La sidération traumatique lors de viols
Mécanismes et conséquences
Dre Muriel SALMONA, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, le 30 janvier 2024
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Lors de viols, la sidération traumatique est une réaction neuro-psychique très fréquente qui paralyse les fonctions motrices et mentales d’une victime l’empêchant de réagir.
La victime sidérée est alors comme tétanisée, pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler et dire non, ni bouger, ni organiser de façon rationnelle sa protection, sa défense ou sa fuite. Ce qui lui sera ensuite fréquemment reproché, voire interprété à tort comme un consentement.
Or, il s’agit d’une réaction physiologique involontaire qui est subie par la victime. Ce n’est pas elle qui choisit de s’immobiliser, c’est l’impact des violences sur son cerveau qui provoque cette paralysie. La soudaineté, le caractère menaçant, imprévisible et inattendu, l’intensité et la gravité des violences commises par l’agresseur créent chez la victime un état de choc émotionnel et une effraction psychique provoquant un blocage soudain des fonctions du cortex cérébral (visible sur les IRM, Bremner, 2003).
Le caractère horrible, inhumain et impensable de ces crimes font brutalement basculer la victime dans un état d’incompréhension, de détresse, d’horreur, de stupeur et de choc émotionnel. Face à cela le cortex se retrouve en panne, les fonctions supérieures ne peuvent plus, par l’intermédiaire de représentations mentales concernant l’événement (analyse, compréhension, et prise de décisions), jouer un rôle de défense et de modulation du stress intense déclenché par les violences. La victime est alors sidérée, dans l'incapacité de penser et d'analyser la situation, et d'y réagir de façon adaptée.
Cet état de sidération traumatique qui a été décrit au départ dans le cadre de situations de guerre chez des soldats, se retrouve très fréquemment chez les victimes d’actes violents cruels, dégradants et inhumains ou d’événements traumatiques terrorisants qui menacent leur vie et leur intégrité physique et psychique, ou menacent la vie et l’intégrité d’autrui (comme lors de violences sexuelles, violences conjugales et intra-familiales, meurtres, tentatives de meurtres, tortures, attentats, massacres, bombardements ou catastrophes). On retrouve également cette sidération traumatique dans le monde animal lors de la confrontation à un danger de mort imminente. Une sidération de moindre intensité peut survenir dans des situations plus quotidiennes : lorsqu’on discute en groupe et que quelqu’un commence à tenir des propos dégradants, sexistes ou racistes, la plupart des gens vont rester bouche bée, seront dans l’incapacité de réagir et se diront plus tard « j’aurais dû réagir et lui dire ceci ou cela ! ».
La sidération est particulièrement fréquente lors de viols et prédictive de graves conséquences psychotraumatiques
Les études internationales montrent que les viols et les autres violences sexuelles font partie avec les tortures, des violences les plus traumatisantes.
Lors de viols, la plupart des victimes vont être sidérées : au moins 70 % des femmes adultes violées décrivent un état de sidération (Möller, 2017), et près de 100% des enfants violés. Si la sidération est moins étudiée chez les hommes victimes de viols, dans notre pratique clinique ils nous la décrivent tout autant.
Cette sidération est fortement prédictive de la survenue de lourdes conséquences psychotraumatiques et d’un risque important de présenter troubles dépressifs (cf étude suédoise de Möller en 2017). Le blocage des fonctions supérieures va entraîner un état de stress extrême et le déclenchement de mécanismes neurologiques de sauvegarde qui seront presque toujours à l’origine d’un psychotraumatisme.
Ce qui est particulièrement sidérant pour les victimes de viols c’est la confrontation soudaine à l’intentionnalité implacable d’un ou de plusieurs agresseurs de les détruire, de les faire souffrir, de porter atteinte à leur intégrité et à leur dignité en les chosifiant et en les dégradant, et d’en jouir. Cette intentionnalité et le non-sens de violences inexplicables et inconcevables font basculer les victimes dans un monde cruel et inhumain, ce qui leur fait perdre tout repère et les met en état de choc.
La survenue d’un état de sidération traumatique n’est pas liée à la personnalité de la victime ni à son sexe, c’est la gravité et l’intensité de la menace d’atteintes graves à l’intégrité physique et psychique et à la dignité qui la génère. Mais elle est d’autant plus importante et sévère que la victime est vulnérable. Les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap particulièrement mental, cognitif et neuro-développemental, les personnes ayant déjà été victimes de violences sont encore bien plus à risque d’être sidérées, leur cerveau étant bien plus vulnérable à la violence.
