « assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être. » (article 3, CIDE, 1989)
Les violences envers les enfants ne sont toujours pas considérées en France comme une urgence de santé publique, et la protection des enfants contre toute forme de violence n’est pas considéré comme un impératif absolu. Bien au contraire la violence intra-familiale sous couvert d’éducation reste largement tolérée. La grande majorité des parents ont toujours recours à ces violences pour se faire obéir et pour punir leurs enfants. Ils y restent très attachés comme méthode éducative.
Mais, cela pourrait enfin commencer à changer puisque l’Assemblée nationale vient d’adopter, le 1er juillet 2016, dans le cadre de l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », un amendement complétant l’article 371.1 du Code civil relatif à l’autorité parentale, pour interdire « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence corporelle ».
La famille, une zone de non-droit où règne la culture de la violence
Cette grande tolérance à de nombreuses formes de violences éducatives transforme l’univers familial en une zone de non-droit pour les enfants où règne, alimentée par de nombreux stéréotypes et un déni de la souffrance des enfants, une véritable culture de la violence transmise de génération en génération.
Cette culture de la violence peut se décliner en trois principales assertions qui justifient les violences éducatives par : leur minimisation, la mise en cause des enfants qui en sont victimes, et le déni de leur conséquences. Selon cette culture de la violence, les châtiments corporels ne sont pas vraiment de la violence, les enfants en sont responsables par leurs comportements, ils en bénéficient car c’est le seul moyen pour qu’ils soient bien éduqués, c’est donc pour leur bien.
La culture de la violence et ses fausses représentations sur la violence, sur l’éducation, sur les enfants, leurs droits, leurs besoins, leur développement psycho-affectif et leur souffrance, opèrent un véritable lavage de cerveau permettant d’occulter la véritable fonction de la violence : à savoir d’être un outil de domination, d’asservissement et une drogue qui permet de s’anesthésier et de se soulager de tensions pénibles, un privilège inouï octroyé aux parents aux dépens des droits des enfants et de leur santé.
Chez de nombreux Français, il y a donc une véritable incapacité à reconnaître des châtiments corporels tels que les fessées, les tapes, les gifles comme des violences infligées aux enfants. Le fait qu’ils soient commis sous couvert d’éducation les rend tolérables, voire même recommandables, et rend invisibles les atteintes qu’ils représentent à l’intégrité physique et psychique, ainsi qu’à la dignité. On assiste à un étonnant discours de déni face à l’évidence humaine que frapper un enfant ne devrait en aucun cas être une option éducative envisageable, face au droit international, et face aux preuves scientifiques qui en démontrent l’impact négatif. Ce déni transmis de génération en génération, ayant induit une absence d’empathie vis-à-vis de la souffrance des enfants.
Un impact majeur sur la santé, le développement et l’avenir des enfants
Pourtant nous le savons depuis plus de 20 ans, toute violence, aussi «minime» puisse-t-elle être considérée, a des répercussions sur le cerveau des enfant, sur leur développement psycho-affectif et sur leur santé.
Toutes les connaissances scientifiques confirment les liens très fort entre violences subies dans l’enfance et les déterminants principaux de la santé et de la mortalité chez les adultes. L’immaturité du cerveau des enfants fait que la douleur, les souffrances mentales et les situations de stress ont un effet bien plus délétère sur eux que sur les adultes. Plus un enfant est jeune, plus les conséquences de la violence sur le développement de son cerveau et sa santé seront grandes. Éduquer un enfant ne doit être, en aucun cas, synonyme de faire pression sur lui, lui faire mal, lui faire peur, l’humilier et le stresser, cela n’a aucune vertu et représente un risque important pour sa santé, son développement et sa confiance en lui ainsi que celle qu’il a pour le monde extérieur.
