Quelle prise en charge pour les personnes traumatisées par les attentats ?
Comment prendre soin d’elles, les soutenir et les comprendre ?
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
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Passé l’état de choc émotionnel des premiers jours, que toutes les victimes et leur entourage ont ressenti, que va-t-il se passer pour ces personnes dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent ? Comment prendre soin d’elles ? Comment soutenir les victimes, leurs familles, mais aussi les témoins de ces attaques ?
La prise en charge psychologique de toutes les personnes impactées par les attentats est essentielle.
Les actes terroristes atroces perpétrés sont des événements extrêmement traumatisants pour toutes les personnes qui en ont été victimes et toutes celles qui ont été impliquées plus ou moins directement : leurs proches, celles qui les ont secouru ou ont été témoins extérieurs des attentats, sans oublier toutes celles qui ont déjà vécu des actes criminels et dont le traumatisme se réactive, voire même toutes celles qui ont été exposées à des images traumatisantes et des informations stressantes en boucle.
Les traumatismes psychiques sont de véritables blessures neuro-psychologiques entraînant de grandes souffrances. Ils nécessitent une prise en charge immédiate, ce qui est en général proposé en urgence dans le cadre des cellules d’urgences médico-psychologiques.
Mais les troubles psychotraumatiques s’installent fréquemment dans la durée, parfois pendant des années, parfois de façon décalée, avec de lourds retentissements sur la santé des personnes traumatisées. Il est alors impératif de continuer à les accompagner et à leur apporter des soins spécialisés.
Réanimer psychologiquement les victimes
Dans un premier temps, les personnes traumatisées ont besoin d’être secourues, sécurisées et protégées de tout stress. Il faut apaiser leur détresse et les sortir de leur état de choc et de sidération. Il s’agit de les réanimer psychologiquement, de les aider à retrouver le cours de leur pensée qui s’est interrompu au moment du trauma, de leur parler, de les réconforter et de les ramener dans le monde des humains.
Elles ont également besoin d’être entendues, soutenues et comprises. Il est important qu’elles puissent partager leurs émotions, leurs craintes, leurs questionnements en toute sécurité sans être culpabilisées, et en respectant leur rythme, sans ressentir qu’elles gênent ou sont inadéquates. De plus, elles ont besoin d’être informées sur les impacts traumatiques et de savoir que leurs réactions sont normales et universelles en cas de situations de violences aussi extrêmes.
Le temps pour se libérer d’un tel traumatisme, pour apaiser une douleur morale si massive, et très fréquemment un sentiment de culpabilité et d’impuissance torturant (syndrome du survivant), est un temps de réparation et d’intégration psychique, qui ne peut pas faire l’économie d’un travail d’élaboration et de mise en mots et sens sur tout ce qui a été vécu et ressenti au moment des attentats et après, sur ce qui s’est passé, sur les terroristes et leurs stratégies, sur les contextes socio-politiques.
Un long et très lourd travail de deuil est à mener également.
Le traumatisme, une bombe à retardement
Or il est rare que les victimes bénéficient longtemps de cet accompagnement, souvent l’entourage, au bout de quelques semaines, ne tient plus compte des traumatismes et de la douleur morale des victimes, elles se retrouvent fréquemment seules avec des symptômes psychotraumatiques qui ne se font pas oublier et continuent à les envahir, particulièrement avec la mémoire traumatique et son cortège de flash-backs, réminiscences, cauchemars traumatiques, comme si les attentats étaient encore en train de se produire telle une torture sans fin.
Il est essentiel de ne pas confondre la guérison du traumatisme et l’oubli, la cicatrice douloureuse de l’évènement monstrueux restera mais la victime ne revivra plus celui-ci à l’identique avec la même détresse, la mémoire traumatique aura fait place à une mémoire autobiographique.
La connaissance des conséquences psychotraumatiques et de leurs mécanismes est indispensable
D’où l’importance que tout le monde soit informé précisément de qu’est un traumatisme psychique, des mécanismes à l’œuvre et des conséquences sur la vie des victimes, seul moyen de comprendre la souffrance et les réactions des victimes traumatisées, et d’être le plus bien-traitant et aidant possible. Les proches doivent avoir les outils pour comprendre, que toutes les réactions traumatiques de la victime, particulièrement les phénomènes de sidération, de mémoire traumatique et de dissociation comme nous allons le voir, sont normales.
