Nanterre, le 9 avril 2008
Les violences sont à l’origine de troubles psychotraumatique graves et fréquents particulièrement lorsqu’il s’agit de violences intrafamiliales comme les violences conjugales (58% d’état de stress post-traumatique - Astin, 1995/ 24 % chez l’ensemble des victimes de traumatismes) et de violences sexuelles ( 80 % d’ état de stress post-traumatique en cas de viol - Breslau et al. 1991/ 24 % chez l’ensemble des victimes de traumatismes). Les troubles psychotraumatiques sont méconnus, rarement dépistés et traités (faute de formation spécifique initiale des professionnels de santé) alors qu’une prise en charge précoce est indispensable pour éviter des conséquences considérables sur la santé, sur la grossesse, avec un risque vital (celui directement lié aux violences physiques : une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, un risque suicidaire : 25 fois plus de tentatives de suicides chez les femmes victimes de violences conjugales - Enveff, 2000, un risque accru d’accidents mortels lié à des conduites à risque et des troubles de la vigilance, un risque de mort précoce lié aux conduites addictives et aux négligences graves en matière de prévention ) et une perte selon l’OMS de 1 à 4 années de vie en bonne santé et un coût annuel médical direct des violences conjugales estimé par le CRESGE en 2006 à près de 400 millions d’euros.
L'étude pilote menée sur les Hauts de Seine met en lumière :
- l'importance et la gravité des violences subies dès le plus jeune âge, leur accumulation, leur impact catastrophique sur la santé mentale et physique, sur la qualité de vie et sur le niveau de souffrance psychique.
- l'importance d’une prise en charge spécialisée avec des professionnels formés à la psychotraumatologie, de l’explication des mécanismes neuro-physiologiques à l’oeuvre dans les psychotraumatismes et de leur conséquences pour aider efficacement les victimes et leur permettre d’aller mieux.
L’étude avec questionnaire et interview a été réalisée par le Dr Muriel Salmona psychiatre-psychothérapeute, spécialisée en psychotraumatologie et le sociologue Pierre Chalmeton. Elle porte sur l'ensemble des patients pris en charge par le Dr Muriel Salmona dans le cadre de la consultation de psychiatrie à Bourg la Reine (154 patients) et de la consultation pilote gratuite et anonyme de femmes victimes de violences ouverte 1/2 journée par semaine depuis 6 mois (10 patientes) à Clamart. Parallèlement une étude avec questionnaire et interview a été faite sur l’impact d’une formation en psychotraumatologie de 1 à 2 journées sur la pratique de professionnels prenant en charge des victimes de violences (des secteurs médical, socio-éducatif, judiciaire, environ 400 formés en 2007-2008 par le Dr Muriel Salmona).
Les femmes de tout âge et de tout milieu confondu représentent près de 80% des consultants , des violences graves sont retrouvées chez plus de 90 % des consultantes ( avec 74 % de violences familiales subies dans l'enfance, 41 % de violences conjugales, 29 % de violences au travail et seulement 20% de violences en dehors de la famille, du couple et du travail) les violences physiques sont retrouvées chez 60% des patientes, les violences verbales chez 75%, les violences psychiques chez toutes, les violences sexuelles chez 60% ), la grande majorité, 70%, cumulent plusieurs types de violences. Les patients qui ont été témoins dans leur enfance de violences conjugales représentent 33%, et pour 55 % des patientes subissant des violences conjugales leurs enfants en ont été témoins.
Un questionnaire très détaillé de 50 pages a été rempli par 64 patients ( 55 femmes et 9 hommes de 16 à 64 ans, sur l’ensemble des 164 ) et 13 interview individuelles (12 femmes et un homme) de 2 à 3 h ont été réalisées avec le sociologue Pierre Chalmeton.
Avant tout il ressort de cette étude un immense besoin de témoigner des patients sur la gravité des violences, d’être entendu, avec un grand investissement pour remplir le questionnaire etde nombreux commentaires sur les violences et leurs conséquences.
Pour ces 64 patients de 16 à 64 ans :
-l'étude met en lumière l'importance et la gravité des violences subies dès le plus jeune âge et leur accumulation, 80% ont subi des violences familiales dans l'enfance, 42 % des violences conjugales, 34,5 % des violences au travail; 67% ont subi des violences sexuelles, près de 80 % cumulent plusieurs types de violences.
-Tous sauf une exception se plaignent d’une grande solitude, ils évaluent leur souffrance psychique directement liée aux violences subies à 9,1 en moyenne sur une échelle d’auto évaluation de 1 à 10.