De très nombreuses études et enquêtes scientifiques internationales démontrent que les représentations que la majorité des Français-e-s ont de la « violence éducative ordinaire » sont fausses : elle n’est ni mineure, ni inoffensive, et elle n’a aucune portée éducative, bien au contraire : Durrant en 2012 et Gershoff en 2016 ont fait des méta-analyses de toutes les études scientifiques - plus de 200 - publiées dans les grandes revues internationales sur ce sujet, depuis plus de 20 ans, qui ont toutes démontré qu'en plus d’être une atteinte aux droits et à l’intégrité de l’enfant, la violence éducative :
- est un facteur de risque qu’il subisse des maltraitances bien plus graves ;
- a un impact durable sur sa santé mentale et physique ;
- est responsable chez l’enfant du développement de troubles cognitifs et de l’apprentissage, de troubles du comportement et de conduites à risque, elle est fortement corrélée à une augmentation de l’agressivité et des comportements anti-sociaux ;
- et est une véritable usine à fabriquer des victimes et des auteurs de violences futures.
Or malgré la reconnaissance scientifique internationale de la gravité de l’impact de toutes les formes de violences sur le développement des enfants et sur leur santé mentale et physique à court, moyen et long termes, la France ne considère toujours pas les violences faites aux enfants comme une urgence humaine, sociale et de santé publique majeure, et ne met pas en place de plan national exhaustif de lutte contre ces violences.
Pourtant, au sein de l’Europe, la France se situe parmi les pays ayant les taux les plus élevés à la fois de suicide, de troubles mentaux et de conduites addictives chez les adolescents, que ce soit pour la consommation de tabac, d’alcool et de drogues (enquête HBSC, 2011). Or on sait, grâce à de très nombreuses études scientifiques internationales, que suicides, troubles mentaux et conduites addictives ont un très fort taux de corrélation avec des violences subies (Stein, 2010 et Bruffaerts, 2010). Le suicide, il faut le rappeler, est en France la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans après les accidents de la voie publique, qui sont eux-mêmes corrélés aux violences subies (Cornet J., 1997). Chaque année, en France, on déplore près de 10 000 morts par suicide dans la population générale.
Le déni français de l’ampleur des violences faites aux enfants et de la gravité de leur impact sur la santé à long terme a un coût humain, sanitaire et social exorbitant.
La France est un des rares pays de l’Union Européenne à ne pas avoir encore aboli les châtiments corporels (20 sur 28 l’ont fait, et 3 autres s’apprêtent à le faire), et se fait régulièrement rappeler à l'ordre par les instances internationales et européennes qui lui demandent expressément de les interdire. Elle s’est jusque-là refusée à légiférer, sous prétexte que l’opinion publique n’est pas prête et que cela risquerait de crisper et culpabiliser les parents… En 2016, nous espérons que le courage et la volonté politique seront au rendez-vous. S’il est voté, l’amendement adopté en juillet, modifiant comme nous l’avons vu l’article 371-1 du Code civil concernant l’autorité parentale et excluant « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence corporelle » pourrait nous permettre de rejoindre les pays abolitionnistes, mais il faudra que la loi soit réellement appliquée et qu’elle s’accompagne de nombreuses mesures d’information, de formation et d’accompagnement. Cette loi sera une grande avancée et un signal fort donné à tous les citoyens que les enfants doivent être protégés de toute violence en toute circonstance, et elle les autorisera à intervenir pour défendre des enfants.
Alors que les violences faites aux enfants sont un facteur de risque sur lequel il est parfaitement possible d’agir en termes de prévention et de protection, il est scandaleux que les pouvoirs publics français ne mettent pas en place de plan d’action en urgence. D’autres pays l’ont compris, qui ont pris des mesures efficaces (recherches, lois, campagnes d’information et d’éducation, formations des professionnels, dépistages, offres d’accueil et de soin, etc.) avec un budget suffisant pour lutter contre ces violences (OMS, 2014).
Protéger les enfants de toute forme de violence est un impératif absolu.
La souffrance des enfants victimes de violences est encore trop sous-estimée, et elle n’est que très rarement reconnue. Au contraire, elle est souvent considérée comme un trouble du comportement, dont on tient les enfants pour responsables, ou comme un trouble psychiatrique, dont ils seraient atteints de par leur constitution.