Les atteintes neurologiques sont à l’origine d’une mémoire traumatique (flashbacks, réminiscences intrusives, cauchemars...),qui peut se réactiver, parfois des mois ou des années après les attentats si une prise en charge adaptée n’est pas mise en place le plus tôt possible.
Cette mémoire traumatique est une véritable bombe à retardement qui, au moindre lien rappelant l’évènement traumatique, fait revivre à l’identique les pires moments comme une machine à remonter le temps incontrôlable : un cri, un bruit soudain, une détonation, des sirènes de véhicules de secours, une douleur, la vue ou l’odeur du sang ou de la poudre, etc., et la personne traumatisée est envahie par des images de l’attentat, des bruits, des douleurs, un état de panique avec une sensation de mort imminente.
C’est très violent, il s’agit d’une véritable torture qui peut se déclencher à tout moment transformant la vie des traumatisés en terrain miné et les obligeant à mettre en place de stratégies de survie très coûteuses et très impactantes pour leur santé. Mais cette mémoire traumatique peut se désamorcer et être transformée, grâce à un traitement spécifique, en mémoire autobiographique.
La douleur peut se réactiver longtemps après
Pour les personnes traumatisées, le temps n’est donc pas celui des médias, ni de toutes les personnes qui les entourent. C’est le plus souvent quand tout le monde cesse d’y penser, que leur douleur, qui était anesthésiée du fait d’un mécanisme de survie neuro-biologique (la dissociation traumatique) va se réactiver.
Ce décalage dans le temps va les mettre en porte-à-faux avec leur entourage, qui n’aura plus la disponibilité qu’il avait au moment des attentats, et qui ne fera pas forcément le lien entre ce mal être et les événements traumatiques.
Les victimes peuvent se sentir isolées et abandonnées
Les victimes traumatisées, si elles n’ont pas été bien informées ainsi que leurs proches, courent le risque de se retrouver seules avec une effroyable souffrance, sans en comprendre l’origine (le lien peut être difficile à faire à distance), sans la protection, le réconfort, la compréhension, les soins et l’accompagnement nécessaire, en grand danger donc.
La réactivation peut parfois se faire des mois ou des années après le trauma. Pendant ce temps, les personnes sont déconnectées de leur souffrance par une anesthésie à la fois émotionnelle et physique. Il y a peu de signes extérieurs pouvant alerter un non-professionnel, elles n’ont qu’un sentiment de vide, d’être spectatrices de leur vie, et peuvent penser que finalement tout va plutôt bien et qu’elles n’ont pas besoin de soin, ni de soutien : rapidement l’entourage ne va plus se préoccuper d’elles.
les troubles psychotraumatiques sont des réactions normales à des situations hors-normes et traumatisantes
Les troubles psychotraumatiques (dont fait partie l’état de stress post-traumatique) sont des conséquences normales et universelles des violences qui s’expliquent par la mise en place de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie à l’origine d’une mémoire traumatique. Les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire qui sont visibles sur des IRM.
Les phénomènes de mémoire traumatique permettent de comprendre qu’il est impossible pour les victimes de prendre sur elles, d’oublier, de passer à autre chose, de tourner la page, comme on le leur demande trop souvent… Il est important d’expliquer à l’entourage que lorsque cette impressionnante mémoire traumatique sera traitée et transformée en mémoire autobiographique, la victime pourra se remémorer les violences sans les revivre. En attendant les proches doivent être patients, et ne pas paniquer pour ne pas aggraver la détresse de la victime.
Il est donc utile de rappeler que la gravité de l’impact psychotraumatique n’est pas lié à une fragilité psychologique de la victime mais à la monstruosité de l’agression, au caractère particulièrement terrorisant et inhumain des violences, à l’impuissance totale ressentie ainsi qu’à la mise en scène terrorisante et à l’intentionnalité destructrice et la haine des terroristes qui créent une effraction psychique et un état de choc.
Une sidération qui paralyse les victimes
Avoir été exposé, que l’on soit blessé physiquement ou non, à l’effroi, à la volonté de destruction inhumaine des terroristes, et à l’impuissance face à la mort, la détresse semée de façon aussi implacable autour de soi génère une effraction psychique et un état de sidération qui paralyse les représentations mentales et l’activité du cortex cérébral chargé d’intégrer.