-L’impact sur la qualité de vie des violences est important ou très important pour 92 % des patients, sur la santé psychique pour 96,7 % (important 23 %/très important 73 %) ; sur la santé physique pour 65 % (important/très important) ; sur la vie affective pour 87 %, (important 23 %/très important 64 % ) ; sur la vie sociale pour 73,4 % important/très important ) ; sur les études pour 57,4 % (important/très important) ; sur la vie professionnelle pour 63,6 % (important/très important).
-Pour la majorité des patientes la prise en charge spécialisée s'est faite tardivement après de nombreuses années de souffrance, tous témoignent de leur sentiment d'abandon. Les symptômes psychotraumatiques sont graves : états de stress post-traumatique avec des symptômes dissociatifs et des troubles importants de la personnalité, des troubles de l’humeur et des troubles anxieux invalidants, des troubles des conduites et du comportement (addictions, mises en danger, conduites auto ou hétéro-agressives) fréquents, une fatigue chronique permanente est retrouvée chez 56 % des patients, des douleurs chroniques sont retrouvées dans 40 %, des troubles digestifs, génito-urinaires, cardiovasculaires, respiratoires, allergiques, dermatologiques et ORL sont très fréquemment présents.
-Les violences dans la presque totalité des cas n'ont pas été identifiées, ni dénoncées, les symptômes psychotraumatiques présents chez tous les patients et les symptômes somatiques n'ont jamais été reliés aux violences subies ni par elles-mêmes, ni par les médecins consultés avant la prise en charge spécialisée . Pour elles, leurs souffrances étaient leur destin, elles étaient "comme ça", “nées comme ça”, “particulièrement fragiles et inadaptées à la vie”, vivant uniquement "parce qu'il fallait vivre".
-Pour tous, identifier les violences, comprendre l'origine de leur souffrance, faire des liens entre les violences et leurs symptômes, comprendre les mécanismes neuro-biologiques et psychologiques qui expliquent les conséquences des violences sur la santé et les comportements leur ont permis de retrouver une dignité, de se sentir enfin comprises, d'être soulagées, déculpabilisées et de reprendre espoir. L’explication des mécanismes neuro-biologiques et psychologiques des psychotraumatismes est bien comprise et assimilée par plus de 80 % des patients, et ils sont plus de 90 % à considérer que c’est utile et important de connaître ces mécanismes, 90 % à s’y reconnaître et à trouver les explications cohérentes avec ce qu’ils ressentent, et tous considèrent qu’il est très important de les diffuser le plus possible auprès de tous les professionnels, de l’éducation nationale, du grand public
Les violences particulièrement quand elles sont répétées comme les violences intra-familiales de l'enfance ou les violences conjugales sont à l'origine de la mise en place de mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde (le stress extrême que la violence crée, entraîne un risque vital cardio-vasculaire et neurologique) qui font disjoncter le circuit émotionnel au niveau cérébral (avec des drogues endogènes dures), la réponse physiologique au stress s'éteint et une anesthésie émotionnelle et physique s'installe avec un état dissociatif (de conscience altérée) et des troubles de la mémoire : amnésie (de tout ou partie de l'événement à partir de la déconnexion) et mémoire traumatique (mémoire émotionnelle piégée, isolée, non intégrée) véritable bombe à retardement, hypersensible, incompréhensible (car non verbalisée), qui peut s'allumer à l'occasion de toute situation rappelant inconsciemment tout ou partie de l'événement jusqu'à des dizaines d'années après l'événement en redéclenchant la détresse, la terreur, la souffrance initiale, à l'identique. La vie devient alors un terrain miné, de très nombreuses situations, le moindre lien avec les violences subies sont susceptibles de faire "exploser" cette mémoire traumatique sans possibilité de comprendre l'origine de cette détresse, ni de la calmer, rendant nécessaire la mise en place de conduites d'évitement handicapantes. Quand ces dernières sont mises en échec, seules des conduites dissociantes souvent paradoxales peuvent calmer cet état, il s'agit de refaire disjoncter le circuit émotionnel en augmentant le stress ( conduites auto-agressives, conduites à risques, conduites addictives, conduites de dépendance à un agresseur qui par le risque, la terreur qu'elles produisent sont à même de faire disjoncter ). Ces conduites dissociantes qui s'imposent aux victimes et dont elles ne veulent surtout pas, sont pour elles incompréhensibles, très douloureuses, stigmatisantes et déroutantes pour leur entourage et les professionnels qui les aident, elles sont responsables d'un important sentiment de culpabilité et de la très grande difficulté qu'ont les victimes de violences de se séparer de leur agresseur.
Les agresseurs connaissent bien, par expérience, ces phénomènes dont ils profitent pour assurer leur emprise et disposer "d'esclaves" instrumentalisables à merci pour être dévoués à leur confort matériel, mental et physique. Étant eux-mêmes le plus souvent aux prises avec une mémoire traumatique, ils les utilisent à la fois pour gérer à leur place les conduites d'évitement et pour se dissocier grâce aux explosions de violence qu'ils font subir aux victimes, ce qui leur permet de s'anesthésier (les victimes sont leur drogue avec les mêmes phénomènes de dépendance, de tolérance et d'accoutumance qui font s'aggraver de plus en plus les violences : cycle de la violence).