Lors d’un viol, c'est donc avant tout l'attitude de l’agresseur, sa volonté de détruire et l’incohérence de la situation qui sont à l'origine de l'état de sidération. Les agresseurs provoquent cette sidération pour paralyser leurs victimes. La sidération profite à l’agresseur, ce processus lui permet d’agir comme il l’entend puisqu’il sait que la victime ne pourra pas se défendre. Il va donc travailler cette stratégie. Les victimes, sidérées ne sont pas en capacité de se défendre. Tout comme un état totalitaire utilise des stratégies sidérantes pour arrêter des opposants ou des personnes ciblées pour être persécutées, en entrant dans les appartements en milieu de nuit en défonçant les portes, en hurlant, pour terroriser et sidérer les personnes afin qu’elles ne puissent pas fuir. Et les agresseurs vont adapter leur stratégie en fonction de la victime, de son état, de ses réactions et du contexte.
Pour citer un exemple de stratégies sidérantes : une patiente, violée par un inconnu entré par effraction avec une hache dans sa chambre d’hôtel, me rapportait qu’au bout de quelques minutes, alors qu’elle commençait à sortir de son état de sidération et cherchait autour d’elle un objet pour tenter d’assommer l’agresseur, celui-ci s’en était rendu compte, et il lui avait suffi de lui murmurer « je t’aime » et « tu aimes ça, hein ? » pour qu’elle retombe dans son état de sidération.
C’est pour cela aussi que les victimes vulnérables sont beaucoup plus à risque de subir des violences, les agresseurs les choisissent entre autres parce qu’elles vont être plus facilement sidérables sans avoir besoin d’avoir recours à des violences qui pourraient laisser des traces.
Mais pour une victime l’absence de vulnérabilité et le fait d’être rompue aux sports de combats ou à des techniques d’auto-défense n’est pas une garantie de ne pas être sidérée, l’agresseur pourra suivant son expérience adapter sa stratégie, comme on l’a vu, pour obtenir cette sidération. Ce qui peut être protecteur pour les victimes c’est de connaître ce phénomène pour ne pas être totalement déstabilisées et pour arriver à penser et anticiper les stratégies sidérantes de l’agresseur.
Pour sidérer une victime il faut :
- soit la terroriser par la soudaineté et la brutalité de l’agression, la réduire à l’impuissance par des menaces de mort, par des violences physiques et par une volonté de destruction inexorable ;
- soit la paralyser par le non-sens, le caractère incongru, incompréhensible, impensable de l’agression et de sa mise en scène, qui est alors impossible à intégrer, comme par exemple dans les situations de viols incestueux, et de viols commis sur des personnes vulnérables (enfants ,personnes en situation de handicap, personnes âgées), lors de viols commis dans un cadre professionnel par des personnes ayant autorité et censées avoir une fonction de protection, ou lors de soins…
Les violences les plus sidérantes sont celles qui sont les plus insensées, les plus cruelles, injustes et inhumaines, celles qui n'ont aucun sens par rapport au contexte, aucun sens par rapport à la victime, par rapport à son histoire, à ce qu'elle a fait ou pas, à ce qu'elle a dit ou pas, le viol en fait partie. Cette violence impensable ne concerne pas la victime, c'est une violence qui vient d'une autre scène, celle de l'agresseur ! Ce dernier impose à la victime de jouer de force un rôle qui n'est pas le sien, dans un scénario inconnu d'elle, imprévisible, qui n'appartient qu'à l'agresseur et qu'il met en scène pour son propre compte pour détruire, soumettre, instrumentaliser et exploiter une personne.