Ces personnes en état de choc traumatique se retrouvent soit pétrifiées, dans l’impossibilité de bouger, de crier, de réagir, soit en pilote automatique avec des réactions plus ou moins adaptées qu’elles peuvent se reprocher (ou qu’on leur reproche) alors que ce sont des réactions traumatiques normales .
Cette sidération rend impossible de contrôler l’activité de la structure cérébrale à l’origine de la réponse émotionnelle et de la production d’hormones de stress (adrénaline et cortisol). Cette petite structure sous-corticale - l’amygdale cérébrale - est une structure archaïque de survie, une alarme qui s’allume lors d’un danger et qui reste en activité tant que le danger perdure. Elle ne peut être modulée ou éteinte que si la personne est en sécurité ou si elle analyse et contrôle la situation.
La sidération avec la paralysie des fonctions supérieures rend impossible cette modulation, la réaction émotionnelle rapidement devient extrême (stress dépassé) avec des sécrétions d’adrénaline et de cortisol de plus en plus importantes qui représentent un risque vital cardiologique et neurologique pour l’organisme (des taux très élévés d’adrénaline sont cardio-toxique, on peut mourir de stress extrême, et des taiux très élévés de cortisol sont neuro-toxiques avec des atteintes neuronales).
Une disjonction de survie qui produit une dissociation traumatique et une mémoire traumatique
Comme dans un circuit électrique en survoltage, pour éviter que tout ne grille, le cerveau va mettre en place un mécanisme de survie exceptionnel en faisant disjoncter le circuit émotionnel et en isolant la petite structure sous-corticale à l’origine du stress extrême : l’amygdale cérébrale.
Lors de cette disjonction, un cocktail morphine-kétamine inonde l’organisme, et la personne se retrouve déconnectée de ses émotions et de sa perception de la douleur, elle est anesthésiée comme spectatrice de la situation traumatique qui paraît irréelle : c’est ce qu’on appelle un état de dissociation traumatique. La disjonction interrompt également le circuit de la mémoire et empêche la mémoire émotionnelle et sensorielle d’être intégrée et différenciée par une autre structure cérébrale essentielle : l’hippocampe (structure cérébrale qui est le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et des repérages temporo-spaciaux). Cette mémoire émotionnelle va rester piégée dans l’amygdale cérébrale, c’est ce qu’on appelle la mémoire traumatique.
C’est cette mémoire traumatique brute, bloquée dans l’amygdale cérébrale, non intégrée, non différenciée, qui, au moindre lien rappelant les violences, les fera revivre à la victime à l’identique comme une machine à remonter le temps, avec les mêmes images atroces, les mêmes cris et tirs entendus, les mêmes émotions telles que la terreur, la détresse et le désespoir, un état de panique avec une sensation de mort imminente et les mêmes perceptions qui leurs sont rattachées (images, odeurs, bruits, paroles, cris, douleurs). Par exemple des cris, un pétard qui explose pourra déclencher une attaque de panique, de même la vue du sang, les sirènes des véhicules de secours, la vue d’un camion, etc. Cette mémoire traumatique colonisera la victime et transformera sa vie en un terrain miné, avec d’intenses souffrances et des sensations de danger permanent
Une dissociation traumatique trompeuse
Les personnes traumatisées, tant qu’elles restent exposées au stress, au danger, ou à son rappel omniprésent vont dans l’ensemble rester dissociées et anesthésiées, comme le décrit si bien dans un article le journaliste Philippe Lançon qui a été victime de l’attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. Pendant la période de dissociation les victimes paraîtront distanciées, déconnectées voire même indifférentes, et elles ne ressentiront pas les allumages de leur mémoire traumatique qui sera elle aussi, comme anesthésiée.
Ces phénomènes de dissociation traumatiques que présentent souvent les victimes peuvent être trompeurs et faire croire que la victime ne va pas si mal puisqu’elle a l’air calme, détachée, voire même parfois elle peut être souriante comme si rien de grave ne s’était passé. Cet état discordant avec la situation traumatique doit alerter, il est l’indice d’un état de dissociation et d’un traumatisme majeur. L’état dissociatif ne signifie pas que la personne n’est pas en état de détresse, elle est privée de ses émotions et ne peut pas les exprimer. La dissociation n’empêchent nullement d’être traumatisée, et c’est même le contraire, les victimes dissociées ont une tolérance aux violences et à la douleur qui font qu’elles ne pourront pas se protéger au mieux de situations dangereuses, et qu’elles seront encore plus traumatisées, avec une mémoire traumatique qui se rechargera d’autant plus, se transformant en une bombe à retardement. Parfois l’état dissociatif est tel que les personne peuvent être stuporeuses, totalement confuses et désorientées, amnésiques, sans notion du temps qui s’écoule, elles peuvent faire des «fugues» dissociatives et errer sans savoir qui elles sont, et où elles sont.