Face à un enfant présentant des attaques de panique, des phobies, des troubles alimentaires ou du sommeil, des conduites addictives, des comportements à risque, des auto-mutilations, ou ayant tenté de se suicider, trop rares sont les professionnels qui se préoccupent de ce qui a bien pu lui arriver et qui recherchent s’il a subi des violences, alors que tous ces symptômes y sont très fortement corrélés.
La violence, un impact psychotraumatique majeur
La violence, par ses impacts psychotraumatiques, a un très fort pouvoir colonisateur et d’emprise par l’intermédiaire de la mémoire traumatique. Elle est également paralysante et dissociante pour l’enfant qui en est victime, le déconnectant de ses émotions. Et elle est, pour le parent violent, un outil de domination et une drogue anesthésiante.
La violence est un formidable outil pour soumettre et pour instrumentaliser des victimes dans le but de s’anesthésier.
L’impact psychotraumatique des violences est dû à la mise en place, par le cerveau, de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde pour échapper au risque neurologique que fait courir un stress extrême, auquel sont particulièrement sensibles les enfants. Ces mécanismes, qui seront également à l’œuvre chez l’adulte violent, s’apparentent à une disjonction avec interruption des circuits émotionnels et d’intégration de la mémoire, et sont alors à l’origine d’un état de dissociation (avec une anesthésie émotionnelle, un sentiment d’étrangeté, de déconnexion, d’être spectateur de la situation), et de troubles de la mémoire avec la mise en place d’une mémoire traumatique (Nemeroff, 2009 ; Louville et Salmona, 2013).
Cette mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle non intégrée qui, au moindre lien rappelant les violences et leurs contextes, les fera revivre à l’identique à l’enfant victime, avec les mêmes émotions (le stress, la peur, la détresse, le désespoir, la honte, la culpabilité…) et les mêmes perceptions (douleurs et les cris, les phrases assassines, la haine et la colère du parent violent…), tandis que l’adulte violent revivra également la scène violente avec ses actes et ses émotions, ainsi que les réactions de l’enfant.
Cette mémoire traumatique colonise et envahit le psychisme de l’enfant comme celui du parent violent. Tous les contextes liés aux situations de violences sont susceptibles de la déclencher et de créer un état de stress et de tension intolérable chez l’enfant comme chez le parent. Pour y échapper, chacun développe ou impose autour de lui des stratégies d’évitement. Ces stratégies d’évitement et de contrôle ne sont pas toujours possibles ou suffisamment efficaces, un autre recours peut alors être utilisé, celui d’anesthésier sa mémoire traumatique pour ne plus en ressentir les effets en étant dissocié, soit avec de l’alcool ou de la drogue, soit en faisant disjoncter à nouveau le circuit émotionnel en provoquant un stress extrême, par des mises en danger, ou des violences exercées contre soi ou contre autrui (Salmona, 2013).
C’est ainsi que le parent violent peut utiliser la violence contre ses enfants pour anesthésier une mémoire traumatique provenant de violences qu’il a lui-même déjà exercées contre eux ou contre son conjoint, de violences qu’il a subies dans sa propre enfance, mais également de violences qu’il a subies ou commises dans sa famille, au travail ou dans d’autres circonstances (délinquance, guerres, violences d’état, terrorismes, etc.).
Le cycle infernal de la violence
La violence engendre alors de la violence dans un processus sans fin. Face à ses enfants, de multiples liens seront susceptibles de déclencher la mémoire traumatique du parent violent (des cris, des pleurs, la terreur de l’enfant, son incapacité à répondre à une injonction, un stress comme un objet qui tombe, une situation de frustration), il pourra exiger de l’enfant d’éviter de la déclencher, l’obligeant à s’autocensurer et à anticiper et contrôler tout ce qui peut stresser son parent. Et si elle se déclenche malgré tout, le psychisme du parent sera envahi par le stress extrême, par des hurlements, des images de coups, par sa propre colère précédente ou celle de son parent quand il était enfant, ou de son conjoint, ou d’autres auteurs de violences qu’il a subies ou dont il a été témoin. S’il adhère à une position dominante ou s’identifie à l’image parentale violente du passé ou à tout autre auteur de violences, il pourra alors s’autoriser à exercer des violences sur son enfant pour disjoncter et s’anesthésier.