La sidération traumatique et ses conséquences psychotraumatiques ne sont pas encore suffisamment connues et prises en compte, et sont souvent cruellement reprochée aux victimes de violences sexuelles (pourquoi ne pas avoir réagi, ne pas s’être défendue, ne pas avoir crié, fui, demandé de l’aide ?…). Alors qu’il s’agit de mécanismes neuro-psychiques involontaires et universels face à une situation traumatique entraînant des réactions normales chez les victimes, la sidération et ses conséquences psychotraumatiques (dissociation, mémoire traumatique, conduites d'évitement et conduites dissociantes) peuvent être utilisée pour mettre en cause leur témoignage. Voire même, elles peuvent être considérée comme la preuve d’un consentement et de l’absence de violence, contrainte, menace ou surpris permettant de qualifier un viol dans des procédures judiciaires, alors que ce sont des preuves médico-légales d’un choc traumatique face à aux lourdes conséquences psychotraumatiques. Les victimes elles-même ne comprenant pas cette réaction vont souvent se culpabiliser et avoir honte. Elles risquent de considérer - puisqu’elles n’ont pas dit non, ne se sont pas défendues, n’ont pas fui - qu’elles sont responsables de ce qu’il leur est arrivé et ne vont pas se sentir légitimes pour le qualifier de viol et le dénoncer. D’où l’importance que ce mécanisme neuro-psychique traumatique soit mieux connu et reconnu.
La sidération initiale qui va entraîner une cascade de conséquences psychotraumatiques. Quels en sont les mécanismes ?
Lors d’une situation de danger, une structure sous corticale et donc non consciente du cerveau - l’amygdale cérébrale - se déclenche immédiatement, avant même que nous percevions et identifions consciemment le danger.
L’amygdale cérébrale filtre toutes les informations sensorielles qui arrive au cerveau avant qu’elles ne parviennent aux fonctions supérieures corticales, elle a un rôle d’alarme en déclenchant une réponse émotionnelle avec une hypervigilance et la production d'hormones de stress : adrénaline et cortisol. Ces hormones de stress fournissent notre organisme en « carburant » (oxygène et glucose) nous permettant d’augmenter nos capacités physique.
L’amygdale cérébrale est active chez le foetus dès le troisième trimestre de la grossesse, et chez le nouveau-né dès la naissance ; elle s'active même si la victime n'a pas les capacités de comprendre intellectuellement ce qui lui arrive (enfants très jeunes, personnes avec de lourds handicaps mentaux et cognitifs, personnes n'étant pas conscientes : endormies, droguées). L’amygdale cérébrale est une structure archaïque de survie. Cela signifie que le danger d'une situation, l'intentionnalité de nuire d'un agresseur vont être perçues par l'amygdale cérébrale indépendamment d’une mise en scène qui, elle, pourrait tromper les fonctions supérieures de la victime (ses capacités d'analyse, de compréhension et de mémorisation).
Comme toute alarme, par sécurité, elle ne s'éteint pas spontanément tant que le danger est présent, seul le cortex cérébral et l'hippocampe (le système d'exploitation de la mémoire, des apprentissage et du repérage temporo-spatial) c’est à dire les fonctions cognitives supérieures peuvent la moduler ou l'éteindre grâce à des représentations mentales et l'expérience de situations analogues (intégration, analyse et compréhension de la situation) ou des prises de décisions pour échapper au danger.
Lors d’une situation traumatique sidérante, l’amygdale cérébrale de la victime déclenche immédiatement une alarme avec une sécrétion d’hormone de stress, mais en raison de l’effet de sidération, le cortex en panne ne peut pas réagir ni moduler la réponse émotionnelle déclenchée par l’amygdale cérébrale. Sans réponse des fonctions supérieures les hormones de stress continuent d’être sécrétées jusqu’à atteindre des taux très élevés. Il s’ensuit pour la victime sidérée un état de stress si extrême, qu’elle pense qu’elle va en mourir. Et c’est effectivement un risque réel car des taux très élevés d’hormones de stress sont toxiques pour le cœur (adrénaline ) et pour le cerveau (cortisol) et représentent un risque vital cardio-vasculaire (risque d’ infarctus du myocarde, d’hypertension artérielle maligne, de mort subite) et neurologique (risque d’état de mal épileptique, de pertes de connaissance, d’ictus amnésiques et de coma, avec des atteintes dendritiques et de certaines structures du cerveau telles que l’hippocampe qui peuvent perdre jus’à 30% de leur volume). Face à cet état de stress dépassé, comme dans un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour protéger les appareils électriques, le cerveau fait, grâce à des mécanismes neurologiques exceptionnels de sauvegarde, « disjoncter" le circuit émotionnel à l'aide de neurotransmetteurs qui sont des « drogues dures » anesthésiantes et dissociantes (morphinelike et kétamine-like, des endorphines et des antagonistes des récepteurs de la NDMA), ce qui a pour effet d’interrompre le circuit émotionnel et la sécrétion d’hormones de stress et d’échapper ainsi au risque vital. Cette disjonction coupe non seulement le circuit émotionnel mais également le circuit d’intégration hippocampique de la mémoire, si elle protège le cœur et le cerveau des victimes elle va les anesthésier émotionnellement et physiquement (ce qu’on appelle la dissociation traumatique) et créer une mémoire non intégrée du viol (la mémoire traumatique) et des troubles importants du repérage temporo-spatial (distorsions et de pertes de repères). C’est ainsi que des troubles psychotraumatiques s’installent. Dissociation traumatique et mémoire traumatique sont les symptômes centraux des psychotraumatismes qui auront de graves conséquences à long terme sur la vie des victimes et sur leur santé mentale et physique ainsi que sur leur vie.
