vendredi 31 décembre 2010
Photos du colloque publiés sur la page facebook de l'association
Bilan de l'année 2010 de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
Bonne Année 2011, qu'elle vous soit belle, douce et heureuse et qu'elle nous donne la force continuer de lutter…
Et que cette nouvelle année 2011
nous donne
la force de continuer à lutter
toutes et tous ensemble pour un monde meilleur
plus juste, plus solidaire,
et plus libre,
un monde avec
moins de violence, moins d'inégalité
moins de pauvreté et moins de souffrance
Muriel Salmona
et le bureau de l'association
Mémoire Traumatique et Victimologie
lundi 27 décembre 2010
Entretien avec Muriel Salmona dans la Revue du Praticien du novembre 2011 sur les violences sexuelles
Psychiatre-psychotraumatologue, responsable de l'antenne 92 de l'Institut de Victimologie et
Présidente de l'Association Mémoire Traumatique et Victimologie
http://memoiretraumatique.org/
Les troubles consécutifs aux violences
sexuelles répondent à des mécanismes
neurobiologiques aujourd’hui bien
identifiés. Quels sont-ils ?
Une peur face à des violences insensées,
incompréhensibles induit une sidération
psychique et un stress extrême, incontrôlable,
qui peut provoquer une réaction végétative
tellement intense que la vie peut être
mise en danger, par exemple, par infarctus
du myocarde ou atteinte neurologique. Un
mécanisme de sauvegarde est mis en place
par la libération de neuromédiateurs « morphine-
like » ou « kétamine-like » : il aboutit
à isoler l’amygdale cérébrale à l’origine de la
réponse émotionnelle. Ce « court-circuit »
provoque une anesthésie émotionnelle et
physique responsable d’une dissociation
avec l’impression d’être « à côté » de son
corps et de vivre la situation en spectateur.
Cette dissociation peut s’installer de manière
permanente si les violences se répètent
comme lors d’inceste, donnant à la personne
l’impression d’être un automate déconnecté
de la réalité, voire la sensation d’être un
mort vivant.
Piégé dans l’amygdale, le souvenir de l’événement
reste émotionnel, sans accès au circuit
contrôlé par l’hippocampe, qui permet
la mémoire consciente et les apprentissages.
D’où une amnésie, très fréquente, et une
mémoire traumatique, avec des réminiscences
déclenchées par des sensations ou
des faits en apparence banals, mais qui rappellent
inconsciemment la situation traumatique
initiale. Intenses et souvent incontrôlables,
ces réminiscences la font revivre
quasiment à l’identique avec la même
détresse. Elles mobilisent alors tous les sens
(images, sons, odeurs). Mais il arrive que seul
l’un d’eux soit convoqué (par exemple, la
personne entend des voix). Ces manifesta-
tions font aisément croire à une bouffée psychotique,
d’autant qu’elles sont vécues avecune sensation très forte de mort imminente.
Il est extrêmement difficile à une victime
de raconter ce qui est arrivé immédiatement
après l’événement traumatisant. Ça l’est
d’autant plus auprès de personnes sans
empathie, ce qui est malheureusement le
cas de la plupart des policiers auprès de qui
elles pourraient porter plainte. Il est bien
établi aujourd’hui que le plus important
n’est pas de faire parler la victime. Il faut lui
parler, lui donner des outils pour comprendre
ses réactions face aux violences et lui
assurer une présence rassurante et chaleureuse,
permettant l’écoute de ce qu’elle veut
éventuellement raconter. Il est essentiel
qu’elle se sente accompagnée et comprise.
Les troubles psychotraumatiques sont
accompagnés d’une hypervigilance visant
à repérer et éviter tout autre traumatisme
potentiel. Elle se manifeste fréquemment par
des anomalies du sommeil et des conduites
de contrôle et d’évitement du stress et de tous
les stimulis susceptibles de rappeler les violences,
pouvant aller jusqu’à la solitude la
plus extrême, voire au suicide. Cette tension
permanente et ces réminiscences peuvent
conduire paradoxalement à des conduites
« dissociantes » (automutilations, conduites à
risque…), dans lesquelles la personne se place
volontairement dans des situations de stress
intense. Les dissociations entraînent en effet
un phénomène de tolérance aux médiateurs
« morphine et kétamine-like » : pour retrouver
leurs effets anesthésiants et disjonctants,
la personne recherche des situations de plus
en plus extrêmes, ou utilise alcool et psychotropes...
ce que connaissent bien les prostituées
: toutes (mais aussi les alcooliques et
les toxicomanes) ont subi des maltraitances
dans leur enfance. Évitement et dissociations
sont des stratégies de survie et d’autotraitement
qui s’installent pendant des années,
voire toute la vie, avec un impact très lourd
sur la vie sociale et professionnelle, elles peuvent
être prévenues si les victimes sont prises
en charge.
En sus de ces troubles spécifiques, les violences
sexuelles sont à l’origine de nombreuses
manifestations morbides, comme
les troubles alimentaires, cognitifs (attention,
concentration), sexuels (très fréquents),
relationnels, anxieux, fatigue chronique,
douleurs, etc. Par rapport au reste de la
population, les victimes ont une demande
de soins 8 fois supérieure, à laquelle on
répond souvent par des mesures symptomatiques
et inefficaces.