L’enfant, de son côté, sera lui aussi de plus en plus traumatisé, et de plus en plus envahi par la mémoire traumatique de toutes les scènes de violence qu’il aura subi ou dont il aura été témoin : quand sa mémoire traumatique se déclenchera, il pourra se figer et ne plus pouvoir bouger ; se mettre à paniquer, à trembler et à pleurer, à uriner sur lui, à se cacher (comme il avait réagi lors des violences précédentes) ; ou au contraire à hurler, à avoir des crises clastiques, à casser des objets, à se faire mal ou se mettre en danger, à injurier, à taper (comme l’adulte violent avait agi), en reproduisant le comportement de l’adulte violent, dans sa famille, mais également à la crèche, à l’école, lors d’activités sportives, sur lui-même, mais également sur des objets, sur d’autres enfants, sur des adultes ou sur des animaux. En dehors des accès de mémoire traumatique, l’enfant sera le plus souvent dissocié, anesthésié émotionnellement, dans l’incapacité de se défendre ou de réagir. L’enfant sera alors de plus en plus considéré comme un enfant difficile et opposant, ou comme un enfant paraissant indifférent, dans l’incapacité de ressentir ses émotions et de se défendre, avec un risque important de subir de nouvelles violences (Salmona, 2013).
Les violences colonisent et dénaturent la parentalité
Les violences imprègnent de telle façon et depuis si longtemps les rapports humains qu’elles en ont modifié les normes et les représentations que l’on peut s’en faire. Les violences saturent et dénaturent la parentalité. Dans notre société, les symptômes psychotraumatiques et les troubles des conduites qui y sont rattachés ne sont jamais reconnus comme des conséquences normales des violences, et sont perçus, de façon mystificatrice et particulièrement injuste, comme provenant des victimes elles-mêmes, liés à leur personnalité, à de prétendus défauts et incapacités, à leur sexe, à leur âge, voire à des troubles mentaux. Les violences et leurs conséquences psychotraumatiques sont à l’origine de nombreux stéréotypes censés caractériser les victimes qui les subissent le plus fréquemment, comme les femmes et les enfants. Leurs symptômes, au lieu d’être identifiés comme réactionnels, sont injustement considérés comme naturels et constitutifs de leur caractère, de leurs conduites, telles les conduites à risque et les mises en danger des adolescents.
Ces stéréotypes, imprégnés par la violence omniprésente, altèrent profondément les relations humaines et transforment l’amour en une relation de possession et d’emprise, l’éducation en un dressage et une domination.
Trop rares sont les adultes qui prennent fait et cause pour les enfants, qui se battent pour protéger leurs droits, et qui ont peur pour eux : « Les enfants peuvent bien attendre… » comme le dénonce le titre du recueil de paroles de 25 experts sur la situation des droits de l’enfant en France, auquel j’ai participé, publié en 2015 par l’UNICEF (United Nations International Children's Emergency Fund, en français « Fonds des Nations unies pour l’enfance »).
Dans notre pays, on se méfie bien plus des enfants qu’on ne les protège. L’enfant-roi, l’enfant-tyran, l’enfant menteur, désobéissant, délinquant, agressif produit par une éducation laxiste, sont des stéréotypes omniprésents. On est prompt à oublier que les enfants en danger sont incomparablement plus nombreux que les enfants délinquants (3,5 fois plus) et que les comportements violents des enfants sont très fortement corrélés à des violences subies (Odds Ratio à 8, M. Choquet, 2008).