Ces symptômes dissociatifs s’installent parfois durant une longue période, et font que l’entourage peut avoir du mal à reconnaître les victimes, elles semblent avoir changé totalement de personnalité (elles peuvent paraître étranges, difficiles à comprendre, avec des comportements paradoxaux). Comme nous l’avons déjà expliqué ces symptômes dissociatifs conduisent l’entourage des victimes à sous-estimer leur souffrance et l’intensité de son traumatisme, et à ne pas ressentir d’émotion face à elle, les processus d’empathie (par l’intermédiaire des neurones miroirs) étant désactivés par la dissociation traumatique. La dissociation est souvent perçue par les proches, comme de la résilience et les proches vont considérer qu’il n’y a plus de traumatisme, ce qui les rend moins compatissants et plus exigeants, voire facilement agacés devant des absences de réactions et des troubles cognitifs qui peuvent être pris pour de l’indifférence ou de la mauvaise volonté. Les personnes dissociées peuvent alors subir un véritable harcèlement psychologique avec des remarques désagréables et blessantes incessantes pour les faire réagir.
Pour éviter cela, il faut aider les proches à prendre en considération que la souffrance et la détresse de la victime sont rendues inaccessibles par la dissociation et qu’il est nécessaire de les reconstruire mentalement. Connaître le processus d’absence d’activation des neurones miroirs face à une personne dissociée, permet de l’identifier et de lutter contre cette anesthésie émotionnelle et cette indifférence induite, de comprendre qu’au contraire il faut encore plus s’inquiéter pour elles, puisque cela signifie qu’elles sont très traumatisées.
Une mémoire traumatique explosive
Mais, quand la personne sort de son état dissocié (le plus souvent parce qu’elle est à distance et protégée de tout stress important) que la souffrance l’envahit et que sa mémoire traumatique (qui n’est plus anesthésiée par la dissociation) risque fortement d’exploser, déclenchant des réactions émotionnelles exacerbées (détresse, état d’agitation et de panique, sensation de mort imminente, douleurs). C’est important que l’entourage comprenne qu’il s’agit encore d’un processus psychotraumatique normal, et que la victime ne devient pas folle, ni «hystérique».
Cette mémoire traumatique colonisera la victime et transformera sa vie en un terrain miné, avec d’intenses souffrances et des sensations de danger permanent, l’obligeant à mettre en place des stratégies de survie coûteuses, épuisantes et souvent handicapantes.
Sans une prise en charge adaptée, sans soutien et protection, ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils sont à l’origine d’une très grande souffrance mentale et d’un possible risque vital (suicide, conduites à risque, accidents, maladies). Ils ont un impact considérable démontré par les études internationales que ce soit sur leur santé mentale (troubles anxieux, dépressions, troubles du sommeil, troubles cognitifs, troubles alimentaires, addictions, etc.), ou physique (troubles liés au stress et aux stratégies de survie), et leur qualité de vie.
Différentes stratégies de survie : évitement, hypervigilance, conduites addictives, mises en danger
Si elles ne sont pas prises en charge et si aucun lien n’est fait alors avec le trauma, elles vont être condamnées à mettre en place des stratégies de survie de deux types :
- des conduites d’évitement et de contrôle pour éviter toute explosion de mal-être,
- et des conduites dissociantes pour anesthésier ces ressentis liés à la mémoire traumatique avec des drogues, de l’alcool ou des mises en danger et des conduites à risque.