Cet enchaînement de troubles
ressemble fort à ce qui est décrit
pour les traumatismes de guerre...
C’est le même : il est pathognomonique des
situations de violence. Il a d’abord été mis
en évidence par des médecins militaires
chez les vétérans de la Première Guerre
mondiale, puis chez les survivants des camps
de concentration, enfin chez les victimes de
violence intense, dont les viols et de manière
générale les violences sexuelles.
En ce qui concerne celles-ci, le point important
est la situation de non-sens que vit la
victime, renforcée par le caractère soudain
de l’agression. Les quatre cinquièmes des
violences sexuelles sont exercées par des
membres de la famille ou des proches.
La victime se retrouve dans une situation
incompréhensible. Ne pouvant trouver d’explication
qu’en elle-même, elle développe
un sentiment très fort de culpabilité. Elle
n’ose pas en parler et quand elle l’ose, l’entourage
minimise souvent la portée de l’événement
: « Tu exagères ! Ça n’est pas si grave ! »
Souvent, elle va beaucoup mieux lorsqu’elle
comprend enfin qu’elle a été convoquée dans
un scénario qui en fait ne la concerne pas :
son rôle est parfaitement interchangeable
et pourrait être rempli par n’importe qui. Ce
sont les circonstances qui font que c’est elle
la victime ; par exemple, la proximité géographique
avec son agresseur. C’est ce qu’un
entretien peut lui permettre de réaliser, par
exemple, au cours d’une consultation médicale.
Vous parlez de conduite addictive
à propos des agresseurs
Les agresseurs ont quasiment toujours été
eux-mêmes des victimes de violences
sexuelles dans leur enfance. Leurs actes
sont des conduites dissociantes : pour pouvoir
s’anesthésier, ils préfèrent s’identifier
à celui qui domine plutôt que de revivre la
scène dans la position de celui qui subit. Il
faut souligner que cette relation entre leur
histoire personnelle et leurs actes ne les
dédouane pas de leur responsabilité : on a
toujours le choix de ne pas instrumentaliser
les autres. La violence sexuelle peut devenir
une véritable drogue.
Les données épidémiologiques
sont inquiétantes
Il y a 120 000 viols par an en France ; 16 %
des femmes ont subi des viols ou des tentatives
de viols au cours de leur vie, dont 6 sur
10 avant l’âge de 18 ans, contre 5 % des
hommes, dont 7 sur 10 avant l’âge de 18 ans.
Selon les études et les pays, entre 20 et 30 %
de la population aurait subi des violences
sexuelles. Mais si on étend la définition de
ces violences aux agressions verbales ou à
des gestes en apparence moins graves, la
majorité des femmes en ont été victimes un
jour ou l’autre. Je pense que cela explique la
plupart des difficultés sexuelles dont font
état nombre d’entre elles.
Pourtant, ces violences restent
méconnues
La loi du silence reste largement la règle, au
sein des familles comme dans la société. Les
victimes elles-mêmes ont les plus grandes
difficultés à en parler. Les professionnels de
santé, médecins, psychiatres, psychologues…
sont très peu formés à leur prise en charge,
aussi bien psychologique que médicolégale
(certificat de coups et violences, signalements).
Seules 5 % des victimes en ont parlé à
leur médecin et 3 % seulement des signalements
d’enfants en danger sont fait par des
médecins. La plupart du temps, les professionnels
sont démunis devant des manifestations
d’allure paradoxale, qu’ils ne savent
pas expliquer.
Que leur conseillez-vous ?
D’abord, de se former, ce qui aide à surmonter
l’appréhension vis-à-vis de ces problèmes
et permet de réaliser que bien souvent, la
prise en charge n’est pas si difficile. Il faut
en effet en être conscients pour savoir orienter
et informer (numéros utiles, associations,
parcours judiciaire).
Le médecin ne doit négliger aucun trouble
et ne pas hésiter à poser systématiquement
des questions sur l’existence de violences
passées ou actuelles : ce ne sont pas elles
qui traumatisent leur patiente, mais leur
absence. Par exemple : « Que s’est-il passé
juste avant que vos symptômes débutent ?
À quoi cela vous fait-il penser ? Avez-vous vécu
une situation difficile ? Avez-vous subi des violences
? » Les réponses sont en général très
précises.
En effet, ce qui soulage d’abord la patiente,
c’est la compréhension de qui lui arrive et
c’est le lien qu’elle établit entre ses troubles,
ce qui les déclenche et la mémoire traumatique
de l’événement que cette évocation
réalise. En l’autorisant à faire enfin du sens,
cette mise en relation la soulage considérablement.
Il est toujours très surprenant de
voir les troubles disparaître par cette simple
évocation. Cela, un médecin généraliste
peut parfaitement le faire, évidemment avec
tact, beaucoup d’écoute et d’empathie. C’est
cela qui module les réactions émotionnelles
de la patiente. C’est somme toute relativement
facile : il n’y a pas de grandes connaissances
théoriques à acquérir, il suffit de comprendre
et d’être bienveillant. ●
Propos recueillis par Serge Cannasse