-Enfin grâce à la prise en charge spécialisée 80 % des patients ont constaté une amélioration de leur santé psychique importante/très importante, et 47 % une amélioration de leur santé physique, la prise en charge spécialisée est considérée comme utile, répondant aux attentes, permettant d’aller mieux et de mieux se comprendre mais elle est longue (de 6 mois à plusieurs années, 2 ans en moyenne). Ses points forts sont la compréhension des mécanismes, l’identification des violences, l’écoute, la déculpabilisation, ne plus être seule, reprendre confiance et bien sur l’amélioration des symptômes.
-Tous sans exception conseilleraient cette prise en charge à d’autres victimes
Les conclusions que l'on peut dégager de cette étude, de plus de quinze ans d'expérience auprès de femmes victimes de violences et de trois ans en tant que formatrice auprès des professionnels sont que, pour éviter toutes ces vies fracassées de génération en génération par la violence il faut :
1-Identifier et dénoncer les violences, dépister et diagnostiquer leurs conséquences : les troubles psychotraumatiques, faire sortir les victimes de violences de leur isolement, rompre la loi du silence, leur permettre un accès facilité à des prises en charges spécialisées (beaucoup trop rares encore) qui leur donneront des outils efficaces pour se comprendre, pour se protéger, pour sortir de la mémoire traumatique, pour lutter contre les conduites dissociantes qui sont à l'origine des plus grandes souffrance et des violences faites à soi-même.
2-Il faut se battre pour une société plus égalitaire, contre toutes les formes de domination masculine et patriarcale, tous les stéréotypes sexistes, contre toutes les discriminations, contre la loi du plus fort qui permettent que les conduites dissociantes violentes soient utilisées en toute impunité contre ceux désignés comme "inférieurs", essentiellement les femmes, les enfants,les adolescents, mais aussi toutes les personnes en situations de vulnérabilité.
3- Il faut informer et former tous les professionnels qui prennent en charge les victimes de violences, c'est le souhait le plus cher de la totalité de mes patientes, et comme le montre une autre enquête consacrée à l'impact des formations en psychotraumatologie sur les professionnels prenant en charge des victimes de violence, ces derniers n'ayant reçu aucune formation initiale sont très demandeurs d'informations et de formations, particulièrement sur les mécanismes et les conséquences psychotraumatologiques des violences ce que montre l’étude faite sur l’impact des formations à la psychotraumatologie. Si l’on étudie les grandes améliorations dans la prise en charge des victimes liées à la formation, on observe que le fait de mieux comprendre les psychotraumatismes et les mécanismes qui y sont liés, est la réponse la plus souvent citée. Si 90% des professionnels trouvent la formation utile ou très utile dans leur pratique, ils la trouvent d’autant plus utile qu’ils sont à même de reconnaître les psychotraumatismes et d’en expliquer les mécanismes.
Elle permet surtout pour les professionnels de santé un meilleur dépistage, une meilleure compréhension de la symptomatologie, et une explication de celle-ci aux patients ; tandis qu’elle permet aux professionnels du social une meilleure compréhension des victimes dans leur ensemble, de mieux cerner les raisons de certaines attitudes, certains de leurs comportements en apparence paradoxaux.
Les professionnels sont 95 % à considérer qu’une assistance téléphonique d’expertise serait utile (aide au diagnostic, à la prise en charge, à l’orientation ) , et 93, 7 % pensent qu’ils y auraient recours.
Il est parfaitement possible, de nombreuses patientes en témoignent, d'arrêter le cycle de la violence transmis de génération en génération, de traiter les troubles psychotraumatiques de la mémoire et symptômes dissociatifs avec une prise en charge spécialisée psychothérapique, ce qui fait disparaître les conduites dissociantes et permet de vivre enfin dans la liberté, la sécurité et la dignité retrouvées. Enfin “devenir soi-même”, “ne plus souffrir pour être disponible et sereine pour s’occuper des enfants, (re)trouver une vie normale”, “je n’ai plus d’envie suicidaire, je n’ai pas reproduit les violences subies sur mes enfants, il est parfois difficile e garder le contrôle face à des pervers, je peux dire que je vais mieux”.
Les agresseurs peuvent et doivent bénéficier de prises en charge spécialisées, il s'agit de les désintoxiquer de conduites dissociantes d'emprise, de traiter leur troubles psychotraumatiques et de les éduquer au respect de la dignité de l'autre, à l'égalité et à la dénonciation de la violence.
Docteur Muriel SALMONA