Les conduites d’évitement et de contrôle de l’environnement se présentent sous la forme de phobies et de troubles obsessionnels compulsifs (toutes les situations et les lieux qui peuvent être susceptibles de déclencher la mémoire traumatique sont très anxiogènes et sont évités), et d'hypervigilance (avec une sensation de danger permanent, un état d'alerte, une hyperactivité, une difficulté à dormir, une irritabilité et des troubles de l'attention), avec une grande intolérance au stress. Les victimes, particulièrement quand elles sont des enfants, essaient de se créer un monde sécurisé parallèle où elles se sentent en sécurité, qui peut être un monde physique (comme sa chambre, entouré d’objets, de peluches ou d’animaux qui les rassurent) ou mental (un monde parallèle où elles se réfugient continuellement). Toute situation de stress est à éviter, il est impossible de relâcher sa vigilance, dormir devient extrêmement difficile. Tout changement sera perçu comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place et il mettra en place. Ces conduites d’évitement et de contrôle sont épuisantes et envahissantes, elles entraînent des troubles cognitifs (troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire) qui ont souvent un impact négatif sur la scolarité et les apprentissages.
Les conduites dissociantes servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant et calmer ainsi l'état de tension intolérable ou prévenir sa survenue. Cette disjonction provoquée peut se faire de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé qui augmentera la quantité de drogues dissociantes sécrétées par l'organisme, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, stupéfiants).
Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques : conduites auto-agressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations dangereuses), conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, troubles alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et violentes contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter et s'anesthésier). Les conduites à risques sont donc des mises en danger délibérées recherchées pour leur pouvoir dissociant
Ces comportements sont très invalidants et sont un facteur de risque pour la santé des personnes traumatisées (souffrance très graves, risque de suicide et maladies liées au stress et aux conduites addictives).
Une urgence de santé publique
Pour les personnes traumatisées, ainsi que pour tout l’entourage des victimes, il est donc impératif de savoir reconnaître les blessures psychiques pour tenir compte de leurs manifestations et d’être informé sur les conséquences très lourdes qu’elles peuvent avoir sur :
- leur santé mentale (état de stress post-traumatique, troubles anxio-dépressifs, troubles phobo-obsessionnels, troubles du sommeil, troubles alimentaires, risque suicidaire et de mises en danger, addiction)
- et sur leur santé physique (risques cardio-vasculaires, pulmonaires, immunitaires, dermatologiques, digestifs, endocriniens, de douleurs chromiques, de fatigue chronique, etc.).
Et rappelons pour finir, la nécessité d’une offre de soins accessibles, sans frais par des professionnels qualifiés et formés, dans un cadre sécurisé, accueillant et pluridisciplinaire.
Les centres pouvant proposer ces soins sont rares, les professionnels formés sont trop peu nombreux. Pourtant, il s'agit d'une urgence humanitaire et de santé publique. Les pouvoirs publics doivent donc agir en conséquence pour respecter le droit des victimes à recevoir des soins de qualité.
Quelles sont les personnes qui risquent d’être traumatisées ?
Les victimes directes sont les plus exposées au risque de traumatisme majeur. Ce sont celles qui ont subi les attentats, et qui blessées ou non ont été soudain plongées dans la terreur la plus totale et la plus implacable, confrontées à la barbarie insensée des terroristes, exposées avec leurs proches au risque d’être tuées, et qui ont vu autour d’elles de nombreuses personnes mourir, être gravement blessées, mutilées.
Puis viennent les personnes qui ont été pendant les attentats des témoins non exposés directement aux terroristes, sans être menacés d’être blessés ou tués (témoins à distance, personnes qui on eu les victimes au téléphone pendant l’attentat).
Ensuite celles qui ont secouru les victimes (forces de l’ordre, pompiers, soignants qui ont été confrontés à des grands blessés de guerre dont ils n’ont pas l’expérience pour la plupart) ou bien celles qui sont arrivés après et qui on vu les blessés et les cadavres mutilés, les victimes en état de très grande détresse, le sang, etc.(voisins, passants).
Et enfin, les victimes indirectes que sont les proches, la famille, les amis, les connaissances.
Il ne faut pas oublier également les personnes qui n’ont pas été victimes directes ou indirectes des attentats mais dont le passé traumatique peut être réactivé et les re-traumaiser (victimes d’attentats précédents ou d’autres violences, maltraitance, viols, etc.).
Quelle prise en charge ?
Protéger, mettre en sécurité rassurer et réconforter les victimes et prendre en charge leur état de stress ou de choc émotionnel est primordial. Aller vers elles, s’assurer que leurs besoins fondamentaux sont assurés (ne pas avoir froid, ni faim, ni soif, être à l’abri et au calme, ne pas être isolées). Donner des informations fiables, répondre aux questions concernant la situation, l’état des autres victimes, sur ce qui va se passer dans l’immédiat et plus tard.