La victime sidérée se retrouve en état de dissociation traumatique, anesthésiée émotionnellement et physiquement, ce qui entraîne un sentiment d’irréalité, d’étrangeté, de dépersonnalisation et de décorporalisation, et d’être spectatrice de l’évènement. Le circuit de la mémoire est lui aussi interrompu lors de la disjonction, l’hippocampe qui est le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et du repérage temporo-spatial est déconnecté, et la mémoire des événements traumatiques ne peut pas être intégrée, ni contextualisée, ce qui produit une mémoire traumatique. Cette mémoire traumatique, symptôme central du psychotraumatisme, est une véritable machine à remonter le temps infernale, qui dès qu’un lien rappelle le viol et son contexte, le fait revivre à l’identique à la victime, avec la même sidération, la même terreur, les mêmes douleurs, sensations, émotions comme si l’agresseur était à nouveau là avec sa haine, son excitation, ses paroles assassines et que le viol se reproduisait. C’est une torture, obligeant la victime à mettre en place de coûteuses stratégies de survie : hypervigilance et conduites d’évitement et de contrôles pour éviter toute réactivation de la mémoire traumatique, et conduites dissociantes pour l’anesthésier et ne plus la ressentir telles que des prises d’alcool, de drogues et des conduites à risque et des mises en danger (qui font à nouveau disjoncter le circuit émotionnel pour créer un état dissociatif).
Lors de la disjonction l’amygdale ne s’éteint pas, elle est isolée mais elle va rester active tant que la victime continuera d’être exposée à des violences, à la présence de l’agresseur ou de ses complices ainsi qu'au contexte des violences. Face à cet allumage de l’amygdale cérébrale, les mécanismes neurologiques de sauvegarde resteront enclenchés pour éviter le risque vital, et la victime restera dissociée, déconnectée de ses émotions. La dissociation traumatique, système de survie mis en place par le cerveau en milieu très hostile, peut alors s’installer de manière permanente, donnant l'impression à la victime de devenir un automate, d'être dévitalisée, confuse, comme un « mort-vivant ». L’anesthésie émotionnelle et physique que produit la dissociation empêche la victime d’organiser sa défense et de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter.
Cette dissociation, tout comme la sidération qui la précède et dont elle est issue est recherchée par les agresseurs qui en bénéficient grandement, à la fois au moment des violences puisque leurs victimes ne sont pas en capacité de se défendre et peuvent être facilement soumises et contrôlées, et après les violences puisque les victimes ne vont pas être en mesure d’identifier ce qu’elles ont subi, les faits les plus graves étant vécus sans affect ni douleur exprimée, semblant si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé.
Cela explique les phénomènes d’emprise et entraîne un risque important de subir de nouvelles violences, et cela entraine de fréquentes amnésies dissociatives post-traumatiques chez les victimes, qui peuvent durer des années, voire des dizaines d’année tant que la victime reste dissociée.
La sidération et la dissociation qui s’en suit, suscitent souvent l’incompréhension et le jugement négatif de l’entourage des victimes et des professionnel.e.s qui ne sont pas formé.e.s aux psychotraumatismes. Et chez les victimes qui ne sont pas informées de ces mécanismes, elles génèrent des sentiments d’incompréhension, de culpabilité et de honte, et un surcroît de souffances.