Au lieu d’être des univers de sécurité, la famille, les lieux de garde et les institutions restent des zones où le risque de subir des violences est très élevé, les enfants les plus vulnérables y étant les plus exposés (les plus jeunes, ceux qui sont handicapés et qui subissent des discriminations). Quel que soit leur milieu social, c’est donc dans leur famille et dans les lieux d’accueil que les enfants risquent le plus de subir des violences où d’en être témoins : châtiments corporels, violences verbales et psychologiques, humiliations, maltraitances sous toutes leurs formes (violences physiques, violences sexuelles ou négligences), ou exposition à des violences conjugales.
Et il est très préoccupant que la grande majorité des enfants victimes de violences ne soient pas reconnus, ni protégés. Alors qu’ils sont très nombreux à subir des violences qui sont des atteintes graves à leurs droits, à leur dignité et à leur intégrité physique et psychique, ces violences ne sont que rarement identifiées et signalées. Faute d’information, de sensibilisation et de formation suffisantes sur la réalité des violences, il y a une grande difficulté à penser et reconnaître les violences, et notamment à les entendre lorsqu'elles sont révélées. Dans le système de dénégation où nous baignons, il ne semble pas possible que la famille, censée être l’univers le plus protecteur pour l’enfant, puisse être également le plus dangereux, et celui où le risque d’y subir des crimes comme le meurtre ou le viol y soit le plus important. C’est ainsi que les enfants victimes de violences sont en général abandonnés, sans protection, ni soin. Ils se retrouvent à survivre seuls à ces violences et aux conséquences psychotraumatiques qu’elles entraînent sur leur santé (Salmona, 2016).
Le déni et la tolérance incroyables de la société française concernant les violences envers les enfants sont alimentés par la conception de l’éducation comme une soumission à l’autorité, la structure encore très inégalitaire et discriminatoire de l’univers familial, la vision de la violence comme une fatalité liée à la nature de l’homme dès sa naissance ainsi que par la non-application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. De plus, la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences entraîne l’absence de leur prise en charge, ainsi que la persistance d’un exercice encore archaïque de la psychiatrie, qui, malgré de nombreuses études internationales, peine à prendre en compte les preuves scientifiques des liens de causalité très forts entre des antécédents de violences et une altération de la santé mentale : 60 % au moins des troubles psychiatriques seraient directement liés à des violences, 30 % à des violences physiques subies dans l’enfance, et jusqu’à 7 % à des châtiments corporels même présentés comme « minimes » comme les tapes (Afifi, 2006, 2014 ; Hughes, 2016).
Chaque enfant doit être protégé de toute forme de violence et respecté en tant qu’être humain unique et précieux ayant des droits fondamentaux.
Il est temps de lutter le plus efficacement possible contre ces violences, et de dénoncer sans relâche tout ce qui les rend possibles, c’est le propos de cet ouvrage. En 20 questions-réponses précédées par un état des lieux en 12 points, il s’agit de donner des informations fiables et précises sur la réalité de ces violences, sur les droits des enfants, sur l’état des connaissances scientifiques sur l’impact de ces violences sur les comportements des enfants et leur santé physique et mentale, et enfin de déconstruire tout ce qui fait le lit de cette culture de la violence sous couvert d’éducation.
Protéger les enfants contre toute forme de violence est un impératif absolu, qui nous concerne toutes et tous. Nous devons promouvoir une éducation centrée sur l’intérêt supérieur des enfants et adaptée à leurs besoins fondamentaux.
Et nous allons voir, tout au long de cet ouvrage, que la meilleure façon de lutter contre les violences c’est de lutter contre toutes les formes de violences, sans exception : violences envers les enfants en priorité, mais également violences conjugales, violences sexuelles, violences au travail, violences institutionnelles, violences liées aux discriminations, violences d’états, etc.
Nous verrons que toute violence est pourvoyeuse de nouvelles violences, de proche en proche et de génération en génération, les enfants en étant la première cible.
Dre Muriel SALMONA
Psychiatre-psychotraumatologue
Présidente de l’association Mémoire
Traumatique et Victimologie
06 32 39 99 34