Il est essentiel, de prendre en charge le choc psychotraumatique initial, la détresse et la souffrance psychologique, l’état de sidération, la dissociation traumatique et le stress aigu, ce qui permet de prévenir la mise en place d’une mémoire traumatique à long terme (protéger les victimes d’un surcroit de stress, traiter la douleur et contrôler les excès de stress par un traitement tel que les béta-bloquants qui diminuent la production d’adrénaline.
Il faut qu’elles puissent exprimer leurs émotions (la peur, la tristesse, la rage, le désespoir, l’incompréhension, etc.), ce n’est pas grave de pleurer, tout au contraire. Partager leurs ressentis, comprendre leurs réactions est très important pour s’apaiser et pour se dé-culpabiliser par rapport à une impossibilité de réagir (sidération), à un état de confusion, de perte de repères et d’anesthésie émotionnelle (dissociation), ou à des expériences d’angoisses extrêmes et d’état de panique.
Nous l’avons vu les victimes sont souvent en état de dissociation, perdues, confuses, il est important de leur donner des repères, il faut leur parler, leur tenir un discours cohérent, rassurant, permettre de reprendre doucement contact avec la réalité : «je suis là avec vous, tout est fini, vous ne risquez plus rien, vous êtes en sécurité à tel endroit, il est telle heure, je vais vous expliquer comment vous êtes arrivés ici et ce qui va se passer».
Rassurer les personnes traumatisées sur leur état est important, leur dire qu’avec ce qui est arrivé, il est normal d’avoir été terrorisées, dépassées par ses émotions, normal de n’avoir pas pu réagir sur le moment (sidération), normal d’avoir un sentiment d’impuissance très douloureux, normal de ne plus ressentir ses émotions et d’avoir un sentiment d’irréalité, de déconnexion, normal d’être perdues, ne plus savoir où on est (dissociation). Normal d’être envahis par des images atroces, de revivre sans cesse une ou des scènes, de réentendre des bruits, des cris, de ressentir à nouveau des douleurs, une panique, etc. (mémoire traumatique). Mais qu’avec un accompagnement sécurisant et des soins cela va s’atténuer.
Pour les victimes, bénéficier du soutien, de la reconnaissance, de la solidarité, de la compréhension, de l’accompagnement et de l’aide des équipes de secours et de son entourage est salvateur, et représente un atout énorme pour se reconstruire.
Il ne s’agit pas que les victimes fassent à tout prix le récit de ce qui s’est passé, dans un premier temps c’est trop difficile et cela réactive les sentiments de terreurs. La disjonction traumatique au moment du stress extrême, fait que tout ce qui se passe après elle, est engrangé comme un magma indifférencié dans l’amygdale cérébrale, il faudra un travail patient pour tout remettre en ordre chronologique, pour reconstituer, nommer, comprendre ce qui a été vécu, ressenti de façon cohérente, intégrable, sans revivre aussitôt l’état de sidération qui va faire redisjoncter le circuit.
En quoi consiste une thérapie post-traumatique ?
le thérapeute spécialisé en psychotraumatologie sert de guide et d’éclaireur dans les moments les plus difficiles, et de «cortex cérébral» de secours en cas de sidération (comme un disque dur extérieur qui prend le relais en cas de nécessité), il va identifier la mémoire traumatique qu’il faut localiser puis patiemment désamorcer. Ce travail de repérage permet aux victimes de revisiter les violences sans que la sidération les envahisse à nouveau. Cela peut se faire grâce à la construction d’une analyse précise et pertinente, et d’une organisation chronologique cohérente, du déroulement des violences, des mises en scène des agresseurs et du vécu émotionnel et comportemental des victimes, qui permettent aux victimes de récupérer une capacité de contrôle émotionnel. Avec cette capacité, les circuits émotionnels et de la mémoire ne disjonctent plus à chaque évocation, les victimes ne sont plus dissociées et la mémoire des violences peut s’intégrer petit à petit en mémoire autobiographique. Parallèlement l’identification de la mémoire traumatique permet aux victimes de séparer ce qu’elles sont, de ce qui les colonise et provient des violences et des agresseurs. Elles sont alors libérée de la haine et de la destruction que l’agresseur a déversé en elles, et peuvent s’éprouver à nouveau telles qu’elles sont retrouver leur personnalité et leur estime de soi.