L’état de sidération et de dissociation péri-traumatique sont des urgences médico-psychologiques, il s’agit d’un état de choc lié à un état de stress extrême. Il est primordial après avoir secouru, protégé et réconforté la victime de la déchoquer avec des soins d’urgences spécifiques en traitant son état de stress aigu, en la sortant de son état de sidération et de dissociation pour qu’elle puisse récupérer ses capacités fonctionnelles et cognitives et en l’informant sur les mécanismes pschotraumatiques et sur la prise en charge.
Ces premiers soins pratiqués en urgences (dans les 6h) sont efficaces pour éviter ou tout au moins réduire les conséquences psychotraumatiques. Il est essentiel de ne pas exposer une victime traumatisée à l’agresseur et au contexte de l’agression ce qui réactive le processus psychotraumatique et la replonge dans un état de sidération puis de dissociation, avec un risque très important d’aggraver son psychotraumatisme et les conséquences sur sa santé mentale et physique. Les soins spécialisés des psychotraumatismes (psychothérapies spécifiques et traitement du stress) associés à une protection et une psycho-éducation (information sur les psychotraumas et leurs mécanismes et sur les stratégies des agresseurs) sont très efficaces tout au long du parcours de la victime et permettent de la sortir de son état de dissociation et d’amnésie traumatique quand il y en a une, d’intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique (la victime ne revit plus à l’identique les évènements traumatisants), les stratégies de survies disparaissent, la majeure partie des conséquences sur la santé sont évitées, des récupérations neurologiques se mettent en place (neurogénèse et neuroplasticité) avec une grande amélioration des fonctions cognitives.
Reconnaître les psychotraumatismes comme des conséquences normales et universelles des violences, informer les victimes, leurs proches, le grand public et former tous les professionnels sur leurs mécanismes (la sidération, la dissociation et la mémoire traumatique), sur leurs lourdes conséquences sur la santé et la vie des victimes, ainsi que sur les soins efficaces à leur donner, permettront aux victimes d'être mieux comprises, mieux accompagnées et de leur éviter des pertes de chance considérables, des injustices en cascade et de subir de nouvelles violences : que ce soit au niveau de leur reconnaissance, du dépistage, de leur protection, de leur santé physique et mentale et de leur prise en charge qu’elle soit médicale, psychologique, judiciaire et sociale.
Cela permet également de démonter les mythes et les stéréotypes sexistes construits sur des symptômes psychotraumatiques détournés de leur cause, les violences subies, et utilisés pour culpabiliser les victimes et décrédibiliser leur parole, leurs témoignages, leurs souffrances et ainsi de restaurer leurs droits, leur dignité, et de leur rendre justice.
En effet, dans nos sociétés patriarcales et inégalitaires, avec une incroyable cruauté, les rares femmes et filles qui dénoncent les viols qu’elles ont subis, en sont le plus souvent tenues pour responsables, voir même coupables. Leurs traumas leurs sont reprochés, au lieu d’être reconnus comme des conséquences normales et universelles des viols et comme des preuves de ce qu’elles ont vécu.
Dans un retournement particulièrement injuste, leurs symptômes psychotraumatiques (sidération, dissociation et mémoire traumatique) et leurs conduites de survie (conduites de contrôle et d’évitement, et conduites dissociantes à risque telles que des addictions, des auto-mutilations des mises en danger) sont utilisés pour les discréditer, disqualifier leur témoignage, les psychiatriser, et pour les accuser d’être à l’origine de leur propre malheur. Et ce d’autant plus, que les stéréotypes sexistes les plus répandus intègrent ces mêmes symptômes psychotraumatiques et leurs conséquences sur la santé et la vie des femmes pour essentialiser ce qu’est une femme, sa personnalité, ses capacités et sa sexualité, dans un processus mystificateur haineux qui alimente sans fin les stéréotypes sexistes, les fausses représentations et la culture du viol qui les rendent coupables des violences qu’elles subissent, voire pire les considèrent comme sans dignité, aimant être violentée et dégradée. À l’inverse, les hommes qui les ont agressées sont dans leur très grande majorité protégés, disculpés, innocentés, leur sexualité violente normalisée et tolérée comme un besoin, ils peuvent même être considérés comme les « vraies victimes » de ces filles et de ces femmes qui les auraient provoqués, manipulés ou accusés à tort.