Il s’agit donc, en d’autres termes, de faire des liens en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique (remise en sens), de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Pour revisiter le vécu des violences, le thérapeute accompagne pas à pas les victimes tel un « démineur professionnel », dans le cadre sécurisant de la psychothérapie, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable.
Le but de la prise en charge psychothérapique, est donc de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à remettre en sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement ou ce que l’on devrait être, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens avec les violences subies. Par exemple une odeur qui donne un malaise et envie de vomir se rapporte à une odeur de poudre ou de sang, une douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l’agression, un bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences comme les bruits de tirs ou d’explosion. Une heure de la journée peut être systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d’alcool, des conduites boulimique s’il s’agit de l’heure de l’attentat.
Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement chez les personnes traumatisées et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque, les atteintes neurologiques pourront se réparer grâce aux capacités de neurogénèse et de neuro-plasticité du cerveau.
La capacité de modulation de la réponse émotionnelle peut être visualisée par des IRM dans un avant, après traitement lors d’une exposition à un récit de violences de guerre sur des vétérans. Un avant, avec un l’hippocampe qui à l’allumage de la mémoire traumatique est totalement hors circuit, et une amygdale énorme non contrôlée et très active (très colorée sur l’IRM fonctionnelle) entraînant une attaque de panique et une dissociation. Et un après traitement, avec un hippocampe très actif et très coloré lors de l’allumage d’une amygdale de petite taille et peu colorée, car bien modulée et dont le contenu est intégré aussitôt en mémoire autobiographique par l’hippocampe. Non seulement le récit de violences n’entraîne pas de réaction émotionnelle explosive chez le vétéran mais il permet d’intégrer les nouvelles réminiscences des violences qu’il a déclenché, et de déminer un peu plus sa mémoire traumatique.
Les proches pourront aider les victimes à rechercher les liens qui déclenchent sa mémoire traumatique pour l’aider à mieux la contrôler. Ce qui est crucial, c’est que les proches restent calmes, confiants, parlent à la victime pour les ramener dans le monde actuel, en la rassurant et en leur décrivant ce qui se passe, ce qui permet de les aider à les sortir du passé où la mémoire traumatique, véritable machine à remonter le temps, les a bloquées.
Plus les victimes et leur entourage comprennent ce qui se passe, plus la mémoire traumatique peut être contrôlée et désamorcée (c’est le principe du traitement).
Comme nous l’avons vu, pour éviter d’allumer cette mémoire traumatique, tant qu’elle n’est pas désamorcée, les victimes sont obligées de mettre en place des stratégies de survie coûteuses, souvent handicapantes comme les conduites d’évitement, et parfois dangereuses, incompréhensibles et paradoxales, comme les conduites à risque et les mises en danger.
Devant tous ces comportements déstabilisants, déconcertants et angoissants, l’entourage ne doit pas s’en prendre aux victimes, ni paniquer. Il est tout à fait contre-productif de faire la morale aux victimes. Il s’agit avant tout de comprendre et de rechercher ce qui provoque l’exacerbation des stratégies de survie, de faire des liens pour désamorcer la mémoire traumatique (par exemple pour une alcoolisation massive, repérer que celle-ci a toujours lieu à l’heure où l’attentat s’est produit). De bien comprendre aussi que ce n’est pas une question de mauvaise volonté des victimes, ni de pathologie psychiatrique.
L’entourage doit donc être solidaire et bienveillant avec les personnes traumatisées. Il doit les soutenir, les accompagner, les aider à trouver les professionnels ressources qui lui seront le plus utiles, respecter son temps, ne rien lui imposer, mais l’informer sur ses droits et lui proposer des démarches.
Dre Muriel Salmona, Paris le 16 juillet 2016
Pour toutes les démarches et les aides dont on peut avoir besoin en tant que victime ou proche de victime, le site de l’association Fraternité et Vérité créée après le les attentats du 13 novembre est très riche et donne de précieuses informations : http://13onze15.org
et le site INAVEM http://www.inavem.org
Pour en savoir plus sur les conséquences psychotraumatiques, les sites de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles, documents, fiches, ressources et vidéos de formation à consulter et télécharger :
Et une fiche conseil pour les proches et l’entourage d’une victime : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documents-pdf/Fiche_a_destination_de_l_entourage_des_victimes.pdf