Lors de viol, la présence d’une sidération traumatique fait partie des preuves médico-légales que l’on peut recueillir, elle est pathognomonique d’une situation traumatique et c’est un facteur prédictif de troubles psychotraumatiques sévères, en aucun cas elle doit être interprétée comme une preuve de consentement. Il est important de rechercher et d’analyser les actes, les comportements et les paroles du mis en cause qui ont pu être à l’origine de cette sidération.
Dre Muriel SALMONA,
psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, auteure de Le livre noir des violences sexuelles (Dunod 3ème éd. 2022) de Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables (Dunod, 2ème éd. 2021) et de Harcèlement sexuel dans la collection Que sais-je ? (PUF, 2ème éd 2023) ; membre du comité scientifique de la chaire internationale sur La violence faite aux femmes et aux filles dans les conflits dite Chaire Mukwege, membre associé de l’équipe de recherche du projet validé par l’anr VSEG Violences et enfance en guerre, et ex-membre de la CIIVISE Commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants, jusqu’en décembre 2023.
drmsalmona@gmail.com
Site : https://www.memoiretraumatique.org
Pour en savoir plus :
L’article d’Anna MÖLLER et co de 2017 : Tonic immobility during sexual assault – a common reaction predicting post-traumatic stress disorder and severe depression Nordic Federation of Societies of Obstetrics and Gynecology, Acta Obstetricia et Gynecologica Scandinavica 96 (2017) 932–938
https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/aogs.13174
le site de l’association Mémoire traumatique et Victimologie avec de nombreux articles référencés, documents, ressources, enquêtes et rapport (IVSEA) plaquettes et brochures d’information, fiches pratiques, vidéos et modules de formation à consulter et télécharger : http://www.memoiretraumatique.org
Des vidéos explicatives :
La vidéo de la MIPROF clip de 14mn Paroles d'expertes expliquant : Les conséquences psycho-traumatiques des violences : sidération, dissociation, mémoire traumatique Postée sur le site gouvernemental Arrêtons les violences :
: https://www.youtube.com/watch?v=v-sdhm_dM7Q
La vidéo du Monde sur la sidération Viol accompagnée de témoignages : pourquoi le cerveau empêche certaines victimes de réagir 2022 :
https://youtu.be/sxS4p_PnM_A?si=rvXuMHEft3XvrkjR
La vidéo du Magazine de la santé sur le psychotraumatismes du viol 2011
https://youtu.be/U4wJnrgB2lM?si=uaKzkxxrQhBACUbt
Et les 2 vidéos de Marinette Violences sexuelles 2016 : sidération psychique et la sidération pour aller plus loin
https://youtu.be/gQc5tmSP_rg?si=i3Y0_kUmK1QyaZZ8
Des articles et dossier
L’article de la Dre Muriel Salmona de 2021 : Les violences sexuelles : psychotraumatisme majeur qu’il est essentiel de prendre en compte pour rendre justice aux victimes, les secourir, les protéger et les soigner, article publié dans Violences sexuelles : en finir avec l'impunité E. Ronai et E. Durand, Dunod, mars 2021 https:// www.memoiretraumatique.org/assets/ files/v1/Articles-Dr-MSalmona/ 2021_violences_sexuelles_un_psychotraumatisme_majeur.pdf
Le dossier de 2020 sur : L’analyse de la mémoire traumatique et des autres symptômes psychotraumatiques : une technique thérapeutique et médico-légale au secours des droits des victimes de viol pour obtenir soins, justice et réparations, téléchargeable sur le site : https:// www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/ A r t i c l e s - D r - M S a l m o n a / 2020_analyse_memoire_traumatique_au_secours_des_droits_viol_soins_justi ce_reparations.pdf
Article sur la mémoire traumatique réactualisé - janvier 2020 https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-article-Dunod-Memoire-Traumatique.pdf
La dissociation traumatique et les troubles de la personnalité, paru dans Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie édité chez Dunod en juin 2013 sous la direction de R. Coutanceau et J. Smith. téléchargeable sur le site : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/La-dissociation-traumatique-et-les-troubles-de-la-personnalit-Dunod-2013.pdf
Nécessité de connaître l'impact psychotraumatique chez les victimes de viol https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/2016-Necessaire-connaissance-de-limpact-psychotraumatique-chez-les-victimes-de-viols.pdf
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